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Renouveler les méthodes de recherche grâce aux concepts issus des études de genre

Discours écoféministes et droit de l'environnement : chassez le naturel ?

Romain Gosse

Résumés

Les pensées écoféministes ont émergé dans les années 1970 pour mettre en lumière la domination commune au genre féminin et à la nature. S'élaborant pourtant à la même époque, le droit de l'environnement moderne ne semble pas avoir été influencé par ces courants. De même, à l'inverse du champ de recherche juridique anglophone, la doctrine française ne s'est que peu intéressée à ce croisement – alors que l'écoféminisme connaît un regain d'intérêt depuis quelques années. Cette contribution souhaite ainsi proposer quelques pistes de convergence possible entre certains discours écoféministes et des éléments ou tendances caractéristiques du droit de l'environnement, laissant aussi apparaître un potentiel critique à l'encontre de cette branche du droit.

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Texte intégral

  • 1 Émilie Hache, Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris, Cambourakis, coll. Sorcières, 2016, (...)
  • 2 Catherine Larrère, L’écoféminisme, Paris, La Découverte, coll. Repères Écologie, 2023, p. 4.
  • 3 Émilie Hache, op. cit., p. 29 et s.

1Définir l’écoféminisme n’est pas aisé : ses contours sont flous et son noyau est pluriel, regroupant des pratiques et des pensées diverses, parfois contradictoires voire opposées – si bien que l’on parlera plutôt des écoféminismes. Mais il faut a minima identifier ce qui fait tenir cette pluralité : le constat d’une domination commune du genre féminin et de la nature, à travers un processus croisé de naturalisation du féminin et de féminisation de la nature. Le dévoilement de cette association sert alors de prémisse à de multiples pratiques et théorisations qui visent à renverser cette domination commune en liant protection de l’environnement et émancipation des femmes. Les écoféminismes se déclinent aussi sur l’ensemble du spectre féministe : matérialistes, d’inspiration marxiste ; culturels, revendiquant un rapport renouvelé à la nature (le Reclaim)1 ; voire spirituels, réhabilitant mythologies et figures divines. Ces qualificatifs ne sauraient pour autant tenir lieu de catégories fixes et hermétiques, et le contexte géographique introduit davantage de nuances selon qu’il s’agit de mouvements ayant lieu dans les Nords ou dans les Suds – ces derniers permettant par ailleurs d’inclure la domination coloniale et postcoloniale. Il s’agit dès lors plutôt d’une « conversation écoféministe dont les voix sont plurielles2 », dans laquelle le positionnement vis-à-vis de la nature et sa conception a « pris une importance spécifique », parfois épineuse au regard des critiques visant le risque d’essentialisme issu de ces mouvements3.

  • 4 Le féminisme ou la mort, Paris, P. Horay, 1974, 274 p.
  • 5 Women’s Pentagon Action dans les années 1980, où plusieurs milliers de femmes protestent sous diver (...)

2Les écoféminismes ont par ailleurs une trajectoire singulière. Le terme apparaît dans la contre-culture féministe, sous la plume de Françoise d’Eaubonne en 19744. Il ne rencontre guère de succès en France mais connaît une postérité dans le monde anglophone (États-Unis, Angleterre) où, dans le même temps, ont lieu de grandes manifestations féministes contre le militarisme, les pollutions ou le nucléaire5. Ces actions ont joué un grand rôle dans l’affirmation des écoféminismes, s’apparentant avant tout à des coalitions pratiques et situées dans les années 1970-1980, avant de devenir dans un second temps un objet académique dans les années 1980-1990. En dehors de ces cercles particuliers de mobilisation et hormis la littérature spécifique (relevant de l’éthique environnementale, la philosophie, l’histoire), les écoféminismes ne se sont pas diffusés outre-mesure, surtout de ce côté-ci de l’Atlantique. Ils sont restés en marge aussi bien des mouvements féministes que des mouvements écologistes principaux.

  • 6 Anna Berrard, « L’écoféminisme aux abois. Marchandisation, manipulation et récupération d’un mouvem (...)
  • 7 MIVILUDES, Rapport d’activité 2021, p. 118-119, [en ligne].

3Les écoféminismes connaissent toutefois un regain d’intérêt depuis le milieu des années 2010. Dans le sillage de la COP21 de Paris en 2015 ont émergé des figures féminines médiatiques liées à l’activisme climatique de la jeunesse (Greta Thunberg, Camille Étienne en France) ou aux partis politiques écologistes (les députées Sandrine Rousseau et Delphine Batho, ou la députée européenne Marie Toussaint, par exemple), faisant des ponts entre féminisme et écologie. De nouvelles mobilisations réactivent l’articulation entre luttes féministes et écologiques, notamment dans les zones d’occupation de projets contestés (Notre-Dame-des-Landes, Bure, etc.). Ce succès est aussi visible dans les librairies faisant davantage de place aux rayons libellés « écoféminisme », et devient même un produit d’appel pour des pratiques commerciales (coaching, développement personnel)6 qui vont jusqu’à inquiéter la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES)7.

  • 8 Voir ces dernières années : « Genre et environnement », Cahiers du Genre, 2015/2, n°59 ; « Écofémin (...)

4Mais cet intérêt renouvelé se nourrit surtout de travaux académiques qui remettent en lumière des figures historiques du mouvement (comme Françoise d'Eaubonne), opèrent synthèses (les travaux de Catherine Larrère et Émilie Hache), traductions ou rééditions (Val Plumwood, Maria Mies, Carolyn Merchant, Starhawk), s’emploient à saisir l’écoféminisme par un prisme particulier8 ou réactualisent et prolongent des pensées de manière plus singulière (Geneviève Pruvost et Émilie Hache, par exemple). Ces conjonctions de travaux permettent ainsi une plus grande accessibilité pour les lecteurs francophones à un domaine longtemps resté propre aux débats académiques anglophones, surtout américains et australiens. C’est ainsi sur ce corpus de traductions récentes et de recueils d’introduction aux textes et pensées écoféministes que s’appuie, à titre principal, la présente contribution pour proposer certains ponts avec le droit.

  • 9 Par exemple : Christopher C. Joyner, George E. Little, « It’s Not Nice to Fool Mother Nature ! The (...)
  • 10 Jessica Makowiak, « Environnement et genre. Quand la question du changement climatique met (aussi) (...)
  • 11 Antoine Gatet, Aminata Niakaté, Inégalités de genre, crise climatique et transition écologique, CES (...)

5Car les écoféminismes relèvent davantage des champs de la philosophie et de l’éthique environnementales, de la sociologie des mouvements sociaux, ou encore de l’esthétique et de la littérature dans la cadre des humanités environnementales, que de celui du droit. Pourtant les questions environnementales ont bel et bien pénétré ce dernier, à une époque d'ailleurs concomitante à l'émergence des écoféminismes. En a résulté la branche spécifique du droit de l'environnement : droit « jeune », développé à partir des années 1970 aussi bien au niveau international (sommets, déclarations et traités relatifs à l’environnement), européen (programmes pour l’environnement avant la formalisation d’une compétence spécifique par l’Acte unique européen de 1987) que national (premier ministère dédié créé en 1971), pour tenter de juguler les effets des activités humaines sur l'environnement. Le champ de recherche juridique anglophone étant plus perméable aux questions éthiques et morales que le champ francophone, des contributions liant droit de l’environnement et écoféminismes ont ainsi vu le jour dès les années 1990, principalement sous un angle de droit international9. Mais en France, peu de travaux ont croisé ces domaines. Isabelle Michallet s’est penchée dans les années 2000, à travers un prisme positiviste, sur les rapports de genre exprimés au sein des dispositions du droit international relatif à l’environnement – pour un résultat mitigé (voir infra). Au-delà, quelques éditoriaux sur les inégalités environnementales de genre ont aussi été produits10. La question des liens éventuels et possibles entre droit de l’environnement et écoféminismes mérite donc un examen supplémentaire dans le champ juridique français, surtout à l’aune de l’intérêt actuel pour les questions de genre tout autant que pour la situation écologique toujours plus alarmante. En ce sens, d’ailleurs, un rapport récent du Conseil économique, social et environnemental sur les inégalités de genre et les transitions écologiques11 se réfère explicitement aux écoféminismes, confirmant cet intérêt renouvelé jusqu’aux institutions représentatives – néanmoins sans que la portée opérante de ces références soit expliquée.

