1Sur la photographie rassemble trois textes de David Hockney, traduits de l’anglais par Jean Frémon, marchand d’art et président directeur général de la Galerie Lelong. Le premier, qui donne son titre à l’ouvrage, est la transcription d’une conférence offerte en 1982. Le deuxième est une adaptation de différents textes publiés la même année, à l’occasion d’une exposition des photographies de l’artiste au Centre Pompidou. Le troisième est plus récent : il s’agit d’un extrait du catalogue de son exposition au de Young Museum de San Francisco donnée en 2013. L’ensemble permet de suivre ainsi l’évolution d’une réflexion continue qui nourrit la pratique de l’artiste encore aujourd’hui.

2Que nous dit ici David Hockney de son rapport à la photographie ? Loin d’être fondée sur une logique d’oppositions qui réduirait la photographie à un sous-genre artistique, la pensée de l’artiste se présente comme une exploration gourmande et frondeuse des perceptions visuelles, en photographie, comme en peinture : qu’est-ce donc que l’expérience du regard ? Comment rendre compte de sa fluidité ? Comment s’émanciper des contraintes techniques de l’appareil photographique pour l’ouvrir à la vie sensible ? Que nous révèlent les impasses de la pratique photographique sur les zones franches de la peinture ?

3Tout l’intérêt de cet ouvrage est de donner à lire de manière synthétique les réponses que David Hockney a trouvées peu à peu dans cette longue aventure émancipatrice. Car, finalement, il s’agit bien d’un récit d’apprentissage et d’émancipation du regard : David Hockney découvre ainsi qu’un certain type de photographie peut procéder du dessin, en s’inscrivant dans le sillage cubiste de Pablo Picasso ; il constate par ailleurs que la peinture naturaliste ne peut donner place à la réalité vivante car elle ne rend compte que d’un point fixe, à l’instar de la photographie documentaire. Le périple d’une existence vagabonde rythme la quête. Des instantanés pris avec un Polaroid aux photographies joiner, des photomatons expérimentés lors d’un séjour à Berlin au Pentax qui l’accompagnera ensuite en Californie ou à Paris, une autre manière d’aborder l’image délie un voyage créatif, qui infléchit profondément la production picturale de David Hockney, la régénère et la fertilise.

4Le charme de ce petit livre est de nous permettre de suivre ce parcours avec légèreté et curiosité, comme s’il était « fait à sauts et à gambades », selon l’expression de Montaigne. De fait, le propos de l’auteur sait déjouer la lourdeur d’une somme théorique, légitimement fondée sur plusieurs décennies de recherches et d’expérimentations inlassables, assise sur une démarche exigeante de questionnements incessants, qui a éloigné progressivement le portraitiste de la représentation naturaliste. Avec élégance, l’écriture de David Hockney s’accommode plaisamment de la forme lapidaire du fragment : « J’ai fait des photographies comme un fou. Je crois que la photographie ouvre d’énormes possibilités de représentation vivante sur une surface plate, de la merveilleuse expérience du regard. C’est ce que j’ai l’intention de poursuivre afin d’en faire profiter ma peinture. » (p. 68). Mais ne nous y trompons pas, nourrie par la diversité des anecdotes qui mêlent l’intime et le général, la narration présente avec bonhommie des réflexions abyssales : « Quelqu’un m’a dit que mes photographies n’étaient pas vraiment des photographies mais des idées sur la perception. Eh bien la raison pour laquelle je n’ai jamais trop pris au sérieux mes photographies est qu’elles n’ont jamais été capables de donner vraiment l’expérience de la réalité. » (p. 67) David Hockney maîtrise parfaitement l’art de la conversation et, avouons-le, on ne peut résister au charme envoûtant de ce pédagogue hors du commun dans ces trois essais.