• 1 Warner, Marina. « Towards non-gendered sexuality », Helen Chadwick: The Oval Court, Londres : After (...)
• 2 Helen Chadwick: Of Mutability (28 mai-29 juin 1986), Londres : Institute of Contemporary Arts ; Exe (...)

1« Dans leur solitude, les femmes se suffisent à elles-mêmes. Pour Chadwick, si préoccupée par la chair, la différence était vécue comme une coupure de possibilité, une blessure »1, explique l’historienne et écrivaine Marina Warner. Cette dernière suivit en 1986 la conception de l’exposition Of Mutability par l’artiste britannique Helen Chadwick (disparue subitement dix ans plus tard à l’âge de 42 ans, alors que son travail artistique commençait à arriver à une pleine reconnaissance internationale). Marina Warner fut invitée à écrire dans le catalogue édité par l’Institute of Contemporary Arts (ICA) de Londres2. De cette exposition désormais historique, nous n’avons plus qu’une perception réduite puisque le dispositif reposait sur un diptyque associant d’un côté une installation, The Oval Court, conservée depuis au Victoria & Albert Museum, et de l’autre une œuvre processuelle, Carcass, constituée de déchets organiques, qui fut détruite moins d’un mois après sa mise en place. Par voie de conséquence et au fil du temps, le titre de l’installation The Oval Court remplaça même le titre original de l’exposition dans sa version complète : Of Mutability.

• 3 Voir le second chapitre : « At the V&A, London, thirty-five years later », Helen Chadwick: The Oval (...)
• 4 Warner, Marina. « At the ICA, London, 1986 », ibid.., p. 15 [“[…] the overall impression was of a f (...)
• 5 Ibid., p. 16 [“[…] The overall impression was of nature teeming and breathing, bubbling and swellin (...)
• 6 Helen Chadwick citée par : Warner, Marina. « ‘Yours in rocaille’ », ibid.., p. 46 [“[…] the organic (...)

3Le livre débute par une description méticuleuse de l’installation originale au ICA de Londres en 1986 pour mieux comprendre ce qu’il en reste depuis dans les collections du V&A3. Marina Warner observe toutes les composantes de cette œuvre ambivalente et qui conjointement vient déstabiliser les oppositions binaires habituelles : nature/culture, masculin/féminin, temps/arrêt, réel/irréel, pureté/impureté ou encore beauté/laideur. The Oval Court donne à voir au sol des figures lunaires sur fond bleu marine, presque nues, vêtues de rubans et d’accessoires rappelant les ornements italiens renaissants et rococos. Elles semblent danser avec d’autres créatures et espèces animales donnant, comme l’évoque Marina Warner, l’illusion d’une « […] bacchanale féminine se déroulant dans un fantastique nymphée […] »4. « L'impression générale, explique plus loin l’autrice, était celle d’une nature grouillante et respirante, bouillonnante […] transmettant la "jouissance", un terme que l'artiste utilise dans ses carnets […] »5. Cinq grandes sphères dorées reposent sur ce collage d’images effectuées avec une photocopieuse à l’encre bleue symbolisant les éléments (ciel, eau), mais aussi l’imaginaire et la rêverie. Le bleu choisi pour le toner de la machine convoque les cyanotypes d’Anna Atkins (p. 31). Marina Warner explique néanmoins comment Helen Chadwick ne s’apparente pas à une photographe mais plutôt à une artiste qui explorait toutes les possibilités des médias existants. Helen Chadwick expérimentait de facto toutes sortes de technologies récentes – comme la photocopieuse dont la vitre renvoie au miroir et la projection lumineuse à la diapositive – pour créer des images par des biais variés, aventureux et plus ou moins durables. Le corps tout en torsions (inspirées par les œuvres d’Agnolo Bronzino, Giovanni Battista Tiepolo ou Pierre Paul Rubens) et saisi par la photocopieuse est celui de l’artiste elle-même, auquel Helen Chadwick a ajouté ceux d’animaux réels, de poissons, d’oiseaux ou d’insectes. Le langage visuel exubérant de tous ces motifs illustrant des poses improbables loue un érotisme débridé et le retour à « l’organique comme quelque chose qui englobe le corporel et l'imaginaire »6. Marina Warner le confirme à plusieurs reprises dans le livre en désignant The Oval Court comme une « métaphore de la vie » (p. 27) qu’elle connecte également avec l’érotisme libertin d’Angela Carter, mais sans y confiner l’œuvre de Chadwick.