6L’interrogation porte dès lors sur la possibilité de lier des éléments du droit de l’environnement aux discours écoféministes : ces derniers peuvent-ils être identifiés au sein de cette branche du droit ? Ou, le cas échéant, peuvent-ils donner un nouvel élan au droit de l’environnement ? Le droit en charge de la régulation des relations humaines à l’environnement peut-il en effet ignorer le sort commun fait à ce dernier et à une moitié de l’humanité que dévoilent les lectures écoféministes ? Ces questions sont assurément complexes et, au regard de l’étendue des domaines en cause, la contribution ne prétend pas y apporter des réponses exhaustives, ni faire une présentation complète des écoféminismes – tâche au demeurant impossible. Il s’agit davantage d’un travail exploratoire destiné à jeter des ponts et envisager des points d’accroche ou d’achoppement, croisant les évolutions passées et actuelles du droit de l’environnement et certains discours portés par les écoféminismes.

  • 12 Éric Naim-Gesbert, « Maturité du droit de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, 20 (...)
  • 13 Amorcée dans Romain Gosse, Les normativités du principe d’intégration. Contribution à l’étude du dr (...)

7À ce titre, l’approche n’est pas purement positiviste et a une dimension spéculative. Elle s’appuie sur un recul théorique qui appréhende le droit de l’environnement moderne de manière diachronique, par sa constitution générale, ses évolutions et ses mutations. Devenu « mature »12, et compte tenu de sa diffusion à travers les ordres juridiques et les branches du droit qui rend ses frontières poreuses, le droit de l’environnement peut désormais être appréhendé de manière transversale et globale par ses lignes de force (sa perméabilité aux sciences écologiques, son apport aux institutions démocratiques) et ses principes et dispositifs spécifiques (étude d’impact, participation du public aux décisions). Cette approche13 rend possible une mise à distance des discours que le droit de l’environnement véhicule, forcément pluriels au regard des multiples rapports à l’environnement ou des multiples conceptions de la nature existantes. Le but n’est alors pas de faire l’analyse systématique des dispositions juridiques au prisme du genre – chantier d’ampleur qui reste à accomplir – mais de saisir des affinités interprétatives entre certaines caractéristiques du droit de l’environnement et certains points des pensées écoféministes, suggérant ainsi des pistes d’ouvertures ou d’approfondissements plus substantiels.

8La première partie de cette réflexion tente dès lors de trouver des convergences – non des rapports directs et avérés – entre droit de l’environnement et écoféminismes, à travers certaines interprétations de dispositions juridiques, à condition d’en accepter une lecture parfois extensive (I). La seconde partie de la réflexion évalue la portée critique des discours écoféministes qui, par leur versant radical, sont censés subvertir l’ordre à la fois patriarcal et écocidaire auquel le droit participe bon gré mal gré, révélant alors la contribution contrastée et ambiguë du droit de l’environnement en la matière (II).

Les convergences normatives des discours écoféministes : penser avec le droit de l’environnement ?

9Il est possible de mettre en parallèle des dispositions particulières du droit de l’environnement ou certaines de ses tendances actuelles avec des discours écoféministes. Seront successivement envisagés le discours du care en prolongement de la diffusion de l’égalité des sexes dans les traités environnementaux internationaux (A) et le discours de la Terre-Mère, assimilant la nature à une figure féminine, en résonance avec la vogue des « droits de la nature » (B).

Retourner les stigmates par les discours du care

  • 14 C’est à destination des organismes liés à la protection de la nature que cette formule apparaît au (...)
  • 15 Ainsi, les femmes « jouent un rôle de premier plan dans la production vivrière […] devraient avoir (...)
  • 16 Annie Rochette, « Stop the rape of the world: an ecofeminist critique of sustainable development », (...)
  • 17 Sur ce tournant, notamment pour le régime climatique, voir Cinnamon Carlarne, « Environmental Law (...)
  • 18 Isabelle Michallet, Faire face à l’Anthropocène : les voies du droit, éditions deux-cent-cinq, 2023 (...)

10La première piste pour croiser droit de l’environnement et écoféminismes est d’étudier les dispositions juridiques explicitement relatives aux rapports de genre. Si quelques-unes sont repérables en droit interne, principalement en termes de « représentation équilibrée des femmes et des hommes » dans les organismes de gestion ou de consultation14, c’est en droit international que le résultat est le plus intéressant. Aucune référence aux rapports de genre ne figure dans la Déclaration de Stockholm sur l’environnement de 1972 – bien que des mentions au colonialisme, au racisme, à la ségrégation, soient présentes. Mais à la suite de la conceptualisation du développement durable par le rapport Brundtland de 1987, ces questions apparaissent, notamment en lien avec la question démographique. Y sont affirmés à plusieurs reprises le droit fondamental des femmes à l’autodétermination, le rôle des femmes pour l’agriculture et leur manque d’accès à la propriété foncière et l’éducation15, sans toutefois remettre en cause l’orientation androcentrée du développement basé sur la croissance économique et l’exploitation des ressources16. Dans la foulée, la Déclaration de Rio de 1992 inscrit en son principe 20 : « Les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable ». La question intègre alors certains traités internationaux, de manière timide et synthétique en 1992 : la Convention sur la diversité biologique reconnaît le « rôle capital que jouent les femmes dans la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique » et la Convention sur la lutte contre la désertification signale « l'importance du rôle qu'elles jouent, quotidiennement, dans l'approvisionnement, la gestion et l'utilisation de l'eau ». La question se généralise au tournant des années 2000, toujours en termes d’implication et de participation des femmes17, jusqu’à constituer désormais le cinquième des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies pour 2030. Isabelle Michallet a retracé cette intégration du genre sous le prisme de l’égalité des sexes, désormais « devenu une question transversale traitée par toutes les conventions internationales relatives à l’environnement »18, en pointant également ses biais et ses limites.

  • 19 Sandrine Dauphin, Réjane Sénac (dir.), « Gender mainstreaming : De l’égalité des sexes à la diversi (...)

11Mais cette généralisation ne revient pas à considérer ce type de dispositions comme relevant des écoféminismes. D’abord, la recherche de l’égalité formelle par le droit n’entraîne pas nécessairement de changement substantiel quant aux stéréotypes de genre et aux oppressions qui en découlent – surtout quand les écoféminismes avancent un renversement plus radical des structures de domination. La recherche de parité est d’autant plus insuffisante lorsqu’elle s’incarne dans des stratégies de mainstreaming qui ont une portée limitée : l’évaluation de ces politiques montre que la diffusion qu’elles impulsent rime souvent avec dilution et qu’elles pèsent finalement peu sur les processus décisionnels19. Il n’y a donc pas, du point de vue du droit positif, de disposition en droit de l’environnement véhiculant explicitement un discours écoféministe. Pour autant, certaines de ces dispositions pourraient donner lieu à des lectures écoféministes du « rôle des femmes dans la gestion de l’environnement », pour reprendre les termes de la Déclaration de Rio.

  • 20 Isabelle Michallet, op. cit., p. 63.
  • 21 Ibid., p. 66-67.
  • 22 Ibid., p. 65.

12Isabelle Michallet signale en effet que, « dans un premier temps, la femme autochtone est apparue comme incarnant parfaitement cette experte de la biodiversité20 », mais estime finalement que les femmes ne sont souvent « abordées qu’en étant associées aux enfants, uniquement par leur fonction procréatrice qui les rapprocherait des générations futures », tandis qu'en matière de pollutions et risques « le droit international se limite à pointer la vulnérabilité des femmes et leur condition de victime, sans envisager qu’elles puissent être des actrices à égalité avec les hommes21 ». Elle disqualifie alors cette « tendance réductrice du droit de l’environnement » manifestant « un discours d’enfermement vis-à-vis des femmes » et l’assimile à un « certain courant de l’éco-féminisme »22. La critique peut cependant apparaître sévère à l’encontre des écoféminismes, l’accusation d’essentialisme revenant au galop. Car certains discours, notamment ceux du care ou de la subsistance, sont pourtant capables d’une interprétation extensive de ces clauses d’inclusion.

