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2025

Dominic-Alain Boariu, Roi et régicide. Satire, peinture et politique sous la Monarchie de Juillet

Lausanne, Peter Lang, 2024, 469 p.
Pascal Dupuy
Référence(s) :

Dominic-Alain Boariu, Roi et régicide. Satire, peinture et politique sous la Monarchie de Juillet, Lausanne, Peter Lang, 2024, 469 p.

Texte intégral

1 Issu d’une thèse de doctorat en histoire de l’art soutenue en 2015 et largement remaniée pour la présente publication, l’ouvrage, pénétrant, érudit et riche de plus d’une centaine d’illustrations, s’attache aux réactions visuelles et politiques de l’attentat raté, mais néanmoins meurtrier (dix-neuf morts et vingt-neuf blessés par la « machine infernale ») perpétré par Giuseppe Fieschi contre Louis-Philippe d’Orléans, le 28 juillet 1835, sur le boulevard du Temple à Paris. Deux parties composent le livre : la première reprend dans ses grandes lignes le récit imagé de l’attentat, tandis que la seconde considère ses suites, le tout à partir d’une mise en perspective « des séditions graphiques » (p. 14), des nombreux tableaux, de l’iconographie sur l’événement, mais aussi de sources d’archives, de la presse, des pamphlets ou encore des rituels monarchiques d’un régime de plus en plus affaibli par ce flot d’images et de textes contestataires qui l’oblige à adopter une attitude autoritaire.

  • 1 Fabrice Erre, Le règne de la poire. Caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours(...)

2Le récit de l’attentat manqué ne couvre que quelques pages, mais il est suffisant pour comprendre en quoi il fut un événement qui fragilisa le roi et l’obligea à réagir. Alors que Louis-Philippe devait passer en revue la Garde nationale en ce jour anniversaire des Trois Glorieuses, Fieschi et ses deux complices gâchent la fête. Rapidement arrêtés après leur lamentable échec, bientôt jugés lors d’un retentissant procès, les trois hommes sont exécutés le 19 février 1836 et perdent leur tête sous le couperet de la guillotine. Mais cette fin tragique et théâtrale, « clôturait un carnaval plus vaste, celui d’une royauté tangible et visible » (p. 25) raillée de tous les côtés, la poire, antérieurement cueillie dans sa pluralité par Fabrice Erre1, en étant le fruit bientôt défendu et incarnant satiriquement, comme on le sait, le régime du juste milieu. La Garde nationale, « l’armure qui enveloppait le roi » (p. 41), n’était pas en reste. Celle que le monarque devait passer en revue en ce jour funeste a déjà été l’objet depuis de nombreux mois d’une attaque en règle des caricaturistes (Traviès, Grandville, Philipon…) et de la presse satirique en pleine ébullition. Pour contre-carrer cette mort symbolique du monarque, Horace Vernet est approché pour réaliser un tableau sur la cérémonie des victimes de l’attentat, œuvre qui redorerait le blason terni du roi. Vernet, peintre-militaire qui avait assisté à la tentative d’assassinat déclinera, sans que l’on en connaisse véritablement les raisons. Qu’à cela ne tienne, deux autres artistes s’en chargeront et répondront à la commande. Le premier, Alfred Johannot, donne une œuvre sans grand relief, même s’il fait dialoguer son tableau, sans le savoir, avec celui de Jean Alphonse Rœhn (Inhumation provisoire des victimes de Juillet devant la colonnade du Louvre, 1831, Musée Carnavalet, Paris). Ses Funérailles des victimes de l’attentat de Fieschi, aux Invalides, 5 août 1835 rentrent dès 1836 dans les nouvelles collections du Musée de Versailles, écrin voulu par Louis-Philippe pour sa propre renommée et, officiellement, afin de célébrer « toutes les gloires de la France ». Le second artiste, François-Marius Granet, en 1839, retrouve les accents de la peinture religieuse boudée depuis la Révolution française et ressuscitée temporairement par la Restauration, dans une composition à la dimension esthétique beaucoup plus aboutie. D’autres commandes viendront s’associer à ces célébrations graphiques qui mettent finalement en valeur que « le roi ne meurt jamais » et que « d’autres le font à sa place » (p. 98), comme ce fut le cas du maréchal Edouard Mortier. Ce dernier qui avait survécu à Jemappes, mais devait donc périr pitoyablement sur un boulevard parisien, le 28 juillet 1835, devint lui-aussi l’objet d’un petit culte commémoratif. L’auteur remarque avec beaucoup de clairvoyance que l’attentat lui-même, en épargnant miraculeusement Louis-Philippe, lui attribua une aura quasi divine, Fieschi ayant finalement permis « le retour des catholiques aux affaires politiques », opérant « par accident, un syncrétisme politico-religieux inattendu » (p. 113) que la musique allait bientôt sceller (Cherubini, Berlioz). Versailles, sujet d’une longue et passionnante sous-partie, représente d’une certaine manière l’incarnation de l’esprit esthétique du régime et l’arrivée dans le monde de l’art et de la politique de la France nouvelle, appelée de ses vœux par Guizot. Afin de poursuivre et d’accélérer la légitimation politique d’un régime bancal, Louis-Philippe donne également de sa personne avec deux portraits commandés au jeune peintre Franz Xaver Winterhalter. Ces œuvres classiques, interprétées avec beaucoup de subtilité par notre auteur, en s’inspirant pour une part du célèbre tableau de Louis XIV par Rigaud [« modèle du genre » (p. 163)], s’affichent en opposition aux représentations satiriques du roi-citoyen, tandis que la nouvelle « fabrication » kaléidoscopique de Versailles permet d’associer les deux régimes et donc les deux monarques au profit du second. Comme le souligne parfaitement Dominic-Alain Boariu en conclusion de cette magistrale première partie, ce que Louis-Philippe « opère à Versailles, c’est un télescopage politique donnant aux Français un musée devant lequel il pose, mais à l’intérieur duquel il règne » (p. 196).

