Inventions et inventaires : nouvelles histoires de l’art contemporain africain
Montpellier : MO.CO. ; Milan : Silvana, 2021, 192p. ill. en noir et en coul. 27 x 22cm, fre/eng
Biogr.
ISBN : 9788836648870. _ 35,00 €
Sous la dir. de Pauline Faure. Préf. de Nicolas Bourriaud. Textes d’Eva Barois de Caevel, Christine Eyene, Alain Mabanckou, Marie-Cécile Zinsou
Leuven : Leuven University Press, 2021, 271p. ill. en noir et en coul. 30 x 20cm, eng/dut
Biogr.
ISBN : 9789462702363
Sous la dir. de Pieter Boons, Sandrine Colard. Postf. de Sara Weyns. Textes de Filip De Boeck, Bas De Roo, Nadia Yala Kisukidi, Sorana Munsya, Léonard Pongo
Paris : Institut national d’histoire de l’art : Nouvelles éditions Place, 2021, 208p. ill. en noir et en coul. 28 x 23cm, (Déborder)
ISBN : 9782376280873
Sous la dir. de Zahia Rahmani. Postf. de Cyrille Zola-Place
Paris : Institut national d’histoire de l’art : Nouvelles éditions Place, 2021, 205p. ill. en noir et en coul. 28 x 23cm, (Déborder)
ISBN : 9782376280736
Sous la dir. de Zahia Rahmani
Zurich : JRP/Editions, Paris : Fondation Antoine de Galbert, 2021, 416p. ill. 23 x 15cm, (Lectures Maison Rouge)
Expo. Index
ISBN : 9783037645628
Sous la dir. de Cédric Vincent
Paris : Musée du quai Branly : Gallimard, 2021, 260p. ill. en noir et en coul. 26 x 20cm
Biogr.
ISBN : 9782357441262. 9782072892486. _ 42,00 €
Sous la dir. de Philippe Dagen. Préf. d'Emmanuel Kasarhérou. Texte de DiagnSouleymane Bachir Diagne
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- Lire le compte rendu de Emilie Goudal
Publication le 04 juin 2022
Texte intégral
- 1 Sète : Musée International des Arts Modestes (MIAM), 24 octobre 2018-10 mars 2019 ; Paris : Cité d (...)
- 2 9 février-27 juin 2021
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- 5 Dagen, Philippe. Primitivismes (1) : une invention moderne, Paris : Gallimard, 2019 ; Primitivismes (...)
1L’année 2021 aura offert au visiteur diligent de nombreuses occasions d’observer l’art contemporain africain en ses œuvres : de Kinshasa Chroniques, successivement exposée au Musée des Arts Modestes de Sète puis à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine1, à Ex Africa : présences africaines dans l’art d’aujourd’hui, présentée par Philippe Dagen au Musée du quai Branly2, en passant par l’expérience immersive de Congoville3, initiée au Middelheimmuseum par Sandrine Colard, et par les Cosmogonies4 qui regroupent au MO.CO. de Montpellier l’importante collection de la Fondation Zinsou (Bénin), on aura pu se familiariser avec les masques-bidons de Romuald Hazoumé, avec l’installation audiovisuelle Sismographie des luttes, élaborée par Zahia Rahmani à partir du dépouillement de mille revues non-européennes ou diasporiques, avec les toiles de Cyprien Tokoudagba, directement inspirées de l’art royal d’Abomey, les performances des Kongo Astronauts et bien d’autres encore. Après avoir marché sous l’arche végétale monumentale de Kapwani Kiwanga (Flowers for Africa), après avoir mesuré du regard les monceaux de masques « passeports » et autres productions touristiques accumulées par Théo Mercier (Pièces rapportées), après avoir effleuré du doigt les dizaines de préservatifs qui forment la virevoltante tenue de « l’homme capote » arborée par Tickson Mbuyi, ce visiteur diligent pourrait ressentir un certain vertige et exiger à bon droit que lui soit prodiguée une série de repères, si ce n’est une boussole qui pointerait, une fois n’est pas coutume, vers le Sud. Sa légitime perplexité ne sera pourtant qu’accrue si, cherchant des réponses aux questions qui le taraudent, il se