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Communications

In asperis carceribus et in fame dolore et magna miseria : de quelques violences seigneuriales pendant la « guerre du vicomte » à Narbonne et dans ses environs (1381-1382)

Vincent Challet

Résumés

En revenant sur quelques épisodes de la « guerre du vicomte » qui opposa en 1381-1382 le consulat de Narbonne et le vicomte Aymeric VI, cet article entend mettre en évidence quelques-unes des facettes d’une violence seigneuriale de la fin du Moyen-Âge opérée aux dépens d’inermes issus soit de la ville de Narbonne elle-même, soit des villages environnants. Au-delà de la continuité évidente d’un certain nombre de gestes et de destructions dont l’on repère déjà les prémices à l’époque féodale et qui sont autant de marqueurs de la domination seigneuriale, l’originalité de la documentation narbonnaise réside dans la description précise d’un certain nombre de dévastations opérées par les troupes vicomtales et dans l’identification des victimes, autant d’éléments qui permettent de sortir d’une description quasiment stéréotypée de la violence seigneuriale et d’appréhender cette dernière comme la réimposition par la force d’un arbitraire seigneurial pourtant contesté par des voies juridiques.

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Entrées d’index

Mots-clés :

violences, seigneuries

Géographique :

Languedoc, Narbonne
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Texte intégral

  • 1 Ces lettres de défi, retranscrites dans une délibération du conseil communal de Narbonne, sont publ (...)
  • 2 Aperçu rapide et présentation du contexte dans Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc. (...)
  • 3 Voir à ce sujet Vincent Challet, Mundare et auferre malas erbas : la révolte des Tuchins en Langued (...)
  • 4 La Chronique de Saint-Paul de Narbonne, qui y consacre une entrée succincte, n’évoque d’ailleurs qu (...)

1Le dimanche 1er décembre 1381, depuis sa résidence de Cuxac, Aymeric VI (1328-1388), vicomte et seigneur de Narbonne et l’un des derniers – avec les comtes de Foix et d’Armagnac – grands féodaux du Midi languedocien adressait aux consuls de Narbonne des lettres de défi, leur enjoignant de se soumettre à son autorité, faute de quoi il n’aurait d’autre choix que de « far contra vos e la dita viela guerra […] per totas las pus fortz vias e maneyras e rigors que nos poyrem, entro que siatz tornatz en veraya hobediensa del rey nostre senhor e deldit moss. de Berri, son loctenent, e nostra1 ». Ainsi commença, du moins d’une manière qui se voulait officielle et reprenait des procédures en règle dans le milieu féodal, une guerre ouverte entre le vicomte et la ville de Narbonne qui se poursuivit pendant plus d’un an – une première trêve fut conclue à Lézignan en septembre 1382 et mit un terme précaire aux hostilités, même si le règlement définitif de ce litige ne fut conclu que le 6 juillet 1388 – et que l’historiographie a retenu sous le nom de « guerre du vicomte » sans que, pour autant, ce conflit ne retienne beaucoup l’attention des historiens2, noyé qu’il était au sein de la grande révolte des Tuchins3 et du conflit qui opposa les villes méridionales au nouveau lieutenant du roi, Jean, duc de Berry4.

Guerre privée ou rébellion ? Le combat de la qualification juridique

  • 5 Voir à ce propos Raymond Cazelles, « La réglementation royale de la guerre privée de Saint Louis à (...)
  • 6 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1470. Les consuls évoquent également, dans cette pièce, (...)
  • 7 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1474 : quod non Deo quod ipse cum dictis litteris iret c (...)
  • 8 Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièces justificatives, p. 967.
  • 9 Mandement de Jean de Berry au capitaine et aux consuls de Mirepesset de remettre à Étienne Ménart, (...)
  • 10 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1464.

2La qualification même de cette guerre fut l’objet d’une contestation juridique entre les protagonistes dès ses débuts ou presque. S’agissait-il d’une guerre privée, comme n’hésitèrent pas à l’affirmer les consuls de Narbonne ce qui ferait tomber l’action du vicomte sous le coup de l’interdiction des guerres privées et de tout défi, décrétée par lettres royales en date du 17 décembre 1352 en raison de la guerre avec l’Angleterre5, ce que ne manquèrent pas de relever les juristes au service du consulat de Narbonne ? Dès le 9 décembre 1381 en effet, les consuls firent appel au Parlement de Paris contre le vicomte, faisant établir la liste des griefs qu’ils avaient à son encontre, lui reprochant en particulier d’avoir commis des actes de guerre et d’avoir recruté pour ce faire deux cents lances recrutées parmi des mercenaires catalans6. La « guerre du vicomte », on y reviendra, est aussi un combat qui déborde le terrain militaire pour se jouer sur le terrain juridique : aux violences des gens d’armes du vicomte, répondent les initiatives juridiques des consuls et de leurs conseils même si, le Parlement étant bien loin des rives de l’Aude, ces dernières ne sont pas toujours dénuées de risques. Ainsi, le 23 décembre 1381, conséquence de l’appel porté au Parlement, les consuls cherchent à faire remettre au vicomte des lettres d’ajournement. Après avoir essuyé un premier refus de la part d’un sergent royal, ils se tournent vers un second sergent qui leur répond que, par Dieu, jamais il ne ferait une chose pareille parce que, s’il s’y risquait, le vicomte le ferait pendre aussitôt7. Mais, d’un autre côté, le vicomte de Narbonne pouvait, lui aussi, se targuer d’une certaine légitimité dans sa déclaration de guerre, laquelle lui venait du lieutenant du roi en Languedoc, Jean, duc de Berry et oncle de Charles VI, qui l’avait retenu à son service et lui avait même délivré, le 20 novembre 1381 des lettres lui commandant de « fere guerre ouverte pour et au nom de monseigneur le roy et de nous […] a la dite ville et cité de Narbonne et aux habitants d’icelle »8. Dès le mois de septembre d’ailleurs, le duc de Berry qui était venu prendre possession les armes à la main de la province de Languedoc et s’y heurtait à de très fortes oppositions de la part des communautés, n’avait pas hésité à qualifier la ville de Narbonne, ses bourgeois et habitants, de « rebelles et desobeyssans a mondit seigneur et a nous, pour laquelle chose touz et chascuns leurs biens appartiennent a mondit seigneur et a nous comme confisques »9. Dès le mois de septembre 1381 en réalité, deux légitimités contradictoires s’affrontent, tant sur le terrain que par actes judiciaires interposés : celle du lieutenant du roi et de ses alliés, dont le vicomte de Narbonne, qui considèrent que les habitants de la ville, en résistant à main armée aux routiers – en particuliers Bretons – dont le duc de Berry est accompagné, sont « rebelles et désobéissants », ce qui permet de justifier toutes les violences commises à leur encontre et les confiscations de biens, légitimité sur laquelle s’appuie le vicomte dans ses lettres de défi où il déclare ne faire la guerre aux Narbonnais que pour les ramener sous l’obéissance royale ; et celle des consuls de Narbonne qui s’attachent, au contraire, à démontrer que, jamais ils n’ont été rebelles au lieutenant du roi et que, bien au contraire, ils se sont toujours confortés aux ordres reçus. Et sic apparet quod sunt dicta villa universitas et singulares dicte ville Narbone obedientes et non in aliquo rebelles10 : voici ce qu’ils n’hésitent pas à affirmer dans l’un des nombreux mémoires qu’ils adressent au Parlement de Paris pour se plaindre des agissements du vicomte.

Les derniers feux de la puissance féodale

  • 11 Sur cette expédition, voir Herbert James Hewitt, The Black Prince’s Expedition of 1355-1357, Manche (...)
  • 12 Gilbert Larguier, Le drap et le grain…, op. cit., t. I, p. 99.
  • 13 Il est signalé parmi les prisonniers de Poitiers dans la liste que donne le Petit Thalamus de Montp (...)
  • 14 France, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), ms. fr. 20 692, registre de la retenue des g (...)
  • 15 Guy Bois, Crise du féodalisme, Paris, éditions de l’EHESS, 1976.
  • 16 David Sassu-Normand, « Contrôle royal de l'espace et rivalités urbaines. La viguerie de Béziers et (...)
  • 17 Marie-Laure Jalabert, Le Livre Vert de Pierre de la Jugie. Une image de la fortune des archevêques (...)

