Navigation – Plan du site

AccueilDossiersJustice et détention politiqueDédale carcéral. Georges Mandel d...

Dédale carcéral. Georges Mandel dans le labyrinthe de ses prisons entre la France de Vichy et l’Allemagne nazie (1940-1944)

Christophe Lastécouères

Résumés

Durant quatre années, entre juin 1940 et juillet 1944, Georges Mandel, comme d’autres anciens dirigeants de la Troisième République (Blum, Daladier ou Reynaud), a été la cible de la collaboration d’État entre le régime de Vichy et l’Allemagne nazie. Très vite privé de liberté, il commence à l’été 1940 un véritable parcours de détention : placé en résidence forcée, il a été interné puis emprisonné dans une forteresse avant de connaître la déportation en Allemagne et le système concentrationnaire nazi. Il a par ailleurs connu plus d’une dizaine de lieux de détention, ce qui a occasionné de multiples transferts, toujours mis en scène par le pouvoir vichyste et par la police allemande (SIPO-SD). Le but de cet article est de montrer, à partir des fonds privés déposés par la famille Mandel, pourquoi l’itinérance est un mode original d’application de la peine pendant l’Occupation. Dans le cas de Mandel, cette itinérance est sans aucun doute la plus destructrice de toutes : longtemps considéré comme un détenu important, il n’est plus qu’un « otage » juif aux yeux des autorités allemandes quand elles décident de le rendre à Vichy à l’été 1944. Il s’agit également de montrer que le prisonnier a tenté de résister à ses geôliers en mobilisant tous ses réseaux de soutien. Pourtant, Mandel n’est pas parvenu à inverser, ni même à rééquilibrer ce rapport de force défavorable, et cela pour deux raisons. Il n’a pas réussi, pendant sa détention, à conserver son capital social et relationnel, ce qui lui aurait permis d’envisager, en France, une libération ou une évasion et, en Allemagne, de pouvoir être conservé en détention dans la mesure où un retour à Paris, en juillet 1944, faisait peser sur sa vie une menace sérieuse. Surtout, la longue itinérance de Mandel a provoqué une usure mentale plus importante chez lui que chez d’autres personnalités victimes de l’arbitraire de Vichy (Zay) et de l’Allemagne nazie (Blum ou Reynaud). Avant même son retour en France et son assassinat par la Milice, Mandel semble épuisé sur le plan psychique.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Bertrand Favreau, Georges Mandel ou la passion de la République, Paris, Fayard, 1996, p. 472-494.
  • 2 François Delpla, Qui a tué Georges Mandel ? (1885-1944), Paris, L’Archipel, 2008.
  • 3 Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, Paris, Perrin, 2019.
  • 4 Bertrand Favreau, op. cit., p. 434.
  • 5 C’est cette notion qu’emploie Max Brusset, ancien directeur de cabinet de Mandel au ministère des C (...)
  • 6 Archives nationales (désormais AN), 544/AP/72-74, papiers relatifs à la captivité de Mandel (1940-1 (...)
  • 7 Voir la traduction française établie par Robert Paris : Antonio Gramsci, Cahiers de prison, 5 tomes (...)
  • 8 Jean-Claude Vimont, « Silvio Pellico, Mes prisons : un “best-seller” de l’édification », Criminocor (...)

1La vie de prisonnier de Georges Mandel (Louis Rothschild) durant la Seconde Guerre mondiale est souvent réduite à son assassinat par la Milice, le 7 juillet 1944. Cet événement a fait l’objet d’études1 et même de controverses2 autour des raisons qui expliquent le retour de Mandel à Paris après sa déportation en Allemagne (1942-1944). Sans contester l’intérêt d’une telle question, elle constitue un biais qui ne permet pas de comprendre la trajectoire de l’ancien ministre, marquée par de nombreux transferts et une mobilité carcérale permanente3. La tentation est grande, en effet, de relire cette trajectoire en partant de son point ultime considéré comme inévitable. Certains spécialistes ont même évoqué le « calvaire4 » et le « martyre5 » de Mandel, un vocabulaire qui éloigne de la reconstitution de son parcours à l’aune de l’histoire de la justice politique. Cependant, observer la trajectoire de Mandel uniquement à travers un prisme juridico-judiciaire serait tout aussi réducteur car cela reviendrait à faire l’impasse sur ce qui fait la vie d’un prisonnier au quotidien. Certes, contrairement à d’autres prisonniers du régime de Vichy (Blum, Daladier, Reynaud et Zay), Mandel n’a jamais consacré d’écrit à ses années de captivité. En revanche, il a laissé des archives qui permettent aujourd’hui de les documenter6. Encore s’agit-il de sources hétéroclites (notes et brouillons, correspondance avec ses amis et proches, pièces administratives diverses, etc.), qui portent parfois directement sur la captivité (deux journaux rédigés en Allemagne en 1943 et en 1944), mais qui n’offrent aucune cohérence à la manière des Quaderni del carcere écrits par le penseur communiste Antonio Gramsci sous Mussolini7. La perspective qui s’en dégage s’apparente plutôt à une expérience de la détention, proche de celle qu’a laissée, pour la première moitié du XIXe siècle, le révolutionnaire piémontais Silvio Pellico (1789-1854) dans Mes prisons8. Aussi les papiers privés de Georges Mandel doivent-ils être complétés par d’autres fonds et par les écrits laissés par ses codétenus. Comment l’ancien ministre perçoit-il « ses » prisons entre 1940 et 1944 ? C’est, tout d’abord, le parcours singulier d’une personnalité qui change régulièrement de statut et de lieu de détention dans le cadre d’une justice d’exception où apparaît la main du maréchal Pétain. Figure incontournable de la Troisième République, ministre des cabinets Daladier (Colonies) et Reynaud (Intérieur), député-maire de Soulac-sur-Mer en Gironde, Mandel s’oppose d’emblée à l’armistice. C’est aussi un parlementaire juif qui subit l’antisémitisme d’État. Autant d’éléments qui en font l’adversaire le plus irréductible de la politique de Pétain et, bientôt, l’un des plus célèbres détenus de Vichy. Mais la trajectoire carcérale de Mandel montre aussi sa volonté de résister à sa condition de prisonnier en mobilisant des réseaux d’entraide où les avocats jouent un rôle prépondérant. Enfin, elle révèle la détresse psychique d’un homme qui, coupé des siens et d’un tempérament agressif à l’égard de ses geôliers, est à bout de forces après quatre longues années d’enfermement.

Itinérance punitive dans les méandres de la collaboration d’État (1940-1944)

  • 9 Maxime Launay, Léo Rosell et Yann Sambuis, « Les lieux de privation de liberté, des lieux politique (...)

2Durant son parcours de détention, Georges Mandel a connu de nombreux lieux de privation de liberté. Ce sont, pour reprendre l’expression de Maxime Launay, Léo Rosell et Yann Sambuis, « des lieux du politique, des lieux de la politique et des lieux politiques9 ». Ce sont des lieux du politique dans la mesure où ils ont été choisis par les gouvernements français et allemand en fonction des aléas de la collaboration d’État. Ce sont aussi des lieux de la politique dans la mesure où s’y exerce une justice d’exception apparemment conforme aux principes du droit commun, mais qui tombe dans une dimension de plus en plus dérogatoire avec le concours de juristes arc-boutés sur des postulats positivistes qu’ils appliquent sans discernement. Ni Vichy ni le Troisième Reich n’ont par exemple reconnu à Mandel sa qualité de prisonnier politique, ce qu’il était réellement. Plutôt que de lui accorder le régime politique, ils lui ont octroyé un régime de faveur, fait de privilèges qu’ils pouvaient retirer à tout moment. Enfin, ce sont des lieux éminemment politiques dans la mesure où le pouvoir y cherche une forme de légitimation tandis que le prisonnier y puise de quoi méditer sur ses conditions d’enfermement. Pourtant, à observer de près la trame de ce parcours de détention, c’est autant son caractère politique que son caractère itinérant qui retient l’attention. Son originalité réside autant dans le choix des lieux que dans le transfert d’un lieu à l’autre.

  • 10 Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, op. cit., p. 195.
  • 11 Marc André, « L’itinérance carcérale durant la guerre d’indépendance algérienne : entre logique de (...)
  • 12 L’Office central de sécurité du Reich (RSHA) est une immense agence d’État créée en septembre 1939. (...)
  • 13 AN, 544/AP/74, lettre de Maurice Garçon à Mandel, 13 décembre 1943 (Paris).
  • 14 Alain Bancaud, « Le procès de Riom : instrumentalisation et renversement de la justice », dans Marc (...)

3En quatre ans de captivité, l’ancien ministre change plusieurs fois de lieu d’exécution de la peine (hôtels reconvertis en espaces d’assignation et d’internement, forteresse transformée en prison, annexe d’un camp de concentration), de statut (assigné à résidence, interné, détenu, déporté), et d’autorité souveraine (Vichy, puis l’Allemagne nazie). Par son caractère erratique, ce parcours a de quoi inquiéter le prisonnier. Loin d’illustrer cependant un manque d’efficacité, il s’inscrit dans la recherche d’une « itinérance10 » punitive : c’est, en temps de guerre, la stratégie adoptée par le pouvoir pour mettre en l’écart ses adversaires en mobilisant contre eux les moyens légaux et extra-légaux de l’appareil d’État. Dans ce mode original de privation de liberté, bien mis en évidence par Marc André pour les militants du Front de libération nationale (FLN) transférés d’une prison à l’autre pendant la guerre d’Algérie, « ce n’est plus seulement le temps mais l’espace qui est devenu l’opérateur de la peine11 ». Cette itinérance s’applique aussi bien à la partie française qu’à la partie allemande de la détention de Mandel. Dans son cas, une approche spatiale est d’autant plus pertinente que les peines sont prononcées sans précision de durée même si tout laisse à penser qu’elles sont perpétuelles ; que l’autorité chargée de les appliquer est variable (en France, les ministères de l’Intérieur, de la Guerre et de la Justice et, en Allemagne, les Affaires étrangères et le RSHA12) ; que les incriminations sont élastiques et peuvent se rapprocher d’un délit politique (atteinte à la sûreté extérieure de l’État) comme s’en éloigner (concussion et corruption) ; qu’enfin, les procédures sont discriminatoires par rapport à d’autres prévenus poursuivis pour des faits comparables par les mêmes juridictions. Ainsi, en France, Mandel ne sera-t-il jamais entendu par un magistrat instructeur de la Cour suprême de justice13, créée le 30 juillet 1940 (acte constitutionnel n° 5) et dont la compétence porte précisément sur la responsabilité pénale des ministres. D’autres, comme Blum ou Daladier, pourront au contraire bénéficier d’un grand procès public, à Riom (février-avril 1942), qui leur servira de tribune14.

4Devant de telles sinuosités, c’est bien l’itinérance qui constitue le définisseur le plus stable des sanctions infligées à Mandel. C’est aussi, pour la partie française de la détention, une manière de revivifier la vieille peine de relégation (loi de mai 1885) en la dirigeant contre un représentant des élites politiques et en lui conférant une dimension psychique. Les murs qui enferment Mandel, très mouvants, sont autant extérieurs qu’intérieurs, le prisonnier redoublant par son anxiété les limites visibles de la prison. Il s’agit de perdre le prisonnier, et d’abord au sens littéral – ce sera, en novembre 1941, la relégation dans une forteresse pyrénéenne – afin de l’écarter définitivement de la communauté nationale comme, naguère, les délinquants récidivistes étaient éloignés du corps social en raison de leur caractère supposément incorrigibles. À bien des égards, le cas de Mandel est celui d’un homme politique jugé « irrécupérable » par Vichy, un condamné à perpétuité du fait des circonstances de la guerre. En fin de compte, son parcours de détention se subdivise en cinq périodes dont la délimitation procède autant de l’itinérance qui lui est imposée que de la manière dont il peut se la représenter.