  • 23 Développé par Carol Gilligan, In A Different Voice, Cambridge, Harvard University Press, 1982, et r (...)
  • 24 Sandra Laugier, « Care, environnement et éthique globale », Cahiers du Genre, 2015/2, n°59, p. 127- (...)
  • 25 Il se fonde sur les travaux de « l’école de Bielefeld », principalement constituée de trois autrice (...)

13Faisant son chemin depuis les années 198023, le discours du care met ainsi en valeur l’attention à l’altérité, le soin prodigué aux personnes et aux choses et qui regroupe des activités et des formes de travail généralement dévolues aux femmes (santé, entretien, travail domestique) et dévalorisées dans les sociétés patriarcales. Par retournement, il s’agit de revaloriser ces activités et de souligner leur centralité pour le maintien des sociétés, mais aussi pour le maintien des écosystèmes : prendre soin de ce qui nous entoure, du monde humain et non-humain, assurer le maintien des infrastructures matérielles, sociales, écologiques, symboliques qui nous permettent de vivre24. Il ne s’agit pas d’avancer une « nature » féminine plus protectrice d’autrui et de l’environnement, mais de s’appuyer sur une socialisation différenciée – la division genrée du travail – pour valoriser et généraliser ce qui était jusque-là marginalisé – le soin. Prolongeant cette logique, et l’arrimant aux pratiques de communautés paysannes du Sud global, le courant écoféministe de la subsistance25 fait du travail dit « domestique » un travail vital de reproduction (agriculture vivrière, alimentation, éducation, constitution et entretien du social, de l’habitat, transmission des savoirs traditionnels) : un ciment qui tient les communautés et les adapte à leur cadre de vie, dotant les femmes – assignées socialement à ces activités – de savoirs et savoir-faire uniques et centraux. Liant genre, environnement et droits des peuples autochtones, le féminisme de la subsistance se veut alors émancipateur pour les femmes et se présente comme résistance et alternative aux activités extractives et prédatrices des ressources de la société capitaliste patriarcale.

  • 26 C’est le sens d’un des sous-objectifs de l’ODD 5 sur l’égalité des sexes : « 5.4 Faire une place au (...)
  • 27 Nathalie Hervé-Fournereau, Sophie Thériault (dir.), Peuples autochtones et intégrations régionales. (...)

14La critique initiale peut en ce sens être relativisée : ces représentations juridiques lues au prisme du care et du féminisme de la subsistance pourraient ménager une place plus grande aux activités sociales étiquetées comme féminines26, et in fine à des modes d’organisation et de fonctionnement éloignés de l’exploitation sans limite des ressources, plus protecteurs des milieux écologiques et sociaux. Cette reconnaissance du rôle des femmes dans la gestion de l’environnement s’accorderait en outre à la prise en compte de droits des peuples autochtones qui sont amenés à influencer davantage le droit international de l’environnement27 et à offrir des contre-modèles variés aux standards de l’économie globalisée. Ces écoféminismes sont donc susceptibles dans ce cas de pluraliser une vision juridique désincarnée de l’égalité des sexes. Il s’agit bien entendu d’une relecture extensive de certains éléments du droit international de l’environnement au prisme de discours écoféministes spécifiques : une potentialité, donc une virtualité, mais qui permet toutefois d’entrevoir des articulations possibles et de donner un nouveau visage à des démarches juridiques (mainstreaming) jusque-là limitée.

Retour à la nature par les discours de la Terre-Mère

  • 28 Sur ces deux cas, Victor David, « La nouvelle vague des droits de la nature. La personnalité juridi (...)
  • 29 Cour suprême de Colombie, chambre de cassation, 5 avril 2018, STC4360-2018.
  • 30 Initiative néanmoins menacée d’annulation par le juge administratif pour raison de compétence, cett (...)
  • 31 Miriama Cribb, Elizabeth Macpherson, Axel Borchgrevink, « Beyond legal personhood for the Whanganui (...)

15Sous d’autres angles, certains discours écoféministes sur la nature présentent des similitudes avec une tendance actuelle du droit de l’environnement : les « droits de la nature ». Ces derniers s’incarnent textuellement dans les Constitutions andines, comme celle de l’Équateur de 2008 en son article 71 : « La Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et se réalise la vie, a le droit à ce que l’on respecte intégralement son existence et le maintien et régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs », ou la loi constitutionnelle de 2010 de la Bolivie concernant « les droits de la Terre Mère », conçue comme un « sujet collectif d’intérêt général » qui se voit reconnaître des droits (à la vie, à la diversité, à l’équilibre, etc.). D’autres élans ont suivi, reconnaissant la personnalité juridique de certains éléments de l’environnement : le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande par la loi Te Awa Tupua en 2017, le Gange et l’un de ses affluents, la Yamuna, en Inde à la suite d’une décision de justice en 201728, ou encore une partie de la forêt amazonienne par une décision de la Cour suprême colombienne en 201829. Plus proche, et participant de cet essaimage, les Îles Loyauté, province de Nouvelle-Calédonie, ont fait en 2023 des tortues et des requins – espèces totémiques de la culture Kanak – des « entités naturelles juridiques » voyant leurs droits et intérêts reconnus et défendus par des « porte-paroles »30. Ce dernier exemple montre que ce processus est employé dans le but de protéger des éléments naturels mais aussi – et peut-être surtout – de reconnaître et préserver des approches culturelles, susceptibles d’alimenter un pluralisme juridique31.

  • 32 Christopher D. Stone, « Should Trees Have Standing ? Toward Legal Rights for Natural Objects », Sou (...)
  • 33 David R. Boyd, The Rights of Nature: A Legal Revolution That Could Save the World, Toronto, ECW Pre (...)

16Si la tendance est récente, l’idée ne l’est pas : elle était avancée dès 1972 par Christopher D. Stone dans le cadre d’un contentieux devant la Cour suprême des États-Unis, convainquant même un des juges32. En France, dès les années 1980, Marie-Angèle Hermitte a développé l’idée de faire de la nature un objet de droits, protégés par des « gérants » au sein d’une structure indépendante. Ces idées sont restées marginales, mais au regard de la dégradation environnementale persistante et des initiatives qui se multiplient, les « droits de la nature » apparaissent comme une solution de plus en plus envisageable33, notamment pour une partie de la société civile.

  • 34 Catherine Larrère, L’écoféminisme, op. cit., p. 6.
  • 35 Émilie Hache, Reclaim, op. cit., p. 23.

17Il est possible, là encore, de voir un parallèle entre ces mouvements juridiques et les écoféminismes. Si ces derniers remettent en cause la dévalorisation liée à l’association entre féminité et nature, ils n’entendent toutefois pas se passer de cette association et souhaitent au contraire la renforcer dans un sens qui ne soit négatif ni pour les femmes ni pour la nature – autrement dit, « lorsque l’on a critiqué la naturalisation, on n’en a pas fini avec la nature34 ». Ce renouvellement des liens avec la nature passe notamment par le Reclaim qui « signifie tout à la fois réhabiliter et se réapproprier quelque chose de détruit, de dévalorisé, et le modifier comme être modifié par cette réappropriation35 ». Il s’agit de revendiquer, se réapproprier, réhabiliter le concept de nature et réévaluer les rapports entretenus avec, dans une continuité liant la terre et le quotidien, le corps et la sexualité, les représentations et les spiritualités. Car ce mouvement va aussi de pair avec la réactivation de mythes néopaïens et de divinités représentant cette vision du monde – la déesse, Gaïa, la Terre-Mère. Il y a dès lors une convergence avec les « droits de la nature » : conférer des droits à une entité naturelle, lui reconnaître une puissance d’agir (en justice, par exemple) et la privilégier dans les relations humaines à l’environnement. Cette convergence est d’autant moins saugrenue qu’elle figurait en filigrane dans la logique défendue par Stone en 1972 : l’attribution progressive de droits à des sujets qui en étaient autrefois dépourvus, tels les prisonniers, les esclaves, les étrangers ou les femmes et, par extension, jusqu’à des éléments naturels. Dans cette perspective, l’empowerement des entités naturelles n’est que le corollaire de l’empowerment des femmes.

