1Le catalogue de l’exposition Tetsumi Kudo: Retrospective, au Fridericianum de Cassel en 2016-2017, dont le commissariat était assuré par Susanne Pfeffer, s’affirme d’emblée – et précisons-le, dans le meilleur sens du terme –, comme un livre d’images. L’ambition iconographique de l’ouvrage doit être en effet relevée : la sculpture de Tetsumi Kudo est faite d’une poétique du divers qui assemble des éléments de taille, de textures et de couleurs différentes, dans des compositions le plus souvent grinçantes, gagnant à être vues dans le détail. À côté d’images d’archives (de performances entre autres) en noir et blanc, de valeur documentaire, on ne peut que se réjouir de voir autant de vues rapprochées d’œuvres, mais aussi de photographies dont l’éclairage (ou l’absence d’éclairage) et la qualité d’impression rendent pleinement justice aux couleurs souvent fluorescentes, et parfois phosphorescentes, usées par l’artiste. Passés les trois premiers quarts de la publication dédiés aux images, donc, à la lecture des textes des différent·e·s auteur·e·s, on peut s’interroger sur les conditions de réémergence d’une telle œuvre, constituée entre la seconde moitié des années 1950 et la fin des années 1980, principalement à Paris. C’est que la production de Tetsumi Kudo a été moins vue et commentée un temps, avant d’entamer récemment un mouvement en sens inverse : la commissaire attribue ces allers et retours à la place nouvellement occupée par le post-humanisme et le néo-matérialisme dans le climat intellectuel contemporain, que l’artiste aurait devancé (Susanne Pfeffer, « Bottled Humanism », p. 267). De même, la lecture d’une contribution se centrant sur la représentation du pénis chez l’artiste (Antje Krause-Wahl, « Reproduction and Procreation–Tetsumi Kudo’s Phallic Displays », p. 291-299) peut donner à penser que l’importance croissante donnée aux thématiques de genre et de sexualités en histoire de l’art aurait à voir avec la réhabilitation de l’œuvre. En cherchant à remémorer les catastrophes nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki, Tetsumi Kudo atomisait non seulement le corps humain sur le plan littéral, rendu méconnaissable par son éclatement, mais lui faisait également subir une perte violente de spécificité (et par là de supériorité) face au végétal, en annonçant, là encore, un pan entier de sensibilité écologique plus contemporaine, fût-ce de la faute au pire. A la différence de Yayoi Kusama par exemple – dont la réception est sans commune mesure –, au nombre des artistes héritiers du surréalisme sur la scène de l’art des années 1960 façonnant une abstraction que Lucy Lippard a pu dire « excentrique », dans les mêmes années à New York, Tetsumi Kudo reste l’auteur d’une œuvre porteuse d’une forme de prescience, à réévaluer encore.