5De juin 1940 à septembre 1940, Mandel est privé de liberté à la suite de procédures diverses caractérisées par le pouvoir discrétionnaire de la haute administration coloniale. Au Maroc, où il se trouve après l’équipée du Massilia (21-24 juin 1940), il est placé en « résidence forcée » sur ordre du général Noguès, résident général, et de son subordonné Jean Morize, ministre délégué à la résidence générale de Rabat. Déjà, on lui reproche son « bellicisme », une notion qui recoupe, dans la langue de Vichy et de ses représentants dans l’Empire, le refus de l’armistice et, après la signature de celui-ci, le 22 juin, la volonté de poursuivre le combat. En règle générale, il est assigné à résidence dans des hôtels improvisés en lieux de privation de liberté : fin juin, l’hôtel Balima à Ifrane ; puis, fin juillet, l’Excelsior Hôtel à Meknès. À la fin du mois de juillet, en effet, Mandel est conduit à Meknès pour être placé sous mandat de la justice militaire qui a ouvert contre lui une procédure pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État. C’est la conséquence de sa présence à bord du Massilia et des activités d’intelligence qu’on lui prête avec les Britanniques lors de son débarquement à Casablanca. Mais il ne reste que peu de temps prévenu du tribunal militaire permanent de Meknès, le magistrat chargé d’instruire son dossier, le colonel Loireau, délivrant un non-lieu au bout de deux mois (7 septembre). Innocenté par la justice militaire, Mandel est ramené en Algérie.

  • 15 AN, F/7/15981/1, procès-verbal du commissaire Pierre Chabot, 10 septembre 1940 ; et AN, 544/AP/72, (...)

6S’ouvre alors une seconde période (septembre 1940-novembre 1941), plus cohérente, où Mandel est un « interné administratif » qui entre dans le collimateur du ministère de l’Intérieur. La suspension de sa liberté est demandée par l’autorité préfectorale qui, très vite, obtient son retour sur le sol métropolitain. Tombant sous le coup de la loi du 3 septembre 1940 qui frappe les individus « dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique », il est immédiatement visé par deux arrêtés15 : un premier délivré par le préfet d’Oran pour l’interner au château de Chazeron, dans le Puy-de-Dôme (7 septembre) ; un second par le préfet du Puy-de-Dôme pour l’interner à Pellevoisin, dans l’Indre (16 novembre). Un autre fil conducteur existe dans cette période d’internement : le mode de garde. Pendant un an, de son retour en France par avion (10 septembre 1940) jusqu’à la mi-novembre 1941, Mandel est placé sous la garde du commissaire de police mobile Charles Courrier qui l’accompagne dans chacune de ses résidences. Interné dans un premier temps au château de Chazeron à Loubeyrat (septembre-novembre 1940), il est conduit à l’Hôtel Notre-Dame de Pellevoisin (novembre 1940-janvier 1941) avant d’être transféré en Ardèche, d’abord à l’Hôtel Bellevue d’Aubenas (2-13 janvier 1941), puis au Grand Hôtel des Bains à Vals-les-Bains (janvier-novembre 1941). Pendant quelques mois, il effectue une rotation : interné au château Clément à La Châtaigneraie sur les hauteurs de Vals (30 avril-24 octobre), il fait son retour au Grand Hôtel des Bains.

  • 16 Sur l’anticommunisme des pouvoirs publics depuis la fin de la Troisième République, voir Louis Poul (...)
  • 17 AN, 544/AP/72, brouillon de lettre à Jules Jeanneney, s.d. (septembre-octobre 1941, Vals-les-Bains)

7Quelle est la signification de cet « internement administratif » ? Certes, il s’inscrit dans un usage ancien et normal du pouvoir discrétionnaire de l’administration qui cherche à protéger l’État d’ennemis objectifs ou de « suspects ». Mais, dès la fin des années trente, un glissement s’opère : l’appréciation objective de la menace s’efface derrière une perception subjective, la recherche du « suspect » reposant désormais sur un présupposé idéologique (la proximité avec le communisme16) ou sur un préjugé ethnique. Ainsi l’administration préfectorale a-t-elle usé de son pouvoir discrétionnaire contre les républicains espagnols de la Retirada et contre les réfugiés d’Europe centrale, souvent des juifs poussés sur les routes de l’exil par l’expansionnisme du Troisième Reich et perçus, en France, comme des « indésirables ». Sous Vichy, l’administration exerce son pouvoir discrétionnaire de manière systématique et au mépris des droits individuels. Les mesures d’internement sont peu motivées et n’offrent aucune possibilité de réclamation. Elles s’appliquent à des personnalités qui, sans forcément entrer dans l’illégalité, contestent la légitimité du pouvoir de Pétain, soit parce qu’elles s’opposent à l’armistice, soit parce qu’elles s’opposent aux manœuvres de Laval pour transférer les pleins pouvoirs à Pétain afin d’engager la France dans la collaboration d’État. Ces hommes ont immédiatement perçu le caractère arbitraire de leur situation. Dans une lettre adressée à son ami Jules Jeanneney, toujours président du Sénat, Mandel se dit « embastillé depuis bientôt seize mois pour avoir voulu que la France remplisse ses engagements17 ».

Georges Mandel et Jules Jeanneney lors de l’anniversaire de la mort de Clemenceau, novembre 1936 (Agence Meurisse)

Georges Mandel et Jules Jeanneney lors de l’anniversaire de la mort de Clemenceau, novembre 1936 (Agence Meurisse)

© Gallica/BnF

  • 18 AN, F/7/15981/1, note du commissaire Courrier, 6 octobre 1941 (Vals-les-Bains). Les arriérés porten (...)

8C’est un embastillement d’un type particulier car si Mandel n’est plus libre de ses mouvements, il doit répondre à diverses obligations légales. Ainsi le trésorier de la Chambre des députés – celle-ci, ajournée depuis le 11 juillet 1940 et présidée formellement par Édouard Herriot, dispose d’un bureau permanent installé à Vichy, puis à Châtelguyon à partir d’août 1941 – fait suivre son courrier jusqu’à l’« établissement d’internement administratif » pour le paiement de ses impôts arriérés. La mise en paiement par la banque Lehideux sera autorisée par le Commissariat général aux questions juives au printemps 194218.

  • 19 Journal officiel de l’État français (désormais JOEF), 72e année, n° 301, 22 novembre 1940, p. 5776  (...)
  • 20 JOEF, 73e année, n° 320, 27 novembre 1941, p. 5099.
  • 21 AN, 544/AP/72, lettre de Mandel au maréchal Pétain, 3 février 1941 (Vals-les-Bains).
  • 22 AN, F/7/15981/1, note de service du commissaire Courrier, 28 juillet 1941 (Vals-les-Bains).
  • 23 AN, 544/AP/74, lettre de Joseph Besselère à Mandel, 13 juillet 1941 (Valence-sur-Rhône).

9Par ailleurs, Mandel est obligé de se plier à la législation répressive de Vichy. Suspendu, puis révoqué, de son mandat de maire de Soulac-sur-Mer (décret du 14 novembre et arrêté du 16 novembre 194019), il est privé de son mandat de parlementaire à la suite des lois antisémites (décret du 19 novembre 194120). Mais le premier statut des juifs (article 2 de la loi du 3 octobre 1940) contenait en germe cette déchéance, et c’est bien de cette manière que Mandel l’avait interprété. Après avoir été informé par le cabinet d’Édouard Herriot que la loi du 3 octobre pouvait le toucher, il prend la peine d’écrire au maréchal Pétain afin de l’« édifier » sur les mesures « qui [lui] valent d’être écarté du Parlement ». La lettre, datée du 3 février 1941, est rédigée sur du papier à en-tête du Grand Hôtel de Vals-les-Bains. Mandel y indique qu’il a rendu publique sa judéité à la tribune de la Chambre en novembre 1920 et qu’il s’enorgueillit des états de service de sa famille (un père qui a fait la campagne de 1870 dans le 17e bataillon de marche). Il termine en évoquant son propre engagement auprès du « Tigre » : « J’ai été pendant plus d’un quart de siècle le collaborateur de Clemenceau – et un collaborateur qui s’honore d’être resté invariablement fidèle à sa politique21. » Redevenu simple citoyen mais un citoyen diminué par les incapacités qui le frappent en tant que juif, il signe sa lettre : « Georges Mandel, détenu à Vals (Ardèche) ». Quant à la déclaration d’appartenance à la « race juive » prévue dans le second statut (loi du 2 juin 1941), il opère en deux temps. Tandis qu’il envoie par lettre recommandée, depuis Vals, le 28 juillet, un exemplaire de sa déclaration à la préfecture de l’Ardèche – le commissaire Courrier en fait une copie pour sa hiérarchie22 –, il charge son avocat Joseph Besselère, qui administre ses affaires personnelles, d’en remettre un exemplaire « en mains propres » au préfet de l’Ardèche, Eugène Hild, dès le 13 juillet23. En doublant la procédure, Mandel cherche à préserver sa fille Claude, baptisée à Bordeaux en 1931 et qui, à ses yeux, « n’est pas juive aux termes de la loi ».

Georges Mandel, député de la Gironde en 1932 (Agence Mondial)

Georges Mandel, député de la Gironde en 1932 (Agence Mondial)

© Gallica/BnF

  • 24 Lettre de Blum à Marx Dormoy, 14 mai 1941 (château de Bourrassol) ; citée dans Léon Blum, L’Œuvre d (...)

10Par un artifice qui en dit long sur la plasticité de l’internement et sur son adaptabilité aux circonstances politiques, les différentes résidences de Mandel ne forment qu’un lieu de détention unique : « l’établissement d’internement administratif ». Créé à Pellevoisin le 22 septembre 1940 (il fonctionne parallèlement au château de Chazeron jusqu’à la fermeture de celui-ci à la mi-novembre 1940), cet établissement est déplacé à Aubenas (Hôtel Bellevue) et, surtout, à Vals-les-Bains (Grand Hôtel des Bains). À chaque déplacement, le commissaire Courrier, en tant que chef de l’« établissement d’internement administratif », assure la continuité du service. Cette ruse juridique a pour but de rabattre les changements de résidence sur une norme de l’enfermement plus facilement perceptible par l’opinion publique : un principe du droit pénal consiste en effet à associer une peine à un lieu d’exécution de la peine. Pour Vichy, l’« établissement d’internement administratif » héberge les grands coupables, ces individus « suspects » d’avoir mis en danger la sécurité intérieure et extérieure de l’État. Mais, pour les internés, ces transferts, en rendant difficile la communication avec les familles et en perturbant les visites, constituent une première entrée dans ce que Léon Blum nommera, en mai 1941, le « régime d’incertitudes et d’alternatives24 ».

11Le 7 novembre 1941, Mandel connaît un changement majeur dans son parcours de détention. À la suite d’une décision du maréchal Pétain, il change de statut : jusqu’alors « interné administratif », il devient un « détenu » politique. C’est la troisième période de son enfermement (novembre 1941-novembre 1942).

  • 25 AN, 544/AP/72, régime des promenades au château de Chazeron, 4-10 novembre 1940.

12Conformément à la sentence qu’il délivre à la radio le 16 octobre 1941 contre les « principaux responsables de notre désastre », Pétain condamne à la « détention dans une enceinte fortifiée » non seulement Georges Mandel, mais encore Léon Blum, Édouard Daladier, le général Maurice Gamelin et Paul Reynaud : trois anciens présidents du conseil (dont son prédécesseur), un ancien ministre, et l’ancien généralissime des forces armées. Alors que la collaboration franco-allemande fait l’objet de vives tensions, notamment autour de la question des prisonniers, le maréchal Pétain entend calmer l’opinion en l’impressionnant par une mesure hors du commun. C’est, comme le précise le chef de l’État, une « sanction politique ». La voie ordinaire est ainsi abandonnée au profit d’une exception extraordinaire, et même inouïe, puisque Pétain se substitue à la justice (la Cour suprême de justice, installée à Riom dans le Puy-de-Dôme) pour condamner les responsables de la défaite de mai-juin 1940. Certes, cette peine est incluse dans l’acte constitutionnel n° 7 (27 janvier 1941) tandis que la sentence est présentée aux Français comme ayant été suggérée par le Conseil de justice politique, un nouvel organisme créé pour aider le chef de l’État à juger les ministres qui ont « trahi les devoirs de leur charge ». C’est une tromperie. De septembre à novembre 1940, ces cinq hommes avaient déjà fait l’objet d’une mesure d’internement administratif au château de Chazeron. Très symboliquement, Mandel a conservé quelques traces de cet internement, notamment les notes où étaient consignées les promenades des codétenus, effectuées à deux reprises (matin et soir), pendant 45 minutes, sans possibilité de communiquer25.

  • 26 Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, op. cit., p. 87-96.

