Navigation – Plan du site

AccueilNuméros37Conter des croisades du Moyen Âge...Thibaud ou les Croisades

Conter des croisades du Moyen Âge à nos jours

Thibaud ou les Croisades

Le feuilleton historique, ou la croisade revisitée « à usage commun »
Thibaud ou les Croisades. Historical dramas, or the Crusades revisited for ‘common use’
Catherine Croizy-Naquet et Jean-René Valette
p. 233-271

Résumés

Diffusé par l’ORTF entre novembre 1968 et décembre 1969, Thibaud ou les Croisades est le premier feuilleton historique sur le sujet. Il invite à interroger l’image qui est donnée des croisades dans le contexte politique et socio-culturel des années 70. Examiner la fabrique du feuilleton, puis celle de la croisade permet de saisir comment est perçu et représenté ce phénomène complexe et ce qu’il révèle, à une période donnée, sur les mentalités et l’imaginaire d’une société.

Haut de page

Entrées d’index

Index de mots-clés :

histoire, Croisades, feuilleton, télévision

Index by keyword:

history, Crusades, television series, TV
Haut de page

Dédicace

Pour Basile, pour Emmanuel.

Notes de l’auteur

Voir le sous-titre de chapitre choisi par P. Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, Paris, L’Âge d’homme, 1983, p. 206.

Texte intégral

  • 2 Voir S. Berstein et J.‑P. Rioux, La France de l’expansion 2. L’apogée Pompidou (1969-1974), Paris, (...)
  • 3 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 208 sqq. Sur la pérennisation de l’imagina (...)
  • 4 On sait combien ce terme, lié à l’école des Annales, est complexe, renvoyant à l’étude des comporte (...)
  • 5 Voir R. Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, trad. de l’a (...)

1Dans le cadre de ce dossier thématique consacré à la croisade vue par des chroniqueurs et historiens contemporains de l’événement, il y a sans doute quelque incongruité à s’intéresser à un feuilleton historique de la fin des années 1960, Thibaud ou les Croisades, réalisé et diffusé dans la France gaullienne et pompidolienne2 Ce double décentrement, chronologique et esthétique, invite pourtant à s’interroger sur la manière dont cet événement inscrit dans la longue durée est relu au prisme de la fiction historique ; il invite aussi à apprécier les fondements de cette captation de l’histoire et d’une construction idéologique qui a prospéré jusqu’à nos jours : il n’est qu’à voir la fortune du terme croisade, qui appartient au langage général et la reprise de ses paradigmes dans divers contextes géopolitiques3. Dans ce feuilleton, la représentation historique donne à lire moins l’histoire dans toute sa complexité qu’une version stylisée d’un passé, dans laquelle puissent communier tous les téléspectateurs. Elle touche au domaine des mentalités4, car elle reflète les hantises, les attentes et les soifs d’une époque, ses zones d’ombre, voire ses utopies. Elle incite à considérer le rapport que noue une société avec son passé, proche ou éloigné, et avec l’histoire qu’elle fabrique, une histoire encastrée dans un « espace d’expérience » et un « horizon d’attente » l’orientant essentiellement5. Une telle saisie de l’histoire par la fiction illustre le concept de réception productive, forgé par H.‑R. Jauss et richement approfondi par la suite, appliqué au matériau historique, référent extérieur appuyé sur des écrits, passible d’être manipulé et interprété, voire vidé de sa substance.

  • 6 Suivant sur ce point Dominique Boutet, « pour éviter toute confusion, nous distinguerons systématiq (...)

2Le titre même de ce feuilleton télévisé mérite à cet égard de retenir l’intérêt. Comment évaluer l’équivalence qu’il pose entre le héros de la fiction et les croisades, entre l’histoire recréée autour du personnage de Thibaud à la fin du xxe siècle et l’Histoire des croisades6 ? Quelle image Thibaud ou les Croisades donne-t-il des expéditions en Terre Sainte à un moment où les questions d’actualité (notamment la guerre d’Algérie, la colonisation et la décolonisation, la guerre du Vietnam, le conflit israélo-palestinien) sont plus ou moins brûlantes ? Afin d’observer, grâce à ce cas d’étude, les modes de perception et de représentation du phénomène complexe qu’est la croisade, nous distinguerons deux niveaux : la fabrique du feuilleton, la fabrique des croisades.

La fabrique du feuilleton7

  • 7 Au terme feuilleton il convient sans doute de préférer celui de série, peu employé dans les années (...)
  • 8 Ch. Metz, Essais sur la signification au cinéma, Paris, Klincksieck, 1968, t. 1, p. 96, cité par P. (...)
  • 9 Voir A. Gaudreault, Du littéraire au filmique. Système du récit, Paris, Colin, 1999 [1988].
  • 10 Ricœur, Préface à l’ouvrage de Gaudreault, Du littéraire au filmique, p. 16 et 14.
  • 11 Ricœur, Préface, p. 15. Voici ce que précise Paul Ricœur : « Adossé à cette définition générique du (...)

3« Que le cinéma puisse devenir avant toute chose une machine à raconter des histoires, voilà qui n’avait pas été prévu », écrit Ch. Metz, et pourtant cette « rencontre du cinéma et de la narrativité » s’est imposée tandis que le « long-métrage de fiction romanesque dessinait de plus en plus nettement la voie royale de l’expression filmique8 ». Cette narrativité fondamentale retient également l’attention d’A. Gaudreault dans un livre intitulé Du littéraire au filmique9, livre dont l’éditeur a confié la préface à P. Ricœur. L’hommage rendu par le philosophe n’est pas mince : le mérite essentiel de l’ouvrage d’A. Gaudreault est, à ses yeux, de « se battre avec une force égale sur deux fronts : celui de l’unité générique de la communication narrative – et celui de la spécificité du récit filmique, à côté du récit scriptural et du récit scénique ». Ce livre enjoint, en effet, à « poser la question de confiance par excellence : qu’est-ce que le narrable, pris en deçà de son triple investissement : écrit, scénique, filmique10 ? ». Il contribue à maintenir l’idée du récit à un haut niveau de généralité à la différence de ceux qui ne parlent le plus souvent que « par analogie vague et finalement par emprunt déguisé au récit littéraire, ce qui revient à refuser son autonomie à l’art filmique11 ». Dans les limites de cette étude, c’est à un tel niveau de généralité que nous souhaiterions nous situer à notre tour en distinguant deux plans, celui de l’énonciation et celui de l’énoncé.

Énonciation12

  • 12 Par référence aux travaux de C. Kerbrat-Orecchioni, nous donnons un sens large au concept d’énoncia (...)
  • 13 Fondé en 1947 par G. Montaron, Télérama est à l’origine un hebdomadaire catholique de gauche. Il fu (...)

4Sous le titre « L’appel du désert », le premier épisode de Thibaud ou les Croisades est diffusé le samedi 2 novembre 1968, de 20h30 à 21h00. Voici comment Télérama13 le présente :

  • 14 Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 49.

C’est votre nouveau feuilleton du samedi soir. Rachel Fabien nous entraîne à Jérusalem, au début du xiie siècle. Entre la première et la deuxième croisade, un équilibre précaire s’établit entre les Français et les Arabes. Thibaud, le Chevalier blanc, bon combattant, bon chrétien, est le symbole de la croisade victorieuse. Il conforme chacun de ses actes à son idéal de chevalerie et de charité chrétienne. Tourné en Tunisie et au Maroc, ce film à grand spectacle vous offre un nouveau héros, Thibaud, le preu [sic] chevalier14.

  • 15 Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 48. Voir l’illustration figurant à la fin de cet art (...)
  • 16 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 259.

5Ce rendez-vous hebdomadaire est le premier d’une longue série : de novembre 1968 à janvier 1969, puis d’octobre à décembre 1969, deux ensembles de 13 épisodes de 26 minutes chacun sont présentés sur la première chaîne de l’ORTF. Sur la page de gauche du magazine télévisuel, en regard des lignes et de la photographie introduisant le premier épisode, figure un encart publicitaire vantant « les robes Perles d’Orient inspirées du feuilleton de la Télévision Française Thibaud les Croisades chaque samedi 1re chaîne15 ». Se trouvent ainsi scellées les noces de la culture de masse et de la société de consommation… De toute évidence, « la “télé” – l’appellation est passée dans le langage courant en 1965– s’est installée en pleine pâte sociale, au centre des activités de loisir et de culture de l’immense majorité des Français16 ».

  • 17 Ce cliché figure à l’intérieur du même numéro, à la page 3. Il est extrait du douzième épisode de l (...)
  • 18 Voir l’illustration figurant à la fin de cet article.
  • 19 Par comparaison, voir la couverture de Télé 7 jours qui, au même moment, donne une photo d’André La (...)

6Trois semaines plus tard, dans le no 983 daté du dimanche 17 novembre 1968, Télérama consacre sa page de couverture au feuilleton nouveau-né en offrant le portrait du héros-titre, dessiné d’après un cliché le représentant coiffé d’un keffieh blanc et enveloppé d’un manteau à rayures noires et blanches17. Creusant l’écart fictionnel, ce choix esthétique fait porter un double accent : sur le personnage plutôt que sur A. Laurence, le comédien qui incarne Thibaud ; sur l’identité du héros, sous le costume d’un Arabe (il est coiffé d’un keffieh blanc18) plutôt que sous celui d’un chevalier franc19. Au moment où la page de la décolonisation vient d’être tournée et où le conflit israélo-palestinien fait rage, un tel parti ne manque sans doute pas d’audace.

  • 20 Voir J. Capé, Thibaud les Croisades, Paris, Éditions Solar, 1968. Après un bref prologue, les 13 ch (...)
  • 21 Voir Thibaud chevalier des croisades, d’après le grand film à épisodes de la télévision française, (...)
  • 22 Après cette période, indépendamment des rares rediffusions télévisuelles, les cassettes-vidéo puis (...)

7Comme en témoignent la parution du livre de J. Capé dès 196820, la diffusion d’un livre-disque21 ou encore la fabrication de figurines que l’on peut se procurer sur la Toile encore aujourd’hui, Thibaud a suscité un vif engouement. Avant de connaître un relatif oubli22, il a bénéficié du succès que l’époque assurait à ces productions télévisuelles.

  • 23 J. Baudou et J.‑J. Schleret, Les Feuilletons historiques de la télévision française, Paris, Huitièm (...)
  • 24 J.-Cl. Deret, entretien donné à Télé 7 Jours cité par Baudou et Schleret, Les Feuilletons historiqu (...)

8Tandis que la télévision apparaît d’emblée comme « la forme idéale de diffusion du feuilleton23 », l’apparition de la fiction historique, en 1963, avec le Chevalier de Maison-Rouge (d’après Alexandre Dumas) marque, en effet, le début d’un véritable âge d’or. L’ouverture d’une deuxième chaîne de télévision en avril 1964, puis l’apparition de la couleur (1967) favorisent l’essor des feuilletons. À quatre ans d’intervalle, le tournage en couleur de Thibaud succède aux aventures en noir et blanc de Thierry la Fronde (1964), héros dans lequel J.-Cl. Deret, le créateur du feuilleton, voit « un maquisard de la guerre de Cent Ans24 ». Dans les deux cas, le Moyen Âge fait signe vers le contexte historique du téléspectateur.

9En quelques années, la télévision est devenue

  • 25 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 259.

« l’eau et le gaz à tous les étages » de la culture de masse, […] le médium souverain de l’âge nouveau, celui qui vise au cœur de la cible : le grand public « populaire », c’est-à-dire socialement indistinct et aspirant au bonheur simple25.

10Dès 1962, dans L’Esprit du temps, E. Morin avait signalé

  • 26 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 254.

l’avènement d’une culture nouvelle, aux formes importées des États-Unis et fille du développement des mass media, dont l’allant bousculait et marginalisait la « culture cultivée » des intellectuels et des élites, dédaignait les héritages nationaux et séduisait surtout les jeunes26.

  • 27 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 283.
  • 28 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 261-262.

11Aux « écartèlements des cultures et des croyances », « une volonté publique a été opposée », soulignent S. Bernstein et J.‑P. Rioux, laquelle donne lieu à « la première politique culturelle au sens plein que le pays ait connu27 ». Parmi ses formes, il faut mentionner l’ORTF, dont l’histoire s’articule en deux temps. Avant 1964, sous les directions de J. d’Arcy puis d’A. Olivier, le service public, jaloux de son monopole, « avait offert tout en un de l’information, de la distraction et de l’instruction dans une ambiance vertueuse et bon enfant », grâce à « la toute-puissance des premiers réalisateurs de “l’École des Buttes-Chaumont”, souvent de gauche, qui avaient ouvert la télévision au monde entier et fait assaut d’éducation populaire dans le style des années 1930 et 1940 ». Par contraste, la décennie 1964-1974 est « autrement trouble et conflictuelle, tant le médium est secoué par sa propre croissance » : « Il y eut de fortes raisons politiques qui poussèrent à considérer après 1968 que la télévision devait d’abord “distraire” », notent S. Bernstein et J.‑P. Rioux. Dès 1969, « au grand dam des nostalgiques de la culture populaire et des adeptes d’une télévision “de qualité” qui jouerait sur l’éclectisme des goûts des téléspectateurs », « l’unicité des programmes pour tous les publics a vécu28 ».

12C’est à l’inspiration de la première période qu’il convient de rattacher Thibaud ou les Croisades. En 1967, M. Mizrahi, alors directeur du bureau des textes de la société de production Telfrance, avec le concours de la scénariste R. Fabien, conçoit le projet d’un feuilleton historique. L’ORTF en confie les rênes à J. Drimal, qui avait réalisé Thierry la Fronde, et à son équipe de scénaristes (l’écrivain alsacien R. Ehni, le dramaturge B. Dabry, le dialoguiste A. Tudal). Après le départ de J. Drimal, la réalisation d’une deuxième série d’épisodes échoit à H. Colpi, monteur d’H.‑G. Clouzot (Le Mystère Picasso) et d’A. Resnais (Hiroshima mon amour, L’Année dernière à Marienbad), mais aussi auteur d’un long métrage adapté de M. Duras, Une aussi longue absence, qui lui valut la Palme d’or en 1961. De nouveaux scénaristes s’ajoutent aux anciens (sauf R. Ehni) : R. Mazoyer, Fr. Benys, Ph. Verro. Précisons qu’à côté des paysages grandioses du Maroc et de la Tunisie, Aigues-Mortes et le Grau-du-Roi ont servi de décor aux extérieurs et que le tournage de la série en anglais et en français a joué dans le choix des acteurs principaux (A. Laurence, qui n’a pas voulu être doublé pour les scènes de combat, et A. Meunier). Pour les rôles secondaires, des figurants autochtones et des acteurs de complément ont été sollicités pour incarner indifféremment des soldats francs, turcs, arabes, des marchands, des pillards, etc. La musique originale du feuilleton est l’œuvre de G. Delerue, ancien élève de D. Milhaud et compositeur préféré de la Nouvelle Vague.

