Jill Carrick, Nouveau réalisme : retour sur les topographies du hasard

Paris : Ed. de la Sorbonne, 2018, 192p. ill. en noir et coul. 24 x 16cm
Bibliogr. Index
ISBN : 9791035100650. _ 28,00 €
Trad. d’Hélène Sirven
Texte intégral
1Bonne nouvelle que cette traduction en français d’un ouvrage paru en 2010 et qui s’attache à réévaluer le Nouveau Réalisme à l’aide de divers outils théoriques (marxisme, féminisme, freudisme, etc.). Jill Carrick porte une attention particulière à ce qu’Arman appelait la « dérestanysation », c’est-à-dire à l’examen des prises de position du fédérateur du groupe, Pierre Restany, et ce, à partir des critiques qui sont rapidement apparues à la suite de la naissance du Nouveau Réalisme (Gérald Gassiot-Talabot par exemple, qui convoqua à ce propos le Roland Barthes des Mythologies), mais également du fait des artistes mêmes de ce rassemblement hétéroclite, et tout particulièrement de Daniel Spoerri et sa Topographie anécdotée du hasard où l’autrice voit comme une alternative à la doxa restanienne.
2L’approche de Jill Carrick est passionnante à plus d’un titre. Par exemple, la question du leadership au sein même du Nouveau Réalisme n’allait pas de soi, loin s’en faut. Qui, en effet, pouvait prétendre incarner à lui seul le mouvement ? Restany le critique et le théoricien (une théorie que d’aucuns, à juste titre, jugèrent un peu légère) ? Yves Klein, le génie solaire, l’as de l’appropriation ? Raymond Hains, qui souffla tout à Restany comme le prétend Gérard Deschamps ? Le focus Spoerri a le mérite de ramener à la surface un certain nombre d’aspects que l’optimisme consumériste, consensuel et somme toute conservateur de Restany avait sciemment négligés, et en premier lieu la question de la violence et des traumas (la destruction, la guerre…), celle aussi de la critique sociale que les objets « nouveaux réalistes » ne pouvaient que poser, celle du fétichisme (celui de la marchandise comme celui des fixations sexuelles), parmi d’autres. En examinant les antagonismes propres à l’époque et qui opposèrent le Nouveau Réalisme au Pop Art, mais plus encore au Situationnisme ou aux tenants de la Figuration narrative, en s’arrêtant sur les œuvres d’artistes marquants (Nikki de Saint-Phalle, Arman, Yves Klein ou Daniel Spoerri, ce dernier ouvrant la voie à un fort bienvenu lien avec l’écrivain Georges Perec), Jill Carrick trace ou confirme des pistes très fécondes pour quiconque cherche à se forger une opinion du Nouveau Réalisme qui ne tombe pas dans les pièges de l’orthodoxie. Les limites de l’entreprise proviennent toutefois d’une prise en compte très lacunaire d’un certain nombre d’artistes du groupe : rien sur César, rien sur les affichistes, très peu sur Raysse. On peut surtout regretter que Jill Carrick n’ait pas cru bon d’échanger avec Gérard Deschamps. Elle aurait constaté que la plupart des critiques du restanysme que son livre contient, Deschamps n’a cessé de les poser, parfois avec virulence, mais la plupart du temps avec justesse et lucidité. Au-delà du désaccord entre Deschamps et Restany, un examen même rapide de l’œuvre du benjamin du groupe aurait montré que la question de la guerre n’apparaît pas seulement chez Arman ou chez Spoerri, mais sans doute plus directement chez Deschamps qui passa vingt-huit mois comme soldat en Algérie. On ne tient jamais assez compte des récits autorisés.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Marc Huitorel, « Jill Carrick, Nouveau réalisme : retour sur les topographies du hasard », Critique d’art [En ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 27 mai 2020, consulté le 18 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/critiquedart/46604 ; DOI : https://doi.org/10.4000/critiquedart.46604
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