13Il ne fait donc aucun doute que la condamnation de Mandel est le fruit d’une démarche personnelle du chef de l’État : elle se présente comme une réactualisation de la justice retenue héritée de la monarchie absolue et, ce faisant, comme une violente rupture avec le libéralisme de l’État républicain en matière d’exception politique depuis 1875. Véritable « lettre de cachet radiodiffusée26 », la sentence du 16 octobre fait de Mandel un « prisonnier d’État ». Mais cette condamnation s’inscrit aussi dans la recherche d’une continuité depuis septembre 1940. Elle exprime la volonté de Vichy de frapper d’emblée ses opposants les plus dangereux, au besoin par un dévoiement du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Il s’agit de les éloigner par tous les moyens possibles d’une communauté nationale soudée autour de la personne de Pétain. Personnalité suspecte par excellence et perçue comme incorrigible, Mandel incarne aux yeux de Vichy la figure de l’ennemi absolu, ce que traduit son statut hybride d’interné-détenu. D’ailleurs, dans son allocution du 16 octobre, Pétain qualifie indistinctement les prévenus de la cour suprême de « détenus » et d’« internés ». C’est la figure politique du suspect qui subsume le glissement permanent d’une sanction administrative à une sanction pénale.

14Le décret rendant exécutoire la sentence du 16 octobre n’est signé par le chef de l’État que le 7 novembre, le temps pour le législateur de désigner le fort du Portalet comme « lieu de détention dans une enceinte fortifiée » (loi du 29 octobre 1941). Cette forteresse de montagne, si bien appropriée à l’enfermement des responsables du « désastre » que Pétain l’a déjà mentionnée dans son allocution radiodiffusée, est située près du village d’Urdos (Basses-Pyrénées), à une encablure de la frontière espagnole.

  • 27 AN, 19880349/1, note du secrétaire général pour la police (Joseph Rivalland), 11 novembre 1941.
  • 28 Yann Sambuis, « De la révocation à la déportation : Édouard Herriot, un parcours de privation de li (...)
  • 29 AN, BB/30/1719, Le Temps, 25-26 octobre 1941.
  • 30 Christophe Lastécouères, « La République “embastillée” et “déportée” au fort du Portalet. Errances (...)

15Mandel y arrive en compagnie de Reynaud le 15 novembre, après un long transfert par route de plus de 600 km depuis Vals où le gouvernement organise un convoi aussi discret que spectaculaire – sept voitures mises à la disposition par la Police nationale dont deux réservées à une escorte militaire puissamment armée27. Le but est de mettre en scène la disgrâce des deux anciens dirigeants. Cette méthode sera réutilisée à partir d’octobre 1942 pour Édouard Herriot dont le cas constitue un autre exemple remarquable d’itinérance carcérale28. Une fois de plus, le régime de Pétain s’abrite derrière le respect des formes du droit pour masquer une transgression des principes libéraux. La peine de « détention dans une enceinte fortifiée » est inédite. Si elle semble n’être que le prolongement de l’abolition de la peine de mort pour motif politique par la Seconde République en 1848, elle constitue en réalité une monstruosité juridique. C’est le produit de l’hybridation de deux peines déjà existantes : la « détention en forteresse » (loi d’avril 1832) et la « déportation dans une enceinte fortifiée » (loi de juin 1850). Alors même que le second garde des Sceaux de Pétain, le publiciste Joseph Barthélemy, professeur à la faculté de droit de Paris, tente d’en expliquer la portée libérale dans un entretien accordé au quotidien Le Temps en octobre 1941 (un entretien qu’il a rédigé de la première à la dernière ligne29), cette peine se présente comme la plus effroyable des peines d’élimination. Elle combine en effet trois imaginaires : la prison politique, la déportation et la relégation. D’ailleurs, Barthélemy ne le conteste pas. Comme elle remplace la peine de mort pour motif politique, elle est illimitée dans le temps et devrait normalement s’effectuer en dehors du territoire métropolitain. Comme elle s’applique par ailleurs à des personnalités politiquement incorrigibles, elle s’apparente à une forme de relégation. Mandel et ses codétenus sont supposés ne jamais sortir du Portalet qui se présente comme un substitut au bagne ultramarin (Guyane depuis 1931), inaccessible en raison de la guerre. En somme, Mandel est condamné à la relégation dans un « bagne d’outre-terre30 ». Avant même d’être déporté en Allemagne, il est banni aux confins de la France.

16Mais tandis que Blum, Daladier et Gamelin quittent le Portalet fin décembre 1941 pour la maison d’arrêt de Riom où les attend leur procès devant la Cour suprême de justice, Mandel et Reynaud restent seuls dans leur geôle pyrénéenne pendant près d’une année. Pendant de longs mois, ils espèrent être entendus dans la procédure principale de la Cour suprême portant sur les responsabilités de la défaite ; mais ils ne seront inculpés que pour des faits secondaires liés à l’« usage abusif des fonds soumis au contrôle des ministres », une compétence élargie de la cour (décret du 24 septembre 1940) qui les place sous l’autorité des magistrats de Riom sans que ces derniers aient quoi que ce soit à leur reprocher. C’est durant l’année 1942 qu’ils comprennent que le régime de Vichy les tient pour des boucs émissaires.

  • 31 Paul Reynaud, Carnets de captivité (1941-1945), Paris, Fayard, 1997, p. 207 (25 novembre 1942).

17En novembre 1942, Mandel entame la quatrième période de son enfermement qu’il passe sous souveraineté allemande. À la suite de l’invasion de la zone non occupée, la marge de manœuvre de Vichy se réduit considérablement. Le 20 novembre, le colonel SS Knochen, chef de la police allemande en France (SIPO-SD), se rend au Portalet ; sans la moindre considération pour le « gouverneur » du fort, le lieutenant-colonel Vidalat, il se saisit de Mandel et de son codétenu Reynaud. Un convoi, composé d’une escorte française mais dirigé par Knochen, conduit les deux hommes à Bordeaux. Reynaud, dans ses Carnets de captivité, évoque l’impuissance de Vichy devant cette prise d’otage : « La prise évidemment paraît bonne, mais qui songe à leur disputer31 ? »

  • 32 Archives départementales de la Gironde (désormais ADG), SC 910/1.
  • 33 Ibid., lettre du préfet régional Maurice Sabatier au secrétaire général pour la police René Bousque (...)
  • 34 Ibid., instructions téléphoniques de René Bousquet au préfet Sabatier, 20 et 22 novembre 1942.
  • 35 Ibid., compte rendu de l’intendant régional de police René Duchon, 22 novembre 1942.
  • 36 Paul Reynaud, op. cit., p. 207 (20 novembre 1942).

18En fait, comme en témoigne un épais dossier constitué par l’intendance régionale de police de Bordeaux32, les autorités françaises n’ont pas renoncé à conserver sous leur souveraineté ceux qu’elles nomment les « internés du Portalet33 ». Jusqu’au bout, Vichy entretient l’ambiguïté d’un enfermement situé à mi-chemin entre la détention administrative et la détention pénale. Aux yeux de Pétain et de son gouvernement, le mode de garde qui prévalait au Portalet doit se poursuivre à Bordeaux ; c’est du moins ce que veut croire le secrétaire général à la police René Bousquet34. Alors que ce dernier interprète le transfert de Mandel et de Reynaud comme un problème technique qui doit entrer dans le cadre des accords de collaboration policière qu’il a signés avec le général Karl Oberg à l’été 1942, les Allemands lui donnent une tout autre signification : ils s’emparent de personnalités très utiles pour faire pression sur Vichy. C’est d’ailleurs la SIPO-SD qui, seule, fixe le lieu de détention des deux hommes – le fort du Hâ – et l’heure de leur arrivée à Bordeaux sans même en avertir la police française. Ce nouveau statut d’« otage » a une conséquence immédiate. À partir du moment où Mandel et Reynaud quittent le Portalet, les autorités de Vichy ne les verront plus. L’intendant Duchon s’en émeut auprès du préfet régional Maurice Sabatier : « L’intendant régional de police constate que les autorités allemandes locales n’ont pas permis à la police française de remplir sa mission […]. Ni lui, ni ses services, n’ont aperçu, à aucun moment, les internés du Portalet35. » Pour leur part, les deux ministres ont immédiatement compris qu’ils avaient changé de geôlier. En arrivant au fort du Hâ, Reynaud découvre, apposée sur le mur de sa cellule, une pancarte sur laquelle il peut lire : « Section allemande de la prison de Bordeaux36. »

  • 37 Ibid., p. 208-210 (22-24 novembre 1942).
  • 38 ADG, SC 910/1, note du Kommandeur Hans Luther, chef du KdS de Bordeaux (29 janvier 1943), remise le (...)
  • 39 Benoît Luc, Otages d’Hitler, Paris, Vendémiaire, 2014, p. 7-13.
  • 40 À la fin de l’année 1943, il remplacera Ernst Achenbach comme adjoint d’Abetz à l’ambassade d’Allem (...)
  • 41 AN, 544/AP/73, note de Mandel à « M. le docteur Hofman », 25 mai 1943 (Weimar).
  • 42 AN, 544/AP/73, journal de captivité de Mandel, 8 mai 1943.
  • 43 Édouard Daladier, Journal de captivité (1940-1945), Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 212 (29 avril 194 (...)

19Dès le 20 novembre, à minuit, Mandel et Reynaud sont exfiltrés du fort du Hâ : la SIPO-SD déjoue facilement la surveillance d’un poste de garde français installé dans la prison (un seul gendarme de faction devant le quartier cellulaire allemand) en utilisant une ambulance. Transférés nuitamment par la route jusqu’à Tours, ils embarquent dans un train qui les conduit en secret – « stores baissés37 », dira Reynaud – jusqu’en Allemagne. Pendant de longues semaines, la SIPO-SD fait croire à l’administration française que les deux hommes se trouvent encore au fort du Hâ : elle n’annonce leur départ que le 30 janvier 194338. Or, ils sont en Allemagne depuis deux mois… C’est le 24 novembre, en effet, qu’ils arrivent à Berlin vers midi. À la nuit tombée, ils rejoignent le camp de Sachsenhausen. Ils dépendent alors d’une double autorité politique (Affaires étrangères) et policière (RSHA). Bien qu’emprisonnés avec le statut de « détenus d’honneur39 » (Ehrenhäftlinge), ils n’en restent pas moins des « otages ». Cette ambivalence pèse sur leurs conditions de détention. D’un côté, ils sont installés dans un quartier spécial du camp où ils font figure de privilégiés : le docteur Hoffmann40, qui assure la liaison entre les Affaires étrangères et le RSHA, leur fournit un poste de radio qui suivra Mandel dans son itinérance41. De l’autre, ils sont placés à l’isolement cellulaire sans possibilité de se rencontrer. En mai 1943, ils quittent Sachsenhausen. C’est à ce moment-là que leur trajectoire diverge avec, pour toile de fond, la symbolique associée à leur futur lieu de détention. Alors que Reynaud, qui est véritablement perçu comme un « détenu d’honneur », est orienté vers le château d’Itter, dans le Tyrol bavarois, où il sera emprisonné jusqu’à la fin de la guerre, Mandel subit un déclassement en étant dirigé vers une annexe du camp de Buchenwald, la « maison du fauconnier ». Il y retrouve Blum, ce qui donne à cette prison une portée antisémite. « On m’a logé avec Blum pour mettre les “Juifs” ensemble42 », affirme-t-il dans son journal. Blum partage ce sentiment : « Ce sera un petit ghetto43 », aurait-il déclaré devant Daladier.

  • 44 Ibid., p. 295 (18 juillet 1944).

20Paradoxalement, alors que des marqueurs « raciaux » pèsent sur la détention de Mandel, celle-ci continue de s’inscrire dans la carte mentale de la collaboration franco-allemande. Or, en tant qu’adversaire historique de ce rapprochement, il est plus menacé que Blum par la politique d’« otages » que se livrent à distance Berlin et Vichy. Détenu pendant plus d’une année (mai 1943-juillet 1944) à Buchenwald où sa valeur d’échange s’érode, il est démonétisé à l’été 1944 après la disparition brutale de certaines personnalités emblématiques de la collaboration d’État (Pierre Pucheu et Philippe Henriot). Les Allemands doutent désormais de la capacité de Pétain et de son gouvernement à donner un cadre encore plus répressif à cette collaboration. Aurait-il pour autant acquis la qualité d’« otage » aux yeux de Vichy ? C’est du moins ce que pense Daladier : « Mandel devait donc servir d’otage44 », écrit-il dans son journal. Coupé des réalités nationales depuis sa déportation au printemps 1943, l’ancien président du conseil veut croire que le retour de Mandel aurait pu infléchir l’attitude des combattants de la Résistance (FFI). C’est mal comprendre les déchirures de la société française à l’été 1944. Au début du mois de juillet, à Paris, Mandel est remis par les responsables de la SS (général Oberg et colonel Knochen) aux autorités françaises en la personne du milicien Max Knipping, délégué en zone nord du secrétaire général au Maintien de l’ordre, Joseph Darnand.