3Ce conflit opposant l’un des derniers féodaux du Midi et l’une des plus grandes villes languedociennes s’inscrit évidemment dans un contexte plus large qu’il s’agit de retracer à grands traits pour comprendre les enjeux de l’affrontement entre Narbonne et son vicomte. Il convient en effet de tenir compte de la situation économique d’une ville qui, d’une part, se remet progressivement des dévastations effectuées sur son territoire à l’occasion de la chevauchée du Prince Noir qui, en 1355, a ravagé les environs et incendié les faubourgs11 et, d’autre part, connaît un important ralentissement de son commerce maritime. Grâce à une liste de contribuables établie en 1376 par le consulat et détaillant aussi bien la composition sociale de la Cité que celle du Bourg, Gilbert Larguier a pu mettre en évidence les nouveaux caractères ruraux que prit la société narbonnaise en cette fin du XIVe siècle et montrer l’augmentation considérable, au sein de la population, des labradors et autres ortolans dont la présence au sein du tissu urbain témoigne d’une relation renouvelée entre la ville et son territoire : « Le soin quotidien qu’exige l’horticulture, le va-et-vient incessant de part et d’autre des portes pour aller et venir au travail et transporter les récoltes, rétablissent un lien organique entre le domaine bâti qui reste un lieu de vie et d’habitation et le territoire délaissé12. » Cette évolution, on le verra, a son importance à la fois parce qu’elle atteste d’une très forte dépendance de la ville vis-à-vis de son territoire environnant en ce qui concerne son alimentation mais aussi parce que l’essentiel des violences commises le furent à l’encontre des ressources agricoles du Narbonnais et des hommes et femmes qui les exploitaient : champs de blé et arbres fruitiers sont, de pair avec les ouvriers agricoles, les principales victimes d’un conflit dont l’approvisionnement demeure l’un des enjeux principaux. Inversement, il convient de ne pas sous-estimer les difficultés rencontrées par la domination seigneuriale en cette fin du XIVe siècle : conjuguées à la chute de la rente seigneuriale, les dévastations opérées par les compagnies anglaises dans la région narbonnaise en 1355 ont certainement mis à mal des finances vicomtales déjà sans doute lourdement obérées par les rançons successives qu’Aymeric VI dut payer aux Anglais suite à ses captures sur les champs de bataille d’Auberoche en 1345 et surtout de Poitiers en 135613. Certes, il est possible de penser que les gages que cet homme de guerre, qui fut amiral de France de 1369 à 1373, perçoit auprès du roi lors de ses nombreuses campagnes militaires viennent en partie compenser l’effondrement subi par la rente seigneuriale. Le fait qu’il ait accompagné le duc de Berry lors de sa campagne méridionale tend d’ailleurs à le prouver : il fut, en effet, retenu aux gages du lieutenant du roi dès le 18 novembre 1381, à Coursan, avec 36 hommes d’armes puis, de nouveau, à Béziers, le 18 janvier 1382, avec cette fois cent hommes d’armes14, signe que la redistribution de l’impôt royal par le biais de la guerre contribue de manière significative aux revenus seigneuriaux et qu’Aymeric VI est un bon représentant de cette « féodalité bâtarde » mise en évidence par Guy Bois15. À ceci, il faut en outre ajouter que le démembrement de l’immense viguerie de Béziers et la création subséquente de la viguerie royale de Narbonne en 1349 avaient contribué à affaiblir les positions vicomtales en renforçant la présence sur place des officiers royaux16 et que les relations entre Aymeric VI et le pouvoir archiépiscopal restaient relativement tendues puisque, si le vicomte accepta, le 15 septembre 1348, de rendre hommage au nouvel archevêque, Pierre de la Jugie, il n’hésita pas, à Noël de la même année, à faire assaillir le palais archiépiscopal par ses gens d’armes17.

  • 18 Jacqueline Caille, « Narbonne, une et plurielle à la fois », in Patrick Gilli et Enrica Salavatori (...)
  • 19 Dominique Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Pari (...)

4Autant d’éléments – auxquels il convient d’ajouter des litiges concernant la dépaissance des troupeaux, les travaux conduits sur les fortifications et la nomination du capitaine de la ville en temps de guerre – qui permettent de comprendre que, loin d’éclater dans un ciel serein, la guerre du vicomte s’inscrit sur fond de rivalités croissantes entre un consulat narbonnais enfin réunifié – par l’union des consulats de la Cité et du Bourg, réalisée en 133818 – et un vicomte qui, comme nombre d’autres seigneurs, voit dans les conflits de la guerre de Cent Ans l’occasion d’une réaction seigneuriale et d’une réaffirmation de sa domination par le biais d’une violence renouvelée. À partir de cette étude de cas, il s’agira de montrer qu’une telle violence ne s’apparente nullement à un déchaînement occasionnel de mercenaires catalans ou anglais mais bien à un usage raisonné et systématique dont l’ambition est de réaffirmer la domination seigneuriale sur le terroir narbonnais et d’opposer au champ clos des débats au Parlement de Paris le champ ouvert des affrontements militaires et aux arguties des juristes au service des consuls le cliquetis des armes sur un terrain que maîtrise davantage, en homme de guerre qu’il est, Aymeric VI. Cette guerre qui cible aussi bien les terres que les hommes et les femmes qui les cultivent, s’apparente ainsi à une réaction seigneuriale qui retrouve tout à la fois les comportements des guerres privées – même si elle se dissimule ici sous l’argument de la répression d’une rébellion – et les réflexes antérieurs issus de la pratique d’une faide seigneuriale qui faisait davantage de victimes chez les paysans qu’au sein des milites19.

Les contours d’une violence « ordinaire » : l’emprise territoriale

  • 20 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 1. Il s’agit d’une liste d’articles sans date (...)
  • 21 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1464, en date du 29 septembre 1381. Saint-Pierre-des-Cla (...)
  • 22 Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièces justificatives, p. 996-1001. La prise (...)

5Le prétexte pour le déclenchement du conflit fut le meurtre, dans la ville de Narbonne, du bâtard d’Aleman, écuyer du comte de Savoie Amédée VI, envoyé par le duc de Berry pour parlementer avec les consuls, événement à la suite duquel, le vicomte, apprenant la nouvelle se serait alors écrié, aux dires des magistrats, « Aysi es jornada que vos la veyres mala » avant de faire évacuer de son palais tous les biens meubles qui s’y trouvaient et de quitter lui-même la ville peu de temps après20. À la suite de ce meurtre – dont les consuls eurent beau jeu de prétendre qu’il avait été commis par des personnes privées demeurant dans la ville – les Narbonnais entrèrent ouvertement en rébellion contre le duc de Berry, interdirent l’entrée de leur ville au vicomte, édifièrent des barbacanes au devant des remparts, s’emparèrent du palais vicomtal qu’ils livrèrent au pillage et délivrèrent les prisonniers des geôles vicomtales, si l’on en croit du moins la position exprimée par Aymeric VI. Pour les Narbonnais, au contraire, le conflit trouve son origine le 28 août 1381 lorsque, convoqués par Peire Isarn, licencié ès lois et juge mage de la sénéchaussée de Carcassonne, au lieu de Saint-Pierre-des-Clars pour y discuter de diverses affaires touchant la ville de Narbonne, les envoyés de la ville – à savoir deux consuls et quatre boni homines – furent assaillis par les gens d’armes du duc de Berry et du comte d’Armagnac, Jean II, et ne durent leur salut qu’à la promptitude de leur fuite21. Véritable casus belli aux yeux des Narbonnais, l’agression perpétrée à l’encontre de leurs magistrats pourrait expliquer la prise, en octobre 1381, de ce même château – qui était, par ailleurs, le siège de la cour de justice vicomtale pour les possessions d’Aymeric VI en dehors de Narbonne – par les troupes communales, occasionnant ainsi la mort de plusieurs sergents d’armes du roi, dont Jacme Arnault, seigneur de Montredon, et le châtelain de Quéribus22, assaut qui faisait clairement entrer les Narbonnais dans un cycle de guerre ouverte avec leur vicomte. Il fallut cependant attendre le 1er décembre pour que le vicomte adresse son défi à la ville et greffe ainsi sa guerre privée sur un conflit plus général.