tourne vers la riche anthologie récemment publiée par Cédric Vincent, Art contemporain africain : histoire(s) d’une notion par celles et ceux qui l’ont faite (1920-2020). En feuilletant ses pages, il trouvera entre autres une scène de chasse, composée en 1929 par le peintre malien Kalifala Sidibé (p. 135), une tenture abstraite du Ghanéen El Anatsui et une poupée en plastique rouge produite par une entreprise chinoise installée au Nigéria, mais utilisée par les femmes yorubas comme substitut aux statuettes ibeji qui servaient au culte des jumeaux (p. 373). Comment, à partir de ces pratiques et de ces objets distincts autant que divers, penser la cohérence de ce qu’il conviendrait d’appeler « art contemporain africain », et d’acheter sous ce même label prometteur ? La fragilité du concept ne saurait tenir à sa relative nouveauté : réunissant des textes publiés entre 1920 et 2010, cette anthologie témoigne de l’ancienneté d’une notion irréductible au vocabulaire du primitivisme, récemment exploré par Philippe Dagen5. Plus qu’à la fraîcheur d’une tendance nouvelle, l’incertitude qui s’attache à elle résulte de la relative indécision de chacun de ses termes. Ainsi Cédric Vincent note-t-il que « rien dans "art contemporain africain" ne va de soi » (p. 16), avant de s’employer à mettre à l’épreuve les trois concepts sollicités. L’art, tel que le définissent les marchands et les collectionneurs occidentaux, est-il bien l’équivalent du nka auquel faisait référence le peintre nigérian Ben Enwonwu, et que reprirent avec succès les fondateurs de la revue du même nom, Okwui Enwezor, Salah M. Hassan et Olu Oguibe ? Le terme de contemporain désigne-t-il simplement le « leurre de la chronologie », ou revêt-il une dimension normative, imposant de rattacher les pratiques concernées au paradigme du modernisme ou à la dynamique des avant-gardes ? Quant à l’Afrique, est-elle continentale ou diasporique, coloniale ou postcoloniale, locale ou mondialisée ?
- 6 Urbain, Jean-Didier. L’Idiot du voyage : histoires de touristes, Paris : Librairie Plon, 1991
2Au-delà de ces incertitudes terminologiques, l’instabilité de la notion semble avant tout liée à son écartèlement entre des pôles contradictoires. Tiraillé entre tradition (figurative, africaine) et modernité (abstraite, occidentale), entre le regard rétrospectif sur l’histoire coloniale et la projection dans un futur postcolonial radieux, entre l’artisanat et la performance, entre ancrage local et vocation globale, entre authenticité et imitation à destination des touristes et autres « idiots du voyage6 », l’art contemporain africain n’en est pas à son premier paradoxe : la liste des neuf « contradictions » établie par Susan Preston-Blier en 2002 (p. 111 et suivantes) pourrait être étendue à loisir, et richement illustrée. Cette série de dilemmes, que l’anthologie de Cédric Vincent contribue à formaliser et à replacer dans le contexte historique de leur apparition, peut être subsumée sous l’opposition fondatrice de deux termes, dont l’étymologie apparentée suggère faussement l’équivalence : l’inventaire et l’invention. L’invention de l’art contemporain africain (le terme désignant aussi bien l’innovation artistique ou scientifique, que l’exhumation d’un trésor enfoui et ignoré des hommes) passe par une pulsion d’inventaire, dont les origines remontent à la période coloniale. Inversement, l’inventaire de l’art contemporain africain nourrit depuis près d’un siècle sa perpétuelle ré-invention.
- 7 Samoyault, Tiphaine. « Décoloniser les colonnes », Sismographie des luttes : répliques : vers une h (...)