  • 36 Catherine Larrère, L’écoféminisme, op. cit., p. 6.

18Il y a donc une convergence logique, mais aussi une convergence stratégique – toutes deux soumises à critiques, néanmoins. En effet, les discours relatifs aux droits de la nature et aux écoféminismes se situent dans la même stratégie de retournement : pour les premiers, utiliser la construction juridique du « sujet », dont la domination à l’encontre des « objets » a contribué à générer la crise écologique, pour la mettre au service de ces derniers ; pour les seconds, utiliser l’association femme/nature, qui a contribué à les dévaloriser conjointement, pour la mettre à leur service. Dans ce second cas est d’ailleurs revendiqué un « essentialisme stratégique »36, conscient de procéder à un retour à la nature pour mieux en subvertir les logiques et les effets. La démarche semble aussi pouvoir qualifier les droits de la nature, soulignant le constructivisme qu’ils portent – une personnalisation juridique stratégique, en somme. Dans les deux cas, il s’agit en effet d’une fiction utilisée à escient : un arbre ne peut porter plainte lui-même sans des médiateurs humains (garants, représentants) qui le font pour lui ; le genre féminin n’est pas plus « naturel » que le genre masculin, et la nature n’est pas plus féminine que masculine. Mais il s’agit, à chaque fois, de contrer la domination en utilisant les outils par lesquels elle s’exprime.

  • 37 L’accusation d’essentialisme des écoféminismes a surtout été portée a posteriori dans le champ inte (...)
  • 38 Julien Bétaille, « Rights of Nature: Why it Might Not Save the Entire World », Journal for European (...)
  • 39 Ellen Kohl, Jayme Walenta, « Legal Rights for Whose Nature ? », Annals of the American Association (...)
  • 40 Elle n’est au demeurant pas nouvelle, voir Yan Thomas, « Le sujet de droit, la personne et la natur (...)

19Toutefois, même consciente et revendiquée, ces démarches conservent quelque ambiguïté. Dans le cadre de l’écoféminisme, il faut ainsi se prémunir que cette stratégie ne réactive, comme par retour réactionnaire, une identification absolue à une nature capable d’enfermer à nouveau les rôles genrés, les sexualités, et les configurations sociales associées telles que la famille – se prémunir en somme d’une nouvelle naturalisation, d’une nouvelle essentialisation souvent invoquée à l’encontre des écoféminismes37. De telles critiques minent également les droits de la nature à mesure de leur diffusion. Au-delà du questionnement sur leur réel intérêt38, ils doivent en effet se prémunir d’alimenter l’idée d’une nature figée dont la normativité s’imposerait ipso facto au droit et à la société, réactivant une hétéronomie peu compatible avec des organisations démocratiques. Les droits de la nature sont également suspects de procéder à une sorte d’appropriation culturelle qui, sous couvert d’inspiration et du respect de cosmologies alternatives, procède en réalité d’une logique juridique occidentale qu’ils contribuent donc plus à étendre qu’à subvertir39 – des critiques déjà adressées aux écoféminismes depuis la perspective des féminismes postcoloniaux. La question de peupler toujours plus le monde juridique de sujets de droit reste ainsi posée40. En contrepoint, il est nécessaire d'insister sur l’aspect stratégique, c’est-à-dire situé, temporaire et instrumental de telles démarches, et d’évaluer constamment l’adéquation des effets à leur finalité première : renverser la domination à l’encontre de la nature et/ou du genre féminin, sans créer ou reconduire de nouvelles dominations.

20Certains discours écoféministes trouvent donc des résonances particulières avec le mouvement des droits de la nature, mais ils offrent aussi une réflexivité bienvenue quant aux ambiguïtés de ces tendances juridiques, utile à alimenter la vigilance quant aux récupérations et dérives pouvant miner ces tendances du droit de l’environnement.

La portée critique des discours écoféministes : penser contre le droit de l’environnement ?

21Les écoféminismes remettent en question les fondements de la modernité qui ont mené à l’asservissement simultané du genre féminin et de la nature – c’est le sens de leur radicalité. Or, le droit contemporain est lui aussi fruit de la modernité, il n’est dès lors pas épargné. Plus particulièrement, le droit de l’environnement entretient des liens étroits avec certains de ces fondements qui caractérisent toujours nos sociétés, à savoir la science moderne et la philosophie politique libérale ayant mené aux formes de démocraties représentatives contemporaines. Les critiques écoféministes ont néanmoins une portée différente selon qu’elles s’adressent à la rationalité scientifique consubstantielle au droit de l’environnement (A) ou à la rationalité démocratique que ce dernier contribue à renouveler (B).

La critique ambiguë de la rationalité scientifique

  • 41 Éric Naim-Gesbert, Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1 (...)

22Le droit de l’environnement a un lien historique avec les sciences qui ont permis sa constitution même41. Outre ses racines hygiénistes, le droit des pollutions et nuisances est ainsi tributaire de la chimie qui se développe à l’orée du xviiie siècle – marquant d’ailleurs l’approche par seuils (techniques, chimiques, géographiques, etc.) répandue dans la matière. Les savoirs naturalistes ont également marqué la protection de la nature dès le début du xxe siècle, visant à décrire, classer et inventorier les espèces de faune ou de flore et servant à établir les listes d’espèces à protéger. Le développement de la biologie et surtout des sciences écologiques durant le xxe siècle a par la suite permis d’élargir ces approches à de nouvelles problématiques environnementales, plus transversales (déplétion de l’ozone stratosphérique, réchauffement climatique, biodiversité, etc.). L’évaluation environnementale, outil emblématique de cette branche du droit et central pour l’application du principe de prévention, repose intégralement sur une approche scientifique des impacts environnementaux d’un projet ou d’un programme sur un milieu donné : hydrologie, pédologie, écologie des populations, acoustique, etc. De même, une grande part des consultations obligatoires lors des procédures environnementales s’adressent à des institutions à caractère scientifique (Conseils national ou régionaux de la protection de la nature, autorité environnementale, etc.). Bref, les sciences irriguent le droit de l’environnement à tous les niveaux : de la visibilisation des phénomènes jusqu’à la formulation des outils juridiques destinés à les prendre en charge.

  • 42 Pierre Hadot, Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature, Paris, Gallimard, 2004, 39 (...)
  • 43 Carolyn Merchant, op. cit., p. 40 citée par Jean-Baptiste Vuillerod, « Carolyn Merchant : un autre (...)
  • 44 D’autres éclairages sont utiles, voir Sylvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et acc (...)
  • 45 L’expression est répandue dans la doctrine, voir par exemple Michel Prieur, « Le droit français de (...)
  • 46 Jessica Makowiak, « Le seuil en droit de l’environnement » in D’urbanisme et d’environnement. Liber (...)
  • 47 Aline Treillard, L’appréhension juridique de la nature ordinaire, Université de Limoges, 2019, thès (...)

23Or – et au-delà du caractère androcentré de la science, de ses objets, de ses acteurs et de l’invisibilisation des femmes, que les études féministes ont démontré – les discours écoféministes portent une charge épistémologique qui peut atteindre le droit de l’environnement. Carolyn Merchant a ainsi mis en valeur, dans son ouvrage marquant de 1980 La mort de la nature, le rôle de la science moderne au tournant du xviie siècle dans la dévalorisation de l’association du féminin et du naturel, ouvrant la voie à la domination et au contrôle des terres comme des corps. De telles associations existaient antérieurement, à travers des visions organicistes du monde42, liant davantage le sort des humains et de leur environnement, et possédant une « portée normative »43 capable de limiter certaines activités prédatrices – minières, par exemple. Mais la vision mécaniciste naissante, séparant l’humain pensant et le monde inerte (la res extensa cartésienne), a supplanté ces limites et participé à une mise en coupe réglée du monde par des dichotomies sources d’inégalités : le sujet au détriment de l’objet, la culture au détriment de la nature, l’homme au détriment de la femme – entre autres. Certes, les sciences ne sont qu’un élément de ces transformations des rapports sociaux aux genres et aux milieux44, mais elles ont accompagné ces pratiques conjointes de gestion et de contrôle, d’exploitation et d’extraction. Ainsi, et non sans paradoxe, le droit de l’environnement, ayant pourtant la charge de réguler les impacts des activités humaines sur leur milieu, est lui-même le fruit de cette science moderne : un « droit d’ingénieurs »45 tributaire de sciences qui compartimentent le monde, reconduisent des logiques mécaniques, comme les approches par seuils rarement adaptées aux dynamiques écologiques46, ou les approches par listes dont les critères d’utilité ou de rareté laissent de côté une « nature ordinaire » plus diffuse47. Ainsi, la critique écoféministe de la science peut trouver écho en droit de l’environnement.

