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2025

Bruno Bertherat, La femme nue de la rue des Anglais. Enquête sur un crime non élucidé, Paris 1806

Grenoble, Jérôme Millon, 2024, 163 p.
Frédéric Chauvaud
Référence(s) :

Bruno Bertherat, La femme nue de la rue des Anglais. Enquête sur un crime non élucidé, Paris 1806, Grenoble, Jérôme Millon, 2024, 163 p.

Texte intégral

1En 1806, au mois de mai, à Paris, le cadavre d’une femme, entièrement dénudée, le visage camouflé sous des haillons, les membres liés, est découvert, en pleine rue, par des policiers au milieu de la nuit. Sur le moment, il s’avère impossible de l’identifier et par la suite l’inconnue de la rue des Anglais restera une enveloppe corporelle anonyme. L’enquête est confiée à des hommes : juge d’instruction, policier, personnel de la morgue, mais l’historien Bruno Bertherat, spécialiste reconnu de l’histoire du crime et de l’institut médico-légal parisien, ne dispose ni du procès-verbal de levée du corps ni de l’acte de décès ni d’autres documents qui auraient permis de s’approcher au plus près de son existence passée, d’entrevoir ses pensées et ses aspirations, de saisir ce qui s’était passé cette nuit-là. Il ne reste qu’un très modeste « tombeau de papier ».

2Ce destin saccagé fait songer à d’autres cadavres de femmes découverts dans les rues ou les appartements parisiens pendant une grande partie du XIXe siècle. Pour les policiers, y compris les chefs de la police judiciaire, toutes ces mortes, avant que l’on ne parvienne à les identifier, sont nécessairement des prostituées. Ces femmes écrivent-ils, ainsi que quelques journalistes, n’ont eu que le sort qu’elles méritaient. Elles sont tenues pour responsables de leur trépas et les filles de noce, qu’elles soient clandestines ou inscrites sur les registres de la préfecture de police, n’intéressent guère la police et la justice. À la fin du XIXe siècle, Gustave Massé avait publié un livre sur les crimes impunis, recensant aussi bien les « débris humains » non identifiés que les corps humains de femmes restées invisibles.

3Au début du XIXe siècle, dans la capitale, sous le Premier Empire, le « dispositif juridico-policier, dans un des quartiers le plus peuplé de Paris, ne permet pas de tout surveiller et de comprendre comment ce corps a été déposé sur la chaussée. Bruno Bertherat, même s’il ne dispose que de quelques éléments fragmentaires, avec la complicité de collègues, d’étudiantes et d’étudiants de l’université d’Avignon, a mené l’enquête pendant de longs mois, dans des séminaires et à d’autres occasions. Les résultats de ces investigations sont présentés dans cet ouvrage qui constitue, au-delà de l’affaire singulière, un manuel sur la manière de poser des questions aux sources disponibles et d’explorer toute la documentation, même quand elle est éparse et minimaliste. D’une certaine manière, il offre un complément ou plutôt un prolongement aux guides de recherche réalisés par Jean-Claude Farcy et disponibles sur le site de Criminocorpus. Pour mener à bien les recherches, exposer et suivre toutes les pistes possibles, il privilégie trois entrées. La première s’attache aux lieux, celui de la découverte du crime dans ce quartier proche du Panthéon, celui de ce Paris ancien, post révolutionnaire, et de la vie fragile de ses habitants. Cette approche « environnementale » s’accompagne de visuels – reproductions d’archives, dessins et gravure, plans, particulièrement expressifs. La deuxième grande entrée envisage de restituer la démarche suivie par les enquêteurs de l’époque et les raisons de leur échec. La troisième et dernière entrée, intitulée « le détour des possibles », s’attache à revenir sur le mode opératoire : l’inconnue était-elle seule, a-t-elle été assommée, étranglée, tuée d’une autre façon ? Nul doute qu’il s’agit d’un féminicide, mais a-t-elle été victime d’un tueur de femmes, comme l’assassin Joseph Philippe sous le Second Empire, d’un mari ou d’un compagnon violent ? d’un groupe d’hommes ?

4Ni l’anonymat n’a pu être levé, ni les circonstances n’ont pu être élucidées, aussi cette mort reste une énigme. Lui consacrer un livre entier ce n’est pas seulement déployer toutes les ressources de la recherche, c’est aussi tenter de rendre, deux siècles plus tard, une dignité à cette disparue qui ne reste pas totalement ensevelie dans les plis du passé.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Chauvaud, « Bruno Bertherat, La femme nue de la rue des Anglais. Enquête sur un crime non élucidé, Paris 1806 »Criminocorpus [En ligne], Comptes-rendus, mis en ligne le 28 avril 2025, consulté le 20 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/16636 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13td6

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Auteur

Frédéric Chauvaud

Frédéric Chauvaud, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Poitiers, est un spécialiste du crime, de la justice pénale et des corps maltraités au XIXe siècle et pendant la première moitié du XIXe siècle. Il a récemment dirigé une livraison de la revue Parlement(s) : La nuit pénitentiaire, un livre d’entretien avec Michelle Perrot, un essai sur les tueurs de femmes au XIXe siècle et co-dirigé, depuis 2016, plusieurs ouvrages sur le féminicide.

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