  • 45 Jean-Marc Berlière, « Administration pénitentiaire et prisons », dans Jean-Marc Berlière, Polices d (...)

21Alors qu’il a été transféré à la maison de la Santé, il entame l’ultime période de son périple carcéral. Le directeur de l’administration pénitentiaire, André Baillet, dont les services, passés sous l’autorité du Maintien de l’ordre en janvier 1944, offrent peu de résistibilité à la « dérive milicienne45 », le rend à Max Knipping. C’est ce dernier qui signe la levée d’écrou de Mandel le 7 juillet, quelques heures avant son assassinat. Cette cinquième période (4-7 juillet) n’est pas anodine. Pour la seconde fois après novembre 1942, Mandel est sacrifié par Vichy, ce qui fait de sa vie de prisonnier un parcours atypique.

22Pendant les quatre années où il est privé de liberté, Mandel connaît sept statuts différents : placé en « résidence forcée », prévenu de la justice militaire, « interné administratif », « détenu dans une enceinte fortifiée », puis dans une prison allemande à Bordeaux, il fait outre-Rhin l’expérience de l’univers concentrationnaire, d’abord en tant que simple « otage » puis en tant qu’« otage » juif, avant de revenir en France où, suprême ironie, l’administration pénitentiaire lui refuse le régime politique. À deux reprises, en novembre 1942 et juillet 1944, l’État français renonce à le protéger en tant que détenu. Il fréquente par ailleurs douze lieux de détention. Plus qu’aucune autre personnalité, il incarne l’itinérance punitive et le « régime d’incertitudes » inventés par Vichy pour adapter la situation d’un prévenu aux circonstances de la guerre ; pour le monnayer dans le cadre des négociations autour de la collaboration d’État ; pour le pousser, enfin, à méditer sur sa part de responsabilité dans ce qui est perçu par le nouveau régime comme le plus grand des crimes, à savoir la poursuite de la guerre à outrance. Pour résister, d’une part, à la pression exercée par la machine policière, militaire, administrative et judiciaire, et tenter d’équilibrer, d’autre part, un rapport de force qui lui est très défavorable, l’ancien ministre mobilise tous ses soutiens.

Résister à la déshumanisation de l’enfermement : la prison comme contre-monde et lieu de vie politique

23Face à un enfermement où il n’a plus que le choix entre la soumission à l’ordre imposé par ses geôliers et l’acceptation d’une incertitude de plus en plus déshumanisante, Mandel organise un monde-monde qui se présente comme l’envers du premier. Famille, avocats et réseaux d’entraide apportent certitude, apaisement et ouverture sur la société là où la détention n’apporte qu’incertitude, violence psychique et immobilité.

  • 46 AN, 544/AP/72, 17e division militaire de Toulouse (fort du Portalet), liste des personnes autorisée (...)
  • 47 AN, F/7/15981/1, lettre du service des messageries maritimes (Marseille) à Mandel, 1er octobre 1941 (...)
  • 48 Après la déportation de Mandel en Allemagne, en novembre 1942, Baba Diallo sera lui-même déporté à (...)
  • 49 Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (désormais ADPA), 87W50, note de l’inspecteur And (...)
  • 50 Jacques Crozat, Souvenirs du Portalet (1941-1942), Mémoires inédits, p. 27-28.

24C’est d’abord sur sa famille que Mandel s’appuie. Une liste établie en novembre 1941 par la 17e division militaire de Toulouse, qui a la garde du fort du Portalet, énumère les rares personnes admises à visiter le ministre46. La famille Rothschild y est représentée à travers l’un des frères de Mandel, Robert, replié à Marseille. Mais ce qui est original dans cette liste, c’est qu’elle met moins en lumière la famille – au sens institutionnel – qu’un noyau familial composé de la fille de Mandel, Claude, et de sa compagne, la comédienne Béatrice Bretty. On pourrait ajouter à ce petit noyau Baba Diallo, un Sénégalais attaché depuis 1939 au service de l’ancien ministre des Colonies comme domestique, chauffeur et garde du corps. Tandis que Mandel obtient le départ de métropole d’un autre domestique, un Indochinois nommé Nguyen Dinh Dam en mai 194047, Baba Diallo suit son maître dans ses pérégrinations48. Sa première visite au Portalet, le 30 novembre 1941, attestée par les renseignements généraux49, émeut tout le personnel du fort. Le jeune médecin auxiliaire de la garnison, le docteur Jacques Crozat, en fera un récit plein d’admiration mais non dépourvu de préjugés raciaux : « Un gendarme introduisait dans la salle à manger un noir gigantesque vêtu de loques et chaussé de godillots dont les semelles entrebâillées laissaient voir les chaussettes. Il secoua la neige qui avait recouvert ses hardes pendant le trajet à pied d’Urdos au Fort. […] Il s’appelait Baba, était sénégalais et venait se mettre au service de son maître “Missieu Mandel”. J’éprouvai une sympathie spontanée pour cet homme qui, dans des circonstances aussi inhabituelles pour lui, avait bravé la faim et le froid pour apporter à son patron la preuve de son dévouement de Saint-Bernard. […] Je sentis que ceux qui m’entouraient partageaient les mêmes sentiments pour le nouveau venu50. »

  • 51 AN, 544/AP/72, lettre de Mandel à sa fille Claude, 19 août 1940 (Meknès, Excelsior Hôtel).
  • 52 AN, 544/AP/77, discours de Marius Moutet lors de la cérémonie d’inauguration d’une plaque à la mémo (...)
  • 53 AN, 544/AP/72, Jacques Moutet, « La promenade des prisonniers », Noël 1940 (Pellevoisin).

25Mais c’est auprès de sa fille Claude, âgée de 11 ans au moment de l’incarcération au Portalet, et de sa compagne Béatrice Bretty que Mandel trouve le réconfort dont il a besoin. La hiérarchie militaire a une vision étroite du rôle de Bretty : elle « s’occupe de sa fille et l’accompagne », note-t-elle en face de son nom dans la liste des visiteurs de novembre 1941. C’est méconnaître la profondeur des liens entre Mandel et Bretty. Surnommée « Souche » dans les journaux du ministre, elle devient « Mamoune » dans la correspondance de ce dernier avec sa fille. Mandel a tenu à recomposer une famille autour de Béatrice Bretty dont il fait une mère de substitution à sa fille Claude, enfant naturelle (elle est née en 1930) qu’il a reconnue en 1937 et qui perdra sa mère, Henriette Labout, en 1943. Georges Mandel, sa fille Claude et sa compagne forment un trio inséparable. Dès le 19 août 1940, alors qu’il est en « résidence forcée » à Meknès, Mandel écrit à sa fille : « Tu es avec Mamoune mon grand souci pendant ces semaines d’exil51. » Lorsque les Allemands envahissent la zone non occupée en novembre 1942, Claude est conduite par l’aumônier du Portalet, le père Carré, auprès d’Andréa Jacotin, une pédagogue catholique repliée dans les Basses-Pyrénées, à Serres-Sainte-Marie, où elle a fondé un pensionnat privé (« Le Paraclet »). Enfant cachée, elle y effectue sa scolarité ; Mandel en paye discrètement les frais par le truchement de son banquier parisien Lehideux. À partir de cette date, Claude ne communiquera plus avec son père que par l’intermédiaire de Bretty. Et c’est tout naturellement que les deux femmes seront, à la Libération, aux premières loges lors des cérémonies d’hommage à Mandel. Le 7 juillet 1947, elles assistent au discours du ministre socialiste de la France d’Outre-Mer, Marius Moutet – le couple Auriol est également présent52. L’hommage de Moutet est important car son propre fils, Jacques, a été le codétenu de Mandel à Pellevoisin. Jacques Moutet a d’ailleurs livré un témoignage émouvant de cette captivité à travers deux dessins réalisés à la Noël 1940 et intitulés « la promenade des prisonniers53 ». On y voit Mandel, reconnaissable à son chapeau melon et à sa pelisse, déambuler en suivant un circuit tracé dans la neige par les policiers.

  • 54 Christophe Lastécouères, « Commémorer Georges Mandel à la Libération : des régimes de mémoire contr (...)
  • 55 ADPA, 87W50, note de l’inspecteur Alexandre Montoya, du service départemental des renseignements gé (...)
  • 56 AN, 544/AP/74, lettre de Mandel à sa fille Claude, 14 février 1942 (fort du Portalet).

26Alors qu’à la Libération, le souvenir de l’ancien ministre est englobé dans une grande mémoire patriotique54, Claudel fait fonction de double de son père en dépit de son jeune âge. Sa place dans la dernière partie de la vie de Mandel ne doit pas être sous-estimée : elle devient le principal sujet de préoccupation de l’ancien ministre, comme un moyen de détourner sur elle ses propres angoisses. On pourrait dire sans exagération que c’est à l’épreuve de la détention que Claude est vraiment devenue la fille de Mandel. Dans sa correspondance, ce dernier la rebaptise « [sa] Malicieuse ». Il se soucie de tout, de son éducation (jusqu’en novembre 1942, il engage une « gouvernante-institutrice », Anne-Marie Rivasseau, pour la suivre entre Vals et le Portalet55), de ses résultats scolaires, de sa santé. Il se tient régulièrement informé de son poids et de sa taille, de ses rendez-vous chez le dentiste. Ce n’est pas seulement une manière de combler l’absence. C’est sa façon de participer à la vie de sa fille et, bientôt, Mandel l’entoure d’un amour étouffant. Dans une lettre qu’il lui écrit en février 1942, il s’inquiète de sa visite au fort du Portalet : comme elle sera assise à l’arrière d’une voiture que doit conduire le père Carré, il l’enjoint de ne pas toucher à la portière56

  • 57 Il s’agit du couple formé par Raymond (1898-1945) et Catherine Ammar, née Molina (1904-1995). Tous (...)
  • 58 Maurice Garçon, Journal (1939-1945), Paris, Les Belles Lettres/Fayard, 2015, p. 222-223 (14 janvier (...)
  • 59 Ibid., p. 331 (18 décembre 1941). Le révolutionnaire socialiste Auguste Blanqui (1805-1881), surnom (...)
  • 60 Ibid.

27En dehors de la famille mais lié à elle se détache un premier cercle de soutiens et d’amis, car il est parfois difficile de distinguer les deux. Parmi eux, les avocats. Comme toutes les personnalités frappées par Vichy, Mandel est proche de ses conseils parisiens dont les noms (Ammar57, Besselère, Garçon, Goëau-Brissonnière) reviennent souvent dans ses papiers privés. L’un d’entre eux, Joseph Besselère, est un intime. Il se consacre entièrement à celui qu’il appelle dans sa correspondance « [son] cher ministre » : de fait, il a été le secrétaire particulier de Mandel quand celui-ci était aux Colonies. Il participe bien entendu à sa défense. Mais, compte tenu du caractère politique des procédures ouvertes contre Mandel, il travaille avec des confrères de renom, comme le pénaliste Maurice Garçon (1889-1967). Bien que n’étant pas un proche de Mandel, Garçon devient son avocat dès janvier 1941, en pleine période de l’internement administratif, et le suivra dans ses démêlés judiciaires avec la Cour suprême de Riom jusqu’à la dissolution de celle-ci en mai 1943. C’est, comme il le souligne dans son Journal, une question de déontologie : « J’ai accepté de le défendre. L’entreprise n’est pas sans risque. Mais à quoi bon exercer une profession si on en fuit les dangers ? […] Mandel est le plus visé : il est juif, antipathique, et il a des ennemis nombreux. Mais je crois qu’il est bon Français et qu’il a raison. Les deux raisons sont suffisantes pour me décider. Le procès est bon, je le perdrai. Mais du moins y trouverai-je l’occasion de défendre des idées libérales auxquelles je crois et de parler pour une cause que je crois juste58. » Garçon se rend à plusieurs reprises à Vals (14 janvier et 19 mars 1941), puis au Portalet (18 décembre 1941) pour rencontrer son client. Le fort du Portalet l’impressionne. Parvenu devant la cellule de Mandel, il mesure l’injustice faite à ce dernier : « Je pense malgré moi à Blanqui, enfermé au Mont-Saint-Michel. C’est une tombe. Un cul de basse-fosse. Une invraisemblable et perfide invention que cette prison imaginée par des gens méchants59. » Alors même que sa description du ministre trahit une forme d’antisémitisme (« et je trouve là mon juif de client », affirme-t-il), il éprouve de l’admiration pour un homme dont il perçoit le caractère « extraordinaire60 ». Mais la défense de Mandel n’exige pas seulement le recours à de bons techniciens du droit ; elle nécessite encore des hommes influents et, dans ce domaine, Besselère ne ménage sa peine.

