1Le centenaire de la naissance de Joseph Beuys en 2021 a débouché sur de nombreuses commémorations, expositions et publications dans l’espace germanophone qui témoignent du rôle majeur que continue à jouer de l’autre côté du Rhin l’artiste controversé, taxé selon les cas de charlatan ou de génie. Ouvrages monographiques ou lectures comparatives s’attachant à des aspects spécifiques et thématiques : tout est prétexte à des travaux éditoriaux qui ne craignent ni la saturation ni l’inflation, l’artiste n’ayant jamais cessé d’incarner le renouveau de l’art allemand, voire sa renaissance avant de devenir, de son vivant déjà, un mythe adulé qui connaît peu d’équivalents à l’ère contemporaine. Seul son alter ego Andy Warhol peut éventuellement se prévaloir parmi les artistes de sa génération d’avoir atteint un tel statut. Raison pour laquelle il est plus opportun de le comparer à d’autres mythes du vingtième siècle. A commencer par Marcel Duchamp qui s’est vu associé à Beuys dans une exposition montée par le Kaiser Wilhelm Museum de Krefeld, ville qui avait accueilli en 1965 la première rétrospective en Allemagne du franco-américain. Dépassant le cadre un peu trop simpliste d’une divergence entre les deux artistes accentuée par la fameuse performance de Beuys de 1964 Das Schweigen von Marcel Duchamp wird überbewertet [Le silence de Marcel Duchamp est surestimé], l’ouvrage Beuys & Duchamp: Artists of the Future, très documenté, cherche à analyser leurs points de convergences et d’affiliations. Un autre catalogue d’une exposition au Belvédère de Vienne, Joseph Beuys : Denken. Handeln. Vermitteln, est quant à lui tout à fait représentatif du magnétisme exercé encore et toujours par le chamane de Düsseldorf dont les moindres faits et gestes accomplis à Vienne entre les années 1960 et 1980 y sont décortiqués. En ressort évidemment son rôle de Vermittler [médiateur] qui s’est obstiné tout au long de sa trajectoire à toucher et à sensibiliser un large public afin de promouvoir et de mener à bien son erweiterten Kunstbegriff [concept élargi de l’art]. Pour y parvenir, Beuys a su notamment produire des multiples à l’image de la boîte Intuition qui fut initialement vendue en 1968, date de son lancement, au prix de 8 DM ! De cette œuvre Hartmut Kraft propose une monographie sans prétention aussi passionnée que monomaniaque dont l’intérêt réside dans la lecture psychanalytique – l’auteur n’est ni historien ni critique d’art et a longtemps exercé en tant que neurologue – voyant dans l’objet en bois confectionné par Beuys un artefact propice à faire le vide [leer zu machen]. A un autre mode de démocratisation de l’art nous invite enfin le riche corpus d’affiches de Beuys réuni par Claus von der Osten et René Spiegelberger dans une publication exhaustive, à l’instar de leurs autres catalogues raisonnés, exacerbant les qualités de publicitaire et autopromotionnelles de l’artiste qui a su parfaitement jouer de son image pour renforcer une aura visiblement intacte.