Énoncé

13Après l’examen du « cadre énonciatif », il convient de s’attacher à l’énoncé, c’est-à-dire au récit fictionnel lui-même, en l’envisageant dans sa triple composante, syntaxique, morphologique et sémantique.

Syntaxe : feuilletons et séries

  • 29 St. Benassi, Séries et feuilletons T.V. Pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, Éditi (...)
  • 30 N. Nel, « Téléfilm, feuilleton, série, saga, sit-com, soap-opera, telenova : quels sont les élément (...)
  • 31 Voir à cet égard les branches du Roman de Renart, œuvre sérielle s’il en est, et les analyses de J. (...)
  • 32 U. Eco, cité par Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 81.

14Fruits du double héritage de la radio et du cinéma, les fictions télévisuelles se répartissent originellement en trois catégories : le téléfilm, le feuilleton et la série. Comme le précise St. Benassi, cette classification « regroupe les fictions télévisuelles en fonction de leurs formes syntaxiques, ou, si l’on préfère, selon qu’elles développent une narration unique et courte (c’est le cas de la dramatique et du téléfilm) ou une narration plurielle, c’est-à-dire longue et fractionnée dans le cas du feuilleton, courte et répétée, dans le cas de la série29 ». Parmi ces deux types de fictions plurielles, Thibaud ou les Croisades relève stricto sensu de la série, selon un terme qui s’imposera peu à peu. Si la rhétorique du feuilleton est gouvernée par la métonymie, la série est placée sous l’empire de la métaphore dans la mesure où la mise en paradigme à laquelle elle procède repose sur une « opération de développement diégétique par déploiement de nombreux possibles autour d’un héros permanent ou d’un horizon de référence, cadre mémoriel constant30 ». Tel est bien le cas de Thibaud ou les Croisades, dont le titre associe le « héros permanent » et l’« horizon de référence ». Au fond, c’est à l’unification du paradigme que contribue inlassablement la diversité syntagmatique des actants et des situations31. Ce point n’a pas échappé à U. Eco, pour qui les séries « sont construites à partir d’une situation donnée et de quelques personnages pivots, immuables, autour desquels évolue un certain nombre de personnages secondaires auxquels il appartient de donner l’impression que le nouvel épisode diffère du précédent, alors que le schéma narratif est le même ». Tout leur plaisir vient de l’itération. En ce sens, elles répondent « au désir des enfants d’entendre toujours la même histoire » ; elles reposent sur notre besoin d’être rassuré par « le retour de l’identique, très superficiellement modifié32 ».

  • 33 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 47.

15En confrontant feuilletonisation et sérialisation, St. Benassi montre bien en quoi le jeu sur l’identité et la variabilité affecte différemment les paramètres sémantiques, spatiaux, temporels, narratifs et discursifs du récit fictionnel : « Il semble que dans le cas de la série, les variations soient davantage d’ordre spatial et/ou discursif, tandis que les invariants seraient plutôt d’ordre sémantique, temporel et/ou narratif33. »

  • 34 Ibid.

16C’est ainsi que le prototype de chaque série, parfois nommé pilote, « détermine généralement comme acquises et immuables les données axiologiques et idéologiques que l’on retrouve dans chaque épisode34 ». C’est ainsi que Thibaud ou les Croisades s’ouvre par un épisode au titre significatif, « L’appel du désert ». Le protagoniste y acquiert un nom, Thibaud, mais surtout un surnom, celui de Chevalier blanc. En le baptisant ainsi, le scénariste fait également surgir à ses côtés un autre chevalier blanc, un mystérieux nomade issu du « peuple du désert », qui déclare n’aimer ni les Francs ni les Turcs et qui l’accueille par ses mots : « Tu es l’hôte très honoré du prince blanc ; je sais qui tu es : le chevalier blanc, mon frère. Qu’Allah soit remercié et que ton Dieu le soit aussi. » Ce premier épisode ne saurait répondre à une nécessité d’exposition, au sens que le théâtre donne à ce mot. Comme le font les romans arthuriens, il prête au téléspectateur une familiarité immédiate avec les protagonistes. Sans doute apprend-on que Thibaud est issu d’une mère musulmane et d’un baron franc, mais une autre logique prévaut, qui consiste à inscrire le paradigme axiologique et idéologique dans le champ de l’utopie : « Tu es un homme du désert, comme moi, lui dit son hôte, tu veux sacrifier toute ta vie à une idée. » Il s’agit aussi de ménager une rencontre avec un héros qui n’évoluera pas. À l’instar du même imperméable élimé que l’inspecteur Colombo porte pendant plus de 35 ans, la tunique blanche de Thibaud reste inaltérée.

17Du côté des invariants, il faut également ranger le rythme et le schéma du récit, identiques d’un épisode à l’autre, même si chacun d’eux possède sa propre unité diégétique. Sous ce rapport, Thibaud ou les Croisades relève du type « classique », fondé sur « trois moments soumis à une tension nœud/dénouement » :

  • 35 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 82-83.

1. Une séquence initiale où le héros se voit proposer un contrat. […] La situation initiale de chaque occurrence est une situation d’euphorie jusqu’à l’introduction d’une tension (le contrat) correspondant au nœud du récit ; 2. Une séquence actionnelle où le héros, après une suite d’échecs (généralement deux ou trois), remplit son contrat. La fin de cette séquence correspond au dénouement, c’est-à-dire à la suppression de cette tension. […] 3. Une séquence finale où, de retour à sa position initiale (euphorie), le héros est de nouveau en attente d’un autre contrat35.

18Il arrive que le principe contractuel soit thématisé comme dans « Le seigneur du Hauran » (I, 12), où Thibaud promet solennellement à la dame de Rochefort qu’il retrouvera son mari et son fils disparus en Palestine quelques années plus tôt et qu’il prendra sous sa protection sa fille Cécile. L’épisode organisé autour de la défense de la forteresse de Safed (I, 2) s’achève, quant à lui, comme il avait commencé, sur une note « euphorique », par le souhait de Blanchot de retrouver aussi vite que possible la compagnie des danseuses de Jérusalem.

  • 36 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 47-48.

19Du côté de la variation, en revanche, « la sérialisation semble essentiellement favoriser les changements de lieux ainsi que la démultiplication des figures, thèmes et motifs discursifs36 ». Thibaud ou les Croisades n’échappe pas à cette règle. Le héros gagne Jérusalem, Jaffa, Tripoli, Antioche, Karak ; il fréquente les forteresses de Safed ou de Massada, les châteaux de Coucy ou de Monteil ; il côtoie Foulques, Mélisande, Sibylle présentée comme la fille du roi Foulques (en réalité sa petite-fille), Hugues de Puiset, Pierre et Isabelle de Coucy, Raymond de Poitiers, la princesse Alix, etc. ; il affronte Zengi, les Turcs, la secte des assassins, sans compter les pillards et les brigands de toute sorte. Il serait trop long de dresser la liste des thèmes et des motifs sollicités par les scénaristes. Et pour rendre compte de la diversité des registres, il suffit peut-être de citer l’épisode consacré au prétendu « mariage de Blanchot » (II, 11) ou les aventures mi-héroïques, mi-burlesques organisées autour du personnage de Douglas, Écossais hâbleur, querelleur et truculent (« La course de Tripoli », II, 2) : pour la possession d’un cheval, une rivalité effrénée et pittoresque l’opposera à Thibaud.

Morphologie : le système des personnages

  • 37 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 46.
  • 38 Sur les « poulains » et le choix de ce terme, voir M. Balard, Les Latins en Orient (xexve siècles)(...)
  • 39 Voir J. Prawer, Histoire du royaume latin de Jérusalem, trad. G. Nahon, Paris, Éditions du CNRS, 19 (...)
  • 40 « Occidentaux nous fûmes, et nous voilà transformés en Orientaux. Le Romain ou le Franc d’hier est (...)

20Si les séries et les feuilletons se définissent comme un « ensemble d’œuvres audiovisuelles formant système autour de personnages et/ ou de thèmes communs37 », le rôle structurant joué par la figure de Thibaud reste à préciser. L’originalité est d’avoir fait du protagoniste un « poulain », c’est-à-dire un Franc né en Palestine d’une mère arabe et d’un père chrétien38, en l’occurrence d’un baron au service du roi Foulques V d’Anjou, successeur du roi Baudouin II, dont il a épousé la fille, Mélisande, le 2 juin 112939. Pour consolider son royaume et asseoir sa souveraineté, Baudouin II a encouragé ses troupes à s’implanter dans les villes et les campagnes et à s’intégrer aux autochtones, d’où la population mixte évoquée en un passage resté célèbre par le chroniqueur franc Foucher de Chartres († 1127)40.

21Le pilote de la première série fait brièvement allusion à la naissance de Thibaud, mais il faut attendre celui qui ouvre la seconde série pour que son « roman familial » soit véritablement scénarisé. Dans cet épisode intitulé « Les deux croix » (II, 1), Thibaud, accompagné de Blanchot, revient au château de ses parents pour découvrir avec étonnement que leurs tombes sont régulièrement entretenues par une jeune bergère qui fut la compagne de jeu de Thibaud – au grand dam de Kaddour, musulman fanatique !

  • 41 D. Madelénat, L’Épopée, Paris, PUF, 1986, p. 175.
  • 42 Madelénat, L’Épopée, p. 173.
  • 43 P. Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 327.
  • 44 Voir Zumthor, Essai de poétique médiévale, p. 325-326.

22La vision que ce dernier incarne correspond à celle que livre la chanson de geste. Elle est fondée sur « un manichéisme structurel qui annexe tous les plans, et aplatit la variété du réel pour que se glorifient l’ethnie, la patrie (la “douce France”), la seigneurie qu’un dessein divin lance à la reconquête de l’espace humain41 ». Elle repose sur « une “bipolarisation” absolue que traduit, dynamiquement, le thème de la croisade42 ». D’un côté les bons, de l’autre les méchants ; d’un côté les chrétiens, de l’autre les païens : « au monde lumineux et plein du Bien s’oppose le monde noir et vide du Mal, symétrique de l’autre43 ». Entre les deux groupes, sur lesquels se fonde la « typologie des agents » épiques « par nature » en conflit permanent, s’établit une « zone d’échange » qui évite au système sémantique la solidification et permet aux personnages de changer de fonction : le repentir et la conversion, où le méchant devient bon, la trahison et le reniement, où le bon devient méchant44. Tels sont bien les ressorts de l’épisode que nous considérons. Pour effacer la « trahison » de la jeune bergère, renégate à ses yeux, Kaddour invite Thibaud non seulement à l’épouser, mais aussi à se convertir – peu avant de découvrir que celle-ci a déjà abjuré. Dès lors, aucune solution n’est possible, un combat sans merci s’engage, épée contre cimeterre, et, juste avant de trépasser, Kaddour tue lâchement la jeune femme.

  • 45 Voir C. Girbea, Le Bon Sarrasin dans le roman médiéval (1100-1225), Paris, Classiques Garnier, 2014
  • 46 « Pour les beaux yeux d’Isabelle » (I, 5).
  • 47 Madelénat, L’Épopée, p. 175.

23En vertu de cette structuration, de même que les chrétiens comptent des méchants parmi eux (Ganelon), de même il existe de bons sarrasins, ce qu’illustre, de son côté, le roman médiéval45. Thibaud ou les Croisades s’emploie à multiplier ces figures favorables, en les rattachant surtout au « peuple du désert ». Et la fiction télévisuelle déploie sans cesse de nouveaux parallèles : ainsi l’un des épisodes46 repose-t-il sur le massacre par des chevaliers chrétiens d’un groupe de pèlerins en route pour la Mecque. Il faut pourtant se garder de confondre la symétrie que forge inlassablement Thibaud avec la construction spéculaire sur laquelle sont fondées les premières chansons de geste. Sans doute les deux camps y réunissent-ils autour d’un chef les barons avides de prouesses (Marsile et Baligant tiennent conseil de pairs, comme Charles). Sans doute, au plan métaphysique, à Dieu et à ses anges correspond la trinité Mahomet – Apollin – Tervagan, accompagnée de démons mineurs. Cependant, « ces analogies institutionnelles soulignent une inversion et une dissymétrie : les sarrasins offrent une caricature simiesque de la chrétienté47 ». Ordonnée à une implacable axiologie (les païens ont le tort et les chrétiens le droit, d’après un vers célèbre de la Chanson de Roland), leur mise en scène relève, en réalité, d’une « usurpation de ressemblance », selon l’expression que la théologie médiévale applique au diable, à partir du texte paulinien qui présente le maître du mensonge comme un voleur (Ph. 2, 6).

  • 48 A. Guerreau-Jalabert, « Le temps des créations, xie-xiiie siècles », Histoire culturelle de la Fran (...)
  • 49 Pour une présentation de cette grille de lecture, voir A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caro dan (...)
  • 50 Zumthor, Essai de poétique médiévale, p. 326.

24Dans Thibaud ou les Croisades, en revanche, le monde sarrasin jouit d’une égale consistance ontologique, comme s’il s’agissait avant tout de soutenir l’opposition qui, dans les deux camps, distingue entre les bons et les méchants. Afin de mieux serrer la réflexion, sans doute convient-il ici de faire appel à la « relation antagoniste du charnel et du spirituel » dans laquelle A. Guerreau-Jalabert voit « comme la matrice à travers laquelle sont perçus et pensés, dans la société chrétienne médiévale, divers pans de la réalité matérielle, pratique et idéelle48 ». Si cette relation est inscrite dans l’être même de l’homme, fait d’esprit et de chair, elle peut aussi s’étendre, à l’échelle de notre série, au couple Thibaud/ Blanchot, qui dédouble le composé humain en une figure spirituelle et en une figure charnelle, à l’instar de Don Quichotte et de Sancho Panza. Dans la perspective d’A. Guerreau-Jalabert, il faut élargir encore le champ d’application de ce modèle à l’organisation sociale et à l’ordre de l’univers. Le schème spiritus/caro permettrait ainsi de penser les relations clercs/laïcs, homme/femme, Dieu/homme, Dieu/diable, etc.49 À cet égard, tandis que la chanson de geste réserve le pôle charnel au monde sarrasin et le pôle spirituel aux chrétiens, en vertu d’une « typologie structurelle d’une étonnante fixité50 », Thibaud inscrit la dialectique charnel/spirituel au cœur de chaque camp.