  • 61 AN, 544/AP/74, lettre de Michel Clemenceau à Besselère, 21 juillet 1941 (Moret-sur-Loing).
  • 62 Ibid., lettre de Besselère à Mandel, 14 novembre 1942 (Vichy).
  • 63 Maurice Garçon, op. cit., p. 425 (23 novembre 1942).

28Ainsi coordonne-t-il les réseaux d’entraide qui se structurent autour du détenu. Il noue des relations amicales avec Michel Clemenceau, l’un des fils de Georges. Ce dernier lui écrit à l’été 1941 pour se mettre au service de Mandel et évoquer à demi-mot une intervention auprès du maréchal Pétain, qu’il connaît personnellement à travers la société des Amis de Georges Clemenceau : « Je tiens à vous redire combien j’ai été content d’avoir eu une entrevue avec vous afin que notre ami sache bien que je ne l’oublie pas et que je suis prêt à tout pour lui être utile61. » Mais comme le sort de Mandel dépend davantage du gouvernement que de Pétain lui-même, Besselère se rapproche de vieux routiers de la politique qui ont l’oreille des plus hauts responsables de l’État français, surtout au moment des dix journées fatidiques (11-20 novembre 1942) autour desquelles se discute le destin de l’ancien ministre. Dans une lettre datée du 14 novembre, il énumère les contacts qu’il a pris à Vichy : le garde des Sceaux Barthélemy et, surtout, Laval qu’il touche par le biais du député Joseph Laniel – un fidèle de Reynaud – et du ministre des Finances Pierre Cathala62. C’est à cette époque qu’il se rapproche aussi de son confrère Maurice Garçon afin de profiter de ses propres réseaux. Mais celui-ci ne parvient à rencontrer que Cathala dont l’« aveu d’impuissance63 » ne lui laisse guère de doute sur la possibilité de conserver Mandel sous la protection des autorités françaises.

  • 64 Sur la notion de cause lawyering qui a émergé au sein de la Law and Society Association au début de (...)

29Au fil des jours, Besselère et Garçon se muent en défenseurs résolus de la cause de Mandel à travers laquelle ils peuvent exprimer leur opposition à Vichy et à la collaboration d’État. Pour autant, il paraît exagéré d’en faire des cause lawyers64. Cette pratique, bien documentée après 1945 dans un contexte de guerre froide et de décolonisation, consiste, pour certains avocats, à utiliser la justice comme une scène permettant de mettre en lumière le combat politique de leurs clients. Certes, Besselère et Garçon se rapprochent parfois d’un tel modèle. Comme l’appareil d’État, sous Vichy, s’efforce de poursuivre Mandel dans le cadre de procédures (administratives et judiciaires) respectueuses des règles de droit, les avocats jouent un rôle crucial en démontrant que l’ancien ministre ne bénéficie pas d’un traitement équitable et que ce dossier, plus qu’aucun autre, révèle l’arbitraire du régime de Pétain. Mais leur dénonciation reste confinée à une petite élite judiciaire et politique. Dans la mesure où Mandel n’a jamais été jugé, ils ont été privés de tribune médiatique et de prétoire.

Georges Mandel, Philippe Pétain, Pierre Laval et Pierre Cathala dans le cabinet Fernand Bouisson après sa présentation au chef de l’État, 31 mai 1935 (Agence Meurisse)

Georges Mandel, Philippe Pétain, Pierre Laval et Pierre Cathala dans le cabinet Fernand Bouisson après sa présentation au chef de l’État, 31 mai 1935 (Agence Meurisse)

© Gallica/BnF

  • 65 AN, 544/AP/74, lettre de Besselère à Mandel, 14 novembre 1942 (Vichy).
  • 66 Maurice Garçon, L’Avocat et la morale, Paris, Buchet/Chastel, 1963, p. 28. Sur cette conception du (...)
  • 67 Maurice Garçon, « De la profession d’avocat », Le Monde, 31 mars 1961.

30Loin de construire une stratégie collective autour de l’emprisonnement de leur client, Besselère et Garçon agissent dans l’ombre. Ils doivent se contenter de l’engagement verbal de quelques ministres. Ainsi Cathala affirme-t-il à Besselère : « J’ai vu le Président [Laval] au sujet du Portalet et il m’a déclaré : “Je savais que Monsieur Mandel faisait preuve d’un grand courage. Mais faites-lui bien dire qu’il n’a aucune inquiétude à avoir car tant que je serai en place, il ne lui arrivera rien65.” » On connaît la valeur de la parole donnée par Cathala et Laval… Par ailleurs, ni Besselère ni Garçon n’ont de contact avec un représentant des autorités occupantes. En revanche, comme le révèle Garçon dans son Journal, ils sont placés en garde à vue pendant quelques heures, le 21 novembre, dans les locaux de la SIPO-SD à Paris, rue des Saussaies. La police allemande perquisitionne le domicile de Garçon, rue de l’Éperon, où est installé son cabinet ; violant le secret professionnel, elle s’empare du dossier Mandel. Le sort du ministre est scellé : abandonné par Vichy, il n’est plus qu’un « otage » du Reich. Toutefois, l’isolement des avocats a pu être facilité par de vieilles pratiques professionnelles. Pour Maurice Garçon, fils du grand privatiste Émile Garçon et inscrit au barreau de Paris en 1911, l’avocat exerce son métier en solitaire : « Il est son seul maître, mais aussi son seul juge et il ne doit de comptes qu’à sa conscience66 », affirmera-t-il dans l’un de ses essais. Cette méthode est aux antipodes d’une approche collective de la profession. Besselère en est moins éloigné. Plus jeune (il est né en 1900), plus soucieux de communiquer à la manière des lawyers américains, il ne conçoit pas son métier comme le « labeur d’artisan67 » revendiqué par Garçon.

  • 68 Ibid., lettre de Besselère à Mandel, 20 février 1944 (Paris).
  • 69 Ibid., lettre de Besselère à Mandel, 12 novembre 1943 (Paris).

31Liant son destin personnel à celui de son célèbre client, Besselère occupe une dernière fonction à l’articulation des réseaux d’entraide et du noyau familial : il administre la « maison Mandel ». C’est lui qui finance le train de vie de Claude et (en partie) de Béatrice Bretty car celle-ci, sociétaire de la Comédie-Française, est indépendante. Disposant d’une procuration sur les comptes du ministre, il règle toutes sortes de facture liées aux soins médicaux de Claude et à son éducation, aux coûts engendrés par ses déplacements pour suivre son père dans ses différents lieux de détention. Mais Besselère s’occupe aussi de l’envoi des colis. Une mission particulière lui est confiée : approvisionner le détenu en livres. Mandel, grand bibliophile et lecteur compulsif, dévore aussi bien les classiques que les ouvrages politiques. La méthode est la suivante : l’avocat n’achète (en général auprès des Presses universitaires de France) et n’envoie que les livres choisis par Mandel sur catalogues d’éditeur. En Allemagne, les difficultés d’acheminement mettent en péril cette organisation. Ainsi trois colis, numérotés 19, 20 et 21 par Besselère, sont-ils perdus à la fin de l’année 1943 en raison des bombardements alliés68. Or, le colis n°19 contenait 42 volumes. Besselère en conçoit une vive amertume « puisqu’il devient impossible de trouver des livres à Paris69 ». Ainsi, malgré quelques déconvenues, Mandel se constitue-t-il une véritable bibliothèque en prison. Blum et Reynaud témoigneront à la Libération de l’attachement viscéral qu’il porte à ses livres : il fait réaliser des caisses en bois pour mieux les protéger ; il négocie avec ses geôliers la fourniture de clous pour mieux les conserver ; il remet en caisse chaque ouvrage une fois sa lecture achevée…

  • 70 ADPA, 87W50, note du cabinet du préfet des Basses-Pyrénées (René Ribière) au chef de la 17e brigade (...)
  • 71 AN, F/7/15981/1, rapport spécial du commissaire Courrier au secrétaire général pour la police (Henr (...)

32Cette bibliothèque participe au travail de réflexion de l’ancien ministre, un travail pour lequel il est craint de Pétain et de son gouvernement jusqu’à une date avancée de la guerre. Dans un document daté d’avril 1943, Laval demande à la préfecture des Basses-Pyrénées l’envoi immédiat à Vichy des effets abandonnés par Mandel au Portalet à la suite de son transfert à Bordeaux 70. Que contiennent-ils ? Pêle-mêle, un tablier pour « fillette » (utilisé par Claude), des médicaments (une boîte d’« ampho-tablettes » pour le traitement des angines), et des bocaux alimentaires, notamment des conserves de cèpes… Ce décalage en dit long sur l’irrationalité dont Vichy entoure le cas Mandel : jusqu’au bout, Pétain et ses ministres espèrent trouver dans les affaires de l’adversaire le plus acharné de l’armistice des documents pouvant le confondre. Autre signe de paranoïa, la manière dont la police fouille systématiquement les lieux de détention de Mandel. À Vals, les hommes du commissaire Courier vident la corbeille à papier du ministre et récupèrent des notes manuscrites qui constituent l’ébauche d’un interrogatoire fictif devant la Cour suprême de justice71 – jamais il ne sera interrogé par les magistrats de Riom. Cette irrationalité de Vichy est constitutive de la figure de bouc émissaire à laquelle contribue indirectement Mandel par ses écrits et son attitude.

  • 72 AN, 544/AP/74, lettre de Coudy à Mandel, 8 novembre 1943 (Soulac-sur-Mer) ; et brouillon de la répo (...)

33Pour l’historien, l’identification d’un dernier cercle d’amitié, spécifiquement médocain et girondin, revêt alors une importance capitale car elle permet de confronter cette figure à la réalité d’un détenu qui s’est toujours comporté en prison comme un parlementaire de la Troisième République et a toujours agi en député-maire de Soulac. Ainsi ses amis aquitains lui rendent-ils visite, du moins quand il est détenu en France. Se déplacent régulièrement au Portalet l’industriel bordelais Emmanuel Barbe et le journaliste Martial Michel qui dirige, à Lesparre, la presse liée à sa clientèle électorale (Le Réveil médocain et L’Action médocaine). Par ailleurs, Mandel continue de recevoir, en Allemagne, une épaisse correspondance en provenance de notables du Médoc dont il a fait la carrière : Jules Guilhem, conseiller général de Saint-Vivien ou encore Henry Lepeytre, juge de paix à Pauillac. L’un des témoignages les plus remarquables de cet enracinement vient de son premier adjoint à la mairie de Soulac, André Coudy (1929-1940). Un échange de lettres, à la fin de l’année 1943, met en lumière leur estime mutuelle. Le 8 novembre 1943, Coudy annonce à Mandel qu’il a remis à son intention un colis à Béatrice Bretty et à Claude, qu’il a rencontrées à Toulouse : « Je leur ai remis un petit colis qu’elles doivent vous faire parvenir, de ma part, en témoignage bien faible, et bien humble, du meilleur souvenir que je garde de vous, et de la fidélité de mon attachement72. » La réponse de Mandel nous est parvenue au verso de la lettre – il avait l’habitude de rédiger le brouillon de sa réponse sur chaque lettre qui lui était envoyée. Louant la « fidèle amitié » de Coudy, il ajoute : « Elle m’a toujours été précieuse ; mais je ne l’aurai jamais plus appréciée qu’en un pareil moment et je ne formule qu’un désir, c’est qu’il me soit permis dans la suite des temps de vous prouver qu’elle était pour le moins réciproque. »

Georges Mandel avec les journalistes, décembre 1932 (Agence Mondial)

Georges Mandel avec les journalistes, décembre 1932 (Agence Mondial)

© Gallica/BnF

34De toute évidence, Mandel n’a pas renoncé, fin 1943, à reprendre son activité politique après la victoire des Alliés qu’il juge inéluctable. Outre sa confiance dans le parlementarisme de la Troisième République, une conviction déjà relevée par Maurice Garçon qui y voit l’un des rares signes d’aveuglement du ministre, il puise son optimisme dans la fidélité de ses amis médocains plus que dans ses réseaux parisiens. Mais cet optimisme bute sur une itinérance carcérale que le détenu ne parviendra jamais à subvertir et sur une politisation insuffisante de sa cause auprès des Anglo-Américains ou des Français de Londres. Tandis que Blum se sert du procès de Riom pour défendre son action en prenant à témoin l’opinion publique internationale, Mandel apparaît plus que jamais isolé. À aucun moment, du moins en France, il n’est véritablement en mesure de transformer ses lieux de détention en lieux de remobilisation politique afin de poursuivre sa carrière après la guerre. Miné par quatre années de « régime d’incertitudes », il finit par sombrer dans une profonde détresse psychique.