  • 48 Scott F. Gilbert, Jan Sapp, Alfred I. Tauber, « A Symbiotic View of Life: We Have Never Been Indivi (...)

24Mais des ambiguïtés subsistent. D’abord, c’est bien par le biais de cette science moderne que les dégradations environnementales ont été appréhendées. Pour prendre un exemple connu, c’est le travail d’une scientifique, Rachel Carson, qui a permis l’interdiction de pesticides nocifs et fait émerger la problématique environnementale dans les années 1960, jusqu’à la création de l’Environmental Protection Agency aux États-Unis en 1970, dont le modèle se diffusera par la suite. Mais, plus fondamentalement, par son cheminement, la rationalité scientifique se renouvelle elle-même, notamment dans la manière toujours plus intriquée par laquelle elle envisage les dégradations écologiques, mais aussi la place de l’humain en général. De l’étude de l’évolution humaine à celle du climat, des échanges planétaires aux échanges cellulaires et génétiques, les sciences contemporaines contribuent bien davantage à comprendre – et, de ce fait, à réhabiliter – les innombrables relations et interdépendances qui lient humains, vivants non-humains et environnements. La vision mécaniciste de l’organisme comme celle, réificatrice, de l’environnement, ne correspondent plus aux descriptions scientifiques actuelles du monde : celles-ci sont désormais capables de dissoudre les frontières de l’individu, lui-même écosystème grouillant évoluant avec son environnement48. Ces évolutions propres à la seconde moitié du xxe siècle pourraient même faire advenir un nouvel organicisme sécularisé reprenant non sans ironie le nom d’une divinité païenne prisée par certains écoféminismes spirituels : Gaïa, qu’il s’agisse de l'hypothèse scientifique holiste visant la régulation complexe des flux terrestres travaillée par James Lovelock et Lynn Margulis dans les années 1980, ou de la figure hybride, à la fois scientifique, social et politique, d’une nature instable, mise en valeur par Bruno Latour.

  • 49 Marthe Lucas, « Réflexions sur la portée du principe de solidarité écologique », Revue juridique de (...)
  • 50 Jakob Zinsstag, Esther Schelling, David Waltner-Toews, Maxine A. Whittaker, Marcel Tanner (dir.), O (...)
  • 51 Agnès Michelot, « Quelle loi pour “une seule santé” en France ? Les propositions de la SFDE pour l’ (...)

25Les mutations scientifiques donnent également lieu à mutations juridiques. Le principe de précaution, ayant pris son ascension durant les années 1990 et désormais consacré au sommet de la hiérarchie des normes (article 5 de la Charte de l'environnement), exprime l’incertitude inhérente à la science contemporaine : reconnaissant les limites mouvantes de cette dernière, il pousse à appréhender les situations complexes et instables, a fortiori dans les domaines sanitaires et environnementaux. Aussi, le principe de solidarité écologique vise à la prise en compte des « interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés » (art. L110-1 II 6° du code de l'environnement). Parmi les principes du droit de l’environnement, il s’agit peut-être de celui qui pourrait exprimer le mieux cette interdépendance entre individu et environnement, humains et non-humains, vivants et non-vivants, en dépit de sa formulation et sa portée pour l’instant limitées49. Dans cette lignée, l’approche OneHealth lie la santé humaine à la santé animale et végétale, intégrées à la santé des écosystèmes50, dans une perspective qui apparaît d’autant plus pertinente en contexte pandémique. Ce concept influence de plus en plus les politiques publiques et pourrait permettre une inclusion plus forte des entités non-humaines en droit51, par une attention renouvelée à leur égard, voire une dignité conférée – et pas seulement en termes de sujets juridiques. Autant d’évolutions juridiques s’ajustant peu à peu à de nouvelles conceptions issues d’évolutions scientifiques, loin du mécanicisme du xviie siècle.

  • 52 Danielle Celermajer et al., « Vers une justice multi-espèces : cadre théorique, enjeux et programme (...)
  • 53 Donna Haraway, Vivre avec le trouble, Vaulx-en-Velin, Mondes à faire, 2020, 375 p.
  • 54 Ces courants entrent ici le plus en contradiction avec d’autres écoféminismes, comme celui de la su (...)
  • 55 Enquêter, cartographier : les termes employés ici se rapportent aux études des milieux « plus-qu’hu (...)

26Autant de points d’accroche, aussi, avec un écoféminisme faisant tomber les frontières entre espèces et avançant une « justice multi-espèces »52 ou « multispécifique »53. En effet, un courant du féminisme postmoderne s’est ébauché en reconnaissant la diversité et la fluidité des sexes et des genres54, au même titre que celles de relations inter-espèces, bien loin d’une vision fixe et hermétique des identités et catégories. Si la démarche semble aller à rebours de la rationalité juridique qui procède par catégorisation, les principes et concepts juridiques signalées plus haut pourraient toutefois être développés par une telle perspective multispécifique, en cherchant à donner plus de place aux relations plurielles avec les non-humains et les milieux, au-delà de la seule approche par les droits de la nature. Outre ces rapprochements théoriques, les outils du droit de l’environnement pourraient être revus pour formaliser des procédures aptes à cartographier ces lignes d’interdépendances situées et variables et à leur donner davantage de poids dans la conduite des activités humaines – l’évaluation environnementale peut apparaître à ce titre comme un prototype d’enquête sur les relations nouées au sein d’un milieu55, dont il faudrait dépasser le champ d’application limité et la seule portée procédurale.

  • 56 Catherine Larrère, L’écoféminisme, op. cit., p. 6.

27La critique écoféministe de la science serait-elle donc dépassée ? Compte tenu des reconfigurations scientifiques et éthiques, il semble plutôt qu’elle a contribué à enrichir la réflexivité et a anticipé l’inéluctable renouvellement des perspectives scientifiques. Celles-ci engendrent désormais « une multiplicité de natures en résistance »56 capables de stimuler l’inventivité du droit.

La critique radicale de la rationalité démocratique

  • 57 Voir Raphaël Brett, La participation du public à l’élaboration des normes environnementales, Univer (...)
  • 58 Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2015, coll. Repères, 128 p.

28Le droit de l’environnement tient une position particulière vis-à-vis de la rationalité politique des sociétés modernes, incarnée par le modèle du régime représentatif. En effet, il constitue historiquement le laboratoire des procédures de participation et de concertation, comme l’illustrent en droit interne l’enquête publique – établie sur l’ancienne enquête de commodo et incommodo – ou encore la concertation préalable, le débat public ou la consultation du public57. Les principes d’information et de participation, inscrits dans la Charte de l’environnement, substantialisent par ailleurs ces outils et sont promus au niveau international par la Convention d’Aarhus de 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. En ce sens, la « démocratie environnementale », selon l'expression du Conseil d’État, pourrait à première vue apparaître comme une réponse aux défauts de la démocratie représentative en offrant des formes d’implication plus directes des citoyens dans la formulation des décisions ou des politiques publiques. Dans cette optique, les études féministes, ayant révélé la citoyenneté de seconde zone réservée de longue date aux femmes58, trouveraient secours dans ces diverses procédures du droit de l’environnement – c’est d’ailleurs par ces biais (participation aux décisions, représentations paritaires) que les stratégies de mainstreaming opèrent principalement (voir supra).

  • 59 Exception faite du débat public mené par la Commission national du débat public (CNDP) qui intervie (...)
  • 60 Alice Mazeaud, Guillaume Gourgues, « Une “participation d’État” sous contrôle. La neutralisation dé (...)
  • 61 Marion Paoletti, Sandrine Rui (dir.), « La démocratie participative a-t-elle un sexe ? », Participa (...)