  • 51 M. Stanesco, « Parole autoritaire et “accord des semblances” dans la Queste del Saint Graal » [1998 (...)
  • 52 Voir notamment J. Tolan, « Miroir de la chevalerie : Saladin dans l’imaginaire européen médiéval », (...)

25Comme dans les romans de Chrétien de Troyes, la figure du chevalier occupe le devant de la scène. La prééminence de l’institution chevaleresque est clairement affirmée dans le Conte du Graal : elle est le plus haut ordre que Dieu ait fait et, comme le rappelle M. Stanesco à propos de ce roman, la littérature courtoise « ignore ou méprise l’ecclésiastique, elle célèbre dans l’ermite l’ancien chevalier51 ». À l’instar de Gauvain, Thibaud s’offre comme le « soleil de toute chevalerie » et, si les génériques des deux séries diffèrent légèrement, ils donnent tous deux à voir une ample et superbe chevauchée, étendards et gonfanons déployés, portée par la musique envoûtante de G. Delerue. À ce primat de la chevalerie, la figure historique et mythique de Saladin procure, dans l’autre camp, un incontestable point d’appui et si, pour respecter la chronologie, Thibaud ou les Croisades ne la sollicite pas, il n’hésite pas à multiplier les nobles figures sarrasines qui en constituent autant d’avatars52.

  • 53 « Contre la chair et le sang et contre les esprits du mal dans les espaces célestes » (Bernard de C (...)

26Comme dans les romans du Graal et comme dans la Queste del Saint Graal, où le clerc semble pourtant imposer son discours au détriment de l’histoire chevaleresque, le monde ecclésiastique est tenu en lisière quand il n’est pas purement et simplement absent. C’est tout au plus un élément du décor, tel le couvent où trouve refuge la princesse Sibylle, qui se déguise en moniale pour échapper à l’émissaire dépêché par son père (« Sybille et Thibaud », I, 4). Moines, prêtres ou évêques sont absents de la série. Les seuls personnages susceptibles d’être rattachés à l’Église sont les Templiers, ces moines-chevaliers que saint Bernard a imaginés en appelant de ses vœux une nova militia propre à mener les combats de Dieu sur un double plan (« gemino conflictu »), « tum adversus carnem et sanguinem, tum contra spiritualia nequitae in caelestibus53 ».

27Grâce à eux, charnel et spirituel semblent s’équilibrer. Dans la fiction télévisuelle, cependant, cet idéal appartient déjà au passé, au temps de la première croisade, comme le dit à Blanchot l’un de ses anciens compagnons d’armes, surnommé le Scorpion de Judée depuis qu’il massacre les Templiers que la soif de l’or a fait basculer vers le pôle charnel :

  • 54 « Le Scorpion de Judée » (I, 3).

Tu as raison, Blanchot, le tombeau de notre Seigneur Jésus est devenu un lieu de commerce ; le prêtre trafique au lieu de prêcher l’évangile, le marchand est devenu un voleur et le voleur un lâche.
– Oui, c’est bien vrai, répond son interlocuteur. La sainte croix et Jésus sont bien oubliés. Seuls comptent aujourd’hui l’or, les richesses, les châteaux, tout ce que l’homme amasse sur la terre.
– Et ce sont les mêmes hommes pourtant qui furent des lions jadis. La vie était belle alors, ardente54.

28Comment comprendre la sévérité du regard porté sur les Templiers alors même que ces derniers portent, semble-t-il, le même manteau blanc que Thibaud ?

  • 55 D. Barthélémy, La Chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Fayard, 200 (...)
  • 56 Nous empruntons cette formule à J. Morsel, L’Aristocratie médiévale. La domination sociale en Occid (...)
  • 57 Morsel, L’Aristocratie médiévale, p. 166.
  • 58 Morsel, L’Aristocratie médiévale, p. 167.
  • 59 Morsel, L’Aristocratie médiévale, p. 162.

29Loin d’être isolée, l’institution des Templiers doit être rapportée à la « prolifération des chevaleries imaginaires », dans laquelle D. Barthélemy voit « le grand fait culturel du xiie siècle français » : « on parlerait presque de choc des imaginations, ajoute l’historien, si elles ne se mêlaient et ne s’influençaient un peu mutuellement55 ». À examiner de près cette dialectique, il est possible de dégager deux grandes logiques symétriques et convergentes : d’un côté, l’appropriation par l’Église d’un usage légitime des armes, qui débouche sur la formation des ordres dits « religieux-militaires » ; de l’autre, « l’appropriation laïque de Dieu56 », sur laquelle sont fondés les romans du Graal. L’élaboration de la figure du chevalier « en une militia siamoise de la militia spiritualis », selon l’heureuse formule de J. Morsel57, prend tout son sens, en effet, si l’on considère « les formes sociales éminemment codées » que revêt « la concurrence entre les deux fractions de l’aristocratie58 ». Parmi ces formes prend place la fiction dite littéraire, grâce à laquelle l’ordo chevaleresque reproduit en décalque la bipartition ecclésiastique charnel/ spirituel, l’accaparant pour mieux se substituer à elle. Tel est le sens qu’il convient de donner à la distinction entre une chevalerie terriene et une chevalerie celestiele, selon les termes du Lancelot en prose, distinction destinée à « marginalise[r], voire [à] élimine[r] complètement le clergé de l’ordre social au profit des seuls chevaliers59 ». C’est à cette perspective, celle du défi laïque, dont relève la littérature chevaleresque en langue vernaculaire en se construisant en contrepoint à la fois dans et contre les textes ecclésiastiques, qu’il convient de rattacher la figure de Thibaud. Celle-ci ne saurait donc se confondre avec les Templiers. Thibaud s’offre comme un chevalier celestiel, comme un chevalier spirituel, mais relevant d’une spiritualité décléricalisée.

Sens et référence : « l’aveu de la fiction60 »

  • 60 Nous empruntons cette formule à M. Zink, Littérature française du Moyen Âge, Paris, PUF, 2014 [1992 (...)
  • 61 X. Storelli, « La chevalerie comme catégorie achronique dans l’historiographie anglonormande du xii(...)

30Comme l’a montré X. Storelli, le chevalier constitue, dès le xiie siècle, une figure achronique. L’usage anachronique qu’en fait l’historiographie anglo-normande lui apparaît comme le signe précurseur d’une « conception atemporelle de la chevalerie, qui aurait été instituée depuis les premiers temps de l’humanité ». Sous cet angle, « l’idéal chevaleresque, dont la perfection est repoussée dans un passé mythique, serait toujours à accomplir de nouveau, à réactualiser, à restaurer61. » C’est à Chrétien de Troyes qu’il revient d’avoir fixé la chevalerie dans son achronie. Grâce à lui, « le monde arthurien est devenu mythique et presque atemporel » :

  • 62 Storelli, « La chevalerie comme catégorie achronique », ici p. 136-137.

C’est désormais une utopie ouverte à l’aventure et au parcours symbolique du héros dans lequel prime la quête du sens. Alors seulement, la fiction courtoise et chevaleresque se détache de la gangue historique dont elle est issue62.

31Après avoir rapporté l’institution par Arthur de la Table Ronde, Robert Wace, le traducteur de l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, signale un vide dans sa chronique : les douze ans de paix que connaît alors le royaume d’Arthur et durant lesquels, dit-il, eurent lieu les nombreuses aventures que l’on conte sur Arthur. Comme le note E. Baumgartner :

  • 63 E. Baumgartner, Romans de la Table Ronde de Chrétien de Troyes, Paris, Gallimard, 2003, p. 15.

Tout se passe comme si Chrétien, qui fut un lecteur très attentif de Wace, avait en quelque sorte accaparé ce temps mort dans le règne d’Arthur pour y déployer librement, en marge de l’histoire […], la part de la merveille63.

  • 64 L’histoire se situe vers 1135 près de 40 ans après la première croisade lancée par le pape Urbain I (...)

32Que Thibaud ou les Croisades s’inscrive dans un intervalle entre la Première et la Deuxième Croisade, en une période de latence comparable à celle qu’exploite Chrétien64, invite à esquisser un parallèle. En évitant de s’attacher à une croisade en particulier pour mieux les évoquer toutes, Thibaud se hausse au plan du mythe – du mythe des croisades, auquel il identifie son héros. C’est ce que souligne le titre de la série.

33Rompant avec les romans d’antiquité, les récits arthuriens signent ce que M. Zink nomme « l’aveu de la fiction » :

  • 65 Zink, Littérature française du Moyen Âge, p. 143.

En quittant l’Antiquité et le monde méditerranéen pour la Bretagne et le temps du roi Arthur, le roman renonce à la vérité historique, référentielle, et doit se chercher une autre vérité. Une vérité qui est celle du sens ; un sens qui se nourrit pour l’essentiel d’une réflexion sur la chevalerie et l’amour65.

  • 66 E. Auerbach Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. C. Heim (...)

34Et si, selon la formule d’E. Auerbach, « le réalisme des romans courtois se limite à la peinture d’une seule classe de la société66 », celle des bellatores, il faut ajouter que ce réalisme est peint aux couleurs de l’idéal :

  • 67 E. Faral, « Le merveilleux et ses sources dans les descriptions des romans français du xiie siècle  (...)

Il est digne de remarquer que, dans le plus grand nombre des cas, uniformément, [la description] est conçue, si divers qu’en soient les objets, dans une intention élogieuse. Elle est destinée à exciter l’admiration ; elle prétend enchanter l’imagination du lecteur67.

  • 68 Voir J. J. Baldwin, Les Langages de l’amour dans la France de Philippe Auguste, trad. B. Bonne, Par (...)
  • 69 G. Duby, « Que sait-on de l’amour en France au xiie siècle ? » [1988], repris dans Féodalité, Paris (...)

35C’est bien, en effet, dans le cadre de cette perspective épidictique, à travers l’écriture de la merveille et selon l’orientation imprimée par une courtoisie dans laquelle J. Le Goff voyait le premier idéal laïc, qu’il faut inscrire la figure de Thibaud ainsi que l’univers dans lequel il évolue. À côté de la chevalerie qui occupe le premier plan, figure l’amour et notamment, parmi les langages de l’amour68, celui que l’on dit courtois, bien illustré par l’épisode intitulé « Sibylle et Thibaud » (I, 4). Après avoir cueilli une rose dans le jardin où il a rencontré la jeune femme, le héros lui offre en retour, dès le lendemain, une rose des sables… Au cours du voyage qui les mène jusqu’au château du mari de Sybille, les deux jeunes gens apprennent à se connaître et à s’aimer. Mus par une haute idée de l’honneur et de la chevalerie, ils se quitteront avec noblesse à la fin du voyage, tant il est vrai que la fin’amor, fille de l’utopie, se déploie dans « les espaces dégagés de la gratuité, de la liberté ludique69 ». Loin du pôle charnel incarné par le mari, par la seigneurie, cet art d’aimer se comprend par référence à la chevalerie, celle du fin’amant.

  • 70 Auerbach, Mimésis, p. 140.

36Si le propos essentiel des romans courtois est de « représenter, d’un point de vue lui-même féodal, les mœurs et les idéaux de la chevalerie féodale », pour autant « ses formes extérieures ne sont pas négligées ; elles sont dépeintes à loisir70 ». Comme le souligne E. Faral :

  • 71 Faral, « Le merveilleux et ses sources », p. 307.

Il semble que ç’ait été, pour les poètes auteurs de romans, à qui peindrait les jardins les plus magnifiques, les châteaux les plus somptueux, les femmes les plus éblouissantes, les curiosités les plus rares, les prodiges les plus inattendus71.

  • 72 M.‑M. Davy, Essai sur la symbolique romane (xiie siècle), Paris, Flammarion, 1955.
  • 73 Jusqu’à un certain point, un parallèle pourrait être esquissé avec le Perceval le Gallois d’Éric Ro (...)
  • 74 À titre de comparaison, se reporter à la musique que Georges Delerue a composée pour l’opéra de Bor (...)
  • 75 Voir G. Loison, livret de huit pages, notes internes français-anglais, dans Thibaud ou les croisade (...)

37Dans Thibaud, l’art du décor repose sur ce que M.‑M. Davy nomme un « langage roman72 », langage fondé sur le symbole, la stylisation des formes et un certain parti de théâtralité, conforme au découpage en scènes que l’on rencontre dans les romans de Chrétien de Troyes73. À cette grammaire visuelle répond, selon une formule souvent employée par la critique, la musique « lyrique et chevaleresque » de G. Delerue. Si l’on dit souvent que la musique est l’âme d’un film, cette âme entraîne Thibaud moins vers le genre théâtral74 que vers le romanesque des grands espaces et des longues chevauchées, au gré de leitmotive savamment concertés75.

  • 76 Fr. Jullien, L’Invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Paris, Gallimard, 2017 [2008], p. 13 (...)

38Au fond, c’est à une écriture de l’idéal qu’est ordonné Thibaud ou les Croisades, dans la lignée des romans chevaleresques et courtois des xiie et xiiie siècles. Cette fiction télévisuelle de la fin des années 60 s’accorde bien, sous ce rapport, à la définition de Fr. Jullien, qui voit dans l’idéal une invention européenne : « détaché de l’expérience », il « représente l’absolu de notre aspiration76 ». Le blanc manteau de Thibaud, immaculé en toute circonstance, est une merveille au sens médiéval du terme. Il relève d’une vérité du sens, et non de la référence. Et c’est bien parce qu’il est « détaché de l’expérience » que l’idéal en tant que tel (et notamment l’idéal chevaleresque) est transhistorique.

39Le détachement n’est pourtant pas son seul mode d’être :

  • 77 Jullien, L’Invention de l’idéal, p. 19-20.