3 La seconde partie débute par une analyse des œuvres qui ont immédiatement, puis ultérieurement, évoqué l’attentat lui-même. Parmi elles, l’auteur s’attache en quelques pages à une toile de Eugène Lami (Revue de la Garde Nationale, Attentat de Fieschi, 1845), qui semble vouloir saisir dix ans plus tard « le tournant psychologique d’un bain de foule transformé en bain de sang » p. 225. Au regard de son intérêt, on peut néanmoins regretter que l’éditeur n’ait pas opté pour une illustration en pleine page, la reproduction offerte du tableau se réduisant à quatre timbre-poste mis bout à bout…. Pourtant, l’œuvre en raison, entre autres, de sa précision topographique aurait mérité un agrandissement, le peintre ayant su, avec ce témoignage, « faire de l’histoire avec de l’épisodique » et transformer « la cause célèbre en fait d’armes » (p. 223). Vient ensuite un développement bienvenu sur le procès lui-même qui permet aux caricaturistes, souligne l’auteur, de lâcher leur venin sur ceux qui vont juger Fieschi, soit la Cour du royaume, dont chaque pair qui la compose est, aux yeux des opposants « au mieux, un fossile d’ancien régime, au pire, un avorton de prétoire » (p. 242). Tout l’arsenal du caricaturiste est alors utilisé pour décrédibiliser l’institution et le régime avec lui (scatologie, parodie, exagération, déformation, ironie…). Quant à Fieschi, en raison de sa nature vaniteuse, il est également épié et portraituré par les caricaturistes, mais également par de nombreux peintres et par quelques pairs eux-mêmes, qui essayent tous, dans des styles différents, de cerner en quelques coups de crayons la personnalité complexe d’un accusé prêt à tout pour perpétrer et accroitre sa célébrité. Cette soif de gloire devait cependant s’achever avec son exécution qui attira un grand public (on évoque de plus de vingt-cinq mille personnes), en particulier tous ceux, très nombreux, qui n’avaient pas eu « le privilège d’assister au procès » et qui pouvaient enfin « avoir accès au visage du régicide en son ultime déchéance » (p. 268). L’exécution est ensuite analysée à partir d’un passage sur le Duc de Brunswick qui, muni de sa lorgnette, assistait dans une loge au spectacle macabre et à travers les quelques estampes d’actualité évoquant graphiquement le supplice des trois condamnés. Ensuite, l’ouvrage revient sur les trois tableaux qui ont saisi la tête sans vie de Fieschi, sur l’identité de chaque peintre, et sur leurs parcours artistiques, leurs œuvres indiquant à la fois la popularité morbide qui entoure le parricide, tout en témoignant de « trois visions différentes du corps en particulier et de la mort en général. Politiquement ambigües, sans aucune prétention abolitionniste, elles posent brutalement la question du sort de l’âme et de la concupiscence des yeux » (p. 371). Enfin, le livre se clôt par un épilogue qui associe la pièce de théâtre tirée de l’événement, jouée à Bruxelles, et, malgré la censure, un peu plus tard à Paris, avec la première photographie (1838-39) d’un être vivant, prise par Louis Daguerre, sur le boulevard du Temple, à quelques mètres du lieu de la tentative d’attentat, et le portrait photographique de Louis-Philippe, « lui le dernier des rois » qui fut parmi « les premiers à être photographié » (p. 385), deux images qui, pour l’auteur, s’inscrivent dans une autre histoire encore à écrire : « celle de la photocratie » (p. 385).