29Mais ce serait accorder trop de vertus, trop rapidement, à ces outils participatifs. D’abord, ces dispositifs juridiques relèvent d’une logique procédurale : ils conditionnent la régularité de la mise en forme de la décision (la légalité externe) mais pas le contenu de celle-ci (la légalité interne). En d’autres termes, une fois les conditions formelles respectées (délais, rapports ou notes synthétiques, publications), l’autorité qui décide en dernier ressort n’est pas liée de manière substantielle par les avis exprimés à travers ces outils59. Ce qui a pour conséquence de limiter la pertinence de ces dispositifs, autant en termes d’expression du public que de protection de l’environnement – pour l’enquête publique, figure centrale de la participation, l’historien Frédéric Graber parle ainsi de « fabrique du consentement ». Il apparaît ensuite que ces espaces participatifs ne rénovent pas la logique démocratique prioritairement représentative, ils s’y additionnent seulement. Suscitant à ses débuts des espoirs de renouvellement de l’implication politique citoyenne, la démocratie participative ne semble ainsi pas avoir porté ses fruits : trop encadrée voire instrumentalisée par l’État, trop limitée dans son champ d’application tandis que subsistent les canaux principaux – représentatifs – de décision, et récupérée par une ingénierie voire un « marché » de la participation60. Enfin, ces limites conduisent à une dernière critique, plus fondamentale : le droit, dans sa logique procédurale, ménage des espaces isonomiques, ne prenant pas nécessairement en compte les différentes inégalités qui ont lieu dans la société. Autrement dit, il s’appuie sur une égalité formelle entre les individus mais reste aveugle aux inégalités substantielles, reconduisant alors des défauts existants dans la démocratie représentative. L’égalité d’accès à la participation, condition démocratique, reste pensée sans égard pour l’organisation genrée – entre autres – des activités sociales, et ne garantit donc pas une expression suffisamment diverse61.

  • 62 Antoine Gatet, Aminata Niakaté, Inégalités de genre, crise climatique et transition écologique, op. (...)

30C’est sur ces constats qu’un rapport du Conseil économique, social et environnemental, adopté en mai 2023 s’est saisi de la question des inégalités de genre dans la transition écologique62. Les solutions envisagées renouvellent sans surprise l’intérêt pour le mainstreaming et son renforcement (diplomatie féministe, représentation paritaire) aux niveaux interne comme international, dans les secteurs public et privé, ainsi que dans les « métiers verts » en développement. Le rapport appuie l’importance des données à récolter de manière plus exhaustive sur les impacts genrés des dégradations environnementales et, proposition plus originale, appelle à intégrer le genre dans les évaluations environnementales – ouvrant alors ces procédures aux relations sociales imbriquées avec les milieux, et non plus seulement à leur stricte analyse écologique (voir supra). Surtout, il livre quelques pistes pour une inclusion plus large dans les dispositifs participatifs : adaptation des temps (horaires, durées) pour tenir compte des contraintes genrées, règles d’expression plus égalitaires (parole alternée) ou espaces non-mixtes. Les propositions ont le mérite de pointer le problème bien qu’elles restent non concrétisées pour l'heure.

  • 63 Geneviève Pruvost retrace ces différentes influences théoriques, de John Dewey à Murray Bookchin ju (...)
  • 64 Voir Hubert Delzangles, Alexandre Zabalza (dir.), « Les communs en droit de l’environnement », Revu (...)

31Les écoféminismes – par ailleurs convoqués dans le rapport – aident-ils à aller plus loin ? Dans le double mouvement qu’ils revendiquent, ils prêtent non seulement attention aux inégalités découlant de la domination masculine mais les replacent en outre dans toute leur matérialité. Par conséquent, les écoféminismes font « atterrir » – pour reprendre Bruno Latour – le citoyen et la citoyenne : regardant son genre, ils regardent aussi son environnement, les relations avec son milieu ainsi que d’autres liens de dépendances ou de domination entretenus ou subis – comme le suggère d’ailleurs la Charte de l’environnement dans son préambule. Les écoféminismes poussent par conséquent à des formes d’organisation propres à maintenir, reproduire et améliorer cette matérialité – en convergence avec le care, la subsistance, mais aussi avec l’essentialisme stratégique affirmant une plus grande proximité des femmes avec la nature. Dans leur mouvement radical sont ainsi mises en avant des pratiques en rupture avec la participation démocratique institutionnalisée : autogestion à des niveaux plus fins de territorialisation ; attention à ce que les décisions collectives ne soient pas déconnectées des pratiques quotidiennes ; mise en avant ou réhabilitation des maisonnées, des communautés, du municipalisme, voire du biorégionalisme comme échelons de décision63 ; autant de pratiques visant la suppression des dominations, l’autonomie et donnant lieu à un archipel démocratique en deçà de l’échelon national et hors des collectivités administratives instituées. Le droit de l’environnement est loin d’être propice à un tel renversement car il ne propose pour l’instant que certains ajustements procéduraux à la logique représentative, demeurant aveugles aux rapports de genre. Quelques perspectives existent tout de même, notamment à l’aune du concept de commun64, dont des traces subsistent en droit (gestion collective de terres locales, propriétés communes, etc.) et donnent lieu à des alternatives intéressantes pour renouveler la rationalité seulement formelle de la « démocratie environnementale ». Des articulations avec les écoféminismes sont dès lors possibles en mobilisant et rapprochant des concepts substantiels (communs et communautés, autonomie) mais la généralisation de ces pratiques reste hypothétique en l’état du droit positif, d’autant qu’elle implique de revoir en profondeur les organisations territoriales actuelles.

32La critique écoféministe de la rationalité démocratique du droit de l’environnement apparaît donc pertinente au regard des limites exposées et de la résurgence de certains concepts. Mais elle reste pour l’heure trop radicale pour trouver écho dans les réformes des procédures participatives avancées au titre d’une plus grande inclusion, et pour dépasser les fondements représentatifs des régimes politiques qui demeurent.

Conclusion

  • 65 Émilie Hache, « Le mot écoféminisme a tellement été récupéré par le capitalisme qu’il devient parfo (...)

33Pour Émilie Hache, « l’une des tâches du travail universitaire est de diffuser une conscience plus aiguë de la richesse et de la variété de l’écoféminisme65 ». Care, subsistance, essentialisme stratégique, justice multispécifique, communs et communautés… Nombre de concepts et d’approches avancées par les écoféminismes pourraient en ce sens être appréhendées du point de vue du droit, dans des interprétations se soutenant mutuellement. Les écoféminismes, par leur charge éthique, sont capables de substantialiser davantage le droit de l’environnement, c’est-à-dire dépasser la rationalité procédurale qui le caractérise. Ils sont susceptibles de donner un poids supplémentaire à l’environnement dans l’échelle des valeurs, en même temps qu’ils rééquilibrent les rapports de genre et pluralisent les relations avec le milieu. Ces échanges interdisciplinaires lient l’environnement aux études de genre, aux études postcoloniales et subalternes, dans une logique intersectionnelle, qu’il reste à approfondir du point de vue du droit. Ils rendent ainsi compte de l’inévitable pluralisme juridique dès que sont abordées les problématiques écologiques, intriquées à l’organisation des sociétés et leurs cultures.

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Notes

1 Émilie Hache, Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris, Cambourakis, coll. Sorcières, 2016, spéc. le commentaire introductif de l’autrice p. 13-57.

2 Catherine Larrère, L’écoféminisme, Paris, La Découverte, coll. Repères Écologie, 2023, p. 4.

3 Émilie Hache, op. cit., p. 29 et s.

4 Le féminisme ou la mort, Paris, P. Horay, 1974, 274 p.

5 Women’s Pentagon Action dans les années 1980, où plusieurs milliers de femmes protestent sous diverses formes (créations artistiques, carnavals, camps non-mixtes, etc.). Ces actions ont notamment eu lieu après l’accident de la centrale nucléaire de Three Miles Island en 1979. La plus longue occupation fut celle du camp militaire de Greenham Common en Angleterre durant presque 20 ans (1981-2000).