L’idéal est concept, et force à la fois. Il exige son incarnation en même temps qu’il se prévaut de l’impossibilité de celle-ci. Tout en se proclamant d’un autre monde, il est le plus en mesure de mobiliser effectivement celui-ci et de le transformer77.

  • 78 M. Godelier, L’Idéel et le matériel, Paris, Flammarion, 2010 [1984], p. 199.

40Pour désigner l’envers historicisé de l’idéal, pour définir « la pensée dans toutes ses fonctions, présente et agissante dans toutes les activités de l’homme, lequel n’existe qu’en société78 », l’anthropologie avance la notion d’idéel. À l’encontre d’un imaginaire conçu comme supplément de rêve ou arrière-plan illusoire, M. Godelier observe que « tout rapport social, quel qu’il soit, inclut une part idéelle, une part de pensée, de représentations », précisant :

  • 79 Godelier, L’Idéel et le matériel, p. 171-172.

Ces représentations ne sont pas seulement la forme que revêt ce rapport pour la conscience, mais font partie de son contenu. Il ne faut pas confondre idéelle avec idéale […]. Loin d’être une instance séparée des rapports sociaux, d’être leur apparence, leur reflet déformé-déformant dans la conscience sociale, elles sont une part de ces rapports sociaux dès que ceux-ci commencent à se former et elles sont une des conditions de leur formation79.

41La « part idéelle du réel » sur laquelle reposent les romans arthuriens a fait l’objet de recherches socio-historiques (A. Guerreau-Jalabert ou J. Morsel, notamment). Reste à étudier celle que met en œuvre Thibaud en offrant aux téléspectateurs du début du xxie siècle la fiction d’un chevalier idéal au temps des croisades.

La fabrique des croisades

  • 80 Dans le cadre de cet article, il s’agit simplement d’évoquer les événements marquants qui présenten (...)
  • 81 À l’étranger, en revanche, la production cinématographique est active autour des principaux personn (...)

42La recontextualisation à la fin des années 1960, ou la focalisation sur le plan de l’idéel et/ou de la référence, éclaire la fabrique des croisades au sein de Thibaud ou les Croisades80. C’est le premier feuilleton qui appréhende en effet un passé soigneusement contourné jusqu’alors par la littérature populaire et le cinéma de l’hexagone81. En fonction du contexte historique, caractérisé ces années‑là par le développement de l’ère de consommation corrélée à la culture de masse, les croisades y sont envisagées selon un double processus : d’une part, un accaparement de l’Histoire des croisades à partir de la mobilisation d’un fonds documentaire ; d’autre part, sa déshistoricisation causée par l’Histoire contemporaine marquée au sceau de la guerre d’Algérie et de la décolonisation qui, bousculant le système de représentation des rapports politiques et socio-culturels, enclenche dans un effet de boomerang la rehistoricisation de l’Histoire des croisades.

Sources historiques, engagements intellectuels, médiations culturelles

43Les réalisateurs de films et les scénaristes, écrivains et dramaturges, n’éprouvent pas le besoin propre aux historiens de métier de documenter les sources auxquelles ils s’adossent, et nulle archive télévisuelle ne vient, à notre connaissance, les identifier.

  • 82 Voir Chr. Tyerman, The Debate on the Crusades, Manchester – New York, Manchester University Press, (...)
  • 83 Tyerman, The Debate on the Crusades, p. 5.
  • 84 Pour les origines de ces mouvements de pensée, courants et influences, et leur analyse, voir Tyerma (...)
  • 85 E. Sivan, « Modern Arab Historiography of the Crusades », Asian and African Studies, 8, 1972, p. 10 (...)
  • 86 Voir J.‑P. Rioux, La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, éd. J.‑P. Rioux et J.-Fr. Siri (...)
  • 87 Rioux, La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, p. 19.
  • 88 Propos de l’auteur dans un entretien à propos de la sortie de son ouvrage Les Mémoires dangereuses  (...)

44L’adaptation télévisée ne laisse rien filtrer des recherches universitaires qui traitent des croisades, ni de leur définition, ni de leur nature. Elle écarte les questionnements et les critiques qu’elles avivent ou ravivent immanquablement au gré des soubresauts de l’Histoire. Chr. Tyerman s’est employé à synthétiser les domaines où elles sont volontiers convoquées82 : « cultural and religious identity, economic and political expansion, imperialism and colonisation, the ideology legitimacy and pathology of public violence, the experience of war […], inter-ethnic and inter-faith relations […]83 ». Aux lendemains de la guerre d’Algérie, le feuilleton ne pouvait manquer, semble-t-il, d’attirer l’attention sur le lien noué entre le colonialisme et la croisade. Ce lien, de longue date déjà, est rationalisé dans le premier vingtième siècle par les travaux d’historiens comme, pour ne citer qu’eux, R. Grousset, développant le concept de colonies françaises, J. Richard, parlant en 1953 de colonies franques, ou encore, hors de France, J. Prayer84. D’autres aspects gagnent en visibilité, dont la mise en cause d’une vision purement eurocentrique, qui favorise un déplacement du regard sur l’Orient : en témoigne l’article pionnier d’E. Sivan, daté de 1972, « Modern Arab Historiography of the Crusades85 ». Plus tardive, cette approche n’affecte pas encore la façon dont sont reçues les croisades, au moins dans le grand public. Pour apprécier Thibaud, on ne trouve guère d’éléments non plus dans les prises de position différentielles des intellectuels sur la guerre d’Algérie86. Si la colonisation et la décolonisation ont beaucoup agité les esprits aux alentours des années 1960 et ont fait évoluer les « cultures politiques87 », l’heure n’est plus aux polémiques. « La mémoire de la guerre d’Algérie était effacée », constate B. Stora : pour les intellectuels en 1967 ou 1968, d’autres causes en effet primaient : le Vietnam, le gaullisme, « la société de l’époque très fermée, étouffante88 ».

  • 89 Aujourd’hui, en effet, des historiens sont sollicités dans la création de séries : témoin Jean-Pier (...)
  • 90 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 254.
  • 91 Voir P. Garcia et J. Leduc, L’Enseignement de l’histoire en France, de l’Ancien Régime à nos jours, (...)

45L’écriture du feuilleton s’avère donc a priori imperméable au monde universitaire et intellectuel, à l’encontre des nouvelles habitudes qui se sont installées aujourd’hui de solliciter un conseiller historique pour l’écriture du scénario89. L’entreprise créative des réalisateurs relève bien davantage de l’avènement d’une « culture de masse » et de la marginalisation de la culture « cultivée » des intellectuels et des élites90. Désireux de transmettre une culture populaire accessible, les hommes de télévision puisent, peut-on supposer, faits et chronologie dans un savoir issu de l’enseignement scolaire de l’Histoire, encore influencé par Lavisse et les penseurs de l’école républicaine91. Comme l’observe S. Citron :

  • 92 S. Citron, Le Mythe national. L’histoire de France revisitée, Paris, Éditions de l’Atelier / Éditio (...)

Lavisse fixa, pour les écoles, un TEXTE du passé, organisé autour d’une France sans commencement, incarnée dans une Gaule mythique, succession d’actes de guerre et de conquêtes licites puisqu’ils construisaient une patrie préexistant à sa formation. Les abus de pouvoir servant la grandeur et l’unité de l’État étaient soit légitimés, soit occultés92.

  • 93 Cité dans l’article de Fr. Lorcerie, « L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’imm (...)
  • 94 Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 207. Le sens religieux des croisades est égalem (...)
  • 95 L’expression « roman national » est une expression popularisée par P. Nora en conclusion du dernier (...)
  • 96 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 207.
  • 97 Voir Lorcerie, « L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane […] (...)
  • 98 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, n. 6, p. 208, citant Cl. Billard et P. Guibbe (...)
  • 99 Lorcerie, « L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane […] », p (...)

46Dans l’idée de Lavisse et des « Pères de la République » cités par l’historienne, l’Histoire que l’on écrit et que l’on enseigne, qui enregistre et vulgarise la science instituée, est un opérateur de « réassurance nationale », associant une visée cognitive et une finalité politique patriotique. J. Le Goff va dans ce sens : « l’histoire de Lavisse et de Malet-Isaac était celle d’une nation rassemblée autour de la conscience de son unité affirmée, vaille que vaille, de la valeur universelle de son modèle93 ». Le manuel d’A. Malet et J. Isaac, Le Moyen Âge jusqu’à la guerre de 100 ans (classe de 4e), dont le dernier tome paraît en 1961, réserve un chapitre entier aux croisades d’Orient, où la première croisade est jugée « la plus extraordinaire » des grandes expéditions féodales94. Dans Thibaud, la première croisade, âge d’or perdu de la chevalerie au service du Christ, est remémorée avec nostalgie par Blanchot, alors au côté de Raymond de Saint Jean (II, 9). La croisade, susceptible d’alimenter le « roman national95 », est donc affaire de bravoure, de patriotisme et de providentialisme96, par l’héroïsme des faits et des gestes de ses participants. Les manuels scolaires, respectant les instructions de l’Éducation Nationale97, ne modifient guère par la suite l’apologie plus ou moins dissimulée de la supériorité occidentale et française, acquise dans la science et dans les mentalités, certains versant même dans l’histoire mythologique98. Et il faut attendre le BO spécial no 4 de 1987 pour qu’une évolution s’opère autour du mot de civilisation : « les croisades ne sont plus évoquées seulement comme un épisode guerrier mais comme un fait de civilisation où chacun affirme son identité tout en se pénétrant de l’influence de l’autre99 ».

  • 100 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 264.
  • 101 Un sondage rapide et sauvage révèle que ce feuilleton n’est vraiment connu que par la génération né (...)
  • 102 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 263.

47La télévision se fait le medium privilégié de cette histoire propagée par les manuels. Elle joue un rôle majeur dans la culture de masse, qu’elle construit et revendique pour un grand public sans distinction sociale et en recherche du happy end100. Les réalisateurs se conforment à l’ambition de l’ORTF, qui entend faire de ce type de feuilleton un outil à la fois de promotion culturelle et d’apprentissage de la citoyenneté. Thibaud enrichit, fût-ce modestement et pour une petite génération101, « l’album des images » qu’invoquent S. Berstein et J.‑P. Rioux102, et contribue à une culture populaire de bonne qualité et à la louange de l’esprit civique. Les critiques, peu nombreux, rendent justice à ce programme d’apparence consensuelle. Dans Télérama, Cl.-M. Trémois se félicite qu’enfin le Moyen Âge soit restitué « sans que cela sente le carton bouilli et le déguisement de carnaval », et le même Télérama, on l’a vu, précise ce renouvellement culturel du médiéval, par l’entremise d’un personnage de fiction peu susceptible a priori de froisser les sensibilités, « un nouveau héros, Thibaud, le preu (sic) chevalier ».

  • 103 J. Le Goff, L’Imaginaire médiéval. Un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1999, Préface de la premiè (...)

48La mise en contexte du feuilleton éclaire sa tonalité, sa teneur et son parti pris grand spectacle. Elle montre comment il quitte le territoire de l’Histoire pour rejoindre les rives de l’imaginaire, que J. Le Goff cerne par trois concepts : celui de représentation non pas littérale d’une réalité extérieure, mais « la traduction mentale d’une réalité extérieure » perçue suivant un processus d’abstraction, une traduction créatrice qui la déborde ; celui de symbolique qui renvoie « l’objet considéré à un système de valeurs sous-jacent, historique ou idéal » ; enfin celui d’idéologique, qui présuppose une vision du monde soumettant la représentation du monde à un sens103. Ces concepts entrelacés commandent le style d’un feuilleton qui se détourne de la référence à l’Histoire des croisades pour esquisser un nouvel idéal consonant avec la fin des années 1960.

Déshistoriciser la croisade

  • 104 Si l’on se fie à la chronologie, ce serait Thibaut ii de Champagne, mais l’important est plus l’eff (...)
  • 105 Voir, par exemple, l’Estoire de la guerre sainte, éd. C. Croizy-Naquet, Paris, Champion, 2014, v. 4 (...)
  • 106 Voir J. Richard, « L’indulgence de croisade et le pèlerinage en Terre sainte », Il Concilio di Paci (...)
  • 107 J.-Ch. Payen, « Une poétique du génocide joyeux : devoir de violence et plaisir de tuer dans la Cha (...)

49Le titre Thibaud ou les Croisades, avec l’emploi de la conjonction de coordination qui fait dépendre les croisades de Thibaud, emblématise, on l’a dit, cette prise de possession de l’Histoire médiévale et la déshistoricisation qui la frappe simultanément. Par le truchement d’un héros fictif, le fait historique coupé de sa référence est rendu plastique et malléable : il se transforme, s’embellit, voire se dénature, révisant positivement le passé et prédisant une forme d’avenir qui est aussi une forme de pensée sur la vie en société. Certes, Thibaud porte le nom d’un célèbre croisé, Thibaut de Champagne104 ; certes, le costume, la parole, l’espace et le décor oriental sont médiévalisés. Mieux : le feuilleton conserve les traces de l’aura de Jérusalem, dont la pensée agite, dès les origines, les prédicateurs, Urbain II en tête, et nourrit la mentalité et l’imaginaire des croisés. Il laisse affleurer la nature d’exception de la croisade et du pèlerinage en Terre Sainte à travers les souvenirs de Blanchot : un combat lancé au nom de Dieu contre les païens diabolisés105 pour le Bien de la chrétienté ; une bataille sous l’égide de la protection miraculeuse de Dieu, qui dispense aux combattants honneur et récompenses célestes et réserve aux victimes la vie éternelle et la couronne des martyrs106. Blanchot constate d’ailleurs avec une certaine envie que Thibaud réussit dans toutes ses entreprises, comme s’il était l’élu de Dieu. Cette remarque, qui oriente vers un processus de rémunération céleste de ses mérites et de son engagement, ne qualifie pas cependant le héros en idéal du croisé prêt à tout sacrifier, dans la dynamique du « génocide joyeux » évoqué par J.-Ch. Payen107.