  • 23 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722 pièce 1 et FF 1468.
  • 24 Vincent Challet, Mundare et auferre…, op. cit., vol. 1, p. 126-195.
  • 25 Pierre Bonnassie, La Catalogne au tournant de l’An mil. Croissance et mutations d’une société, Pari (...)

6À compter de ce jour, Aymeric VI exerça à l’encontre des Narbonnais une violence portant à la fois sur les biens et les hommes et visant à réduire l’emprise consulaire au seul espace urbain circonscrit par les remparts. Dans le mémoire par article qu’ils firent rédiger pour exposer leurs griefs à l’encontre du vicomte23, les consuls ne s’attardèrent en réalité que sur des cas particuliers dépassant le seuil habituel de violences presque ordinaires commises dans le cadre de la guerre de Cent Ans et auxquelles les campagnes languedociennes se trouvaient soumises depuis près de quarante ans, c’est-à-dire depuis la chevauchée du prince de Galles et l’arrivée des grandes compagnies dans la province24. Ainsi, à peine mentionnent-ils, sans s’y attarder outre mesure, le fait que les troupes vicomtales aient pu s’en prendre aux récoltes, détruire les vignes, arracher ou scier les arbres fruitiers ou encore rançonner un certain nombre de paysans et s’en prendre à leurs troupeaux, autant d’actes qui attestent de la permanence d’une violence seigneuriale revivifiée dans le contexte de la guerre de Cent Ans. Ils insistent, en revanche, soit sur des actes d’hostilité qui ont pu s’exercer au détriment des droits et revenus royaux – ceci, afin d’inciter le Parlement à se prononcer en leur faveur –, soit sur des actes qui leur paraissent contrevenir aux usages du temps, propres à frapper les imaginations et susceptibles d’être prouvés soit par des témoins oculaires, soit par les victimes elles-mêmes. Ce qui se dessine ainsi n’est donc pas tant la réalité de la violence seigneuriale que ce qui, au sein de cette violence, peut et doit entraîner une condamnation du vicomte et de ses adhérents par le Parlement au titre de l’interdiction des guerres privées. Les inhumaniter et violenter qui ponctuent ici ou là le texte narbonnais ont donc moins valeur de jugement moral que de condamnation juridique et les poings coupés des paysans capturés par les troupes vicomtales ont sans doute moins de poids dans l’argumentation que les simples violences verbales proférées à l’encontre de sergents et autres officiers détenteurs de l’autorité royale. Il n’empêche, à travers le raisonnement déployé par les consuls, ne manquent pas de se distinguer les axes principaux d’une violence physique, juridique et symbolique mise sciemment par le vicomte au service de ses objectifs et qui n’est pas sans rappeler le « terrorisme seigneurial » mis en exergue par Pierre Bonnassie dans la Catalogne du tournant de l’an mil25.

  • 26 Moussoulens, ferme, commune de Cuxac-d’Aude, Aude. Les renseignements qui suivent sont empruntés au (...)
  • 27 Voir, pour une comparaison avec la période féodale, l’article d’Alexandre Vergos dans ce même dossi (...)
  • 28 La construction de ce barrage et du canal de la Robine fut rendue nécessaire au début du XIVe siècl (...)
  • 29 Sur cette affaire, voir Vincent Challet, Mundare et aufferre.., op. cit., p. 394-395.
  • 30 Sur Jacme Olivier, outre l’introduction d’Alphonse Blanc qui précède la publication de son livre de (...)

7L’un des premiers actes d’hostilité du vicomte vis-à-vis des Narbonnais fut de mettre hors d’état d’usage la paissière, c’est-à-dire le barrage, que la ville avait fait installer sur le cours de l’Aude à Moussoulens26, la destruction de paissières constituant un acte caractéristique de la violence seigneuriale à l’époque féodale puisqu’elle se retrouve, entre autres, à l’occasion du conflit entre comtes de Mauguio et Guilhems de Montpellier dans le courant du XIIe siècle27. Cette retenue avait une importance vitale pour Narbonne car elle permettait d’alimenter le canal de la Robine qui coulait au milieu de la ville et se poursuivait jusqu’à l’étang de l’Ayrolle, permettant aux bateaux de commerce venant de la Méditerranée de remonter jusqu’à Narbonne28. La destruction de ce barrage mettait donc un terme au trafic fluvial et maritime de la ville – et, en particulier, celui des bois de marine et des fûts de charpente qui étaient coupés dans les forêts royales et descendaient le cours de l’Aude avant d’être exportés vers l’Aragon et la Provence – mais elle avait également pour objectif de compromettre l’approvisionnement en pain de la ville puisque la Robine alimentait en eau les trois moulins de la ville. La suite des opérations indique clairement que les moulins constituaient une cible prioritaire pour les troupes vicomtales qui, de nuit, vinrent incendier un moulin à vent qui se trouvait près de la porte Royale, deux autres dans les faubourgs situés à côté du couvent des Augustins et un dernier dans le terroir de Narbonne, près du chemin qui conduisait à Cuxac, si bien que le vicomte put se vanter qu’il ne restait plus aucun moulin ni à eau, ni à vent dans un rayon de trois lieues autour de la ville. Là encore, la destruction des moulins correspond à un geste maintes fois attesté dans les sources à propos des guerres seigneuriales de la période féodale et vise à diminuer les capacités productives de la terre adverse. Au-delà de ces opérations, la stratégie d’Aymeric VI vise à circonscrire l’action consulaire au seul territoire urbain et à couper toute communication entre la ville et son arrière-pays, pourtant indispensable à l’approvisionnement urbain. Certes, il y a dans cette volonté d’instaurer un véritable blocus de Narbonne le désir de réduire la ville à la famine, semblable à celui qu’exprimait, dans le contexte très proche de la révolte des Tuchins, Gantonnet d’Apzac, lieutenant de Guillaume de Beaufort, vicomte de Turenne, lorsque, envoyant aux procureurs de Bagnols-sur-Cèze des lettres de défi ad ignem et sanguinem, il leur fit savoir qu’ils les réduiraient à manger des rats29. Il est cependant difficile de ne pas y voir également le désir de réinstaurer une domination seigneuriale sur un terroir narbonnais qui échappait de plus en plus à l’emprise vicomtale et sur lequel, au contraire, le contrôle de familles engagées dans le commerce méditerranéen ne cessait de s’étendre, comme en témoignent l’exploitation agricole de Jacme Olivier à Canet ou les possessions des Vidal de Castres dans la campagne narbonnaise30.

  • 31 Lettres délivrées par Charles VI le 27 septembre 1382 ; publiées par Alphonse Blanc, Le livre de co (...)
  • 32 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 1 : Quod dictus vicecomes […] guerram apertam (...)
  • 33 Ibid. : que les gens d’armes du vicomte ceperunt multos et diversos homines tam de Narbona quam div (...)

