1L’enregistrement audiovisuel des procès relève d’une catégorie d’archives dédiée, les archives audiovisuelles de la justice, créées par Robert Badinter par la loi n° 85-699 du 11 juillet 1985 comme des captations en direct, intégrales et sans montage, uniquement réalisées pour l’histoire, pour être des archives historiques versées aux Archives nationales. Toutes les autres archives, administratives, judiciaires ou privées, relèvent d’une autre loi, celle du 13 janvier 1979, les deux lois ayant été depuis intégrées au code du patrimoine (2004).

Historique

5Un siècle plus tard, les journalistes peuvent de nouveau utiliser des caméras ou des enregistreurs dans les salles d’audience : à partir du 2 février 1981, en effet, le code de procédure pénale et la loi sur la liberté de la presse sont modifiés pour permettre aux journalistes de photographier et de filmer à l’intérieur des prétoires, mais seulement avant l’ouverture du procès. Le son revient timidement par le biais du brouhaha d’ambiance et du crépitement des appareils photos qui sont captés à ce moment-là par les caméras de télévision. Après la loi du 11 juillet 1985 créant les archives audiovisuelles de la justice, ce temps d’avant le procès est parfois enregistré. Le procès de Paul Touvier (17 mars au 20 avril 1994) montre ainsi la foule des journalistes qui s’accumulent face à la vitre du box pour saisir le visage inexpressif de l’accusé.

6Préparé au sein du ministère de la Justice à partir de mars 1985, le projet s’inscrit dans la perspective de bénéficier du développement technologique pour constituer une mémoire vivante de la justice. La finalité est de permettre l’enregistrement des débats présentant un caractère historique, mais avec une triple exigence : préserver, tout à la fois, le bon déroulement des audiences, l’indépendance de la juridiction et les intérêts légitimes des parties. Une approche strictement archivistique est privilégiée à une approche journalistique : constituer des archives historiques et non enregistrées des procès dits-historiques. Les auteurs de la loi n’entendent pas limiter la possibilité d’enregistrement aux seuls procès qui, par leur objet même, sont susceptibles de revêtir un intérêt historique. Bien plus, ils entendent permettre la constitution d’archives audiovisuelles de nature à faire connaître le fonctionnement des institutions judiciaires et la fonction juridictionnelle dans son exercice quotidien. Dans l’esprit des rédacteurs du projet, l’enregistrement audiovisuel ou sonore des débats ne peut être assimilé aux archives judiciaires des procès. Cet enregistrement présente, intrinsèquement, une spécificité justifiant un régime particulier.

8Le premier infléchissement à cette interdiction vient avec la loi du 2 février 1981. L’article 308 du code de procédures pénales est alors complété par une disposition permettant au président de la Cour d’appel d’ordonner un enregistrement sonore sous son contrôle. Le texte de la cette loi confirme l’interdiction d’enregistrement mais il permet d’obtenir une autorisation de filmage du président avant l’audience « à condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent » (modification de l’article 403 et création d’un 5^e alinéa de l’article 39 de la loi de 1881). Les journalistes peuvent donc, parfois, de nouveau entrer dans les prétoires avec leurs appareils photos et caméras pour rendre compte des procès, juste avant l’ouverture des audiences.

9Intégré en 2004 au livre II du code du patrimoine (art. L221-1 et suivants, R221-1 et suivants), l’encadrement légal a assez peu évolué. L’enregistrement doit être intégral et réalisé dans des conditions ne portant pas atteinte au bon déroulement des débats, ni au libre exercice des droits de la défense. La captation doit être faite depuis des points fixes, conditions qui, dans l’esprit du législateur, garantissent la neutralité des images. Dès que l’audience est terminée, les archives audiovisuelles de la justice sont transférées sous l’autorité du ministère de la Justice aux Archives nationales, pour y être pérennisées sur le temps long.

Comment rendre les archives audiovisuelles accessibles, ce que dit la loi

10La loi du 11 juillet 1985 prévoit que les consultations à des fins historiques et scientifiques sont soumises à l’autorisation conjointe du ministère de la Justice et de la Culture pendant 20 ans, délai au-delà duquel elles sont libres. Pendant ce temps la réutilisation et la diffusion sont interdites avant 20 ans, autorisées sur appréciation de l’autorité judiciaire entre 20 et 50 ans après un procès, puis libres ensuite. L’accessibilité de ces enregistrements bénéficie ainsi d’un régime spécifique, dérogatoire à loi sur les archives de 1979. Le contexte de l’élaboration de la loi place d’emblée l’intention de filmer dans une tension entre volonté de reporter l’accès au film dans un temps lointain et le désir de certains de pouvoir le diffuser rapidement.

