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AccueilNotes de lectureToutes les notes de lecture en ligne2020 Philippe Blanchon, Gertrude Stein

2020

Philippe Blanchon, Gertrude Stein

Anne Meriglier
Gertrude Stein
Philippe Blanchon, Gertrude Stein

Paris : Gallimard, 2020, 304p. ill. en noir et en coul. 18 x 11cm, (Folio. Biographies)

ISBN : 9782072741937

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Texte intégral

1Gertrude Stein, racontée par Philippe Blanchon, écrivain, traducteur, éditeur… L’histoire d’une vie dédiée sans reste à l’écriture, une vie qui ne tente rien moins que la génialité, et de bout en bout n’en doute pas, mais aura nécessité de s’inventer au creuset de la peinture, et de peintres fréquentés sans relâche. Où cette aventure rare, d’une écriture qui surgit de l’art d’autres que sien, a-t-elle commencé ? Cette biographie s’attèle au mystère, sans l’éreinter, mystère d’une femme qui écrit comme l’on peint, qualifie son grand ami Pablo Picasso de « calligraphe » et se trouve généralement incapable de fiction, celle qui veut écrire… Furieuse et précoce lectrice, goûteuse boulimique des histoires des autres, c’est par le geste délicat de peindre, transposé en « insistances » – qu’elle récuse qu’on puisse nommer « répétitions » terme au fond trop linguiste –, c’est par la contemplation, celle du peintre, et la méditation du modèle qui se laisse voir et trace déjà en soi d’invisibles lignes devenant phrases, qu’elle construit, énergiquement, sa route d’écriture.

2A la différence de son frère Leo, si proche et si lointain, pris au piège de son discours sur l’art et son propre fantasme de l’être, peintre – demeuré sans œuvre – elle se tait. Si l’un est disert, l’autre s’abstient, regarde et naît. Posant pour Picasso, à l’orée de leur devenir artiste, peinte durant une centaine de séances, Gertrude continue de se taire. Dans le sillage de ce frère qui l’entraîne vers les révolutions plastiques que le jeune XXe siècle prépare, elle absorbe et se défait – de la théorisation, du commentaire, du commentaire du commentaire, des idées qui alourdissent les élans. Bien plus tard elle osera le dire, écrivant elle ne sait pas ce qu’elle fait. Or, elle a inventé une écriture d’une radicalité de force égale et opposée à celle de James Joyce. Les voilà donc, frère et sœur, à tenir salon rue de Fleurus, leur « atelier » de collectionneurs, son atelier d’écriture. C’est devant La Dame à l’éventail de Paul Cézanne que s’accomplit sa première tentative littéraire sérieuse, Trois vies. Et le geste cézannien modèle le futur geste steinien. Les amitiés et rencontres sont de peintres, point encore d’écrivains rue de Fleurus – d’ailleurs elle ne parvient pas à se faire publier. Le bouillon intellectuel dans lequel elle trempe est plastique.

  • 1 Loy, Mina. « Gertrude Stein », Il n’est ni vie ni mort, Poésie complète, Caen : Nous, 2017. Poème é (...)

3Elle est prête pour Picasso, il sera prêt pour elle, leur rencontre est majeure, d’une visibilité totale. Sans en rien savoir, tous deux fabriquent concomitamment et main dans la main leur esthétique, le cubisme, pourrait-on dire en peinture et en écriture. Gertrude Stein est plantée, telle une énorme pierre, au cœur du modernisme des Arts. Elle pose : les peintres Pablo Picasso, Félix Valloton, Francis Picabia, les sculpteurs Jacques Lipchitz et Jo Davidson, les photographes Man Ray, Carl Van Vechten, Cecil Beaton et Alvin Langdom Coburn. Elle acquiert des toiles, s’en enveloppe pour écrire. Elle écrit sur l’art. C’est un critique des arts vivants – qui ont leur plastique… –, Carl Van Vechten, qui deviendra son premier chevalier à l’assaut de maisons d’édition effrayées devant ses expérimentations à l’avant-garde. Nombre de ses ouvrages s’articulent à des lithographies, des photographies. La voilà écrivant littéralement des « natures mortes » dans Tendres boutons, et ses Portraits sont l’exercice patient d’un regard qui ajuste, touch by touch, sa focale. Sa prose, qui va de l’œil à l’oreille, a des « qualités hypnotiques » (p. 149) et tente ses collages, qui s’essaient alors en peinture. Cubiste des lettres sans école, sauf à considérer qu’elle fait école avec Pablo Picasso, Georges Braque, Juan Gris, elle perturbe systématiquement la grammaire et les rapports de causalité. Il existe une autre biographie d’importance de Gertrude Stein, celle de Nadine Satiat, une somme, il faut être fou de littérature et de peinture pour se tenir à la hauteur de ces 1 290 pages. Celle-ci est plus modeste, heureusement pour les lecteurs modestes, et amateurs d’art. Son attention aux liens puissants qui unissent en cette œuvre écriture et peinture est caractéristique. Elle ne fait jamais l’économie d’un savoir précis, jusqu’aux techniques picturales, ni celle d’un ton à l’occasion moqueur, envers la géante… « Curie / du laboratoire / du vocabulaire / elle broyait / le tonnage / de la conscience / en phrases / coagulées / pour en extraire / le radium du mot »1

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Notes

1 Loy, Mina. « Gertrude Stein », Il n’est ni vie ni mort, Poésie complète, Caen : Nous, 2017. Poème écrit entre 1914 et 1925.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Meriglier, «  Philippe Blanchon, Gertrude Stein », Critique d’art [En ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 30 novembre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/critiquedart/67703 ; DOI : https://doi.org/10.4000/critiquedart.67703

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