8Les troupes vicomtales s’en prirent ainsi à deux bastides possédées par des citoyens de Narbonne, maître Guilhem Estève et Arnaut Gautier, dont l’une se trouvait sur le territoire de Védillan, et les incendièrent après les avoir vidées de leur contenu et avoir fait transporter le blé, les lits et couvertures et jusqu’aux tuiles dans la bastide de Bougna qui appartenait au vicomte. La dimension territoriale du conflit est d’autant plus évidente qu’Aimeryc VI n’hésita pas à faire proclamer de sa propre autorité sur ses terres – dans ses castra de Cuxac, Coursan, Marcorignan et Bizanet – l’interdiction de porter des vivres à Narbonne sous peine de pendaison et de prise de corps et de biens. Et, pour bien signifier qu’il ne s’agissait pas là d’une simple mesure déclamatoire, il n’hésita pas à faire pendre près de Cuxac deux hommes du castrum de Moussan qui avaient conduit et vendu dans la ville trente moutons, nonobstant le fait qu’ils en appelaient au roi – ce qui constitue, dans l’argumentaire des consuls, une claire infraction à la législation royale –, les corps des pendus devant servir d’avertissement aux paysans voisins en une sorte de gibet campagnard et improvisé. L’affaire est d’ailleurs retenue par les consuls dans leur liste d’articles dans la mesure où les deux victimes relevaient de la juridiction de l’archevêque de Narbonne et du chapitre cathédral. Elle est d’ailleurs expressément rappelée dans une plainte formulée auprès du roi à l’encontre du vicomte par les pouvoirs ecclésiastiques et qui aboutit à la révocation par Charles VI des lettres de défi adressées par Aymeric VI à la ville de Narbonne et à l’injonction de s’abstenir à l’avenir de tout acte de guerre31. De ce fait, avancent les consuls, plus personne n’osait désormais approvisionner la ville, ce qui renchérit considérablement le prix des vivres, d’autant que les mercenaires d’Aymeric VI adoptèrent vis-à-vis des populations narbonnaises le comportement ordinaire des gens d’armes vivant sur le pays en se saisissant de tout le bétail qu’ils pouvaient trouver non seulement sur le territoire de Narbonne32 mais aussi sur les terroirs avoisinants de Peyriac-de-Mer, Sigean, Moussan et Névian33. Un bref aperçu sur une carte permet de se rendre compte que, en contrôlant les castra de Coursan, de Cuxac, de Marcorignan et Bizanet – possessions vicomtales – et en faisant ravager les alentours de Peyriac-de-Mer et de Sigean, au sud de la ville, le vicomte enserrait Narbonne dans un demi-cercle de fer et de feu qui recouvrait toutes les localités terrestres des environs, ne laissant ouvert qu’un espace maritime dont la liaison avec la ville avait été rendue délicate par la rupture de la payssière.

Corps souffrants, corps mutilés

  • 34 Ibid. : Quod vicecomes et eius gentes habuerunt et tenuerunt in dicto loco de Cucciaco plures et di (...)
  • 35 Ibid. : Quod vicecomes et eius gentes occiderunt plurimos homines habitatores ville Narbone predict (...)
  • 36 Ibid., FF 1468 : non erat ausus aliquis absque mortis periculo dictam villam exire, opportuit omnem (...)

9Ce marquage territorial s’accompagne de violences perpétrées sur les corps des hommes et des femmes, visant à marquer leurs chairs de la domination seigneuriale et dont les pendaisons signalées plus haut donnent un aperçu. Elles visent tout particulièrement ceux des Narbonnais qui, au quotidien, sont contraints de s’aventurer au-delà du cercle protecteur des murailles de la ville pour accomplir les nécessaires travaux agricoles dans les terres environnantes : ce sont donc les labradors et autres ortolans qui sont le plus exposés à la violence vicomtale et en paient le plus lourd tribut. Les consuls de Narbonne évoquent ainsi le fait que les troupes du vicomte emprisonnaient systématiquement les ouvriers agricoles qui se rendaient aux champs, les torturaient, les rançonnaient34 et les mettaient à mort lorsqu’ils n’étaient pas en mesure de se racheter35. La principale conséquence en fut que les champs ne purent être ensemencés, ni les vignes taillées et bouturées, ce qui provoqua un manque à gagner aussi bien pour les propriétaires terriens que pour les ouvriers agricoles qui, devant l’impossibilité dans laquelle ils étaient de travailler, ne percevaient plus aucun salaire36.

  • 37 Ibid., FF 722 : Cum Bernardus Rubey homo pauper et antiquus ville Narbone etatis centum annorum vel (...)
  • 38 Ibid., FF 722 : Item eciam ceperunt et depredati fuerunt et postmodum interfecerunt Bernardum Gaube (...)

10Dans leur mémoire, les consuls prennent appui sur des cas particuliers de violences individualisées faites aux faibles qui leur permettent de sortir d’un discours général et quelque peu convenu sur les actes de guerre dont se seraient rendues coupables les troupes vicomtales et d’accentuer l’effet de réel du récit. Un tel procédé qui s’explique en grande partie par des contraintes juridiques – chaque article devant être prouvé par des témoignages – donne ainsi un aperçu de la réalité des violences subies par les populations narbonnaises. Les consuls relèvent ainsi l’exemple de ce Bernat Rubei, vigoureux centenaire enlevé par les gens d’armes alors qu’il taillait et bouturait ses vignes et dont les hommes du vicomte, constatant qu’il n’avait pas de quoi se racheter, auraient arraché les dents avec des tenailles, provoquant ainsi sa mort sous la torture37. Ils s’attardent ensuite sur le traitement réservé à un certain Bernart Gaubert, tailleur de Narbonne, mis à mort par les routiers au service d’Aymeric VI et dont le cadavre dénudé fut jeté dans un trou plein d’eau et de boue, dont ses amis, moyennant la somme de trois francs, purent le retirer pour lui donner une sépulture chrétienne38.

  • 39 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Pari (...)
  • 40 Ibid. : Quod gentes armorum […] plurimas mulieres in dicto territorio exientes tam lucrandi vituum (...)
  • 41 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 2 : de quo est valde dolendum et inhumanum vi (...)
  • 42 Mémoire de Mardaillan à l’intendant Machaut de mai 1639 ; cité par Yves-Marie Bercé, Histoire des C (...)
  • 43 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1468 : animo furibundo in personam dicti Amieli cum ense (...)

11Enfin, le mémoire revient sur le châtiment infligé à plusieurs femmes surprises à ramasser du bois en-dehors de la ville et emmenées en captivité : les troupes du vicomte leur firent alors subir les pires sévices, arrachant les oreilles des plus âgées et violant les plus jeunes. Un tel comportement n’a rien d’inhabituel pendant la guerre de Cent Ans, les viols constituant l’un des crimes les plus courants commis par les routiers39. Les gens d’armes du vicomte, cependant, ne s’arrêtèrent pas au viol et choisirent de donner une publicité toute particulière à la libération de ces femmes, rajoutant l’humiliation à l’outrage. Après les avoir dépouillées de tous leurs biens, ils les dénudèrent jusqu’aux fesses et les renvoyèrent ainsi à Narbonne, les mains liées, les contraignant à exhiber aux yeux de tous leurs pudibunda40, ce qu’il est vraiment affligeant et inhumain de voir et d’entendre, ajoutent les consuls41. Or, il est relativement exceptionnel que des archives révèlent une telle exhibition volontaire de nudité dans le cas de femmes violentées, la plupart des sources se contentant d’attester l’existence de viols sans que l’on soit véritablement en mesure de déterminer si la dénudation demeure exceptionnelle ou s’il s’agit de jeter un voile pudique sur de telles pratiques. Nous n’avons trouvé dans la documentation qu’un seul comportement semblable, qui se situe dans le cadre de la répression de la révolte des Croquants en 1637 : à l’occasion de la reprise par les troupes royales de la petite ville de La Sauvetat qui s’était montrée favorable aux rebelles, les femmes et filles de cette localité furent non seulement violées mais encore menées « trois jours durant toutes nues dans l’armée »42. Violences contre des personnes âgées, violences perpétrées sur des cadavres, violences et humiliations faites aux femmes, le réquisitoire consulaire décrit une gradation dans l’intensité d’une violence perpétrée non seulement par les troupes vicomtales mais aussi par le vicomte en personne. Les consuls racontent aussi comment, animé de fureur à l’encontre d’un certain Amiel Paragier, de Védillan, qui se rendait souvent à Narbonne, Aymeric VI se serait rué sur lui et l’aurait frappé de son épée à tel point que l’on retira des blessures dudit Amiel cinq fragments d’os et qu’il en demeura impotent et diminué mentalement43.