  • 108 Voir J. Richard, L’Esprit de la croisade, éd. J. Richard, Paris, Le Cerf, 2000.
  • 109 Voir P. Alphandéry et A. Dupront, La Chrétienté et l’idée de croisade, Paris, Albin Michel, 3 vol.  (...)
  • 110 Sur les croisades, leur contexte, l’idée et les pratiques, se reporter, par exemple, à G. Constable (...)
  • 111 Voir La Chanson de Roland, éd. C. Segre, nouvelle édition refondue traduite de l’italien par M. Tys (...)
  • 112 Voir Storelli, « La chevalerie comme catégorie achronique ».
  • 113 Tel Lagardère, héros d’une série télévisée créée par Marcel Jullian en 1967.
  • 114 Voir, à titre d’illustration, le catalogue de la Bibliothèque nationale de France issu de l’exposit (...)
  • 115 Voir Jean de Joinville, La Vie de saint Louis, éd. et trad. J. Monfrin, Paris, Garnier, 1995.
  • 116 Rappelons que Godefroy entre la liste des Neuf Preux : le motif se lit pour la première fois dans l (...)

50Le Chevalier blanc n’incarne guère l’esprit des croisades, tel que le définit J. Richard108 : il n’en véhicule que partiellement l’idéologie109 et n’en illustre qu’avec quelque distance les croyances et les actes. Thibaut n’est ni Roland, le héros épique tout habité par la foi et ses exigences sans concession, ni Godefroy de Bouillon, le personnage historique, héroïsé, emporté par sa mission de reconquête110. Le moment de l’action entre deux croisades justifie ce détournement de la référence à la figure archétypale du croisé et à la « réalité » des croisades, fût-elle partiellement conservée dans sa factualité111. Mais les réalisateurs instruisent un changement de paradigme axiologique, comme on l’a dit, qui apparente bien davantage Thibaud à l’idéal du chevalier courtois. S’agissant de la référence historique, ils instaurent un double décalage : pour la période médiévale, en versant le personnage dans le champ du roman et, pour la période contemporaine, en dénaturant la figure historique du croisé que donne à percevoir l’historiographie des croisades. Avec ce personnage de fiction qui ressortit à la catégorie achronique définie par X. Storelli, telle qu’elle s’est concrétisée avec Chrétien de Troyes112, ils inventent un personnage modélisant, tout de bonté et d’audace bien comprise, qui fascine les enfants et en qui il est loisible de se mirer. Thibaud ressemble aux héros qui, sans jamais « défamiliariser » le spectateur, peuplent l’écran des années 1960-1980113. Dans un empan temporel et générique plus large, il partage avec des figures historiques et légendaires des stéréotypes déclinés à l’envi, mais situés précisément en contexte depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours114. Il entre dans le panthéon des grands modèles médiévaux que sont Roland, Charlemagne, Richard Cœur de Lion, Louis IX, que Joinville, parmi d’autres, s’est évertué à dépeindre en saint homme115, et, bien sûr, Godefroy de Bouillon, que Blanchot mentionne avec admiration (I. 9)116.

  • 117 Pour la période considérée, voir en particulier Balard, Les Latins en Orient (xe-xve siècles), p. 7 (...)
  • 118 Voir B. Lewis, Les Assassins. Terrorisme et politique dans l’Islam médiéval, trad. A. Pélissier, Pa (...)
  • 119 Parmi les victimes, citons, côté sunnite, Mawdûd, Bursuqî et, côté chrétien, Raymond ii de Tripoli, (...)
  • 120 Sur ce point, voir notamment M. Balard, « Melisende, reine de Jérusalem », Retour aux sources. Text (...)

51La déshistoricisation est accusée en corollaire par une réécriture du passé sur un mode elliptique et sélectif. L’entre-temps arraché à l’Histoire, c’est-à-dire un moment de calme relatif entre les deux premières croisades, sous le règne de Foulques v, n’est, il est vrai, guère contraignant, comme l’est une expédition dont les faits sont consignés par le menu dans les chroniques. Il ouvre un espace fictionnel que les scénaristes ont beau jeu de combler par le foisonnement d’aventures qu’ils annexent à la trame historique117. De nombreux épisodes se rattachent à des données enregistrées par les historiens, mais leur emploi en fait plutôt un matériau adjuvant de la fiction. Le « Crime du Templier » (II, 9) en fournit un exemple. Dans cet épisode, le roi Foulques décide de conclure une alliance avec la secte des Assassins. Une brève introduction pédagogique en voix-off livre quelques informations exactes sur cette secte musulmane composée d’Ismaélites nizârites, alors réfugiée dans les montagnes. Elle est réputée pour son recours aux assassinats sous les ordres de son chef, appelé le Vieux de la Montagne – il en est ainsi dans le feuilleton –, assassinats accomplis avec un zèle tout fanatique118. Elle fait de la terreur une arme politique dirigée contre les dirigeants, tant musulmans que chrétiens, qui refusent la création d’un imâmat119. D’entrée, il est dit que le royaume chrétien de Jérusalem a besoin de la secte pour contrer les offensives de leur ennemi commun, Zenghi, atabeg de Mossoul et d’Alep. Mais le roi se heurte à l’opposition des Templiers, qui refusent de pactiser avec le « diable », le « démon ». L’un d’entre eux, le Frère Ulrich, tue de son épée l’envoyé du Vieux de la Montagne, Akbar, lors d’un affrontement régulier. Thibaud, qui se rend sans hésiter auprès du redoutable Vieux de la Montagne au péril de sa vie, sauve la situation par un stratagème, ménageant à la fois la secte des Assassins et les Templiers pour le plus grand bénéfice de Foulques v. C’est là pure invention, mais une invention tirant profit de la réalité des échanges réels entre Assassins et chrétiens, grâce à laquelle les réalisateurs, une fois de plus, rehaussent l’image idéalisée/idéale du chevalier croisé en chevalier celestiel. À travers l’accord passé, ils insistent sur la nécessité de concilier la foi et la politique, de conjuguer les engagements célestes et terrestres dans un univers où l’emprise des clercs a cédé devant l’éclosion d’une nouvelle figure chevaleresque et où l’empire du miles Christi, ici enfermé dans sa logique vindicatoire, est désavoué. D’autres épisodes reprennent, avec la même liberté et la même distance à l’endroit de la réalité, faits et personnages historiques. Le conflit qui naît entre Hugues de Puiset, comte de Jaffa, et le roi Foulques au sujet de la reine Mélisende est résolu par Thibaud sans qu’en soient détaillés exhaustivement les ressorts privés et surtout politiques (I, 10)120. L’Histoire est « enromancée » à la façon médiévale et se dissout dans une fiction historique derrière l’histoire d’un héros fictif.

  • 121 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971, p. 15. Pour une définition de cette noti (...)
  • 122 Les réalisateurs déploient toute l’« imagerie » à disposition : le mot s’entend au sens d’ensemble (...)
  • 123 Sur ce point, voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 205. On se situe là dans ce (...)

52L’événement historique que P. Veyne conçoit comme « une différence » qui « se détache sur fond d’uniformité121 » est de la sorte sciemment sacrifié au profit d’une collecte de faits entremêlant les acteurs historiques et les personnages fictifs dont les mœurs et coutumes et le langage structurent le story telling, à des fins ludiques et pédagogiques. Le feuilleton accumule du reste les péripéties aux registres les plus variés sans référent identifiable et les images d’Épinal122, qui se tissent au savoir historique comme autant de vignettes (danse du ventre des danseuses orientales, scènes de banquets et de tavernes, decorum royal, gestuelle). Dans cette recomposition, le feuilleton n’est que lointainement inféodé à l’Histoire et à l’imaginaire des croisades que les manuels élaborent et réenchantent comme un épisode glorieux, même malheureux, qui ensemence des modèles vivaces dans la mémoire collective123.

  • 124 Sur ce point, parmi d’autres études, voir A. Guerreau-Jalabert, « L’ecclesia mediévale, une institu (...)
  • 125 Voir Y. Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Éditions A (...)
  • 126 Voir notamment Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 25-26.
  • 127 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 13.
  • 128 Sur l’importance de cette vertu théologale, voir notamment A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et cari (...)
  • 129 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 280, en référence à l’ouvrage de M. de Certeau et (...)
  • 130 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 281 sqq.

53Cette réécriture conduit plus fondamentalement à décentrer les raisons et les finalités des croisades. La domination de l’ecclesia médiévale, « institution totale », selon A. Guerreau‑Jalabert124, qui sous-tend modes d’être et modes de penser est ainsi « actualisée », en l’occurrence dévitalisée, par la place relative concédée aux religions ou aux spiritualités chrétienne et musulmane125. La sacralisation de la violence dénotant la guerre sainte126 – violence et sacré liant passion et intolérance – est ignorée et privée de son inscription dans la longue durée, seule garante de sa pérennité127, au profit d’un beau spectacle savamment orchestré – la chorégraphie des combats est d’ailleurs confiée à un maître d’armes –, qui ne heurte pas la sensibilité du jeune public. Thibaud prône inlassablement le respect des cultures et des religions, repoussant toute velléité de conversion ou d’éradication de l’adversaire, et, dans une interprétation anachronique de la charité chrétienne, milite pour la primauté de la tolérance, à l’aune de laquelle se fait la peinture des personnages128. Un tel discours pouvait être audible à un moment où l’église catholique pâtissait à la fois d’un certain désinvestissement et d’un brouillage relatif de ses valeurs – on a parlé d’un « christianisme éclaté129 » – et où l’islam des immigrés était discrètement présent130.

54Le feuilleton échappe pour partie à l’agrandissement épique et à la restitution historiographique qui prévalent dans les œuvres médiévales relatant les croisades, et plus encore au déferlement de réalisme qui habite les séries contemporaines, et réfléchit les apories, les inquiétudes, les violences de la société. La veine pacifiante qui la parcourt coupe les expéditions en Terre Sainte de leur histoire et fait obstacle à toute historicisation en leur ôtant leur réalité et leur altérité. Défendant les valeurs humanistes et surtout la tolérance comme façon d’être au monde, Thibaud tend à faire des croisades la rencontre virtuellement harmonieuse des civilisations, sous le regard lucide mais confiant d’un héros transcendant les différences en vertu du respect de chacun.

  • 131 Voir de ce point de vue D. Moïsi, Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, Paris, Stock, (...)
  • 132 M. Ferro, Une histoire sous surveillance, Paris, Calmann Lévy, 1985, p. 8.

55Si les réalisateurs se risquent ainsi sur le terrain de l’Histoire, c’est donc pour mieux s’en affranchir et s’épanouir dans l’espace de la fiction, sans chercher, contrairement aux séries actuelles inspirées de l’Histoire131, à interroger l’événement et moins encore à l’inquiéter. En cela, le feuilleton est conforme à la logique des programmations télévisuelles et à la mise en place de grilles calibrées dictant le genre de la fiction historique. Les connaissances sur la/les croisade(s), telles qu’elles sont réinvesties, ne créent pas d’écart avec le téléspectateur et n’encourent pas le risque de le décevoir. Obéissant à son horizon d’attente, elles cultivent l’émotion et la sensation ; elles flattent le désir d’ailleurs et d’autrefois et le plaisir : plaisir des paysages, des costumes, des combats réglés avec soin, des personnages qui font rêver, qui font peur ou qui font rire. En somme, le feuilleton raconte la croisade sans la croisade, la semblance sans la senefiance, ou une senefiance réduite à un message universalisant qui se garde des pièges du manichéisme, en auréolant de prestige autant les figures orientales que les figures occidentales. Cette déshistoricisation, qui s’effectue en soustrayant l’événement à son temps historique, n’est pas réductible à la seule motivation ludique et pédagogique. Le silence sélectif peut se comprendre en faisant retour à l’Histoire contemporaine, à l’idéel qui lui est attaché, car « les silences sont autant l’histoire que l’histoire », dit M. Ferro132.

Rehistoriciser la croisade

  • 133 Puisque l’État refusait de reconnaître l’état de guerre : voir notamment G. Pervillé, « Les histori (...)
  • 134 Voir S. Thénault, « France-Algérie pour un traitement commun du passé de la guerre d’indépendance » (...)

56Les choix qui président à l’écriture du scénario réfèrent, sans qu’ils soient forcément concertés et formalisés, au contexte historique et géopolitique qui se dessine au sortir de la « guerre d’Algérie », cette guerre sans nom133. L’image télévisuelle qui transforme l’Histoire médiévale découvre les tabous, les interdits, les non-dits de la société de la fin des années 60. Les réalisateurs relisent librement l’Histoire médiévale, en vertu d’un présent qui interfère avec le passé134. La colonisation et la décolonisation sont soigneusement mises sous le boisseau, sans doute parce que la guerre du Vietnam en particulier est au cœur de l’actualité, sans doute aussi parce que les traumatismes profonds qu’elles ont provoqués sont restés tus.

  • 135 Thénault, « France-Algérie », p. 124.
  • 136 Ferro, Une histoire sous surveillance, p. 6.
  • 137 Cela n’empêche pas que des recherches soient conduites de manière individuelle ; voir Pervillé, « L (...)

57Sensibles à la proximité des situations au Moyen Orient à quelques siècles de distance, en une redite, les scénaristes « translatent » la croisade dans un jeu de miroir entre un passé reconstruit et valorisé et un présent problématique, qui incline à réhabiliter en filigrane les colonisateurs. Par l’usage fictionnel de la croisade grâce au personnage de Thibaud, le feuilleton aide à dépasser ou plutôt à contourner et éviter « [le] souvenir vif et douloureux, [le] sentiment de culpabilité pour les crimes commis, [le] constat d’illégitimité imposé par la décolonisation » qu’ont laissés la guerre d’Algérie à peine une décennie plus tôt135. Le silence sur la « véritable » Histoire des croisades, compensé par l’accent mis sur la dimension humaniste, s’explique donc parce que Thibaud touche à « tous ces martyrs collectifs, que les guerres, croisades et autres djihads font subir aux vaincus136 ». Histoire des croisades, histoire de la guerre d’Algérie se recouvrent ainsi sur un même lit de silence, consenti ou imposé, aux motivations variées137.

  • 138 Pervillé, « Les historiens de la guerre d’Algérie », p. 257-258.
  • 139 Même si la censure ne paraît pas de mise, et contrairement aux apparences, la guerre du Vietnam ne (...)
  • 140 Un tel déni d’Histoire touche du reste aussi la période de la collaboration ; voir Pervillé, « Les (...)