6 Anna Berrard, « L’écoféminisme aux abois. Marchandisation, manipulation et récupération d’un mouvement radical », Revue du Crieur, 2021/1, n°18, p. 130-147.

7 MIVILUDES, Rapport d’activité 2021, p. 118-119, [en ligne].

8 Voir ces dernières années : « Genre et environnement », Cahiers du Genre, 2015/2, n°59 ; « Écoféminismes », Multitudes, 2017/2, n°67 ; « Genre et environnement », Genre & Histoire [en ligne], Automne 2018, n°22, DOI : https://doi.org/10.4000/genrehistoire.3615 ; « Pratiques écoféministes », Travail, genre et sociétés, 2019/2, n°42 ; « Androcène », Nouvelles Questions Féministes, 2021/1, vol. 40 ; « Écoféminismes : récits, pratiques militantes, savoirs situés », Itinéraires [en ligne], 2021/1, 2022, DOI : https://doi.org/10.4000/itineraires.9505 ; « L’écoféminisme est de retour », Critique, 2024/3, n°922.

9 Par exemple : Christopher C. Joyner, George E. Little, « It’s Not Nice to Fool Mother Nature ! The Mystique of Feminist Approaches to International Environmental Law », Boston University International Law Journal, 1996, vol. 14, p. 223 ; Elaine L. Hugues, « Fishwives and Other Tails : Ecofeminism and Environmental Law », Canadian Journal of Women & the Law, 1995, vol. 8, p. 502 ; Robert R. M. Verchick, « In a Greener Voice : Feminist Theory and Environmental Justice », Harvard Women’s Law Journal, 1996, vol. 19, p. 23.

10 Jessica Makowiak, « Environnement et genre. Quand la question du changement climatique met (aussi) en lumière l’inégalité femme homme », Revue juridique de l’environnement, 2021/4, p. 675 ; Agnès Michelot, « Égalité des sexes, autonomisation des femmes », Revue juridique de l’environnement, 2012/4, p. 631.

11 Antoine Gatet, Aminata Niakaté, Inégalités de genre, crise climatique et transition écologique, CESE, rapport, mars 2023, 255 p.

12 Éric Naim-Gesbert, « Maturité du droit de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, 2010/2, p. 231-240.

13 Amorcée dans Romain Gosse, Les normativités du principe d’intégration. Contribution à l’étude du droit fluide de l’environnement, Université de Lille, 2021, thèse de droit public, 859 p.

14 C’est à destination des organismes liés à la protection de la nature que cette formule apparaît au sein du code de l’environnement, par exemple : Conseil national de la protection de la nature (R134-24), Comité national de la biodiversité (L134-1), Comité régional de la biodiversité (D134-36).

15 Ainsi, les femmes « jouent un rôle de premier plan dans la production vivrière […] devraient avoir leur mot à dire dans les décisions concernant les programmes de mise en valeur agricole et forestière […] devraient pouvoir posséder la terre en toute propriété […] des améliorations apportées à la santé et à l’éducation de tous, mais surtout des femmes, et associées à d’autres changements sociaux qui font progresser la condition de la femme peuvent avoir des répercussions importantes sur l’abaissement des taux de la croissance démographique », Commission mondiale sur l’Environnement et le Développement, Notre avenir à tous, Rapport de Harlem Gro Brundtland, 1987.

16 Annie Rochette, « Stop the rape of the world: an ecofeminist critique of sustainable development », University of New Brunswick Law Journal, 2002, vol. 51, p. 145-174.

17 Sur ce tournant, notamment pour le régime climatique, voir Cinnamon Carlarne, « Environmental Law & Feminism », in Martha Chamallas, Deborah L. Brake, Verna L. Williams (dir.), The Oxford Handbook of Feminism & Law in the United States, New York, Oxford University Press, 2021, p. 573-591.

18 Isabelle Michallet, Faire face à l’Anthropocène : les voies du droit, éditions deux-cent-cinq, 2023, spéc. p. 55-72.

19 Sandrine Dauphin, Réjane Sénac (dir.), « Gender mainstreaming : De l’égalité des sexes à la diversité ? », Cahiers du Genre, 2008/1, n°44.

20 Isabelle Michallet, op. cit., p. 63.

21 Ibid., p. 66-67.

22 Ibid., p. 65.

23 Développé par Carol Gilligan, In A Different Voice, Cambridge, Harvard University Press, 1982, et retravaillé par Joan Tronto, Moral Boundaries. A Political Argument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993.

24 Sandra Laugier, « Care, environnement et éthique globale », Cahiers du Genre, 2015/2, n°59, p. 127-152 ; Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, Payot, 2012, 320 p.

25 Il se fonde sur les travaux de « l’école de Bielefeld », principalement constituée de trois autrices allemandes : Maria Mies, Veronika Bennholdt-Thomsen et Claudia Von Werlhof.

26 C’est le sens d’un des sous-objectifs de l’ODD 5 sur l’égalité des sexes : « 5.4 Faire une place aux soins et travaux domestiques non rémunérés et les valoriser, par l’apport de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale et la promotion du partage des responsabilités dans le ménage et la famille, en fonction du contexte national ».

27 Nathalie Hervé-Fournereau, Sophie Thériault (dir.), Peuples autochtones et intégrations régionales. Pour une durabilité repensée des ressources naturelles et de la biodiversité ?, Presses universitaires de Rennes, 2020, coll. L’univers des normes, 444 p.

28 Sur ces deux cas, Victor David, « La nouvelle vague des droits de la nature. La personnalité juridique reconnue aux fleuves Whanganui, Gange et Yamuna », Revue juridique de l’environnement, 2017/3, p. 409-424.

29 Cour suprême de Colombie, chambre de cassation, 5 avril 2018, STC4360-2018.

30 Initiative néanmoins menacée d’annulation par le juge administratif pour raison de compétence, cette question relevant du droit civil (et donc de la compétence de la collectivité de Nouvelle-Calédonie) et non du droit de l’environnement sous la compétence de la Province, voir l’avis du Conseil d’État, 31 mai 2024, n°492621.

31 Miriama Cribb, Elizabeth Macpherson, Axel Borchgrevink, « Beyond legal personhood for the Whanganui River : collaboration and pluralism in implementing the Te Awe Tupua Act », International Journal of Human Rights [en ligne], 2024, DOI : https://doi.org/10.1080/13642987.2024.2314532. Voir contra, Brad Coombes, « Nature’s rights as Indigenous rights ? Mis/recognition through personhood for Te Urewera », Espace populations sociétés [en ligne], 2020/1-2, DOI : https://doi.org/10.4000/eps.9857, pour qui cette démarche « a constitué un moyen de contourner la restitution de terres ancestrales à la tribu locale, Ngai Tuhoe ».

32 Christopher D. Stone, « Should Trees Have Standing ? Toward Legal Rights for Natural Objects », Southern California Law Review, 1972, n°45, p. 450-501.

33 David R. Boyd, The Rights of Nature: A Legal Revolution That Could Save the World, Toronto, ECW Press, 2017, 312 p.

34 Catherine Larrère, L’écoféminisme, op. cit., p. 6.

35 Émilie Hache, Reclaim, op. cit., p. 23.

36 Catherine Larrère, L’écoféminisme, op. cit., p. 6.

37 L’accusation d’essentialisme des écoféminismes a surtout été portée a posteriori dans le champ intellectuel et académique, moins dans le cadre des expériences concrètes de mobilisations qui ont constitué les mouvements, Émilie Hache, op. cit., p. 29 et s.

38 Julien Bétaille, « Rights of Nature: Why it Might Not Save the Entire World », Journal for European Environmental & Planning Law, 2019/1, vol. 16, p. 35-64.

39 Ellen Kohl, Jayme Walenta, « Legal Rights for Whose Nature ? », Annals of the American Association of Geographers, 2023/1, vol. 113, p. 274-290, DOI : https://doi.org/10.1080/24694452.2022.2087588 ; Liselotte Viaene, « Can Rights of Nature Save Us from the Anthropocene Catastrophe ? Some Critical Reflecton from the Field », Asian Journal of Law and Society, 2022/2, vol. 9, p. 187-206, DOI : https://doi.org/10.1017/als.2022.2 ; Ariel Rawson, Becky Mansfield, « Producing juridical knowledge : ‘Rights of Nature’ or the naturalization of rights ? », Environment and Planning E : Nature and Space, 2018/1, vol. 1-2, p. 99-119, DOI : https://doi.org/10.1177/2514848618763807.

