1Le terme « Intuition » du titre pourrait à lui seul résumer l’ensemble de ces notes relevant autant de la pensée philosophique – on pourrait même parler d’intuition philosophique – que de la critique ou de la seule observation. On se retrouve projeté dans l’univers fragmentaire de Arnaud Claass, photographe français né en 1949, comme on l’est à la lecture des Minima Moralia de Theodor W. Adorno. Dans notre société actuelle où la qualité du travail est évaluée en fonction du contrôle que l’on a de la situation ou de la matière travaillée, Arnaud Claass nous rappelle que la photographie est un regard nécessairement subjectif. L’objectivité n’existe pas et le contrôle est un leurre. Une prise de vue est un acte irréfléchi au sens où il ne dépend pas d’un projet, d’une anticipation consciente, d’un calcul intellectuel visant à prendre un cliché idéalisé. D’ailleurs, si la photographie obtenue représentait vraiment ce que le photographe a préalablement imaginé, vaudrait-elle la peine d’être prise ? En tout cas, c’est vers ce questionnement que nous entraîne l’auteur en nous parlant, parfois, de ses observations en phrases simples, explicites, qui font surgir des images. Ces textes sont des photographies non prises qui mériteraient probablement d’être exposés en tant que tels. On comprend au fil de la lecture pourquoi l’oubli de l’intuition peut être dangereux : il fait prendre le risque de la surinterprétation autant pour le photographe, qui peut mésinterpréter son propre travail, que pour le critique, le journal ou tout individu exploitant l’image. Arnaud Claass nous met en garde contre le principe qui consiste à tenter de faire passer un message clair à travers la photographie car une grande part de l’expression de chaque artiste réside dans ce qu’il ne peut pas contrôler. La seconde partie de l’ouvrage, Regard perdu, nous plonge de manière assez abrupte dans une ambiance très différente. L’image, toujours présente, est évoquée sous l’angle du deuil, rendant ces notes particulièrement difficiles à lire, parfois. Avec une extrême pudeur, Arnaud Claass parle de son épouse qui vient de mourir en mettant en place un univers très « barthien », entre Le journal de deuil et La chambre claire. Son rapport à l’image, au souvenir, se métamorphose par le biais de l’absence. Celle qui a été apparaît en creux dans chacun des textes et on comprend à quel point le regard photographique est dépendant de celui qui le possède. On ne peut s’extraire de cette subjectivité fondamentale qui doit nous pousser à accepter l’intuition photographique comme élémentaire.