Injures et défis : le terrain juridique

  • 44 Ibid. : Magister Johannus Arnaudi et magister Guiraudus Barrani notari regii, Guillelmus Pardulphi (...)
  • 45 Ibid. : Et cum tu, qui es de et ex illis preditoribus dicte ville Narbone, audes venire ad presenti (...)

12Plus encore pourtant que sur les faits d’armes du vicomte et de ses gens, c’est sur les violences verbales et symboliques à l’encontre des détenteurs de l’autorité royale et de la légalité juridique qu’insistent les consuls. Non content en effet d’avoir enfreint les lettres royales interdisant guerres privées et défis, le vicomte aurait refusé d’obéir au mandement du sénéchal de Carcassonne lui interdisant de faire la guerre, alors qu’un tel mandement avait été publié dans l’ensemble de la sénéchaussée, et n’aurait nullement tenu compte des appels formulés auprès du Parlement, ce que l’on a déjà vu à propos des deux hommes qu’il fit pendre à Moussan. Pire encore, il fit emprisonner deux notaires royaux – maître Johan Arnaut et maître Guiraut Barran – ainsi qu’un sergent royal du nom de Guilhem Pardulphe, qui étaient venus lui présenter des lettres royales, les fit détenir pendant onze mois dans ses prisons et ne les relâcha que contre rançon – dix francs pour le sergent royal, 600 francs pour les notaires –, après les avoir fait torturer44. Le vicomte aurait en outre fait interdire à tous ses sujets de recevoir des gens venant de Narbonne, et tout particulièrement, si ces derniers étaient porteurs de lettres royales et aurait menacé de jeter dans ses geôles un autre notaire royal venu à Cuxac, l’apostrophant en ces termes : « Comment toi, qui es du parti de ces voleurs de Narbonne, oses-tu venir te présenter devant moi ? »45. Dans la guerre qu’il livrait à la ville, il n’aurait pas même respecté les sauf-conduits délivrés par le duc de Berry, puisqu’il aurait également fait arrêter un écuyer de l’archevêque de Narbonne et un autre messager, tous deux porteurs d’un tel sauf-conduit. En somme, c’est aussi un défi juridique qu’aurait lancé le vicomte à la ville en situant volontairement le conflit sur le seul terrain des armes et en déniant au Parlement – et aux officiers royaux – toute autorité à intervenir en la matière dans une guerre qu’il considérait et mena comme une guerre privée, non pas entre un seigneur vassal du roi de France et une ville royale, mais entre un grand féodal et des sujets en rébellion contre son autorité – laquelle se réclamait aussi de celle du lieutenant du roi –, se heurtant en conséquence à la fois au pouvoir de l’archevêque et du chapitre de la ville dont il ne respecta nullement les franchises et aux autorités royales, sénéchal et Parlement de Paris en tête. On voit ici comment la situation de guerre généralisée dans le royaume et l’affaiblissement consécutif des moyens d’intervention du roi purent conduire un grand seigneur comme Aymeric VI à s’affranchir des règles en vigueur et à utiliser sciemment la violence comme un moyen d’action permettant de renverser une situation juridique qui lui était largement défavorable.

  • 46 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1462. Les lettres royales reprennent les principaux chef (...)
  • 47 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1476 en date du 5 février 1382 et FF 1480 en date du 6 m (...)
  • 48 En avril 1381, les consuls de Narbonne envoient un messager à Carcassonne pour prévenir ceux d’entr (...)
  • 49 L’accord est publié par Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièce justificative (...)

13Car, sur le plan juridique, les consuls furent loin de rester inactifs. Dès le 9 décembre 1381, ils formulèrent auprès du roi un appel pour se prémunir contre les actions d’Aymeric VI, parvinrent à se faire délivrer, le 15 janvier 1382, des lettres qui plaçaient la ville sous sauvegarde royale46 et obtinrent en février puis en mars de la même année des lettres d’ajournement devant le Parlement de Paris du vicomte et de ses adhérents, ce qui nous fournit deux listes relativement développées des forces seigneuriales au sein desquelles on compte, aux côtés de seigneurs possessionnés dans la région – ainsi de Guilhem de Peyrepertuse, seigneur de Villesèque-des-Corbières, Pierre Nègre, seigneur de La Redorte ou encore Jean de Voisins – des gens de guerre gascons – le bâtard de Séverac et Bertholi de Baure – et des chevaliers catalans, tels que Raymond de Bages, Guilhem Miquel ou un certain Carcassonne qualifié de garde des ports du roi d’Aragon47. Ces ajournements confirment d’ailleurs les allégations des consuls sur la composition des troupes vicomtales puisqu’ils reprochent à Aymeric VI d’avoir, outre les gens d’armes seigneuriaux dont il pouvait disposer, recruté des soldats anglais – qui sont vraisemblablement des routiers gascons – et des lances catalanes, l’engagement de mercenaires catalans étant par ailleurs corroboré tant par les comptes consulaires que par les lettres délivrées par Charles VI le 27 septembre 1382, qui décrivent des troupes vicomtales chargeant au cri de « Aragon ! Aragon ! 48. Le vicomte n’ayant cure des appels et autres ajournements, le Parlement ne put faire autrement que de prononcer, le 18 avril 1382, un défaut contre lui et ses complices et d’ordonner de se saisir d’eux et de les amener prisonniers au Châtelet de Paris mais ce défaut ne fut aucunement suivi d’effet, pas plus semble-t-il, que les lettres du sénéchal de Carcassonne, en date du 3 juin 1382, enjoignant aux officiers royaux d’empêcher les violences commises par le vicomte à l’encontre de la ville. Ce n’est, en fin de compte, pas avant le 19 septembre 1382 que, grâce à l’intervention d’une commission nommée par les États de la sénéchaussée de Carcassonne, une première trêve put être conclue à Lézignan sous l’égide du pouvoir royal, entérinée par accord qui prévoyait en particulier un certain nombre de restitutions de biens de Narbonnais confisqués au profit du vicomte et de ses familiers49.

En toile de fond : la révolte des Tuchins

  • 50 Vincent Challet, Mundare et auferre…, op. cit., vol. I, p. 76-78.
  • 51 Pour des exemples d’administration de la justice seigneuriale en contexte languedocien, voir Moniqu (...)
  • 52 Vincent Challet, « La révolte des Tuchins : banditisme social ou sociabilité villageoise ? », Médié (...)

14Enfin, à ce caractère de guerre privée, s’ajoute une dimension conflictuelle entre seigneurs et paysans qui dépasse largement le cadre narbonnais pour englober la quasi-totalité des terres de la viguerie, voire de la sénéchaussée de Carcassonne. Contrairement en effet, à l’image présentée par les consuls dans les différents mémoires adressés au Parlement de Paris, les villageois du Narbonnais et autres labradors ne se contentèrent pas de se poser en victimes expiatoires d’une violence déchaînée sur eux par le vicomte. La guerre privée que nous venons d’évoquer s’inscrit avec en toile de fond la rébellion des Tuchins, dont les sources attestent qu’ils furent fort actifs à Sigean, Bages, Lagrasse, Lézignan-Corbières, Carcassonne et surtout Aigues-Vives au nord-ouest de Narbonne, lieu de concentration important de Tuchins regroupés sous l’autorité d’un chevalier du nom de Pierre de Bré. Or, ces Tuchins combattirent avec obstination les routiers au service du duc de Berry dès leur apparition en Languedoc et les consuls de Narbonne ne se privèrent pas de cette force d’appoint, n’hésitant pas à engager à leur service des Tuchins venus de Lagrasse, Aigues-Vives, Lézignan-Corbières et Carcassonne, et ceci dès le mois de novembre 1381 – donc avant même que n’aient été émises les lettres de défi de la part du vicomte – et, au moins jusqu’au mois de juin 1382, la perte d’une partie des registres de clavaire du consulat ne permettant pas d’observer leur engagement au-delà de cette date. On voit ainsi régulièrement les consuls faire appel aux Tuchins pour diverses missions et les rétribuer soit en argent, soit en pain et en fromage, soit en vin même s’ils se gardent bien d’évoquer ces liaisons dangereuses dans leurs mémoires adressés au Parlement50. Ces mentions, toutefois, incitent également à déceler dans ce conflit une dimension qui est celle d’un affrontement entre un pouvoir seigneurial, qui entend profiter d’une situation de guerre et des communautés villageoises en armes qui ne se résignent pas à subir les déprédations commises à leurs dépens. Comme dans d’autres cas, à la violence seigneuriale répond une prise d’armes villageoise et les violences exercées sur les corps paysans – détention arbitraire, tortures, amputations de poings et essorillements, ces derniers rappelant par ailleurs les peines infligées par la justice seigneuriale aux voleurs51 – s’expliquent aussi par la réalité d’affrontements armés qui opposent troupes vicomtales et bandes de Tuchins dans le terroir narbonnais52.

