Kiran Mehta, To Detain or to Punish. Magistrates and the Making of the London Prison System, 1750-1840
Kiran Mehta, To Detain or to Punish. Magistrates and the Making of the London Prison System, 1750-1840, Montreal & Kingston, Mc-Gill-Queen’s University Press, 2025, 306 p.
Texte intégral
- 1 Wayne Joseph Sheehan, The London Prison System, 1666-1795, [PhD Thesis], university of Maryland, 19 (...)
- 2 Voir notamment : Sophie Abdela, La prison parisienne au xviiie siècle : Formes et réformes, Paris, (...)
- 3 Particularités du système carcéral londonien, ces prisons sont destinées aux tâches des shérifs uni (...)
1Issu de sa thèse de doctorat, l’ouvrage de Kiran Mehta vient combler une lacune plutôt étonnante de l’historiographie : l’absence de monographie récente sur le système carcéral londonien durant la période charnière de la seconde moitié du xviiie et de la première moitié du xixe siècle. La dernière recherche portant en partie sur ce sujet est la thèse non publiée de Wayne J. Sheehan, The London Prison System, 1666-1795, soutenue en 19751. À partir du cas londonien, Kiran Mehta renouvèle profondément le récit du recours croissant à la détention punitive et de la « soi-disant “naissance” de la prison moderne » (p. 5, notre traduction). S’inscrivant dans une dynamique nouvelle de l’histoire des prisons de plus en plus intéressée aux réalités de l’enfermement au xviiie siècle2, cet ouvrage enrichit considérablement les questionnements plus traditionnels sur la transformation de la gestion de la criminalité et des pratiques punitives entre le xviiie et le xixe siècle. Cet apport important à la littérature est rendu possible par une approche très complète – holistique, pour reprendre le terme de Kiran Mehta (p. 9) – du système carcéral londonien. Non seulement l’autrice s’intéresse à l’ensemble des individus arrêtés pour des raisons pénales (prévenu, accusé, délinquant ou criminel), mais elle croise également deux dimensions de l’enfermement jusqu’ici abordées séparément : les processus menant à l’emprisonnement (arrestation, interrogatoire, procès, etc.) et la gestion politique ainsi qu’administrative de l’institution. Finalement, et c’est sans doute l’aspect le plus novateur et intéressant de sa recherche, elle a inclus dans sa recherche toutes les institutions composant le système carcéral, c’est-à-dire les prisons (« gaols »), les « counters »3 et les maisons de correction (« bridewells »), alors que celles-ci sont en général abordées soit isolément, soit indistinctement.
2Cette étude de la hausse de l’enfermement punitif et de son impact sur le système carcéral est structurée en six chapitres thématico-chronologiques. Les quatre premiers portent sur la période de 1755 à 1815, période marquée par l’émergence d’un mouvement de transformations du système carcéral. Dans un premier temps, Kiran Mehta analyse la logique à l’œuvre derrière les pratiques judiciaires qui étaient, jusqu’alors, considérées comme plutôt aléatoires. Le recours de plus en plus fréquent à l’emprisonnement amène les autorités londoniennes à distinguer les lieux destinés à la détention provisoire (« gaols and counters ») de ceux destinés à l’enfermement punitif (« bridewells »). De ce constat, elle conclut que « [r]epenser les pratiques d’enfermement a sans doute été un aspect central, bien que méconnu, du mouvement de réforme pénale » (p. 69, notre traduction). Destiné à approfondir cette observation, le deuxième chapitre porte sur les raisons qui ont poussé les magistrats londoniens à consacrer les maisons de correction à l’enfermement punitif. Le travail jouant un rôle important dans le fonctionnement de ces établissements depuis leur création au xvie, c’est tout naturellement qu’ils y envoient, dès la fin du xviiie, les individus criminalisés dont ils souhaitent corriger le comportement. La possibilité de mettre au travail les condamné·es est ainsi le critère qui détermine la spécialisation des prisons et qui, à terme, remodèle le système carcéral londonien.