Paroles fragmentaires du détenu contre routine disciplinaire de la prison : les symptômes d’un effondrement psychique

  • 73 Ce concept a été créé par le sociologue François Bourricaud au début des années 1960 (voir Esquisse (...)

35Au lieu de sublimer sa captivité en se livrant à un travail d’écriture autour de la guerre et de la rénovation de la démocratie libérale, des domaines sur lesquels il aurait pu livrer sa vision, à la manière d’un Gramsci ou d’un Blum qui transforment leur prison en un lieu d’éducation politique – À l’échelle humaine, achevé par Blum au fort du Portalet et dédié aux générations futures, paraîtra en 1945 – Mandel ne construit son identité de prisonnier politique que dans l’opposition aux responsables de sa détention. Dans l’espace de la prison, il n’est pas rare qu’il libère son agressivité contre ses gardiens. C’est une dimension jusqu’au-boutiste du jeu d’« associés-rivaux73 » autour duquel les tenants d’une approche expérientielle de la prison politique modélisent la relation qui existe entre un détenu et son geôlier. Dans la plupart des cas, les tensions se neutralisent autour de la recherche d’un compromis ; le régime politique n’est qu’un cadre dont le contenu est le fruit d’une négociation entre les prisonniers, leurs avocats et les autorités. Mais, dans le cas de Mandel, les tensions prennent le pas sur l’effort de compromis. En retour, Vichy et le Troisième Reich ont alterné privilèges et fins de non-recevoir, faisant glisser la prison politique vers un lieu d’observation clinique qui la rapproche d’autres institutions disciplinaires au sens foucaldien, comme l’asile d’aliénés (appelé hôpital psychiatrique à partir de 1937) ou l’hôpital. Mandel s’y épuise dans une posture de défi qui occasionne une vraie souffrance mentale.

  • 74 Vincent Giraudier, Les Bastilles de Vichy. Répression politique et internement administratif (1940- (...)
  • 75 AN, 544/AP/72, note du commissaire Courrier à Mandel, 22 mai 1941 (La Châtaigneraie).
  • 76 Ibid., note de service du commissaire Courrier, 2 août 1941 (Vals-les-Bains).

36C’est Vichy qui est allé le plus loin dans la manière de formaliser cette approche psychique de la détention. Celle-ci, il est vrai, coïncide avec la volonté du régime de voir les personnalités reconnaître leur part de responsabilité dans la défaite. Rendre visibles les troubles de l’angoisse, n’est-ce pas un premier aveu de culpabilité ? Cette attitude est perceptible jusqu’au printemps 1942, quand Vichy, dans le prolongement du procès de Riom, croit pouvoir provoquer un retournement des personnalités sur elles-mêmes. À Vals, le commissaire Courrier soumet Mandel à des brimades répétées afin de le déstabiliser. En mai 1941, il menace de le sanctionner au motif qu’il ne respecte pas le nouveau règlement, élaboré quelques mois plus tôt74 et fondé sur une interprétation restrictive du régime des visites : « Non seulement vous ne tenez aucun compte de mes rappels au respect du règlement, écrit-il à Mandel, alors que vous savez très bien que les visites qui sont autorisées à M. Paul Reynaud ne le sont pas pour vous, mais votre façon de procéder va jusqu’à mettre en échec l’autorité du personnel à qui incombe la tâche, que votre attitude rend si difficile, de faire respecter l’arrêté du 8 février 1941 de M. le Ministre Secrétaire d’État à l’Intérieur. Je suis peiné d’avoir à vous dire que, devant de tels manquements, je me vois dans l’obligation, à la prochaine infraction volontaire, de vous consigner dans votre chambre, porte fermée, dans le temps où M. Paul Reynaud bénéficiera de son droit de visite75. » Incapable d’aplanir les tensions, Mandel finit par être consigné pendant une journée. Courrier lui notifie cette sanction le 26 juillet et en envoie une copie au ministère de l’Intérieur. Quelques jours plus tard, c’est le ministre lui-même, Pierre Pucheu, qui porte la sanction à 8 jours (2-9 août). Or, les conditions d’application de cette sanction en révèlent la signification exacte. Il est en effet précisé que, « pendant le temps nécessaire à la mise en état de propreté de la chambre, M. Georges Mandel se placera dans le cabinet de toilettes76 ». Sous couvert de sanction, il s’agit d’une punition dégradante.

  • 77 L’expression est emblématique d’une histoire du quotidien punitif menée dans le cadre du Groupe de (...)
  • 78 AN, F/7/15981/1, notes du commissaire Courrier, 15, 16, 17 et 19 octobre 1941 (Vals-les-Bains).

37Fort du soutien de sa hiérarchie, Courrier dépasse le stade de cette « routine punitive77 » pour se livrer sur Mandel à une expérience : il provoque lui-même la souffrance pour mieux en observer les stigmates. Ici, la prison devient un petit laboratoire de la psychiatrisation du détenu opérée par un représentant des forces de l’ordre, sans l’intervention ni le contrôle d’un thérapeute. Alors qu’il doit rédiger un rapport quotidien sur ses pensionnaires, il consacre une annexe spéciale à Mandel dont il fait une sorte de cas clinique. Certaines analyses sont rapides, d’autres plus détaillées comme lors de la période du 15 au 19 octobre 194178, centrée autour de la condamnation de Mandel par Pétain. Alors que les premiers rapports sont elliptiques – « toujours renfermé » (15 octobre) et « toujours acerbe » (16 octobre) –, Courrier note, le 17 octobre : « Cet interné qui paraissait mieux avoir réalisé sa situation que son co-interné M. Paul Reynaud n’a pas eu de réaction sensible en apprenant sa condamnation à la détention dans une enceinte fortifiée. Commentant cette décision quelque temps plus tard, avec M. Paul Reynaud, l’interné Georges Mandel s’est toutefois écrié : “J’aurais préféré que ce fût Hitler lui-même qui l’ait annoncée ouvertement. C’eût été plus net.” » Dans ces fragments de parole du détenu tels qu’ils sont rapportés par son geôlier, on perçoit un mécanisme de défense. Derrière le trait d’humour, Mandel s’efforce de rationaliser sa situation en mettant à distance ses affects. Pourtant, c’est bien un sentiment d’anxiété qui l’envahit, comme le suggère le rapport du 19 octobre : « Nerveux. Cet interné maîtrise avec beaucoup de peine une certaine inquiétude sur le point de savoir à quel moment il sera transféré dans une enceinte fortifiée. »

  • 79 Marc Renneville, « La psychiatrie légale dans le projet de réforme du Code pénal français (1930-193 (...)
  • 80 Service historique de la Défense, GR 9 P 128, 17e division militaire de Toulouse, registre des cons (...)

38Quand Mandel, le 15 novembre, arrive au fort du Portalet, l’observation psychique dont il fait l’objet se poursuit. Le registre des consultations médicales, tenu avec soin par le « gouverneur » Vidalat, en témoigne. En revanche, elle se fait toujours sans l’intervention du moindre spécialiste de psychiatrie légale, ce qui, au fond, ne constitue pas une surprise. Si l’administration pénitentiaire est bien responsable de la surveillance des personnalités dans l’enceinte fortifiée, elle s’y comporte comme dans le reste du parc pénitentiaire. Durant l’entre-deux-guerres, elle s’est toujours opposée à une généralisation de l’examen mental du détenu alors qu’ailleurs en Europe cet examen constituait l’une des pierres angulaires du mouvement de réforme des politiques pénales79. Dès son arrivée dans les Pyrénées, en novembre 1941, Mandel est victime d’« insomnies légères ». Au mois de mars suivant, alors qu’il occupe seul le quartier de détention avec Reynaud, le docteur Crozat parle d’« insomnies80 » ; on peut supposer qu’elles sont désormais récurrentes. Comment les calmer ? En fournissant au détenu un sédatif, le sulfonal, dont les propriétés hypnotiques sont connues depuis 1888. En règle générale, le printemps 1942 voit, dans la prise en charge des personnalités, la technique médicale l’emporter sur la sensibilité thérapeutique. Il est vrai que le procès de Riom a été un fiasco, et que Vichy a abandonné l’idée de voir les personnalités reconnaître leur part de responsabilité dans la défaite. La prise en charge se limite à la fourniture de médicaments permettant d’éviter une crise incompatible avec le dernier rôle que doit jouer le détenu : être un « otage » monnayable dans la collaboration d’État avec l’Allemagne nazie.

  • 81 L’image appartient à la philosophe Sarah Kofman (voir Paroles suffoquées, Paris, Galilée, 1987).
  • 82 AN, 544/AP/73, journal de captivité, 18 et 24 août 1943.

39C’est d’ailleurs à Buchenwald que cette surmédicalisation atteint son paroxysme, comme le révèlent les deux journaux rédigés par Mandel en 1943 et 1944. Le médecin du camp, dont la pharmacie bénéficie des dernières avancées de la chimie allemande et suisse, fournit au prisonnier des médicaments presque sans limite et sans le moindre contrôle. Mandel est ainsi livré à ses angoisses et à ses troubles nerveux. Alors qu’il a des nuits agitées dès le printemps 1943, il en attribue la cause à des problèmes fonctionnels (digestifs, intestinaux ou névralgiques) et décide de s’automédiquer en traitant séparément chaque symptôme. Pour arracher quelques heures de sommeil, il abuse de ce qu’il appelle des « soporifiques », en réalité des sédatifs de type anxiolytique. Poussant l’automédication jusqu’à un stade avancé, il soumet son propre corps à une série d’expériences : il prend des sédatifs en pleine nuit ; en augmente les doses ; en change en puisant dans la pharmacopée mise à sa disposition ; et, pour finir, en abandonne la prise au profit d’hypnotiques et de barbituriques qu’il n’hésite pas à mélanger. Ses journaux intimes trahissent, toujours sous une forme fragmentaire et dans le cadre d’une parole presque « suffoquée81 », une forme aiguë d’addiction médicamenteuse. Ainsi le 18 août : « Mieux dormi mais en me droguant. » Puis, une semaine plus tard : « Mauvaise nuit. Ai pris dose plus importante soporifique et dormi seulement 4 à 5 heures. Ennuis viennent intestins. De plus en plus inquiet82. » Ce qu’il y a de pathétique dans le cas de Mandel, c’est qu’il assiste, nuit après nuit, à sa propre déchéance dont il note scrupuleusement chaque signe.

40Au moment de revenir en France, en juillet 1944, il est accablé par des pensées mortifères. À aucun moment on ne décèle un tel niveau de souffrance chez les autres figures de la Troisième République déportés en Allemagne (Blum à Buchenwald, Reynaud au château d’Itter, dans le Tyrol bavarois, ou encore Herriot à Potsdam).