  • 53 HGL, t. IX, p. 906-908.
  • 54 Acte du lieutenant du sénéchal de Carcassonne enjoignant aux deux parties de respecter la trêve éta (...)
  • 55 France, Narbonne, Archives municipales, AA 111, fol. 22 et suivants.

15De manière plus générale, il ne faut pas oublier que l’ensemble de notre connaissance de cette affaire se trouve largement biaisée par l’approche documentaire. N’ont, en effet, été conservés dans les archives que les mémoires préparés par les consuls de Narbonne en vue de leur action au Parlement. Or, le vicomte, afin de démontrer la légitimité de sa position, avait, lui aussi, fait rédiger un mémoire, aujourd’hui perdu, mais que les Bénédictins de Languedoc purent consulter. Or, dans ce document présenté au duc de Berry, le vicomte décrivait les actes de guerre commis par ses adversaires, à savoir la prise de Saint-Pierre-des-Clars déjà mentionnée, le pillage et l’incendie de sa bastide de Bougna – où, avance-t-il, les Narbonnais se seraient emparés de 4 000 setiers de blé –, le siège de son château de Fabrezan où se trouvaient sa femme, Béatrix d’Arborée ainsi que ses enfants, la prise de son château de Marcorignan où les troupes communales firent prisonniers six hommes d’armes et quatorze valets qui y avaient été laissés en garnison, la prise de Montredon et enfin le siège de Portel « où ils allèrent en armes découvertes, en matière de host, avec des bombardes et des canons » et incendièrent moulins et faubourgs53. De même, après la trêve de Lézignan, le vicomte n’hésita pas à faire remarquer que, au début du mois de novembre 1382 – le jeudi précédant la Saint-Martin d’hiver pour être précis – Bernat de Quimbal, capitaine des troupes narbonnaises, avait conduit une expédition militaire sur ses terres de Cuxac, avait emprisonné plusieurs hommes et en avait tué d’autres et s’était emparé de tout le bétail – bovin, équin et ovin précise le texte – qu’il avait pu trouver54. Les Narbonnais, on le voit, furent loin d’être les victimes innocentes d’un conflit dont ils auraient été les seuls à pâtir. En représailles, et sous l’égide du pouvoir consulaire, ils se livrèrent à un certain nombre d’opérations militaires à l’encontre des possessions vicomtales, dont les modalités ne semblent guère différentes de celles perpétrées par leurs adversaires puisque l’on y repère tout aussi bien des saisies de biens et de bétail que des incendies de moulins. En dépit de leurs protestations, la transaction finale, établie le 6 juillet 1388 après de longues tractations, n’est guère favorable aux habitants de Narbonne même s’il faut tenir compte du poids politique du vicomte : s’ils obtiennent justice à propos des droits de dépaissance en litige, Aymeric VI se voit confirmer son droit de nomination d’un capitaine de ville en temps de guerre et se voit surtout octroyer, à titre de dédommagements, la somme de 6 000 francs d’or tandis que les consuls sont contraints de renoncer à toute indemnité pécuniaire et que, dix jours plus tard, le duc de Berry leur rappelle qu’ils doivent obéir au vicomte comme à leur seigneur immédiat55.

  • 56 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 2.
  • 57 Dominique Barthélemy, L’ordre seigneurial XIe-XIIe siècle, Paris, Seuil, 1990, p. 7-8.

16Pour conclure cet aperçu sur la guerre du vicomte et le replacer dans une longue durée de la violence seigneuriale, il est possible de dire que, contrairement à ce que l’on a parfois affirmé, les derniers siècles du Moyen-Âge ne connaissent nulle baisse d’intensité des violences seigneuriales au profit d’une pacification générale du royaume assise sur l’établissement de normes juridiques promues par le Parlement de Paris, dont le ressort se confond désormais avec le royaume. Bien au contraire, la situation de guerre que connaît alors le royaume offre l’opportunité d’une relance de ces violences et d’une restauration de la domination seigneuriale qui, loin de passer seulement par la réaffirmation et la perception de droits seigneuriaux toujours plus contraignants ou l’imposition de contrats agricoles plus défavorables aux exploitants, sait parfaitement utiliser les ressorts d’une triple violence – territoriale, physique et juridique – pour modifier les rapports de force. En incendiant moulins et bastides, Aymeric VI marque le territoire narbonnais de sa domination ; par le biais des pendaisons, des amputations et des viols, il marque le corps des hommes et des femmes et fait de l’infirmité ou de la nudité les proclamations vivantes d’un pouvoir qui s’exerce encore au fil de l’épée ; par ses lettres de défis et son refus d’obtempérer aux ordres des officiers royaux ou du Parlement, il dénie au roi ce droit fondamental d’édicter ses normes sur un territoire que le vicomte considère toujours comme sien. Les labradors et ortolans dont il s’empare peuvent toujours en appeler au Parlement, leurs appels ne pèsent pas lourds face à la corde du bourreau ou se perdent dans l’obscurité des prisons où le vicomte les détient : in asperis carceribus et in fame dolore et magna miseria56, telle est, bien loin des chambres du Parlement, la seule litanie à laquelle peuvent recourir les victimes des geôles vicomtales. Anarchie féodale que tout cela57 ? Certes non mais bien réimposition par la force d’un ordre seigneurial contesté et qui voit dans l’exacerbation d’une violence maîtrisée le moyen de rétablir son autorité en recourant à des méthodes fort proches de celles qui, au tournant de l’an mil, lui avaient permis d’instaurer sa domination.

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Bibliographie

Sources non éditées

France, Narbonne, Archives municipales, AA 111.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièces 1 et 2.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1462.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1464.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1468.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1470.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1474.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1476.

France, Narbonne, Archives municipales, FF 1480.

France, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), ms. fr. 20 692, fol. 112.

Sources et références historiques imprimées

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Notes

1 Ces lettres de défi, retranscrites dans une délibération du conseil communal de Narbonne, sont publiées par Alphonse Blanc, Le livre de comptes de Jacme Olivier marchand narbonnais du XIVe siècle, Paris, Picard, 1889, t. II, pièce justificative CXI, p. 939-940.

2 Aperçu rapide et présentation du contexte dans Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc. Narbonne et Narbonnais 1300-1789, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 1996, t. I, p. 78-79.

3 Voir à ce sujet Vincent Challet, Mundare et auferre malas erbas : la révolte des Tuchins en Languedoc (1381-1383), thèse de doctorat, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2002.

4 La Chronique de Saint-Paul de Narbonne, qui y consacre une entrée succincte, n’évoque d’ailleurs que la guerre conduite par le duc de Berry : Anno MCCCLXXXI, fuit magna guerra in partibus istis, per dominum Johannem de Francia ducem Bituricensem et duravit per duos annos. Publié dans Claude Devic et Joseph Vaissète, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, 1875, t. V, col. 46 (désormais abrégé en HGL).