11Ainsi dès 1985, la Commission des lois de l’Assemblée nationale juge trop restrictif un texte limité à la constitution d’archives historiques. Cette Commission soutient plusieurs amendements visant à autoriser la diffusion télévisée des procès « à caractère historique certain » dès la clôture de ceux-ci. Ces amendements ont été rejetés sur l’avis conforme du Garde des sceaux, justifiant le choix des délais de 20 et 50 ans, par un double souci : éclairer l’opinion publique sur son histoire proche en évitant de susciter de nouvelles passions et préserver les intérêts légitimes des parties ou témoins au procès.

12Cependant, seulement trois ans après le premier procès enregistré, celui de Klaus Barbie en 1987, l’adoption de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe impose de revoir les conditions d’accès au premier procès de crimes contre l’humanité en France. Ainsi, les parlementaires amendent l’article 8 de la loi du 11 juillet 1985, désormais pourvu d’un 2^e alinéa. Ce dernier apporte une dérogation aux règles de diffusion et de reproduction des enregistrements. Il rend possible la demande d’autorisation de diffusion et de reproduction de l’enregistrement des audiences dès que le procès a pris fin par une décision définitive. Cependant, cet assouplissement ne concerne que les procès de crimes contre l’humanité. Pour tous les autres cas l’interdiction de diffusion et réutilisation pendant une période de 50 ans reste la règle.

13La transposition de la loi dans le code du patrimoine (articles L221-1 à L221-5, L222-1 à L222-3) a maintenu plusieurs grands principes. Depuis la loi 2008-696 du 15 juillet 2008, la communication des archives audiovisuelles de la justice est libre à des fins historiques ou scientifiques dès que l’instance a pris fin par une décision définitive (CdP, art. L222-1, 1er §). Elle comprend la possibilité de les consulter en salle de lecture des Archives nationales et d’en obtenir une copie à usage privé.

14Le régime de la diffusion et de la réutilisation est celui de l’autorisation. Cependant les exceptions qui avaient été introduites pour les procès de crimes contre l’humanité (loi 2008-696 du 15 juillet 2008 (article L222-1 du CdP)) ont été étendues aux actes de terrorisme (loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 69 et ordonnance n°2019-964 du 18 septembre 2019 - art. 35 (V) (article L222-1 du CdP)) puis à tous les autres procès. Pendant le délai de 50 ans, le président du tribunal judiciaire de Paris examine les demandes suivant la procédure judiciaire ordinaire des requêtes devant le tribunal (art. 494 du code de procédure civile). Le demandeur est invité à joindre un projet succinct et préciser les extraits dont la reproduction ou la diffusion est sollicitée (CdP, art. R222-1).

15Après instruction, le président du tribunal judiciaire de Paris statue sur la requête par une ordonnance motivée. Il peut assortir de conditions particulières la reproduction ou la diffusion de l’enregistrement (durée de l’autorisation, mode de connaissance par le public). L'ordonnance est portée à la connaissance du public selon les modalités qu'elle fixe, à la diligence du requérant (CdP, art. R222-2).

17La loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et le décret n°2022-462 du 31 mars 2022 ont élargi les possibilités de captation audiovisuelle des audiences en ouvrant la possibilité d’enregistrement des audiences judiciaires et administratives à des tiers à partir du 2 avril 2022. Ce nouveau dispositif modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et y introduit l’article 38 quater pour autoriser l’enregistrement des audiences de justice civile, pénale, économique ou administrative pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique. Ce droit soumis à l’autorisation de la Chancellerie a fait l’objet en 2022 d’une convention avec France Télévision. Les productions télévisuelles réalisées au cours d’audiences et diffusées, seront archivées à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) au titre du dépôt légal de la télévision et de la radio, les rushes resteront la propriété des télévisions.