58L’absence de commémoration officielle qui signe une « politique de l’oubli » et l’impossibilité de trouver un consensus entre des camps ou des « mémoires concurrentes138 » sont exacerbées par la censure qui, au même moment, s’exerce impitoyablement au cinéma139.Songeons aux films interdits : La Bataille d’Alger de G. Pontecorvo (1969), Avoir vingt ans dans les Aurès de R. Vauthier, Prix de la critique à Cannes en 1972 et qui aborde de front la guerre d’Algérie et les responsabilités françaises140.

  • 141 Sur ses différents aspects, voir J. Bourdon, « Censure et télévision », La Censure en France à l’èr (...)
  • 142 Expression de Ferro, Une histoire sous surveillance, p. 71.
  • 143 Tyerman, The Debate on the Crusades, p. 125, qui cite H. E. Mayer, The Crusades, trad. J. Gillingha (...)
  • 144 Sur le pouvoir et la télévision, voir Bourdon, « La guerre d’Algérie à la télévision », p. 313-316.
  • 145 J. Daniel, La Blessure, suivi de Le Temps qui vient, Paris, Grasset, 1992.
  • 146 Cité dans Les Mots pour la dire, éd. Brun, p. 71.
  • 147 Voir La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, éd. Harbi et Stora.

59À la télévision, la censure s’exerce plus ou moins souterrainement141. Les réalisateurs, qui ne sont pas des militants engagés, pratiquent plutôt une autocensure. Ils se tiennent à distance de l’Histoire pour complaire aux commandes passées par l’ORTF : divertir et édifier la jeunesse, promouvoir une France glorieuse. Ils brandissent la carte de la fiction, produisant une « contre-histoire » des croisades142, assumée car fictionnalisée, qui, par ses impensés, recadre implicitement la tragédie récente. En ce sens, c’est bien l’époque qui construit la croisade, si l’on suit Chr. Tyerman, qui cite H. E. Mayer : « the crusades filtered through the material of own mind143 », et c’est bien, pourrait-on ajouter, la croisade recomposée et revisitée qui construit à son tour le moment contemporain ou la représentation mentale qu’on aspire à lui donner. Cette reconstruction accuse évidemment la forte allégeance des réalisateurs à la Télévision, et celle de la Télévision au pouvoir établi et à la société, impréparés à faire face aux bouleversements existentiels nés des « événements » de la guerre d’Algérie144. Elle entretient, dans une sorte d’amnésie par anticipation, la « blessure », comme le dit le titre de l’ouvrage de J. Daniel145, à propos de cette guerre « à la fois guerre civile, affrontement culturel et religieux […] révolution sociale et mouvement national146 ». Dans un tel contexte, le feuilleton est l’expression oblique, interstitielle, d’un inconscient collectif fait de traumatismes à vif que la pâte historique d’hier avantageusement remodelée à l’honneur des Francs aide à enfouir147.

  • 148 Sur ce point, voir l’étude pionnière et polémique d’Edward Saïd, plus tardive (1978), sur cette vis (...)

60Thibaud n’est pas, on l’a constaté, lénifiant pour autant : il est même en soi un défi. Faire d’un croisé chrétien le croisé d’une musulmane et d’un chrétien et, en conséquence, le médiateur des cultures, comme le montre si bien le portrait de Thibaud dans Télérama avec son keffieh, a en effet quelque chose de transgressif. Le fait d’être « poulain » permet d’hypostasier les conflits pérennes qui opposent Francs et musulmans, colons et colonisés/décolonisés, et de remédier au clivage frontal et manichéen entre deux civilisations grâce à la conduite exemplaire d’un héros achronique. Justicier dont la mission est de maintenir la loi et l’ordre dans une Palestine où cohabitent, plus que ne se confrontent, Francs, Sarrasins, Juifs et Turcs, il personnifie la reconnaissance de l’autre comme le fondement de la société. Thibaud rédime, côté occidental, les figures d’hier et d’aujourd’hui placées sous le signe de la violence : celle du croisé appelé par Dieu à mener la guerre sainte louée dans les chansons de geste et figuré par les Templiers et celle du colonial convaincu de sa mission civilisatrice. Le feuilleton ne s’exempte pas tout à fait, il est vrai, des constructions fantasmées par l’Occident avec ses clichés orientalistes148. Dans une verve comique, la figuration de marchands lâches, apeurés, musulmans ou juifs, soumis au bon blanc, en donne un aperçu, avec l’accent ou le parler ordinairement attribué aux Orientaux dans la veine « y’a bon banania », slogan apposé sur l’affiche représentant un tirailleur sénégalais hilare, abandonné en 1967, mais dénoncé dès 1948 par Léopold Ségar Senghor dans le poème liminaire à L.‑G. Damas de son recueil Hosties noires. Toutefois, ce comique n’épargne pas les Occidentaux, dont la langue mâtinée d’un vocabulaire et de formules à la médiévale vire également à la caricature. Le baron avare qualifiant les musulmans de « frères couleur de boudin » et proclamant vouloir « brûler tout ce qui adore Mahommed » (sic) est décrédibilisé par l’excès de ses propos, qui déclenchent le rire. Le feuilleton ne s’abandonne donc jamais à l’apologie de Soi : il joue du retournement des clichés et rétablit l’équilibre – l’égalité ? – entre les peuples.

  • 149 Le feuilleton a été écrit, il est vrai, dès 1967.
  • 150 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 261.
  • 151 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 262.
  • 152 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 273.

61Par sa facture et son style, il s’instaure comme un acte de résistance à l’apologie des conquêtes, quelles qu’elles soient, rejetant la veine patriotique et religieuse longtemps nourrie dans l’Histoire officielle. En rejetant un ordre régi par l’extrémisme et par tout excès de violence, il exhorte au dialogue interculturel sans renier les croyances. À la marge de l’Histoire qu’elle remodèle, à la marge aussi des bouleversements causés par mai 1968 dans la politique comme dans les mœurs149, et malgré la fièvre contestataire secouant l’ORTF150, les réalisateurs créent un feuilleton humaniste fondé sur l’aspiration à croire que le bien est possible. Esquissant sa partition des droits de l’homme, Thibaud ouvre une brèche salvatrice dans un monde ébranlé dans ses certitudes et en proie à de profonds antagonismes plus ou moins mis en sourdine. La croisade, ainsi réécrite ou re‑présentée, ni dans la repentance ni dans la complaisance, est projetée dans l’avenir : conciliant idéel et idéal sur le champ de l’utopie, elle prend les couleurs de combats légitimes et jamais gratuits, où le bon, qu’il soit occidental ou oriental, finit toujours par l’emporter, avec la bénédiction du Blanc Chevalier qui clôt les épisodes. Cette réécriture fait sens dans l’ère de consommation en pleine effervescence à la fin des années 1960, évaluée « comme un défi modernisateur lancé aux Français depuis l’achèvement de la décolonisation en 1962151 ». Soucieuse de tracer un chemin de vie, elle entre en résonance avec la « mythologie du bonheur » qui se façonne alors152.

  • 153 Voir ci-dessus l’échange entre Blanchot et l’un de ces compagnons d’armes regrettant les temps pass (...)
  • 154 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 240.

62Néanmoins, la confiance en l’avenir, prégnante dans l’ode à la tolérance qui valorise une façon d’être qu’on pourrait nommer « esprit Thibaud » et fait table rase d’un passé dérangeant, est empreinte d’une nuance déceptive. D’une part, Thibaud, et il n’est pas seul153, déplore l’importance grandissante de l’esprit mercantile au détriment de la cause sacrée du Christ et des lieux saints. D’autre part, il s’estime, quant à lui, en décalage avec ce monde ; il se dit inapte à l’amour terrestre et fatigué par la violence : « notre royaume chrétien en Orient ne se maintient que par la force » (II, 9). Et plus encore, il se trouve empêché dans sa volonté d’étancher sa soif de spiritualité. Il est logique qu’il quitte alors le terrain. S’il faut bien achever la seconde série, n’y a-t-il pas, dans ce retrait ou cette retraite, comme le sentiment de la faillite d’un idéal ? N’y a-t-il pas le pressentiment, alors qu’une crise socio-culturelle et économique s’amorce à l’aube des années 1970, que les noces de la culture de masse et de l’ère de consommation, d’où s’absente la spiritualité, fût‑elle décléricalisée, sont vouées à creuser de nouveaux écarts et à générer de nouvelles violences154 ?

  • 155 Moïsi, Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, p. 18.
  • 156 Feuilletons tirés respectivement des romans de Walter Scott, de Maurice Druon et de Myriam et Gasto (...)
  • 157 Sur les faits, voir, entre autres, Chr. Tyerman, God’s War: A New History of the Crusades, Londres, (...)
  • 158 Homeland est une série américaine créée par Howard Gordon et Alex Gansa, d’après la série télévisée (...)

63La méthode adoptée pour fabriquer les croisades révèle dans Thibaud ou les Croisades un feuilleton historique qui a tout pour satisfaire les codes de l’apprentissage civique et du divertissement pédagogique élaborés à la Télé. Support de projection imaginaire sur la toile de fond des croisades, il n’aide assurément pas à dire l’Histoire médiévale, en lui posant des questions décisives pour un présent tourmenté. Il propose un discours sur le monde qui délivre, par une axiologie universalisante, une image optimiste de l’avenir. Il peut sembler aux antipodes des séries actuelles, devenues, comme le démontre D. Moïsi, « des outils incontournables de compréhension des émotions du monde, de la politique, de la transformation des mœurs aux progrès de la science, sans parler du sport155 ». Sa force pourtant est qu’il filtre l’inconscient collectif et se fait le témoin des rapports difficiles que la France entretient alors avec son Histoire passée et récente et qu’il en donne à percevoir les linéaments. Le silence dont il se pare sur les questions les plus sensibles est en effet corrigé par une revendication au vivre ensemble, sans souci d’indisposer acteurs et commentateurs des événements par sa vision irénique. Après Thibaud, l’engouement se porte sur des périodes historiques plus consensuelles et au potentiel romanesque affiché, avec les feuilletons Quentin Durward en 1971, Les Rois maudits en 1972, Gaston Phébus en 1978156. Le cinéma s’est emparé par la suite de la croisade, bien plus tardivement, en 2005, avec R. Scott et son film Kindgom of Heaven où, cette fois, même sous le couvert de la fiction, elle est comme saisie à bras-le-corps par le souci de la reconstitution historique157. Le filon semble s’être tari, à moins d’en voir aujourd’hui des rémanences dans les séries nées après le 11 septembre 2001, comme Homeland, où la problématique de la croisade, sous les avatars d’une guerre contre le terrorisme, renaît d’une autre manière158.

64Relire ainsi à quelque cinquante ans de distance un feuilleton qui a illuminé l’enfance de toute une génération et continue de séduire un certain public a quelque chose de vertigineux. Moins parce que Thibaud ou les croisades n’est pas calibré suivant les nouvelles attentes du public que par ce qu’il dit à la fois sur le temps d’alors, voire sur le temps d’aujourd’hui. C’est comme un écheveau noueux aux multiples fils qu’il est malaisé de démêler. Il plonge, par son sujet, dans des problématiques dont l’actualité prouve qu’elles ne sont pas résolues ni en passe de l’être rapidement.

Conclusion

  • 159 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 263-264.

65En dressant un bilan contrasté du rôle joué par l’ORTF, S. Bernstein et J.‑P. Rioux observent : « Il n’empêche : le cheminement a été original, le pli de la culture de masse est joliment pris et l’album des images est somptueux. » Et d’évoquer les bons vieux feuilletons à la française (sans toutefois mentionner Thibaud ou les Croisades) : « cette fête des images », précisent-ils, « signale sans conteste la suprématie de la “télé” dans la promotion et la diffusion de la culture de masse159 ». « Fête des images » sans doute, mais il ne faudrait pas conclure trop vite à la gratuité, à la futilité ou à la vanité de telles productions fictionnelles. Comme l’écrit J. Rancière en invoquant Aristote :

  • 160 J. Rancière, Les Bords de la fiction, Paris, Seuil, 2017, Quatrième de couverture.

Ce qui distingue la fiction de l’expérience ordinaire, ce n’est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité. Dans les fictions avouées de la littérature comme dans les fictions inavouées de la politique, de la science sociale ou du journalisme, il s’agit toujours de construire les formes perceptibles et pensables d’un monde commun160.

  • 161 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 240.

66La construction dont il s’agit intervient au moment précis où émerge une « autre France », celle de la prospérité et de la consommation, une France qui « a continûment provoqué l’intelligence et la création depuis le début des années 1960, dès que la page de la décolonisation a été tournée161 ». Quels en sont les fruits, rapportés aux traumatismes du passé proche ? Dans l’introduction du livre précédemment cité sur La Guerre d’Algérie et les intellectuels français (1991), J.‑P. Rioux écrit :

  • 162 Rioux, La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, p. 52-53.

La déchirure est toujours là, individuelle et collective, dans une société où les intellectuels, comme tant d’autres, n’ont pas encore conduit à leur terme le nécessaire travail du deuil à propos d’une guerre close depuis bientôt trente ans. Un signe ne trompe pas : cette guerre n’a pas sécrété son témoignage éclatant. Nous n’avons pas parlé ici des créateurs, de tous ceux qui auraient pu la saisir pour l’exorciser par une œuvre. Voilà peut-être le plus troublant : qu’est donc cette guerre, sans nom mais peuplée de tant de visages défaits, qui n’a fait naître aucun Temps retrouvé et aucun Guernica162 ?

67Sans doute Thibaud ou les Croisades n’est-il pas comparable au Temps retrouvé ou au Guernica que Jean-Pierre Rioux appelle de ses vœux. Idéal ou idéel, du moins enchante-t-il l’imagination tout en développant une leçon de tolérance « à usage commun ».

Fig. 1 – Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 48-49

Fig. 1 – Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 48-49

Fig. 2 – Télérama, no 983, dimanche 17 novembre 1968, couverture

Fig. 2 – Télérama, no 983, dimanche 17 novembre 1968, couverture
Haut de page

Notes

2 Voir S. Berstein et J.‑P. Rioux, La France de l’expansion 2. L’apogée Pompidou (1969-1974), Paris, Seuil, 1995.

3 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 208 sqq. Sur la pérennisation de l’imaginaire de la croisade (la prise eschatologique de la croix, du désir sacrificiel, etc.), voir D. Crouzet et J.‑M. Le Gall, Au péril des guerres de religion, Paris, PUF, 2015, p. 35 sqq.