5 Voir à ce propos Raymond Cazelles, « La réglementation royale de la guerre privée de Saint Louis à Charles V et la précarité des ordonnances », Revue historique de droit français et étranger, 38, 1960, p. 530-548.

6 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1470. Les consuls évoquent également, dans cette pièce, des mercenaires anglais et d’autres fournis par le comte de Foix mais la plupart des documents ultérieurs insistent davantage sur la participation de gens d’armes catalans.

7 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1474 : quod non Deo quod ipse cum dictis litteris iret coram dicto domino vicecomite quia incontinenti ipse dominus vicecomes feceret ipsum suspendere per collum.

8 Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièces justificatives, p. 967.

9 Mandement de Jean de Berry au capitaine et aux consuls de Mirepesset de remettre à Étienne Ménart, écuyer du duc, quatre bœufs, un mulet et soixante chevaux chargés de blé appartenant à Bérenguier Donsire, habitant de Narbonne, donné à Capestang, en date du 26 septembre 1381. Ce mandement est retranscrit dans un appel des consuls de Narbonne formulé à l’encontre du duc de Berry et datant du 29 septembre ; France, Narbonne, Archives municipales, FF 1464.

10 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1464.

11 Sur cette expédition, voir Herbert James Hewitt, The Black Prince’s Expedition of 1355-1357, Manchester, 1958. Pour une approche centrée exclusivement sur Narbonne, voir Jacqueline Caille, « Nouveaux regards sur l’attaque du Prince Noir contre Narbonne en novembre 1355 », Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, t .109, 2009, p 89-103.

12 Gilbert Larguier, Le drap et le grain…, op. cit., t. I, p. 99.

13 Il est signalé parmi les prisonniers de Poitiers dans la liste que donne le Petit Thalamus de Montpellier ; voir http://thalamus.huma-num.fr/annales-occitanes/annee-1356.html; consulté le 17 mars 2020. Sur les différentes listes de prisonniers qui circulèrent, voir Françoise Beriac-Laine et Chris Given-Wilson, Les prisonniers de la bataille de Poitiers, Paris, Honoré Champion, 2002.

14 France, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), ms. fr. 20 692, registre de la retenue des gens d’armes en Guyenne, fol. 112.

15 Guy Bois, Crise du féodalisme, Paris, éditions de l’EHESS, 1976.

16 David Sassu-Normand, « Contrôle royal de l'espace et rivalités urbaines. La viguerie de Béziers et son démembrement au XIVe siècle », Annales du Midi, 2011, 123 (273), p. 27-57.

17 Marie-Laure Jalabert, Le Livre Vert de Pierre de la Jugie. Une image de la fortune des archevêques de Narbonne au XIVe siècle. Étude d’une seigneurie, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2009, p. 51-75.

18 Jacqueline Caille, « Narbonne, une et plurielle à la fois », in Patrick Gilli et Enrica Salavatori (dir.), Les identités urbaines au Moyen Âge. Regards sur les villes du Midi français, Turnhout, Brepols, 2014, p. 147-168.

19 Dominique Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris, Armand Colin, 2004.

20 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 1. Il s’agit d’une liste d’articles sans date, numérotés de 1 à 42, rédigée sur papier et récapitulant l’ensemble des griefs retenus par les consuls à l’encontre du vicomte. L’ensemble des articles se trouve aujourd’hui sur deux morceaux de papier distincts, les articles de 1 à 31 se trouvant sur la pièce cotée FF 722, pièce 1 et les articles numérotés de 32 à 42 se trouvant sur la pièce curieusement cotée FF 1468. Une comparaison entre les deux documents montre que le filigrane – un cor de chasse – est identique, de même que la main. Le dernier article précisant que tout ce qui précède est publica vox et fama, cette liste s’apparente à une liste préparatoire à une enquête recourant à des témoignages et destinée à être produite à l’appui d’un procès. Elle se termine d’ailleurs par une demande de condamnation du vicomte à verser à l’universitas de Narbonne la somme de 400 000 francs et à fonder quatre chapellenies à la mémoire de ses victimes. Le document coté FF 722, pièce 2 s’apparente à une mise au net de cette liste et comporte quelques variantes et quelques précisions supplémentaires par rapport au premier état documentaire. Les articles avancés par les consuls de Narbonne, à vocation judiciaire, restent certes en partie sujets à caution en l’absence d’éléments de preuve mais leur précision et la référence à des individus susceptibles de venir témoigner en justice incitent néanmoins à y percevoir, sinon une part de vérité, du moins une certaine vraisemblance.

21 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1464, en date du 29 septembre 1381. Saint-Pierre-des-Clars, c. de Montredon-des-Corbières, Aude.

22 Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièces justificatives, p. 996-1001. La prise du château de Saint-Pierre-des-Clars est rapportée dans des lettres de Jehan Leton, lieutenant d’Olivier de Clisson, connétable de France, données le 9 mars 1390 et qui accordent rémission aux Narbonnais pour les crimes commis à cette occasion.

23 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722 pièce 1 et FF 1468.

24 Vincent Challet, Mundare et auferre…, op. cit., vol. 1, p. 126-195.

25 Pierre Bonnassie, La Catalogne au tournant de l’An mil. Croissance et mutations d’une société, Paris, Albin Michel, 1990.

26 Moussoulens, ferme, commune de Cuxac-d’Aude, Aude. Les renseignements qui suivent sont empruntés aux documents déjà cités établis par les consuls de Narbonne : France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 1 et FF 1468.

27 Voir, pour une comparaison avec la période féodale, l’article d’Alexandre Vergos dans ce même dossier.

28 La construction de ce barrage et du canal de la Robine fut rendue nécessaire au début du XIVe siècle par le changement du cours de l’Aude qui se détourna de Narbonne.

29 Sur cette affaire, voir Vincent Challet, Mundare et aufferre.., op. cit., p. 394-395.

30 Sur Jacme Olivier, outre l’introduction d’Alphonse Blanc qui précède la publication de son livre de comptes, voir Gilbert Larguier, Le drap et le grain…, t. 1, p. 117-133. Pour les Vidal de Castres, voir Ibid., t. 1, p. 110-113. Jacme Vidal de Castres possédait la Bastide d’Ensérune (aujourd’hui Régimont, ferme, commune de Pilhes, Aude) qui lui confisquée pour participation à la rébellion narbonnaise, ce qui entraîna un long procès au Parlement de Paris ; voir les plaidoiries et l’arrêt rendu à ce sujet dans Vincent Challet, Mundare et aufferre.., op. cit., Annexes, vol. II, p. 21-30. Bérenger Vidal de Castres possédait des biens à Ouveillan et à Bize-Minervois qui lui furent également confisqués dans le même contexte.

31 Lettres délivrées par Charles VI le 27 septembre 1382 ; publiées par Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièce justificative CXV, p. 959-961.

32 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 1 : Quod dictus vicecomes […] guerram apertam faciens gentibus et habitatoribus ville Narbonne et hostiliter discurrens seu discurrere faciens territoriam ville predicte cepit et capere mandavit totum bestiarum cujuscumque generis seu speciei esse quod infra dictum territorium posse repperiri et ita factum extitit.

33 Ibid. : que les gens d’armes du vicomte ceperunt multos et diversos homines tam de Narbona quam diversorum aliorum castrorum portantes diversas peccunias et diversas alias res et mercaturas et victualia et diversa animalia grossa et minuta tam de Narbona, de Petriaco, de Seyano, de Mossiano, de Neviano quam de diversis aliis locis.

34 Ibid. : Quod vicecomes et eius gentes habuerunt et tenuerunt in dicto loco de Cucciaco plures et diversos homines prisonerios agricultores et pauperes tam de Narbona quam aliunde et eos per diversa et inhumania tormenta compulerunt ad se redimendum eis ultra quam supportant eorum facultates, eo quia non habebant de quo possent solvere et per magna tempora detenti fuerunt in asperis carceribus et in fame dolore et magna miseria.