4 L’ouvrage, dans sa globalité, est une réussite et même un tour de force. Le style est alerte, parfaitement maîtrisé, jamais pédant et l’utilisation régulière d’anglicismes (soft power, on the spot, fashionable, the dirty picture, entertainment…) et de références au présent plutôt amusantes et finalement assez bienvenues au sein d’une pensée et d’un langage académique souvent très denses. Toutefois, on sort aussi avec une sensation de vertige ou de tournis de sa lecture. 1062 notes de bas de page, dont pratiquement toutes comportent plusieurs références, parfois plus d’une vingtaine et peuvent envahir l’entièreté de la page, 63 pages de références bibliographiques, un index de personnes de près de 400 noms… L’entreprise est impressionnante même si c’est aussi ce que l’on peut attendre d’une thèse de doctorat, et on ne peut d’ailleurs que saluer le courage de l’éditeur qui en a accepté la publication. Cependant, on se demande également, au fil de la lecture, si quelques digressions étaient absolument indispensables, car elles ont tendance à faire perdre au lecteur l’objet et la problématique du livre. Un seul exemple parmi de nombreux. L’auteur s’attache ainsi à la carrière de peintre animalier de Jacques Raymond Brascassat, l’un des trois artistes ayant peint la tête coupée de Fieschi. Il en tire plus d’une vingtaine de pages qui se perdent sur l’évocation de la carrière de Brascassat, mais aussi sur celle d’un autre peintre animalier, Pierre Duval Le Camus et sa Chasse au loup (1838, musée de Senlis), sur les analogies entre les représentations du loup et la figure de Fieschi, pour conclure que sa tête était indissociable « non seulement du reste de la création animalière de Brascassat, mais aussi de la caricature comme discours séditieux exprimant sotto voce des mécontentements idéologiques » (p. 351), tout en admettant que le « pauvre Brascassat ne pouvait se douter d’une telle imbrication entre analogie physiognomonique, éthologie caricaturale et philosophie juridique » (p. 351) Et il s’agit un peu à la fois des limites mais aussi de la force de cet ouvrage, distinguer peut-être un peu surabondamment des analogies visuelles, politiques et idéologiques dans tous les coins de la production iconographique et textuelle du temps, transformant ainsi cet attentat raté en l’épicentre scopique du régime du juste milieu.

5 En revanche, si l’on accepte ce parti pris stimulant, l’ouvrage est une somme difficilement dépassable sur un sujet qui cherchait son auteur et qui l’a enfin trouvé.

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Notes

1 Fabrice Erre, Le règne de la poire. Caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours, Seyssel, Champ Vallon, 2011.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pascal Dupuy, « Dominic-Alain Boariu, Roi et régicide. Satire, peinture et politique sous la Monarchie de Juillet »Criminocorpus [En ligne], Comptes-rendus, mis en ligne le 30 janvier 2025, consulté le 06 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/16482 ; DOI : https://doi.org/10.4000/137k4

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Auteur

Pascal Dupuy

Pascal Dupuy, maître de conférences en histoire moderne à l’université de Rouen (Grhis). Ses recherches portent essentiellement sur les images satiriques européennes autour de la Révolution française et sur l’impact de la Révolution française en Grande-Bretagne.

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