4 On sait combien ce terme, lié à l’école des Annales, est complexe, renvoyant à l’étude des comportements, des sensibilités, des représentations ; voir Fr. Dosse, « Mentalités », Historiographies II. Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, t. II, p. 664-675

5 Voir R. Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, trad. de l’allemand J. Hoock et M.-Cl. Hoock, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990. Les catégories d’espace d’expérience et d’horizon d’attente, pour « thématiser le temps historique » donnent le moyen de mieux appréhender la place occupée par l’utopie au sein des imaginaires du temps dont le feuilleton est un avatar.

6 Suivant sur ce point Dominique Boutet, « pour éviter toute confusion, nous distinguerons systématiquement Histoire (avec une majuscule) et histoire (avec une minuscule), selon que le référent est de nature “historique” ou de nature “littéraire” (narrative) », Formes littéraires et conscience historique aux origines de la littérature française (1100-1250), Paris, puf, 1999, p. 3, n. 2.

7 Au terme feuilleton il convient sans doute de préférer celui de série, peu employé dans les années 50-60. Par commodité, nous conservons pour l’instant le vocable en usage à l’époque ou Thibaud ou les Croisades a été créé.

8 Ch. Metz, Essais sur la signification au cinéma, Paris, Klincksieck, 1968, t. 1, p. 96, cité par P. Beylot, Le Récit audiovisuel, Paris, Colin, 2005, p. 9.

9 Voir A. Gaudreault, Du littéraire au filmique. Système du récit, Paris, Colin, 1999 [1988].

10 Ricœur, Préface à l’ouvrage de Gaudreault, Du littéraire au filmique, p. 16 et 14.

11 Ricœur, Préface, p. 15. Voici ce que précise Paul Ricœur : « Adossé à cette définition générique du récit, l’auteur peut reconstituer ce qu’il appelle le système filmique, c’est-à-dire la faculté combinatoire qu’aurait le cinéma de faire tenir ensemble une hiérarchie d’opérations, liées au tournage et au montage, qui toutes ensemble assurent au récit filmique son droit égal face au récit scriptural et au récit scénique. »

12 Par référence aux travaux de C. Kerbrat-Orecchioni, nous donnons un sens large au concept d’énonciation. Ce dernier peut, en effet, se définir par les « relations qui se tissent entre l’énoncé et les différents éléments constitutifs du cadre énonciatif », à savoir « les protagonistes du discours (émetteur et destinataire(s)), la situation de communication, les circonstances spatio-temporelles, les conditions générales de la production/réception du message : nature du canal, contexte socio-historique, contraintes de l’univers de discours, etc. » (L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Colin, 1980, p. 30-31).

13 Fondé en 1947 par G. Montaron, Télérama est à l’origine un hebdomadaire catholique de gauche. Il fut développé dans le sillage de Témoignage chrétien pour traiter des vecteurs de la nouvelle culture de l’après-guerre (radio, cinéma et télévision).

14 Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 49.

15 Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 48. Voir l’illustration figurant à la fin de cet article.

16 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 259.

17 Ce cliché figure à l’intérieur du même numéro, à la page 3. Il est extrait du douzième épisode de la première série, « Le seigneur du Hauran », soit I, 12, suivant le référencement que nous adopterons désormais (le premier chiffre indique la série et le second le numéro de l’épisode).

18 Voir l’illustration figurant à la fin de cet article.

19 Par comparaison, voir la couverture de Télé 7 jours qui, au même moment, donne une photo d’André Lawrence dans tout l’éclat de sa jeunesse, revêtu de son costume blanc de chevalier. Télérama ne renonce pourtant pas à la personnalisation, qui est la marque de fabrique de Télé 7 jours ; une présentation de l’acteur figure à l’intérieur du magazine, en marge du cliché signalé précédemment : « On connaît encore peu en France André Lawrence (Thibaud), comédien canadien, marié, père de deux enfants, qui après ses études à Montréal et un stage de photographie dans l’armée de l’Air de son pays devint un passionné de théâtre. Ses premiers succès, il les obtint à Londres, puis à Rome, où il tourna dans les studios de Cinecittà, la Mecque du cinéma italien. Marcel Camus en fit la vedette de son film Le Chant du monde et il vient de terminer un film avec Gardner Mac Kay, l’ex-capitaine Troy au séduisant sourire : Quatre filles à Madrid. Les aventures lointaines du chevalier blanc permettront-elles à André Lawrence de figurer au palmarès des héros de feuilletons TV ? » (Télérama, no 983, dimanche 17 novembre 1968, p. 3)

20 Voir J. Capé, Thibaud les Croisades, Paris, Éditions Solar, 1968. Après un bref prologue, les 13 chapitres du livre suivent le récit mis en images par les 13 épisodes de la première série.

21 Voir Thibaud chevalier des croisades, d’après le grand film à épisodes de la télévision française, raconté et interprété par André Laurence, musique de Georges Delerue, un livre-disque 33 tours, « Le Petit Ménestrel » / Éditions Lucien Adès, 1969.

22 Après cette période, indépendamment des rares rediffusions télévisuelles, les cassettes-vidéo puis les dvd ont constitué pour le grand public les seuls moyens d’accès à la série. Depuis quelques années, YouTube met l’ensemble des épisodes à la disposition des internautes.

23 J. Baudou et J.‑J. Schleret, Les Feuilletons historiques de la télévision française, Paris, Huitième Art, 1992, p. 9. Voir le succès des feuilletons Le Temps des copains (1961) et Janique aimée (1963).

24 J.-Cl. Deret, entretien donné à Télé 7 Jours cité par Baudou et Schleret, Les Feuilletons historiques, p. 25.

25 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 259.

26 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 254.

27 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 283.

28 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 261-262.

29 St. Benassi, Séries et feuilletons T.V. Pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, Éditions du CÉFAL, 2000, p. 35.

30 N. Nel, « Téléfilm, feuilleton, série, saga, sit-com, soap-opera, telenova : quels sont les éléments clés de la sérialité ? », CinémAction, 57, 1990, cité par Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 46.

31 Voir à cet égard les branches du Roman de Renart, œuvre sérielle s’il en est, et les analyses de J.‑R. Scheidegger, Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, Genève, Droz, 1989.

32 U. Eco, cité par Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 81.

33 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 47.

34 Ibid.

35 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 82-83.

36 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 47-48.

37 Benassi, Séries et feuilletons T.V., p. 46.

38 Sur les « poulains » et le choix de ce terme, voir M. Balard, Les Latins en Orient (xexve siècles), Paris, PUF, 2006, p. 93-94.

39 Voir J. Prawer, Histoire du royaume latin de Jérusalem, trad. G. Nahon, Paris, Éditions du CNRS, 1969-1970, vol. 2, rééd. 2003. Il semble que ce soit la seule et unique apparition de la reine de Jérusalem à l’écran. Voir l’épisode « Hugues de Puiset » (I, 10).

40 « Occidentaux nous fûmes, et nous voilà transformés en Orientaux. Le Romain ou le Franc d’hier est devenu, transplanté, un Galiléen ou un Palestinien. Celui qui habitait Reims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d’Antioche. » (Foucher de Chartres, Historia Hierosolymita, éd. H. Hagenmeyer, Heidelberg, Winter, 1913, p. 748, cité et trad. par A.‑M. Eddé, Saladin, Paris, Flammarion, 2008, p. 383).

41 D. Madelénat, L’Épopée, Paris, PUF, 1986, p. 175.

42 Madelénat, L’Épopée, p. 173.

43 P. Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 327.

44 Voir Zumthor, Essai de poétique médiévale, p. 325-326.

45 Voir C. Girbea, Le Bon Sarrasin dans le roman médiéval (1100-1225), Paris, Classiques Garnier, 2014.

46 « Pour les beaux yeux d’Isabelle » (I, 5).

47 Madelénat, L’Épopée, p. 175.

48 A. Guerreau-Jalabert, « Le temps des créations, xie-xiiie siècles », Histoire culturelle de la FranceI : Le Moyen Âge, éd. J.‑P. Boudet, A. Guerreau-Jalabert et M. Sot, Paris, Seuil, 1997, p. 107-221, ici p. 236.

49 Pour une présentation de cette grille de lecture, voir A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caro dans la littérature courtoise : une perspective historique », L’Unique change de scène. Écritures spirituelles et discours amoureux (xiie-xviie siècle), éd. V. Ferrer, B. Marczuk et J.‑R. Valette, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 41-62.

50 Zumthor, Essai de poétique médiévale, p. 326.

51 M. Stanesco, « Parole autoritaire et “accord des semblances” dans la Queste del Saint Graal » [1998], repris dans M. Stanesco, D’armes et d’amours. Études de littérature arthurienne, Orléans, Paradigme, 2002, p. 249-260, ici p. 260.

52 Voir notamment J. Tolan, « Miroir de la chevalerie : Saladin dans l’imaginaire européen médiéval », L’Europe latine et le monde arabe. Cultures en conflit et en convergence, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 75-96 ; Eddé, Saladin.

53 « Contre la chair et le sang et contre les esprits du mal dans les espaces célestes » (Bernard de Clairvaux, Éloge de la nouvelle chevalerie, éd. et trad. P.‑Y. Emery, Paris, Cerf, 1990, § 1). La formule est empruntée à saint Paul (Ép. 6, 12).

54 « Le Scorpion de Judée » (I, 3).

55 D. Barthélémy, La Chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Fayard, 2007, p. 374.

56 Nous empruntons cette formule à J. Morsel, L’Aristocratie médiévale. La domination sociale en Occident (ve-xve siècle), Paris, Colin, 2004, p. 160.

57 Morsel, L’Aristocratie médiévale, p. 166.

58 Morsel, L’Aristocratie médiévale, p. 167.

59 Morsel, L’Aristocratie médiévale, p. 162.

60 Nous empruntons cette formule à M. Zink, Littérature française du Moyen Âge, Paris, PUF, 2014 [1992], p. 142.

61 X. Storelli, « La chevalerie comme catégorie achronique dans l’historiographie anglonormande du xiie siècle », Mito e storia nella tradizione cavalleresca, Spoleto, Fondazione Centro di Studi sull’Alto Medioevo, 2006, ici p. 95-96.

62 Storelli, « La chevalerie comme catégorie achronique », ici p. 136-137.

63 E. Baumgartner, Romans de la Table Ronde de Chrétien de Troyes, Paris, Gallimard, 2003, p. 15.

64 L’histoire se situe vers 1135 près de 40 ans après la première croisade lancée par le pape Urbain II en 1095 et prêchée par Pierre l’Ermite, dans le royaume franc de Jérusalem. Rappelons qu’en 1100, Baudouin de Boulogne, le frère de Godefroy de Bouillon devient roi de Jérusalem ; il est couronné par le patriarche Daimbert de Pise.

65 Zink, Littérature française du Moyen Âge, p. 143.

66 E. Auerbach Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. C. Heim, Paris, Gallimard, 1968, p. 142.

67 E. Faral, « Le merveilleux et ses sources dans les descriptions des romans français du xiie siècle », Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du Moyen Âge, Paris, Champion, 1913, p. 307.

68 Voir J. J. Baldwin, Les Langages de l’amour dans la France de Philippe Auguste, trad. B. Bonne, Paris, Fayard, 1997 [1994].

69 G. Duby, « Que sait-on de l’amour en France au xiie siècle ? » [1988], repris dans Féodalité, Paris, Gallimard, 1996, p. 1408.

70 Auerbach, Mimésis, p. 140.

71 Faral, « Le merveilleux et ses sources », p. 307.

72 M.‑M. Davy, Essai sur la symbolique romane (xiie siècle), Paris, Flammarion, 1955.

73 Jusqu’à un certain point, un parallèle pourrait être esquissé avec le Perceval le Gallois d’Éric Rohmer, sorti sur les écrans de cinéma en 1978. Au cours d’une rencontre avec Jacques Le Goff, le cinéaste explique qu’il s’est efforcé d’« évoquer l’espace roman », un espace « sans ombres », qu’il a tenté d’exprimer par le moyen d’« un théâtre qui n’existait pas », « une certaine conception plastique du Moyen Âge » (Ça cinéma, 17, 1979, p. 9, 10 et 12).

74 À titre de comparaison, se reporter à la musique que Georges Delerue a composée pour l’opéra de Boris Vian, Le Chevalier de neige, sous les deux versions de l’œuvre, lyrique et dramatique (B. Vian, Le Chevalier de neige, Paris, Bourgois, 1974).

75 Voir G. Loison, livret de huit pages, notes internes français-anglais, dans Thibaud ou les croisades. Fortune, Bande originale des séries TV d’Henri Colpi (1968/1969), Music box Records.

76 Fr. Jullien, L’Invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Paris, Gallimard, 2017 [2008], p. 13 et 11.

77 Jullien, L’Invention de l’idéal, p. 19-20.

78 M. Godelier, L’Idéel et le matériel, Paris, Flammarion, 2010 [1984], p. 199.

79 Godelier, L’Idéel et le matériel, p. 171-172.

80 Dans le cadre de cet article, il s’agit simplement d’évoquer les événements marquants qui présentent un lien direct avec la fabrique du feuilleton, d’où le caractère succinct et forcément réducteur de leur appréciation.

81 À l’étranger, en revanche, la production cinématographique est active autour des principaux personnages de la croisade ; voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 205-206. On peut citer les films suivants : Enrico Guazzoni, La Jérusalem délivrée, 1911 ; C. B. de Mille, The Crusades, 1935 (l’action est centrée sur l’année 1187) ; David Butler, Richard Cœur de Lion et les croisés, 1954 (d’après le roman éponyme de Walter Scott) ; Ingmar Bergman, Le 7e sceau, 1957 (qui raconte le retour d’un chevalier croisé dans une Suède ravagée par la peste) ; Andrzej Wadja, La Croisade maudite, 1968 (d’après le roman du même nom de Jerzy Andrzejewski, daté de 1960 et où est évoquée la croisade des enfants).

82 Voir Chr. Tyerman, The Debate on the Crusades, Manchester – New York, Manchester University Press, 2010, p. 216-232; The Invention of the Crusades, Toronto, University of Toronto Press, 1998, p. 1-7 et le premier chapitre.

83 Tyerman, The Debate on the Crusades, p. 5.

84 Pour les origines de ces mouvements de pensée, courants et influences, et leur analyse, voir Tyerman, The Invention of the Crusades, p. 121 sqq.