35 Ibid. : Quod vicecomes et eius gentes occiderunt plurimos homines habitatores ville Narbone predicte et usque ad numerum viginti quinque hominum et ultra, quos necessario pro adquerendo vitam eorum exire dictam villam opportebat, causa excolendi agros seu vineas et alias possessione hominium ville predicte ; que persone occise fuerunt eo pretextu quia ab eisdem redempcio peccuniam haberi non poterant.

36 Ibid., FF 1468 : non erat ausus aliquis absque mortis periculo dictam villam exire, opportuit omnem agriculturam deserere et omnes terras laboraturas incultas et heremas permanere et eciam vineas absque putatione et propaginacione.

37 Ibid., FF 722 : Cum Bernardus Rubey homo pauper et antiquus ville Narbone etatis centum annorum vel circa, exivisset muros ville Narbonne causa putandi et propaginandi quamdam vineam quam habebat, prefate gentes armorum ipsum Bernardum ceperunt et aprisionaverunt […] et ipsum quia nichil possidebat et non habebat de quo se redimeret inhumaniter questionaverunt et dentes ipsius ab ore suo erradicaverunt, occasione quorum tormentorum dictus Bernardus ibidem decessit et dies suos clausit extremos.

38 Ibid., FF 722 : Item eciam ceperunt et depredati fuerunt et postmodum interfecerunt Bernardum Gauberti sartorem Narbone inventum in terminalibus ville Narbone, spoliarunt eum de omnibus vestibus suis quas portabat et eum posuerunt in quadam cava in qua erat magna aqua et lutum ; et postmodum tractantibus quibusdam amicis dicti interempti docuerunt locum ubi dictus interemptus positus extiterat, interveniente penitus precio trium francorum realiter consolutorum, ad finem quod dictus interemptus abinde extrahi posse et corpus suum apud Narbonam portari et tradi ecclesiastice cepulture.

39 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991 ; Pierre Prétou, Crime et justice en Gascogne à la fin du Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

40 Ibid. : Quod gentes armorum […] plurimas mulieres in dicto territorio exientes tam lucrandi vituum suum et eciam causa habendi ligna et alia eis necessaria ceperunt et aprisionaverunt, et apud bastidam de Abonhano dicti domini vicecomitis adduxerunt. Et demum aliquibus ex eis aures removerunt et alias per aliqua tempora retinuerunt et forte non sine macula earum honestatis et pudicitie, retente extiterunt. Postmodum que depredate vestibus bonis et aliis rebus quas secum habebant, totonsis vestibus usque ad nates, vituperose et inhoneste ligatis manibus atergo pudibunda hostendendo apud Narbonam abire permiserunt.

41 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 2 : de quo est valde dolendum et inhumanum videre et audire.

42 Mémoire de Mardaillan à l’intendant Machaut de mai 1639 ; cité par Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants, Paris, Seuil, 1986, p. 170.

43 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1468 : animo furibundo in personam dicti Amieli cum ense evaginatio ipse dominus vicecomes irruit et in pluribus partibus sue persone vulneravit occasione quorum vulnerum fuerunt quinque ossa tam magna quam parva de corpore dicti Amieli extrata et in periculo mortis fuit constitutus, quodque impotens et non bene compos in mentis prout erat antea extitit reductus.

44 Ibid. : Magister Johannus Arnaudi et magister Guiraudus Barrani notari regii, Guillelmus Pardulphi serviens regius qui exequendo litteras regias consernentes dictum vicecomitem capti et apprisionati fuerunt mandato ipsius vicecomitis antedicti et per undecim menses in carceribus compeditatos tenuit et maximas peccuniarum quantitates eciam vi tormentorum ab eis habuit et extorsit.

45 Ibid. : Et cum tu, qui es de et ex illis preditoribus dicte ville Narbone, audes venire ad presentiam meam. Et cominando sibi de faciendo intrudi in carceram, quod fecisset et facere volebat nisi presentes populi dicti loci illud impedissent, ex quibus precibus dictus dominus vicecomes ipsum habire permisit.

46 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1462. Les lettres royales reprennent les principaux chefs d’accusation des Narbonnais à l’encontre de leur vicomte et lui reprochent, en outre, de s’être associé avec des routiers et des Anglais.

47 France, Narbonne, Archives municipales, FF 1476 en date du 5 février 1382 et FF 1480 en date du 6 mars 1382. Jean de Voisins était seigneur de Couffoulens, Arques, Pezens et Puivert et Pierre Nègre possédait les seigneuries de Blomac et de La Redorte.

48 En avril 1381, les consuls de Narbonne envoient un messager à Carcassonne pour prévenir ceux d’entre eux qui s’y trouvent « quels Catalas los esperavan » (Alphonse Blanc, Le livre de comptes, op. cit., t. II, extraits des comptes consulaires, p. 951). Les comptes consulaires dont Alphonse Blanc publie des extraits ne se trouvent malheureusement plus aux Archives Municipales de Narbonne à l’heure actuelle. Les lettres de Charles VI adressées au sénéchal de Carcassonne, reprochent au vicomte d’avoir engagé des mercenaires Cathalanis, clamando Aragon, Aragon (France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 2).

49 L’accord est publié par Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièce justificative CXIV, p. 952-958.

50 Vincent Challet, Mundare et auferre…, op. cit., vol. I, p. 76-78.

51 Pour des exemples d’administration de la justice seigneuriale en contexte languedocien, voir Monique Bourin et Vincent Challet, « Temps, lieux et supplices : les mémoires paysannes à l’épreuve de l’enquête (Vendres, fin du XIIIe siècle) », Annales du Midi, 2013, 125 (n° 282), p. 239-262 et Vincent Challet, « Les fourches sont-elles vraiment patibulaires ? Les fourches et leur contraire à partir de quelques exemples languedociens », Criminocorpus [En ligne], Martine Charageat et Mathieu Vivas (dir.), Les Fourches Patibulaires du Moyen Âge à l’Époque moderne. Approche interdisciplinaire, mis en ligne le 25 septembre 2015, consulté le 18 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/3033

52 Vincent Challet, « La révolte des Tuchins : banditisme social ou sociabilité villageoise ? », Médiévales, 34, 1998, p. 101-112.

53 HGL, t. IX, p. 906-908.

54 Acte du lieutenant du sénéchal de Carcassonne enjoignant aux deux parties de respecter la trêve établie à Lézignan, en date des 13 et 14 novembre 1382 ; publié par Alphonse Blanc, Le livre de comptes…, op. cit., t. II, pièce justificative CXVI, p. 968.

55 France, Narbonne, Archives municipales, AA 111, fol. 22 et suivants.

56 France, Narbonne, Archives municipales, FF 722, pièce 2.

57 Dominique Barthélemy, L’ordre seigneurial XIe-XIIe siècle, Paris, Seuil, 1990, p. 7-8.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Challet, « In asperis carceribus et in fame dolore et magna miseria : de quelques violences seigneuriales pendant la « guerre du vicomte » à Narbonne et dans ses environs (1381-1382) »Criminocorpus [En ligne], 18 | 2021, mis en ligne le 15 avril 2021, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/9317 ; DOI : https://doi.org/10.4000/criminocorpus.9317

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Auteur

Vincent Challet

Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay/Saint-Cloud et agrégé d’histoire, Vincent Challet est maître de conférences à l’université Paul-Valéry Montpellier-III. Après une thèse consacrée à la révolte des Tuchins, il poursuit actuellement ses recherches sur les révoltes et les communautés politiques en Languedoc à la fin du Moyen-Âge. Il a codirigé les ouvrages suivants La comunidad medieval como esfera publica (2014) et The Voices of the People in Late Medieval Europe. Communication and Popular Politics (2014) et a dirigé le projet ANR consacré au « Petit Thalamus » de Montpellier et l’ouvrage qui lui est dédié, Aysso es lo comessamen : écritures et mémoires du Montpellier médiéval (2017).

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