3Comprendre l’interaction complexe de ces deux pôles, telle qu’elle est en jeu dans la plupart des expositions et des ouvrages mentionnés ici, suppose de renoncer à deux tentations binaires – celle d’un bornage chronologique, d’une part, qui ferait de l’inventaire la manifestation d’une démarche coloniale classificatrice, et de l’invention une forme de résistance ou de transgression de cette logique par des créateurs de préférence postcoloniaux ; celles d’une répartition actancielle d’autre part qui assignerait systématiquement l’invention aux artistes et l’inventaire aux curateurs et autres critiques d’art. Le catalogue de l’exposition Congoville offre ainsi le saisissant exemple d’un travail d’inventaire postcolonial, conjointement pris en charge par des artistes, des curateurs et des critiques. Inventé par sa commissaire Sandrine Colard, le titre même de l’exposition, sise dans les anciens locaux de l’Ecole des Administrateurs coloniaux, désigne l’inventaire des traces d’un passé impérialiste dans le paysage belge. Jouxtant un important travail d’archives, les œuvres des quinze artistes sollicités embrassent pleinement ce cahier des charges. Elisabetta Benassi propose par exemple un nouvel abri destiné aux passagers de la ligne de tramway 44, qui relie Bruxelles au musée Tervuren. Entièrement constituée de reproductions d’os humains et animaux, supposément empruntés aux collections du musée, cette anguleuse structure propose une recomposition de l’inventaire colonial envisagé ici dans son versant zoologique et anthropométrique. Sammy Baloji reproduit quant à lui le dôme de l’Eglise du Sacré-Cœur de Cointe, qui commémore, à grand renfort de minerais de cuivre extraits au Katanga, le sacrifice des soldats alliés, sans jamais faire mention du rôle des troupes coloniales. Selon Sandrine Colard, le geste de Baloji, qui duplique la coupole en gravant à sa surface les motifs des scarifications luba et lunda répertoriées dans les archives coloniales belges, témoigne d’une capacité à se réapproprier « la taxonomie » coloniale, en restituant à ces signes leur « beauté sacrée et spirituelle » (Congoville, p. 56). Quant à l’installation vidéo de Zahia Rahmani, qui donne également lieu à deux riches volumes dédiés à la « sismographie des luttes » (les « épicentres » proposant une chronologie détaillée des activités des revues non-occidentales de 1817 à 1881, les « répliques » livrant une série d’analyses consacrées à certaines de ces expériences éditoriales), elle manifeste exemplairement la capacité de l’inventaire à se faire invention et constitue en sus un singulier exemple de recherche-création. Penser conjointement invention et inventaire permet de concevoir l’art contemporain africain comme un espace de dialogue ouvert et non comme le huis clos d’une expression identitaire, contrainte par des exigences d’authenticité et par le soupçon de l’usurpation ou de l’appropriation culturelle. Au visiteur angoissé, en quête de définitions et de catégories, on répondra donc qu’il n’en trouvera pas, à moins de les élaborer en collaboration et en dialogue, dans l’échange et le partage d’opinions. Pour être dans l’art contemporain africain, « il faut aimer l’accord et le désaccord, et accepter que les idées ne soient pas à soi ni toutes seules », comme nous y invite Tiphaine Samoyault à propos des revues7.
Notes
1 Sète : Musée International des Arts Modestes (MIAM), 24 octobre 2018-10 mars 2019 ; Paris : Cité de l'architecture & du patrimoine, 14 octobre 2020-5 juillet 202. Lire Kinshasa Chroniques, Montreuil-sous-Bois : Ed. de l’Œil ; Sète : Miam, 2018. Sous la dir. de Dominique Malaquais
2 9 février-27 juin 2021
3 29 mai-3 octobre 2021
4 3 juillet-10 octobre 2021
5 Dagen, Philippe. Primitivismes (1) : une invention moderne, Paris : Gallimard, 2019 ; Primitivismes (2) : une guerre moderne, Paris : Gallimard, 2021
6 Urbain, Jean-Didier. L’Idiot du voyage : histoires de touristes, Paris : Librairie Plon, 1991
7 Samoyault, Tiphaine. « Décoloniser les colonnes », Sismographie des luttes : répliques : vers une histoire globale des revues critiques et culturelles xixe-xxe siècles, Paris : Institut national d’histoire de l’art : Nouvelles éditions Place, 2021, (Déborder), p. 182.
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Référence papier
Ninon Chavoz, « Inventions et inventaires : nouvelles histoires de l’art contemporain africain », Critique d’art, 57 | 2021, 166-174.
Référence électronique
Ninon Chavoz, « Inventions et inventaires : nouvelles histoires de l’art contemporain africain », Critique d’art [En ligne], 57 | Automne/hiver 2021, mis en ligne le 30 novembre 2022, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/critiquedart/85502 ; DOI : https://doi.org/10.4000/critiquedart.85502
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