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2Dans la première partie du livre, l’auteur pose les cadres institutionnels de sa recherche, en commençant par la documentation exploitée (chapitre 1). Sans être aussi abondant que le Trésor des chartes des rois de France, le corpus des lettres de rémission accordées par les ducs de Bourgogne aux xiv^e et xv^e siècles (plus de 800 actes) n’en constitue pas moins l’un des ensembles documentaires les plus riches pour étudier la grâce princière à la fin du Moyen Âge. Pour établir ce corpus, Rudi Beaulant ne s’est pas contenté de consulter les registres de l’audience bourguignonne à Lille, contenant la copie de la plupart des lettres de rémission octroyées par les ducs. Il s’est plongé dans près d’une dizaine archives départementales et municipales pour y traquer chaque mention de la grâce ducale dans divers registres et comptabilités. Ceci lui a permis de mettre à jour plusieurs documents exceptionnels, telles que des rémissions accordées par Jean Sans Peur (jusqu’ici pratiquement inconnues en raison d’un trou dans la conservation des registres de l’audience). Le travail de dépouillement effectué parait ainsi en tout point remarquable et constitue l’une des principales forces de l’ouvrage. Tout au plus se permettra-t-on de signaler, en guise de coquetterie archivistique, que la consultation de certaines séries conservées aux Archives générales du Royaume à Bruxelles – tels que les comptes des droits du sceau – aurait permis de mettre la main sur quelques pièces supplémentaires.

3Au-delà de son érudition, la principale qualité de cette véritable enquête documentaire est qu’il permet à l’auteur de renseigner de manière extrêmement précise l’histoire de l’exercice du droit de grâce dans l’espace bourguignon (chapitre 2), en ce compris les évolutions dans la procédure de grâce et dans la forme diplomatique des lettres (chapitre 3). Si l’on connait les efforts du pouvoir princier d’imposer leur monopole du droit de grâce et des moyens de pacification des conflits, au détriment des juridictions subalternes et des autorités urbaines, d’autres pratiques plus spécifiques avaient été jusqu’ici peu documentées, telle que cette habitude des ducs de Bourgogne de régulièrement déléguer à leur épouse le droit d’octroyer des lettres de rémission. Surtout, l’auteur apporte ici une réponse à un vieux débat historiographique quant aux origines du droit de grâce dans les principautés bourguignonnes : non, la dynastie des ducs Valois de Bourgogne n’a pas importé le modèle royal de la rémission dans l’espace bourguignon, tout simplement parce que cet usage leur préexistait. De plus, l’octroi de la rémission princière ne constitue pas à proprement parler une usurpation directe du droit de grâce royal dans la mesure où le roi de France a largement consenti à cet usage dès le xiv^e siècle, en reconnaissant à plusieurs reprises la légitimité de ces grâces.

4La deuxième partie du livre aborde les enjeux sociaux de la grâce princière, en commençant par la criminalité pardonnée (chapitre 4), c’est-à-dire par les crimes susceptibles d’être graciés par les ducs de Bourgogne. L’analyse quantitative des lettres de rémission révèle que la criminalité pardonnée dans l’espace bourguignon suit globalement les mêmes tendances qu’en France. D’une part, aux xiv^e et xv^e siècles, aucun crime n’est vraiment irrémissible aux yeux des ducs de Bourgogne, pas même ceux de nature politique et portant directement atteinte à l’autorité ducale. D’autre part, malgré cette relative variété dans la criminalité pardonnée, on observe une prédominance des crimes de sang et en particulier de l’homicide qui tend à tenir une place toujours plus majoritaire dans les lettres à mesure que le xv^e siècle avance – jusqu’à concerner entre 80 et 90 % des lettres octroyées durant les années 1470.

6En effet, l’octroi d’une lettre de rémission représente un coût considérable pour ses destinataires (chapitre 6). Outre le prix de la confection de la lettre en chancellerie, les rémissions bourguignonnes se distinguent de leurs cousines françaises par l’obligation quasi-systématique des suppliants de devoir payer, au moment de l’entérinement, une « amende civile » au profit du pouvoir ducal. Le montant de ces amendes, quoique très variable d’une lettre à l’autre, constitue une rentrée d’argent non-négligeable pour les ducs de Bourgogne, en particulier à partir de la création du trésor de l’Épargne par Philippe le Bon. L’étude de la comptabilité des baillages relevant de la Chambre des comptes de Dijon ainsi que du trésor de l’Épargne met ainsi en évidence l’existence d’une véritable « économie de la grâce » par laquelle l’octroi de lettres de rémission est guidé par des intérêts à la fois politiques et financiers – ce qui constitue l’un des apports les plus originaux de l’ouvrage.

8C’est ce que montre encore le dernier chapitre du livre, davantage centré sur les confrontations de la mairie de Dijon avec la grâce ducale. Loin de s’opposer de manière directe au droit de grâce des ducs de Bourgogne, la justice urbaine de Dijon cherche au contraire à maintenir ses privilèges en tentant de continuer à jouer un rôle essentiel dans la procédure de grâce, celui d’assurer l’entérinement des lettres de rémission – là où les ducs veulent que cette tâche incombe à leur bailli. Les dernières sections du chapitre sont consacrées à quelques études approfondies de criminels pardonnés, mettant en confrontation le contenu des lettres de rémission avec celui des enquêtes menées par la justice dijonnaise. Cette comparaison souligne à quel point les suppliants sont capables de tordre les événements à leur avantage, au risque d’être contredits par les témoins interrogés par les autorités urbaines. L’utilisation des archives judiciaires locales nous rappelle ainsi l’avertissement jadis donné par Natalie Zemon Davis sur la dimension « fictionnelle » du contenu des lettres de rémission.

9Au terme de la lecture de ce livre dense, nuancé et d’une très grande rigueur documentaire, il apparait comme une évidence que les lettres de rémission sont encore très loin d’avoir épuisé leur intérêt pour les historiens et historiennes de la justice, et que c’est même en croisant leur analyse avec d’autres archives qu’elles révèlent pleinement toutes leurs richesses. L’ouvrage de Rudi Beaulant est ainsi appelé à devenir une monographie de référence sur l’histoire de la grâce et plus largement sur la construction du pouvoir princier à la fin du Moyen Âge. Ce faisant, il ouvre la voie pour de futures comparaisons avec d’autres espaces et d’autres époques.