Georges Mandel, Louis Marin, Édouard Herriot et Édouard Daladier à la présidence du Conseil, 19 décembre 1929 (Agence Roll)

Georges Mandel, Louis Marin, Édouard Herriot et Édouard Daladier à la présidence du Conseil, 19 décembre 1929 (Agence Roll)

© Gallica/BnF

  • 83 La Bibliothèque municipale de Lyon détient un dossier sur l’internement psychiatrique d’Herriot, no (...)
  • 84 Dr Richard Sinn, « Sanatorium Neubabelsberg bei Berlin » dans Dr Johannes Bresler (dir.), Deutsche (...)
  • 85 C’est l’expression employée par Maurice Kriegel-Valrimont dans La Libération. Les archives du COMAC (...)

41Même le cas d’Herriot ne peut lui être comparé alors que l’ancien président de la Chambre des députés développe lui aussi de sérieux troubles nerveux durant sa captivité. Assigné à résidence par les autorités allemandes en mai 1943, il est soumis à une itinérance psychiatrique83 qui constitue l’originalité de son parcours de détention : après un premier séjour à l’hôpital de Maréville, près de Nancy (août-novembre 1943), il est transféré à l’hôpital de Ville-Évrard, en banlieue parisienne (novembre 1943-juin 1944), avant de revenir à Maréville (juin-août 1944) jusqu’à sa déportation au sanatorium de Neubabelsberg (Potsdam), où il sera libéré par les Soviétiques en avril 1945. À Neubabelsberg, Herriot est le pensionnaire du neurologue Richard Sinn84, fondateur, en 1907, de cet établissement huppé (40 lits à peine) et spécialiste reconnu des maladies nerveuses (Neurosen). Singulier contraste avec Mandel dont l’internement à Buchenwald a des effets délétères sur sa santé mentale mais qui ne bénéficie d’aucune prise en charge psychiatrique. Par ailleurs, le parcours de détention d’Herriot se déroule surtout en France, sa déportation tardive ne faisant que mettre en lumière l’intérêt que lui portent jusqu’au bout Vichy et les Allemands. À la mi-août 1944, il quitte sa résidence forcée de Maréville pour Paris afin de jouer un rôle politique dans l’une des dernières scènes de la collaboration franco-allemande. Tandis que l’ambassadeur Otto Abetz et les chefs de la SIPO-SD acceptent son retour à Paris en espérant qu’il y attire le maréchal Pétain, Laval en fait le personnage clé d’une « grande opération85 » car il le pense influent auprès de Roosevelt. Il propose à Herriot une libération sans condition en échange de sa participation à une combinaison devant permettre la convocation de l’Assemblée nationale et la négociation d’une transition politique qui écarterait les gaullistes. Herriot tergiversera et finira par refuser. Il sera à nouveau arrêté, ramené à Maréville, puis déporté. Après la guerre, il reprendra ses activités de député-maire de Lyon. Le cas de Mandel est très différent. Jamais sa libération ni son évasion n’ont été sérieusement envisagées avant que les Allemands ne s’emparent de lui en novembre 1942. Très tôt déporté et très vite démonétisé en tant qu’« otage », privé de tout capital social et symbolique lui permettant d’envisager la poursuite de sa carrière, il semble, à l’été 1944, irrémédiablement diminué par l’enfermement et l’usure nerveuse.

42Mandel a toujours été un indépendant en politique, et c’est en indépendant qu’il a traversé ses années de captivité. Au fond, une grande personnalité vit ses prisons comme elle vit en politique. Blum et Zay en hommes de plume, Reynaud en avocat de sa cause, Daladier en historien d’une République agonisante, Gamelin en stratège d’une guerre perdue. Et Mandel ? C’est en protestataire infatigable contre la traîtrise de Vichy qu’il a vécu ses prisons. De tous les chefs politiques incarcérés, c’est celui qui est allé le plus loin dans le mépris affiché pour ses geôliers. En Allemagne, alors qu’il était détenu avec Blum dans une maison forestière qui s’apparentait à une prison pour « otages » juifs, cette posture tenait du plus pur courage. Pourtant, elle a fini par user le psychisme de Mandel. C’est ce qui se dégage des sources portant sur sa détention dont il ne faut jamais séparer la dimension juridique de la portée expérientielle. La captivité de Mandel s’est déroulée dans des conditions très différentes de celles qu’ont connues d’autres figures de la Troisième République comme Zay, Reynaud et Blum. Cette différence de traitement achoppe sur la question cruciale du respect de l’intimité du prisonnier. À Riom, où il est encellulé à la maison d’arrêt pendant plus de trois ans (janvier 1941-juin 1944), c’est en famille que Zay résiste à l’enfermement. Quand les miliciens viennent le chercher pour l’assassiner, il a réussi à préserver son intégrité physique et psychique. Il en va de même pour Paul Reynaud et Léon Blum dont le parcours de détention est indissociable de leur compagne : Christiane Mabire parvient à rejoindre Reynaud au château d’Itter, en juillet 1943, après une itinérance de six mois où elle aura connu le fort du Hâ, la prison de Fresnes et le camp de Ravensbrück ; Jeanne Reichenbach rejoint Blum à Buchenwald où elle l’épouse même en octobre 1943. Mandel a été privé de ce type de soutien. À partir de la fin de l’année 1942, alors qu’il partage sa détention avec Reynaud (Portalet) et Blum (Buchenwald), il se réfugie dans un isolement qu’il construit en partie, soucieux de protéger les siens en les éloignant de lui, soucieux de se protéger lui-même en scindant ses pulsions affectives et ses réflexions intellectuelles. Il ne résistera pas à cette fracture intérieure. Ce que montrent les prisons de Mandel, c’est qu’aucun détenu ne peut résister durablement à cette forme d’isolation psychique qui s’avère encore plus destructrice que la solitude elle-même.

Haut de page

Bibliographie

André Marc, « L’itinérance carcérale durant la guerre d’indépendance algérienne : entre logique de répression étatique et stratégie de résistance individuelle », Revue historique, 2021/2 n° 698, p. 409-445.

Bancaud Alain, « Le procès de Riom : instrumentalisation et renversement de la justice », dans Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Justice, politique et République. De l’Affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Paris/Bruxelles, IHTP/Complexe, 2002, p. 221-241.

Favreau Bertrand, Georges Mandel ou la passion de la République, Paris, Fayard, 1996.

Génard Elsa et Rossigneux-Méheust Mathilde (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien, XIXe-XXe siècles, Paris, CNRS Éditions, 2023.

Giraudier Vincent, Les Bastilles de Vichy. Répression politique et internement administratif (1940-1944), Paris, Tallandier, 2009.

Kofman Sarah, Paroles suffoquées, Paris, Galilée, 1987.

Lastécouères Christophe, « Commémorer Georges Mandel à la Libération : des régimes de mémoire contradictoires (1944-1950) », dans Bernard Lachaise et Céline Piot (dir.), La guerre en Aquitaine, les Aquitains en guerre, de l’Antiquité à nos jours, LXVIIIe Congrès de la Fédération historique du Sud-Ouest, Nérac, Éditions d’Albret, 2017, p. 517-534.

Lastécouères Christophe, Prisonniers d’État sous Vichy, Paris, Perrin, 2019.

Luc Benoît, Otages d’Hitler, Paris, Vendémiaire, 2014.

Meltz Renaud, Pierre Laval. Un mystère français, Paris, Perrin, 2018.

Mordacq Antoine, « Le martyre de Georges Mandel (1940-1944) », L’Année Clemenceau, n° 7, 2023-2024, p. 27-38.

Poulhès Louis, L’État contre les communistes, 1938-1944, Paris, Atlande, 2021.

Haut de page

Notes

1 Bertrand Favreau, Georges Mandel ou la passion de la République, Paris, Fayard, 1996, p. 472-494.

2 François Delpla, Qui a tué Georges Mandel ? (1885-1944), Paris, L’Archipel, 2008.

3 Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, Paris, Perrin, 2019.

4 Bertrand Favreau, op. cit., p. 434.

5 C’est cette notion qu’emploie Max Brusset, ancien directeur de cabinet de Mandel au ministère des Colonies (Dominique Daguet, Souvenir de Max Brusset, Troyes, Librairie bleue, 1993, p. 28). Plus récemment, voir Antoine Mordacq, « Le martyre de Georges Mandel (1940-1944) », L’Année Clemenceau, n° 7, 2023-2024, p. 27-38.

6 Archives nationales (désormais AN), 544/AP/72-74, papiers relatifs à la captivité de Mandel (1940-1944). Cette période bénéficie du dernier legs effectué par la fille de Georges Mandel, Claude, après sa mort en 2003.

7 Voir la traduction française établie par Robert Paris : Antonio Gramsci, Cahiers de prison, 5 tomes, Paris, Gallimard, coll. NRF, 1978-1996.

8 Jean-Claude Vimont, « Silvio Pellico, Mes prisons : un “best-seller” de l’édification », Criminocorpus, mis en ligne le 25 juin 2012, consulté le 24 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/1946

9 Maxime Launay, Léo Rosell et Yann Sambuis, « Les lieux de privation de liberté, des lieux politiques (XIXe-XXe siècles) : introduction », Histoire@Politique, 52/2024, mis en ligne le 1er juin 2024, consulté le 24 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoirepolitique/17730

10 Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, op. cit., p. 195.

11 Marc André, « L’itinérance carcérale durant la guerre d’indépendance algérienne : entre logique de répression étatique et stratégie de résistance individuelle », Revue historique, 2021/2 n° 698, p. 410 [409-445].

12 L’Office central de sécurité du Reich (RSHA) est une immense agence d’État créée en septembre 1939. Elle regroupe les polices en civil et le renseignement politique (SIPO-SD). Son siège est sur la Wilhelmstrasse, à Berlin, comme le ministère des Affaires étrangères.

13 AN, 544/AP/74, lettre de Maurice Garçon à Mandel, 13 décembre 1943 (Paris).

14 Alain Bancaud, « Le procès de Riom : instrumentalisation et renversement de la justice », dans Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Justice, politique et République. De l’Affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Paris/Bruxelles, IHTP/Complexe, 2002, p. 221-241.

15 AN, F/7/15981/1, procès-verbal du commissaire Pierre Chabot, 10 septembre 1940 ; et AN, 544/AP/72, arrêté du préfet du Puy-de-Dôme, 16 novembre 1940.

16 Sur l’anticommunisme des pouvoirs publics depuis la fin de la Troisième République, voir Louis Poulhès, L’État contre les communistes, 1938-1944, Paris, Atlande, 2021.

17 AN, 544/AP/72, brouillon de lettre à Jules Jeanneney, s.d. (septembre-octobre 1941, Vals-les-Bains).

18 AN, F/7/15981/1, note du commissaire Courrier, 6 octobre 1941 (Vals-les-Bains). Les arriérés portent sur une somme de 5 891 francs au titre de l’impôt sur le revenu.

19 Journal officiel de l’État français (désormais JOEF), 72e année, n° 301, 22 novembre 1940, p. 5776 ; et n° 310, 1er décembre 1940, p. 5915. Le conseil municipal de Soulac-sur-Mer fait partie des premiers conseils suspendus par Vichy.

20 JOEF, 73e année, n° 320, 27 novembre 1941, p. 5099.

21 AN, 544/AP/72, lettre de Mandel au maréchal Pétain, 3 février 1941 (Vals-les-Bains).

22 AN, F/7/15981/1, note de service du commissaire Courrier, 28 juillet 1941 (Vals-les-Bains).

23 AN, 544/AP/74, lettre de Joseph Besselère à Mandel, 13 juillet 1941 (Valence-sur-Rhône).

24 Lettre de Blum à Marx Dormoy, 14 mai 1941 (château de Bourrassol) ; citée dans Léon Blum, L’Œuvre de Léon Blum (1940-1945). Mémoires, La prison et le procès, À l’échelle humaine, t. V, Paris, Albin Michel, 1955, p. 174.

25 AN, 544/AP/72, régime des promenades au château de Chazeron, 4-10 novembre 1940.

26 Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, op. cit., p. 87-96.

27 AN, 19880349/1, note du secrétaire général pour la police (Joseph Rivalland), 11 novembre 1941.

28 Yann Sambuis, « De la révocation à la déportation : Édouard Herriot, un parcours de privation de libertés (1940-1945) », Histoire@Politique, 52/2024, mis en ligne le 1er juin 2024, consulté le 24 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoirepolitique/17348

29 AN, BB/30/1719, Le Temps, 25-26 octobre 1941.

30 Christophe Lastécouères, « La République “embastillée” et “déportée” au fort du Portalet. Errances d’une justice politique ordinaire en temps d’exception (1940-1942) », Criminocorpus, mis en ligne le 1er avril 2014 : http://journals.openedition.org/criminocorpus/2678, consulté le 24 septembre 2024.