3Les troisième et quatrième chapitres sont consacrés au mouvement de réforme qui se structure à la fin du xviiie siècle. Kiran Mehta compare d’abord les idées et propositions de la réforme pénale à la réalité de l’enfermement et de sa gestion au xviiie et montre, entre autres, que les réformateurs pénaux n’étaient pas si novateurs que la littérature le laisse entendre. De fait, les autorités londoniennes ont tenté d’améliorer la salubrité des prisons par l’imposition d’un nettoyage régulier ou les conditions de vie des prisonniers par la distribution de nourriture aux plus démunis, bien avant la parution, en 1777, de The State of the Prisons in England and Wales de John Howard. L’apport de Howard se situe davantage dans la systématisation de réalisations disparates et dans l’intérêt pour la prison qu’il éveille auprès d’un certain public. Variés et incomplets sous de nombreux aspects, les projets de réforme laissent une grande marge de manœuvre aux magistrats pour leur mise en place. Dans le chapitre 4, l’autrice montre comment ils ont adapté la réforme aux différents types de prison, renforçant ainsi la spécialisation et la différenciation des prisons et « counters » des maisons de correction. Les mesures destinées à la réforme morale des détenu·es ne sont ainsi mises en place que dans les secondes.
4Plus brève, la seconde partie de l’ouvrage examine le regain d’intérêt pour la réforme des prisons entre 1815 et 1850. La hausse du nombre de prisonnier·ères, causée par la fin des guerres napoléoniennes et par un accroissement de la pauvreté, contraint les autorités londoniennes à adapter le système carcéral. Comme pour la période précédente, elles cherchent alors à rationaliser l’enfermement, notamment en approfondissant la spécialisation institutionnelle. Les maisons de correction ne reçoivent presque plus que les individus condamnés pour des crimes graves. Le dernier chapitre, quant à lui, s’intéresse à la temporalité très discutée du tournant disciplinaire qui succède à cette brève période de réformisme. Grâce à l’étude des causes de cette différenciation croissante entre les lieux d’enfermement, Kiran Mehta parvient à montrer que, dès la fin des années 1810 déjà, la normalisation du recours à l’emprisonnement punitif provoque la mise en place, dans ces seules institutions, de mesures disciplinaires sévères, telles que le moulin à pied pour le travail forcé. Les magistrats souhaitent rendre l’enfermement aussi effrayant que la déportation afin qu’il devienne dissuasif.
5Cet ouvrage offre ainsi une analyse très fine, très complète et passionnante des transformations du système carcéral londonien entre le xviiie et le xixe siècle. Grâce à l’utilisation de sources et à d’approches variées, l’un des éléments clés de cette transformation est mis en lumière : la volonté de séparer les institutions de détention provisoire des institutions d’enfermement punitif. Kiran Mehta montre en effet que les autorités londoniennes ont modifié les pratiques d’enfermement et adopté la réforme pénale en raison de l’évolution du rôle de la prison, et non en raison de nouvelles pratiques de pouvoir ou de changements dans l’organisation de l’économie. Souffrant parfois des conséquences inéluctables de sa principale qualité, l’ampleur de son sujet, le livre aurait sans doute bénéficié d’une présentation des prérogatives des différentes strates de pouvoir qui gèrent, de près ou de loin, les prisons de la métropole. En outre, si le choix judicieux de l’autrice de placer les pratiques des magistrats londoniens au centre de son récit permet d’éviter l’écueil d’une analyse enfermée par la temporalité propre et très spécifique des institutions d’enfermement, il a pour conséquence de faire naitre l’envie d’en savoir plus. Bien évidemment impossible à réaliser dans le cadre de cet ouvrage, une étude sociologique, voire une prosopographie de ces acteurs, me semblerait constituer une piste pour poursuivre cette réécriture nécessaire de cette période charnière de l’histoire des prisons londoniennes.
Notes
1 Wayne Joseph Sheehan, The London Prison System, 1666-1795, [PhD Thesis], university of Maryland, 1975.
2 Voir notamment : Sophie Abdela, La prison parisienne au xviiie siècle : Formes et réformes, Paris, Champ Vallon, 2019 ; Esther Brot, By their Own Hand: Prisons in the City of London, 1700-1755, [PhD Thesis], King’s College, 2022.
3 Particularités du système carcéral londonien, ces prisons sont destinées aux tâches des shérifs uniquement (p. 16).
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Référence électronique
Laure Piguet, « Kiran Mehta, To Detain or to Punish. Magistrates and the Making of the London Prison System, 1750-1840 », Criminocorpus [En ligne], Comptes-rendus, mis en ligne le 08 octobre 2025, consulté le 09 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/18241 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14uts
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