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1Condamner à mort au Moyen Âge se présente d’emblée comme une synthèse magistrale de l’histoire de la peine de mort. La tâche était difficile, tant la réception du public de cette matière historique persiste à la voir traversée de cruauté et de répression effrénée. Mais Claude Gauvard n’est pas une historienne succombant aux schémas faciles projetant le Moyen Âge dans une forme d’hiver de notre histoire. De son aveu même, après des décennies de travail rigoureux sur la justice criminelle, elle a tardé à livrer cet ouvrage, tant il lui semblait devoir affiner, encore et encore, son approche. Car l’historienne en maîtrise les archives, les silences, la méthode et l’historiographie dans toutes les nuances possibles. Elle sait déployer sa vision dans les angles les plus méconnus du savoir, revenir en arrière, et de nouveau récolter le savoir dans une nasse de compréhension nouvelle. En peu de mots, quelle autre expertise aurait pu aboutir au présent ouvrage ? Aucune, si bien qu’alors qu’elle se sent obligée d’anticiper le reproche d’une livraison tardive en avant-propos, nous l’en remercions en réalité, car elle est parvenue, une fois de plus, à approfondir des nuances qui étonnent encore ceux qui, comme le présent recenseur, se croyaient un peu savants sur la question, mais constatent qu’ils ne l’étaient guère.

2L’engagement scientifique de Claude Gauvard sur l’histoire de la justice a formé des générations d’historiens médiévistes autour d’une cause intellectuelle majeure, parce que ses travaux patients informaient notre contemporanéité d’une histoire dont les faiblesses initiales étayaient encore les colères aveugles. À cet égard, les citations de Jean Jaurès et de Robert Badinter en exergue ne sont pas à lire à la légère. Elles mènent en réalité, à travers Philippe Maurice, à l’histoire du pardon et de la rédemption collective. En faire l’histoire consiste également, pour Claude Gauvard, à entrer pleinement dans un combat, non dans une histoire du pardon qui serait militante, qu’elle connaît par ailleurs parfaitement, mais en réalité à circuler dans un pardon de l’histoire, c’est-à-dire de rendre au public, par l’approche scientifique, des faits, des nuances et du sens aux paradoxes, afin qu’il parvienne à se réconcilier avec sa propre histoire, celle qu’il croyait connaître et dont il ne savait pas grand-chose. Et le lecteur de se sentir changé à l’issue de sa lecture, caractéristique évidente des ouvrages majeurs, enfin prêt, pour assumer son héritage pénal et regarder son siècle d’un jour nouveau. Pour autant, Claude Gauvard résiste encore à l’idée de conclure et livre un épilogue qui n’en conclue pas moins magistralement la question dans les esprits.

3En 368 pages, l’historienne arpente toutes les questions difficiles qui environnent son objet. Elle n’omet ni la peur, ni le fantasme, qu’elle met patiemment en face de la statistique, de la doctrine juridique et de l’histoire sociopolitique. Au cœur de l’approche, seront ces « inutiles au monde », qui apparaissent à la fin du Moyen Âge et qui entament leur montée de l’échafaud public. Ce faisant, Claude Gauvard trace un chemin à travers les sciences sociales qu’elle lit avec appétit et n’hésite pas à faire des détours inattendus, en particulier en revenant vers Mauss et Elias pour mieux reposer l’histoire de la violence dans les sociétés et détacher le Moyen Âge d’une réception anhistorique qui poserait trop facilement le caractère public de l’homicide. L’honneur a en effet beaucoup préoccupé l’historienne, car cette pierre de touche lui permet de ne pas rédiger une histoire téléologique qui ferait circuler une histoire de la peine de mort par le seul sommet politique. C’est également un atout méthodologique, car il permet d’apprécier finement la lecture des textes, d’appréhender leurs silences, pour mieux révéler une forme d’intertextualité, rarement rédigée, mais que l’historienne parvient à documenter parfaitement.

4Claude Gauvard nous livre une histoire de la condamnation à mort mue par l’essor d’une conception nouvelle des offenses faites à la chose publique à la fin du Moyen Âge. Au cœur de cette mécanique, réside le roi justicier, fontaine de justice qui s’écoule sur la publicisation progressive de la peine de mort. Peu à peu, le royaume de France, selon la formule de l’historienne, « apprivoise la mort légale » et la déploie par le Janus qui la dynamise singulièrement : les deux visages de la « coercition et de la grâce » des rois qui agissent de concert, pour mieux redéfinir la place des sujets et le contrôle de leurs corps. Au lecteur se demandant initialement si on tuait beaucoup, ou peu, l’historienne répond que la question est à revoir. Il est des exécutions massives qui ne communiquent guère et qui sortent de l’histoire, inversement d’autres marquent la mémoire. Que faut-il compter ? Entre la décision de la peine et sa mise en œuvre, Claude Gauvard restitue un théâtre endiablé dans lequel les acteurs jouent et rejouent leur peine ou leur sortie de peine, par l’arrangement, la médiation pénale, l’évasion, le pardon ou l’aggravement. Tel ce condamné qui souhaitait se voir souffrir plus encore, l’historienne nous rappelle que l’administration de la peine est aussi une « monstrée » médiévale lors de laquelle, à vrai dire, tout peut arriver. C’est là une des lignes de force de l’ouvrage : bien reposer l’exemplarité entre le message destiné aux délinquants irrécupérables et celui qui sublime une justice en se montrant aux sujets. La religion ne sera pas absente du propos et l’Église, elle aussi, modère son commandement non occides au contact des évolutions du bras séculier. Car à bien y regarder, une spiritualité vient s’enlacer dans les nœuds de cette histoire, spiritualité qui emprunte un chemin de pénitence à travers l’administration de la peine, jusqu’à avancer au XV^e siècle que la peine de mort sauverait les âmes éprouvées par les maléfices de notre pèlerinage terrestre.

5Restent nos « inutiles au monde » qui préoccupent Claude Gauvard. Car la distribution de la peine – pas si fréquente que l’on imaginait, mais incontestable pour sa récurrence – s’abat avec insistance sur un même profil. Les rois qui rendaient justice au pauvre comme au riche auraient-ils failli en livrant de pauvres hères au gibet de cette évolution ? Le roi distribue toujours massivement la grâce qui modère, mais la demande de rigueur vient aussi d’en bas. Conséquence inattendue de la mise en sujétion des populations, celle-ci trie ses ennemis de l’intérieur et, dans le dialogue qui l’unit à ses encadrements, fait avancer cette mécanique terrible. Il y a d’évidence des leçons à en tirer, que Claude Gauvard, laissera son lecteur échafauder. Là est sans doute le sens de l’épilogue, plutôt qu’une conclusion. De toute évidence, Condamner à mort au Moyen Age est un monument qui s’adresse à tous, mais qui est édifié, de ses fondements jusqu’à son faîte, pour cet objectif que nous paraphraserons ici avec espièglerie : « pour que les autres y preignent exemple ».