1En 2011, l’artiste africain-américain Adam Pendleton réalisait son Black Dada Reader, un amalgame de textes mettant en réflexion l’« être noir » [blackness], l’histoire des avant-gardes et l’histoire culturelle. Se fabriquant un canon personnel, sur le modèle du collage, il avait choisi une expression énigmatique et évocatoire, « Black Dada », pour juxtaposer Hugo Ball et W.E.B Du Bois, Sun Ra et Gertrude Stein, Stokely Carmichael et Ad Reinhardt. Projet expérimental autour d’un concept, confrontant des voix qui ne se rencontrent pas ou peu, au mépris des habituels récits historiques, Black Dada Reader se présentait aussi comme un collage de textes photocopiés à partir d’archives personnelles pléthoriques. Koenig Books en avait publié une édition augmentée en 2017, donnant un retentissement important à la collection de textes. Pasts, Futures and Aftermaths est la suite du Black Dada Reader, à nouveau un corpus hétérogène de textes mettant en regard les luttes contre le racisme anti-Noirs, des textes relevant de l’histoire des arts, des études culturelles ou de la philosophie. Le volume travaille l’esthétique brute et contrastée de la photocopie, en exaltant le noir, dense ou irrégulier, par endroit dégradé jusqu’au gris. Sur les photocopies, des rayures, des taches, des inscriptions, des tags, des coulures : Adam Pendleton intervient par des empreintes originales sur les textes, parfois rendus illisibles. Travaillant le langage comme image et l’image comme langage, ce nouvel opus propose un ensemble inattendu de textes, en plaçant par exemple Charles Mingus et Cecil Taylor aux côtés de Piet Mondrian. Le célèbre discours de Malcolm X « The Ballot or the Bullet » succède au texte de Sara Ahmed, « In the Name of Love », qui analyse les implications racistes et nationalistes de la notion d’amour. La partition de la pièce musicale minimaliste de Julius Eastman « Evil Nigger » vient juste avant le texte de Gilles Deleuze sur Samuel Beckett, « L’épuisé ». Ces juxtapositions radicales engendrent de la surprise et de la friction avec, toujours en fond, les traces palpables de la violence et de l’oppression. Ce n’est pas un ouvrage de pacification. C’est un ouvrage qui critique l’histoire comme construction aux fondations racistes. Bouleverser cette histoire constitue un geste à la fois joyeux et discordant : « I want an art of fatal optimism and divergent poetics » (p. 10), écrit Adam Pendleton dans son beau texte liminaire. Il termine par ces mots : « Everybody likes it quiet where there are no words but what if Black Dada wakes you up at night? What about when it looms? Looming Black Dada. Loom with me. » (p. 11) Black Dada inquiète les récits hégémoniques en proposant un travail collectif de remaniement, de redécouverte et de transformation, pour envisager le futur en responsabilité, sans effacer les conséquences du passé.