85 E. Sivan, « Modern Arab Historiography of the Crusades », Asian and African Studies, 8, 1972, p. 109-149 ; voir aussi E. Sivan, L’Islam et la Croisade, idéologie et propagande dans les réactions musulmanes aux croisades, Paris, Maisonneuve, 1968.

86 Voir J.‑P. Rioux, La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, éd. J.‑P. Rioux et J.-Fr. Sirinelli, Paris, Éditions complexes, 1991, p. 33-55 ; Cl. Liauzu, « Ceux qui ont fait la guerre à la guerre », La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, éd. M. Harbi et B. Stora, Paris, Laffont, 2004, p. 161-170.

87 Rioux, La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, p. 19.

88 Propos de l’auteur dans un entretien à propos de la sortie de son ouvrage Les Mémoires dangereuses : de l’Algérie coloniale à la France d’aujourd’hui, suivi de Le Transfert d’une mémoire : de l’Algérie française au racisme anti-arabe, avec A. Jenni, Paris, Albin Michel, 2015.

89 Aujourd’hui, en effet, des historiens sont sollicités dans la création de séries : témoin Jean-Pierre Azéma pour la série Un village français, diffusée sur France 3 depuis 2009 ; comme conseiller historique, il commente et contextualise, au moyen de témoignages, l’intrigue qui rapporte la vie des habitants d’un village fictif du Jura pendant l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

90 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 254.

91 Voir P. Garcia et J. Leduc, L’Enseignement de l’histoire en France, de l’Ancien Régime à nos jours, Paris, Colin, 2003.

92 S. Citron, Le Mythe national. L’histoire de France revisitée, Paris, Éditions de l’Atelier / Éditions ouvrières, Paris, 2008 [1987], p. 17.

93 Cité dans l’article de Fr. Lorcerie, « L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane : des programmes aux manuels », Manuels et altérités dans l’espace méditerranéen : enjeux institutionnels et linguistiques, éd. M. Verdelhan-Bourgade, A. Denimal et A. Diabaté, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 21-44, ici p. 22.

94 Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 207. Le sens religieux des croisades est également pris en considération, mais, semble-t-il, dans ces années, de manière plus discrète ; voir dans l’éd. 1957 du Nouveau Larousse Classique la définition que cite Rousset : « expédition armée de catholiques contre les hérétiques et les Infidèles ».

95 L’expression « roman national » est une expression popularisée par P. Nora en conclusion du dernier tome de ses Lieux de mémoire. L’historien l’a empruntée au sociologue P. Yonnet, Voyage au centre du malaise français, l’antiracisme et le roman national, Paris, Gallimard, 1993. Cette expression renvoie aux figures tutélaires que sont Michelet et Lavisse. Elle est réactivée particulièrement depuis une décennie : voir N. Offenstadt, L’Histoire blingbling. Le retour du roman national, Paris, Stock, 2009.

96 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 207.

97 Voir Lorcerie, « L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane […] », p. 24.

98 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, n. 6, p. 208, citant Cl. Billard et P. Guibbert, Histoire mythologique des Français, Paris, 1976.

99 Lorcerie, « L’histoire dans le second degré en France au prisme de l’immigration musulmane […] », p. 27.

100 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 264.

101 Un sondage rapide et sauvage révèle que ce feuilleton n’est vraiment connu que par la génération née au début des années 1960, qui a pu en transmettre la connaissance à ses descendants.

102 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 263.

103 J. Le Goff, L’Imaginaire médiéval. Un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1999, Préface de la première édition (Gallimard, 1985), p. 423 sqq. Pour une application à un texte traitant de la troisième croisade, voir aussi C. Croizy-Naquet, « Histoire et imaginaire aux xiie et xiiie siècle », Paysages de l’imaginaire : bilans et perspectives, PRIS MA, 25/1-2, 2010, p. 117-130.

104 Si l’on se fie à la chronologie, ce serait Thibaut ii de Champagne, mais l’important est plus l’effet médiéval que suscite le prénom que la précision historique.

105 Voir, par exemple, l’Estoire de la guerre sainte, éd. C. Croizy-Naquet, Paris, Champion, 2014, v. 48 avec le mot diable. D’ailleurs, quand le terme diable ou démon est employé par un templier, c’est pour être corrigé par les propos et les actions de Thibaud.

106 Voir J. Richard, « L’indulgence de croisade et le pèlerinage en Terre sainte », Il Concilio di Pacienza et le crociate, Piacenza, Tip. Le. Co. Editore, 1996, p. 220.

107 J.-Ch. Payen, « Une poétique du génocide joyeux : devoir de violence et plaisir de tuer dans la Chanson de Roland », Olifant, 6/3-4, 1979, p. 226-236.

108 Voir J. Richard, L’Esprit de la croisade, éd. J. Richard, Paris, Le Cerf, 2000.

109 Voir P. Alphandéry et A. Dupront, La Chrétienté et l’idée de croisade, Paris, Albin Michel, 3 vol. , 1954-1959, rééd. 1995.

110 Sur les croisades, leur contexte, l’idée et les pratiques, se reporter, par exemple, à G. Constable, Crusaders and Crusading in the Twelfth Century, Aldershot, Ashgate, 2009.

111 Voir La Chanson de Roland, éd. C. Segre, nouvelle édition refondue traduite de l’italien par M. Tyssens, Genève, Droz, 2003.

112 Voir Storelli, « La chevalerie comme catégorie achronique ».

113 Tel Lagardère, héros d’une série télévisée créée par Marcel Jullian en 1967.

114 Voir, à titre d’illustration, le catalogue de la Bibliothèque nationale de France issu de l’exposition Héros d’Achille à Zidane, éd. O. Faliu et M. Tourret, Paris, Seuil, 2007.

115 Voir Jean de Joinville, La Vie de saint Louis, éd. et trad. J. Monfrin, Paris, Garnier, 1995.

116 Rappelons que Godefroy entre la liste des Neuf Preux : le motif se lit pour la première fois dans les Vœux du Paon de Jacques de Longuyon en 1312. Dans sa forme canonique, il repose sur une succession de trois triades : une triade païenne composée d’Hector de Troie, d’Alexandre le Grand et de Jules César ; une triade biblique avec Josué, David et Judas Macchabée ; et enfin une triade chrétienne constituée du roi Arthur, de Charlemagne et de Godefroy de Bouillon.

117 Pour la période considérée, voir en particulier Balard, Les Latins en Orient (xe-xve siècles), p. 76-78.

118 Voir B. Lewis, Les Assassins. Terrorisme et politique dans l’Islam médiéval, trad. A. Pélissier, Paris, Berger-Levreau, 1982, rééd. Bruxelles, Complexe, 2001 ; F. Daftary, Les Ismaéliens. Histoire et traditions d’une communauté musulmane, Paris, Fayard, 2003 ; du meme, Légendes des Assassins. Mythes sur Les Ismaéliens, Paris, Vrin, 2007.

119 Parmi les victimes, citons, côté sunnite, Mawdûd, Bursuqî et, côté chrétien, Raymond ii de Tripoli, Conrad de Montferrat. Sur ce dernier, voir C. Croizy-Naquet, « Légende ou histoire ? Les Assassins dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise et dans la Chronique d’Ernoul et de Bernard le trésorier », Le Moyen Âge, 117, 2011, p. 237-257.

120 Sur ce point, voir notamment M. Balard, « Melisende, reine de Jérusalem », Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, éd. M. Goullet, Paris, Picard, 2004, p. 449-455.

121 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971, p. 15. Pour une définition de cette notion, voir Fr. Dosse, « Événement », Historiographies II. Concepts et débats, p. 744-756.

122 Les réalisateurs déploient toute l’« imagerie » à disposition : le mot s’entend au sens d’ensemble d’images, de figures, de métaphores ou de représentations mentales (images d’Épinal).

123 Sur ce point, voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 205. On se situe là dans ce que Paul Ricœur appelle la mémoire manipulée en raison des manipulations idéologiques effectuées pour légitimer tel ou tel fait, tel ou tel personnage comme constitutif de l’identité nationale ; voir P. Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 98.

124 Sur ce point, parmi d’autres études, voir A. Guerreau-Jalabert, « L’ecclesia mediévale, une institution totale », Les Tendances actuelles de l’histoire en France et en Allemagne, éd. J.-Cl. Schmitt et O. Gerhart Oexle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 219-226.

125 Voir Y. Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, en particulier le chapitre xiii, « Actualisations ».

126 Voir notamment Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 25-26.

127 Voir Rousset, Histoire d’une idéologie des croisades, p. 13.

128 Sur l’importance de cette vertu théologale, voir notamment A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale », p. 133-203 et la lecture proposée ci-dessus. Voir aussi de la même auteure, « Caritas y don en la sociedad médieval occidental », Hispania. Revista espanola de historia, 60/1, 2000, p. 27-62.

129 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 280, en référence à l’ouvrage de M. de Certeau et J.‑M. Domenach, Paris, Seuil, 1974.

130 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 281 sqq.

131 Voir de ce point de vue D. Moïsi, Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, Paris, Stock, 2016.

132 M. Ferro, Une histoire sous surveillance, Paris, Calmann Lévy, 1985, p. 8.

133 Puisque l’État refusait de reconnaître l’état de guerre : voir notamment G. Pervillé, « Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France », Concurrence des passés. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, éd. M. Crivello, P. Garcia et N. Offenstadt, Paris – Aix-en-Provence, PUP, 2006, p. 257-269, ici p. 257 ; Sl. Benaïssa, « La guerre d’Algérie : une “guerre sans nom” ? », Les Mots pour la dire, éd. C. Brun, Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 167-176.

134 Voir S. Thénault, « France-Algérie pour un traitement commun du passé de la guerre d’indépendance », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 85, 2005, p. 119-128, ici p. 128.

135 Thénault, « France-Algérie », p. 124.

136 Ferro, Une histoire sous surveillance, p. 6.

137 Cela n’empêche pas que des recherches soient conduites de manière individuelle ; voir Pervillé, « Les historiens de la guerre d’Algérie », p. 258.

138 Pervillé, « Les historiens de la guerre d’Algérie », p. 257-258.

139 Même si la censure ne paraît pas de mise, et contrairement aux apparences, la guerre du Vietnam ne produit pas plus de fictions que la guerre d’Algérie ; voir B. Stora, « Le cinéma américain pendant la guerre du Vietnam, le mythe de l’avalanche », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 49, 1996, p. 149-155.

140 Un tel déni d’Histoire touche du reste aussi la période de la collaboration ; voir Pervillé, « Les historiens de la guerre d’Algérie », p. 260 : « bien loin de faire l’objet de débats dépassionnés et sereins, la guerre d’Algérie a rejoint Vichy parmi les enjeux de mémoire les plus controversés ». Voir aussi J. Bourdon, « La guerre d’Algérie a la télévision », La France en guerre d’Algerie, éd. L. Gervereau et al., Paris, BDIC, 1992, p. 242-246.

141 Sur ses différents aspects, voir J. Bourdon, « Censure et télévision », La Censure en France à l’ère démocratique (1848-…), éd. P. Ory, Paris, Éditions complexes, 1997, p. 313-322.

142 Expression de Ferro, Une histoire sous surveillance, p. 71.

143 Tyerman, The Debate on the Crusades, p. 125, qui cite H. E. Mayer, The Crusades, trad. J. Gillingham, Londres, Oxford University Press, 1972, p. 281.

144 Sur le pouvoir et la télévision, voir Bourdon, « La guerre d’Algérie à la télévision », p. 313-316.

145 J. Daniel, La Blessure, suivi de Le Temps qui vient, Paris, Grasset, 1992.

146 Cité dans Les Mots pour la dire, éd. Brun, p. 71.

147 Voir La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, éd. Harbi et Stora.

148 Sur ce point, voir l’étude pionnière et polémique d’Edward Saïd, plus tardive (1978), sur cette vision de l’Occident au prisme de la colonisation et de l’impérialisme culturel jusqu’aux années 1970 : L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident, trad. C. Malamoud, Paris, Seuil, 1980.

149 Le feuilleton a été écrit, il est vrai, dès 1967.

150 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 261.

151 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 262.

152 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 273.

153 Voir ci-dessus l’échange entre Blanchot et l’un de ces compagnons d’armes regrettant les temps passés.

154 Voir Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 240.

155 Moïsi, Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, p. 18.

156 Feuilletons tirés respectivement des romans de Walter Scott, de Maurice Druon et de Myriam et Gaston de Béarn.

157 Sur les faits, voir, entre autres, Chr. Tyerman, God’s War: A New History of the Crusades, Londres, Penguin, 2007. Le film a été mal accueilli par certains historiens, dont Jonathan Riley-Smith, pour le message qu’il transmet ; voir, par exemple, son interview par Charlotte Edwardes au Daily Telegraph, le 17 janvier 2004, « Ridley Scott’s new Crusades film panders to Osama bin Laden ».

158 Homeland est une série américaine créée par Howard Gordon et Alex Gansa, d’après la série télévisée israélienne Hatufim de Gideon Raff (première saison en 2011). Voir A. Pichard, « Homeland, un antidote à la guerre contre le terrorisme ? », TVSeries. La guerre en séries I, 9, 2016, en ligne.

159 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 263-264.

160 J. Rancière, Les Bords de la fiction, Paris, Seuil, 2017, Quatrième de couverture.

161 Berstein et Rioux, La France de l’expansion 2, p. 240.

162 Rioux, La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, p. 52-53.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Télérama, no 980, dimanche 27 octobre 1968, p. 48-49
URL http://journals.openedition.org/crmh/docannexe/image/17317/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 266k
Titre Fig. 2 – Télérama, no 983, dimanche 17 novembre 1968, couverture
URL http://journals.openedition.org/crmh/docannexe/image/17317/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 115k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Croizy-Naquet et Jean-René Valette, « Thibaud ou les Croisades »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 37 | 2019, 233-271.

Référence électronique

Catherine Croizy-Naquet et Jean-René Valette, « Thibaud ou les Croisades »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 37 | 2019, mis en ligne le 01 août 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/crmh/17317 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crm.17317

Haut de page

Auteurs

Catherine Croizy-Naquet

Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, EA 173 – Centre d’Études du Moyen Âge

Articles du même auteur

  • Introduction [Texte intégral]
    Introduction
    Paru dans Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 37 | 2019

Jean-René Valette

Sorbonne Université, EA 4349 – Étude et édition de textes médiévaux

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search