40 Elle n’est au demeurant pas nouvelle, voir Yan Thomas, « Le sujet de droit, la personne et la nature. Sur la critique contemporaine du sujet de droit », Le Débat, 1998/3, n°100, p. 85-107.

41 Éric Naim-Gesbert, Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1999, 810 p.

42 Pierre Hadot, Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature, Paris, Gallimard, 2004, 394 p.

43 Carolyn Merchant, op. cit., p. 40 citée par Jean-Baptiste Vuillerod, « Carolyn Merchant : un autre récit de la modernité », Critique, 2024/3, n°922, p. 218.

44 D’autres éclairages sont utiles, voir Sylvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Paris, Entremonde, 2014, 459 p., montrant le poids historique du capitalisme sur les femmes, ou Émilie Hache, De la génération. Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, op. cit., identifiant celui du christianisme dans la genèse de la notion de production.

45 L’expression est répandue dans la doctrine, voir par exemple Michel Prieur, « Le droit français de l’environnement au xxe siècle » in Mouvements du droit public. Mélanges Franck Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p. 382.

46 Jessica Makowiak, « Le seuil en droit de l’environnement » in D’urbanisme et d’environnement. Liber amicorum Francis Haumont, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 695-710.

47 Aline Treillard, L’appréhension juridique de la nature ordinaire, Université de Limoges, 2019, thèse de droit public, 589 p.

48 Scott F. Gilbert, Jan Sapp, Alfred I. Tauber, « A Symbiotic View of Life: We Have Never Been Individuals », The Quarterly Review of Biology, décembre 2012, n°4, vol. 87, p. 325-341, l’article s’appuyant sur les complexes d’organismes de toute nature (bactéries, virus, etc.) au sein des corps pour complexifier la catégorie fondatrice d’individu : tout humain ou non-humain est tributaire, pour son développement, sa santé jusqu’à son humeur, d’une myriade d’échanges permanents intérieurs et extérieurs avec des tas d’autres êtres. L’épigénétique, à ce titre, a aussi permis de mettre en valeur l’influence des facteurs environnementaux (expositions diverses, nourritures, etc.) dans l’expression des gènes, réhabilitant ce que le développement des êtres vivants doit à leur environnement.

49 Marthe Lucas, « Réflexions sur la portée du principe de solidarité écologique », Revue juridique de l’environnement, 2020/4, vol. 45, p. 715-732.

50 Jakob Zinsstag, Esther Schelling, David Waltner-Toews, Maxine A. Whittaker, Marcel Tanner (dir.), One Health, une seule santé. Théorie et pratique des approches intégrées de la santé, Versailles, Quae, 2020, 574 p. En droit, voir par exemple, Sara Brimo, La santé environnementale : une approche juridique, Paris, Dalloz, 2023, coll. Les sens du droit, 238 p.

51 Agnès Michelot, « Quelle loi pour “une seule santé” en France ? Les propositions de la SFDE pour l’Alliance Santé Biodiversité », Revue juridique de l’environnement, 2023/1, vol. 48, p. 105-138.

52 Danielle Celermajer et al., « Vers une justice multi-espèces : cadre théorique, enjeux et programme de recherche pour les théories et politiques environnementales », Développement durable & Territoires [en ligne], 2021/3, vol. 3, DOI : https://doi.org/10.4000/developpementdurable.19793. Ces travaux se développent principalement dans le champ anglophone, a fortiori australien, des humanités environnementales, voir Céline Granjou, « En quête des Environmental Humanities », Zilsel, 2017/2, n°2, p. 353-367.

53 Donna Haraway, Vivre avec le trouble, Vaulx-en-Velin, Mondes à faire, 2020, 375 p.

54 Ces courants entrent ici le plus en contradiction avec d’autres écoféminismes, comme celui de la subsistance : voir Geneviève Pruvost, Quotidien politique, op. cit., p. 168-171, dans un paragraphe « Des femmes contre les cyborgs », en référence à Donna Haraway qui concluait son « manifeste cyborg » de 1984 par « j’aime mieux être cyborg que déesse ». Il semble pourtant que la justice multi-espèces se fonde à la fois sur un courant matérialiste, tout comme le féminisme de la subsistance, et un courant dit posthumain, dans le sillage de Haraway, montrant qu’il y a peut-être plus de liens à tisser.

55 Enquêter, cartographier : les termes employés ici se rapportent aux études des milieux « plus-qu’humains », voir l’ouvrage précurseur de Sarah Whatmore, Hybrid Geographies. Natures, cultures, spaces, Londres, Sage, 2002, spéc. p. 146 et s., où l’autrice élabore son programme de recherche en croisant les courants féministes et environnementalistes.

56 Catherine Larrère, L’écoféminisme, op. cit., p. 6.

57 Voir Raphaël Brett, La participation du public à l’élaboration des normes environnementales, Université Paris-Saclay, 2015, thèse de droit public, 657 p.

58 Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2015, coll. Repères, 128 p.

59 Exception faite du débat public mené par la Commission national du débat public (CNDP) qui intervient en amont d’un projet et dans lequel la participation du public est censée co-construire ledit projet (articles L121-8 à L121-15, code de l’environnement). Ne sont pas incluses ici les initiatives nationales ou locales de « convention citoyenne », qui se déroulent hors de tout cadre juridique établi, voir Agathe Van Lang, « La Convention citoyenne pour le climat vue du droit de l’environnement : un dispositif participatif singulier en voie d’institutionnalisation », Archives de philosophie du droit, 2020, t. 62, p. 509-525.

60 Alice Mazeaud, Guillaume Gourgues, « Une “participation d’État” sous contrôle. La neutralisation décisionnelle des dispositifs participatifs en France », Revue française de science politique, 2022/5, vol. 72, p. 781-804 ; Alice Mazeaud, « Gouverner la transition écologique plutôt que renforcer la démocratie environnementale : une institutionnalisation en trompe-l’œil de la participation citoyenne », Revue française d’administration publique, 2021/3, n°179, p. 621-637 ; Manon Loisel, Nicolas Rio, Pour en finir avec la démocratie participative, Paris, Textuel, 2024, 188 p.

61 Marion Paoletti, Sandrine Rui (dir.), « La démocratie participative a-t-elle un sexe ? », Participations, 2015/2, n°12.

62 Antoine Gatet, Aminata Niakaté, Inégalités de genre, crise climatique et transition écologique, op. cit.

63 Geneviève Pruvost retrace ces différentes influences théoriques, de John Dewey à Murray Bookchin jusqu’aux théories organicistes des années 1970, dans Quotidien politique, op. cit., p. 212 et s.

64 Voir Hubert Delzangles, Alexandre Zabalza (dir.), « Les communs en droit de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, 2023/HS22, vol. 48, 446 p.

65 Émilie Hache, « Le mot écoféminisme a tellement été récupéré par le capitalisme qu’il devient parfois stratégique de s’en passer », Critique, 2024/1, n°922, p. 237.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Romain Gosse, « Discours écoféministes et droit de l'environnement : chassez le naturel ? »Criminocorpus [En ligne], 27 | 2025, mis en ligne le 27 mai 2025, consulté le 21 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/17494 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1407k

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Auteur

Romain Gosse

Romain Gosse est docteur en droit public, spécialisé en droit de l'environnement. Sa thèse a porté sur les normativités du principe d'intégration environnementale, permettant de saisir la diffusion d'une rationalité écologique en droit et de mettre en lumière les évolutions parfois paradoxales du droit de l'environnement. Actuellement chercheur postdoctoral, il travaille sur la territorialisation et les contradictions des politiques de neutralité carbone à travers plusieurs objets d'études (énergies renouvelables, puits naturels de carbone, renouveau minier), au sein de projets interdisciplinaires engageant des réflexions sur les échelles et la spatialité du droit.

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