Liste des procès enregistrés au titre des archives audiovisuelles de la justice (mise à jour 12 février 2024)

• Klaus Barbie, cour d’assise du Rhône, 1987, 185h (Archives nationales (AN), 9AV/2-371 (BVU) ;

• Docteurs Garretta, Allain, Netter et Roux, dit du « Sang contaminé », 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, 1992, 134h55, (sonores, AN, 3AV/218 – 3AV/497) ; appel docteurs Garreta, Allain, Netter et Roux, cour d’appel de Paris, 1993, 119h17 (sonores, AN, 3AV/498 – 3AV/745) ;

• Paul Touvier, cour d’assises des Yvelines, 1994, 108h, 1994 (AN, BB/30/1968-1970) ;

• Maurice Papon, cour d’assises de la Gironde, 1997-1998, 380h (AN, BB/30/AV/8/1-71/380) ;

• Badinter-Faurisson, tribunal de grande instance de Paris, 2007, 26h30 (AN, BB/30/AV/75/1-75/21) ;

• Serge Biechlin et de la SA Grande Paroisse, dit procès AZF, tribunal correctionnel de Toulouse, 2009, 400h (Archives départementales de Haute-Garonne) ; 1^er appel Serge Biechlin et de la SA Grande Paroisse en cour d’appel de Toulouse, 2012, (Archives départementales de Haute-Garonne) ; appel AZF, cour d’appel de Paris, 2017, 293h (AN, 20170482) ;

• 14 Chiliens, dit procès Pinochet, cour d’assises de Paris, 2010, 47h37 (AN, 20120167) ;

• Pascal Simbikangwa, cour d'assises de Paris, 2014, 185h30 (AN, 20140261) ; appel de Pascal Simbikwanga, cour d’assises de Seine-Saint-Denis, 2016, 167h27 (AN, 20170427) ;

• Octavien Ngenzi et Tito Barahira, cour d’assises de Paris, 2016, 250h (AN, 20160394) ; appel Octavien Ngenzi et Tito Barahira, cour d’appel de Paris, 2018, 251h22 (AN, 20180562) ;

• Attentats terroristes de Charlie, Montrouge et Hyper Casher, cour d’assises spécialement constituée de Paris, 2020, 339h5 (AN, 20210005) ; appel de Ali Riza Polat et Amar Ramdani attentats terroristes de Charlie, Montrouge et Hyper Casher, cour d’assises spécialement constituée de Paris, 2022, 160h11 (AN, 20220623)

• Action en réparation contre l’État français de la traite négrière transatlantique et de l’esclavage, cour d’appel de Fort-de-France, 2021, 9h27 (AN, 20210598) ;

• Claude Muhayimana, cour d'assises de Paris, 2021, 149h1 min (AN, 20220056) ; appel en attente

• Attentats terroristes du 13 novembre 2015 dit V13, devant la cour d’assises de Paris spécialement constituée au Palais de Justice de Paris, 2021-2022, 705h, (AN, 20220498)

• Laurent Bucyibaruta, cour d'assises de Paris, 2022, 226h26, (AN, 20220497), décédé avant l’appel

• Attentat terroriste du 14 juillet 2016 à Nice, cour d’assises spécialement constituée de Paris, 2022, 413h12 (AN, 20230445) ; appel attentat terroriste du 14 juillet 2016, 2024 215h47 (AN, versement en attente)

• Kunti Kamara, cour d’assises de Paris, 2022, 86h48 (AN, 20220622) ; appel Kunti Kamara, cour d’assises de Paris, 2024, 108h7 (AN, 20240341)

• Philippe Manier, cour d’assises de Paris, 2023, 242h34 (AN, 20230446) ; appel Philippe Manier, 2024 (2^e semestre)

• Sosthène Munyemana, cour d’assises de Paris, 2023, 191h36 (AN, 20240340) ; appel en attente

• Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud, procès en absence, cour d’assises de Paris, 2024, 28 heures (AN, 20240342)

• Rétablissement de l'honneur de Jacques Fesch, condamné à la peine de mort par arrêt de la cour d'assises de la Seine du 6 avril 1957, cour de cassation, 2024, 1h21 min (AN, 20240298)

• Eugène Rwapucyo, cour d’assises de Paris, 2024 (2^e semestre)

• Samuel Paty, cour d’assises spécialement constituée de Paris, 2024 (2^e semestre)