31 Paul Reynaud, Carnets de captivité (1941-1945), Paris, Fayard, 1997, p. 207 (25 novembre 1942).

32 Archives départementales de la Gironde (désormais ADG), SC 910/1.

33 Ibid., lettre du préfet régional Maurice Sabatier au secrétaire général pour la police René Bousquet, 26 novembre 1942.

34 Ibid., instructions téléphoniques de René Bousquet au préfet Sabatier, 20 et 22 novembre 1942.

35 Ibid., compte rendu de l’intendant régional de police René Duchon, 22 novembre 1942.

36 Paul Reynaud, op. cit., p. 207 (20 novembre 1942).

37 Ibid., p. 208-210 (22-24 novembre 1942).

38 ADG, SC 910/1, note du Kommandeur Hans Luther, chef du KdS de Bordeaux (29 janvier 1943), remise le lendemain au préfet Sabatier.

39 Benoît Luc, Otages d’Hitler, Paris, Vendémiaire, 2014, p. 7-13.

40 À la fin de l’année 1943, il remplacera Ernst Achenbach comme adjoint d’Abetz à l’ambassade d’Allemagne à Paris. Mandel, dans son journal de captivité de l’année 1943, qualifie ce spécialiste des questions françaises de « pseudo-diplomate » tellement ses liens avec le RSHA sont puissants.

41 AN, 544/AP/73, note de Mandel à « M. le docteur Hofman », 25 mai 1943 (Weimar).

42 AN, 544/AP/73, journal de captivité de Mandel, 8 mai 1943.

43 Édouard Daladier, Journal de captivité (1940-1945), Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 212 (29 avril 1943). Pendant un mois (du 4 avril au 2 mai 1943), Daladier est le compagnon de détention de Blum à la « maison du fauconnier ». Il sera transféré au château d’Itter.

44 Ibid., p. 295 (18 juillet 1944).

45 Jean-Marc Berlière, « Administration pénitentiaire et prisons », dans Jean-Marc Berlière, Polices des temps noirs. France, 1939-1945, Paris, Perrin, 2018, p. 103 [100-106].

46 AN, 544/AP/72, 17e division militaire de Toulouse (fort du Portalet), liste des personnes autorisées à visiter Mandel, 28 novembre 1941.

47 AN, F/7/15981/1, lettre du service des messageries maritimes (Marseille) à Mandel, 1er octobre 1941. Mandel paie le trajet de son domestique de Marseille à Haïphong pour un montant de 2 964 francs.

48 Après la déportation de Mandel en Allemagne, en novembre 1942, Baba Diallo sera lui-même déporté à Buchenwald, en janvier 1944. Il y décédera en octobre de la tuberculose.

49 Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (désormais ADPA), 87W50, note de l’inspecteur André Lafon (poste d’Urdos) au sous-préfet d’Oloron, 2 décembre 1941. Baba Diallo arrive le 29 novembre.

50 Jacques Crozat, Souvenirs du Portalet (1941-1942), Mémoires inédits, p. 27-28.

51 AN, 544/AP/72, lettre de Mandel à sa fille Claude, 19 août 1940 (Meknès, Excelsior Hôtel).

52 AN, 544/AP/77, discours de Marius Moutet lors de la cérémonie d’inauguration d’une plaque à la mémoire de Mandel dans la cour d’honneur du ministère de la France d’Outre-Mer, 7 juillet 1947.

53 AN, 544/AP/72, Jacques Moutet, « La promenade des prisonniers », Noël 1940 (Pellevoisin).

54 Christophe Lastécouères, « Commémorer Georges Mandel à la Libération : des régimes de mémoire contradictoires (1944-1950) », dans Bernard Lachaise et Céline Piot (dir.), La guerre en Aquitaine, les Aquitains en guerre, de l’Antiquité à nos jours, LXVIIIe Congrès de la Fédération historique du Sud-Ouest, Nérac, Éditions d’Albret, 2017, p. 517-534.

55 ADPA, 87W50, note de l’inspecteur Alexandre Montoya, du service départemental des renseignements généraux (poste d’Urdos), au sous-préfet d’Oloron, 7 octobre 1942.

56 AN, 544/AP/74, lettre de Mandel à sa fille Claude, 14 février 1942 (fort du Portalet).

57 Il s’agit du couple formé par Raymond (1898-1945) et Catherine Ammar, née Molina (1904-1995). Tous deux intègrent le barreau de Paris en 1925. Arrêté peu de temps après Mandel en novembre 1942, Raymond Amar est déporté en Allemagne où il est détenu au camp de Sachsenhausen pendant deux ans, jusqu’en novembre 1944 ; il décède à Bergen-Belsen en février 1945. Sa femme Catherine, entrée dans la Résistance à Lyon (réseau Ajax) est arrêtée en juin 1944, puis déportée à Ravensbrück au mois d’août ; elle reviendra des camps. Cindy Geraci, directrice du Musée du barreau de Paris, a retracé la trajectoire du couple pendant la guerre dans le cadre du projet Mémoire des avocats (https://memoire.avocatparis.org). Voir également : Basile Ader et Cindy Geraci, « Le Musée du Barreau de Paris, histoire et avenir », Criminocorpus, mis en ligne le 31 janvier 2024 : http://journals.openedition.org/criminocorpus/14694, consulté le 27 janvier 2025.

58 Maurice Garçon, Journal (1939-1945), Paris, Les Belles Lettres/Fayard, 2015, p. 222-223 (14 janvier 1941).

59 Ibid., p. 331 (18 décembre 1941). Le révolutionnaire socialiste Auguste Blanqui (1805-1881), surnommé « l’Enfermé », a été emprisonné au Mont-Saint-Michel en 1840.

60 Ibid.

61 AN, 544/AP/74, lettre de Michel Clemenceau à Besselère, 21 juillet 1941 (Moret-sur-Loing).

62 Ibid., lettre de Besselère à Mandel, 14 novembre 1942 (Vichy).

63 Maurice Garçon, op. cit., p. 425 (23 novembre 1942).

64 Sur la notion de cause lawyering qui a émergé au sein de la Law and Society Association au début des années 1990, voir les travaux pionniers des chercheurs américains Austin Sarat et Stuart Scheingold.

65 AN, 544/AP/74, lettre de Besselère à Mandel, 14 novembre 1942 (Vichy).

66 Maurice Garçon, L’Avocat et la morale, Paris, Buchet/Chastel, 1963, p. 28. Sur cette conception du métier d’avocat, nous renvoyons à la thèse soutenue par Nadine Georget : Maurice Garçon. Un écrivain au prétoire. La plaidoirie : un genre littéraire ?, université Bordeaux III (direction Philippe Baudorre), 2006.

67 Maurice Garçon, « De la profession d’avocat », Le Monde, 31 mars 1961.

68 Ibid., lettre de Besselère à Mandel, 20 février 1944 (Paris).

69 Ibid., lettre de Besselère à Mandel, 12 novembre 1943 (Paris).

70 ADPA, 87W50, note du cabinet du préfet des Basses-Pyrénées (René Ribière) au chef de la 17e brigade régionale de police de sûreté, 15 avril 1943 (Pau).

71 AN, F/7/15981/1, rapport spécial du commissaire Courrier au secrétaire général pour la police (Henry Chavin), 11 juillet 1941.

72 AN, 544/AP/74, lettre de Coudy à Mandel, 8 novembre 1943 (Soulac-sur-Mer) ; et brouillon de la réponse envoyée par Mandel le 12 décembre 1943.

73 Ce concept a été créé par le sociologue François Bourricaud au début des années 1960 (voir Esquisse d’une théorie de l’autorité, Paris, Plon, 1961).

74 Vincent Giraudier, Les Bastilles de Vichy. Répression politique et internement administratif (1940-1944), Paris, Tallandier, 2009, p. 111.

75 AN, 544/AP/72, note du commissaire Courrier à Mandel, 22 mai 1941 (La Châtaigneraie).

76 Ibid., note de service du commissaire Courrier, 2 août 1941 (Vals-les-Bains).

77 L’expression est emblématique d’une histoire du quotidien punitif menée dans le cadre du Groupe de recherche sur les institutions disciplinaires (GRID), notamment Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien, XIXe-XXe siècles, Paris, CNRS Éditions, 2023.

78 AN, F/7/15981/1, notes du commissaire Courrier, 15, 16, 17 et 19 octobre 1941 (Vals-les-Bains).

79 Marc Renneville, « La psychiatrie légale dans le projet de réforme du Code pénal français (1930-1938) », dans Jacques Arveiller (dir.), Psychiatries dans l’histoire, Caen, Presses universitaires de Caen, 2008, p. 385-406.

80 Service historique de la Défense, GR 9 P 128, 17e division militaire de Toulouse, registre des consultations médicales des détenus, 18 novembre 1941 et 21 mars 1942 (fort du Portalet).

81 L’image appartient à la philosophe Sarah Kofman (voir Paroles suffoquées, Paris, Galilée, 1987).

82 AN, 544/AP/73, journal de captivité, 18 et 24 août 1943.

83 La Bibliothèque municipale de Lyon détient un dossier sur l’internement psychiatrique d’Herriot, notamment à Maréville et Neubabelsberg (fonds Édouard Herriot, Ms 7554, août 1944-septembre 1951).

84 Dr Richard Sinn, « Sanatorium Neubabelsberg bei Berlin » dans Dr Johannes Bresler (dir.), Deutsche Heil- und Pflegeanstalten für Psychischkranke in Wort und Bild, vol. 2, Halle, Carl Marhold, 1912, p. 372-377.

85 C’est l’expression employée par Maurice Kriegel-Valrimont dans La Libération. Les archives du COMAC (mai-août 1944), Paris, Minuit, 1964, p. 181 [180-187]. Sur cette manœuvre, voir aussi Renaud Meltz, Pierre Laval. Un mystère français, Paris, Perrin, 2018, p. 985-1000.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Georges Mandel et Jules Jeanneney lors de l’anniversaire de la mort de Clemenceau, novembre 1936 (Agence Meurisse)
Crédits © Gallica/BnF
URL http://journals.openedition.org/criminocorpus/docannexe/image/16496/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 330k
Titre Georges Mandel, député de la Gironde en 1932 (Agence Mondial)
Crédits © Gallica/BnF
URL http://journals.openedition.org/criminocorpus/docannexe/image/16496/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 279k
Titre Georges Mandel, Philippe Pétain, Pierre Laval et Pierre Cathala dans le cabinet Fernand Bouisson après sa présentation au chef de l’État, 31 mai 1935 (Agence Meurisse)
Crédits © Gallica/BnF
URL http://journals.openedition.org/criminocorpus/docannexe/image/16496/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 348k
Titre Georges Mandel avec les journalistes, décembre 1932 (Agence Mondial)
Crédits © Gallica/BnF
URL http://journals.openedition.org/criminocorpus/docannexe/image/16496/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 385k
Titre Georges Mandel, Louis Marin, Édouard Herriot et Édouard Daladier à la présidence du Conseil, 19 décembre 1929 (Agence Roll)
Crédits © Gallica/BnF
URL http://journals.openedition.org/criminocorpus/docannexe/image/16496/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 240k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Lastécouères, « Dédale carcéral. Georges Mandel dans le labyrinthe de ses prisons entre la France de Vichy et l’Allemagne nazie (1940-1944) »Criminocorpus [En ligne], Justice et détention politique, mis en ligne le 03 mars 2025, consulté le 23 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/16496 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13eo7

Haut de page

Auteur

Christophe Lastécouères

Professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux Montaigne (Centre d’études des mondes moderne et contemporain, UR 2958), Christophe Lastécouères y dirige la section d’histoire contemporaine. Il est par ailleurs responsable des masters de recherche en histoire moderne et contemporaine. Auteur d’une monographie sur la prison politique pendant le régime de Vichy (Prisonniers d’État sous Vichy, Perrin, 2019), il dirige le conseil scientifique chargé de la revalorisation des friches carcérales de la ville de Riom, haut lieu de la détention des dirigeants de la Troisième République (Blum, Daladier et Zay) pendant l’Occupation.

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search