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Dossier

L’activisme en ligne des abonnés des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun

Online activism of subscribers of mobile telephone operators in Cameroon
Activismo en línea de suscriptores de operadores de telefonía móvil en Camerún
Timothée Ndongue Epangue

Résumés

Les revendications, au Cameroun, passent de plus en plus par les médias sociaux. Pour des questions qui touchent à la vie économique, politique ou sociale, les internautes tentent d’influencer les personnes responsables des prises de décision. Internet en général et les médias sociaux en particulier deviennent un lieu de pouvoir où les revendications sociales peuvent être faites. Les consommateurs camerounais se plaignent depuis quelques mois de la cherté des prestations des opérateurs de téléphonie mobile, ainsi que du manque de considération pour leurs abonnés. Dans le but de se faire entendre, le média social Facebook a été investi par les abonnés à travers une opération dénommée mode avion pour matérialiser leur mécontentement. L’objectif de cette réflexion est de montrer comment les utilisateurs des médias sociaux transforment ces plateformes numériques en espace de revendication. De ce fait, comment les abonnés des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun s’y prennent-ils pour manifester sur les médias sociaux dans le but de dénoncer la médiocrité de leurs services ? L’hypothèse faite postule que les revendications en ligne autour des services rendus par les opérateurs de téléphonie Orange et MTN sont des publications qui revêtent des indicateurs des combats de la postcolonialité. La méthodologie de l’étude repose sur une netnographie (Guérin, 2009) qui nous dirige vers la collecte des données sur les pages des influenceurs web qui ont pris la responsabilité d’accompagner l’opération en ligne. Nous allons compléter ces données avec une trentaine d’entretiens semi-dirigés pour donner la possibilité aux utilisateurs des médias sociaux de s’exprimer au sujet de leurs interventions relatives aux pratiques querellées des opérateurs de téléphonie mobile. Pour rendre les données recueillies intelligibles, la théorie de l’activisme en ligne ainsi que celle des mouvements sociaux à l’ère du Numérique ont été mobilisées. Après l’analyse thématique des contenus, on peut remarquer que les revendications des mobinautes sont nourries par un sentiment anti-français qui précède la demande du boycott des services de l’opérateur Orange. L’opération « Mode avion » peut être appréhendé comme un révélateur de la postcolonialité dans les discours des consommateurs des services de la téléphonie mobile au Cameroun.

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Texte intégral

Introduction

1« MTN et Orange. Trop c’est trop !!! On en a marre de cette escroquerie !!! Ce groupe a été créé pour manifester notre ras-le-bol envers ces firmes ». « Mode avion activé avec succès. Rendez-vous dans deux heures la famille. » Ces phrases permettent de recenser le type de messages utilisés par des Camerounais sur le média social Facebook pendant les dix derniers jours du mois d’avril et les trois premières semaines du mois de mai 2023. Selon plusieurs abonnés de ce média social, il est inconcevable que des firmes étrangères continuent à piller les Camerounais à travers des services à la fois chers et approximatifs. Des célébrités composées des artistes musiciens et comédiens ont décidé de porter le combat pour faire plier l’échine à ces deux entreprises soupçonnées d’escroquerie. Pour faire sens, ces revendications ont pris la forme d’une manifestation en ligne dénommée « Opération mode avion. ». Il s’agit d’activer le mode avion du téléphone entre 12 heures et 14 heures dans le but de dire le ras-le-bol. Le réseau social Facebook étant le plus investi par ce mouvement de revendication, il se trouve au centre de cette réflexion. Dans ce travail, ces revendications sont nommés par le syntagme activisme en ligne.

2Dans l’univers scientifique, les travaux sur l’activisme en ligne existent. Les recherches de Simon Ngono (2018) montrent que les Camerounais sont capables de poser des problèmes concrets sur Facebook comme il s’agirait d’un véritable espace public (Habermas,1997) quand ils estiment que cela en vaut la peine. Il démontre que, les camerounais se sont mobilisés en ligne pour dénoncer la disparition des enfants entre 2015 et 2016. Selon Simon Ngono,

[…] La troisième action, plus classique, pour les utilisateurs des Réseaux Sociaux Numériques, a été de partager, liker, et/ou commenter. Des actions de partage sont à mettre en avant ici car elles correspondent à la volonté d’informer les autres internautes.

3Il est à constater que les causes sociales intéressent les publics numériques au Cameroun, et ils sont prêts à se mettre ensemble pour réclamer la réparation. Pour aller dans le même sens, Yaméogo (2020 :1) pense que les réseaux sociaux ont pris un certain pouvoir et œuvrent pour la dénonciation des causes d’ordre politique. Selon lui, la montée en puissance du web 2.0 a donné naissance à de nouvelles formes de prise de parole publique. Ce nouvel espace public a réorganisé la vie au point de servir de socle de revendication des problèmes individuels et collectifs. Il précise que la place de l’espace public numérique est devenue tellement significative qu’il est considéré comme l’un des facteurs ayant participé à la chute du régime de Ben Ali en Tunisie et de Hosni Moubarak en Egypte. A l’image de la production de cet auteur, plusieurs travaux s’intéressent à l’activisme en ligne en ce qui concerne les questions politiques. Yaméogo (2020 : 7) va préciser que

L’intrusion des webactivistes dans la vie politique, comme observatoire du comportement social de l’élite politique gouvernante, désacralise ou démythifie le pouvoir de l’Etat, montrant qu’il n’est pas seulement l’affaire de puissants intouchables, mais désormais aussi exercé, indirectement, par de petites gens branchées à un réseau relationnel numérisé.

4Les plateformes numériques se présentent alors comme des espaces virtuels investis d’un pouvoir réel qui permet de changer les choses dans le sens souhaité par les publics numériques. Cependant, l’activisme en ligne en relation avec les problèmes que rencontrent les consommateurs a rarement fait l’objet d’une recherche en Sciences de l’Information et de la Communication. Dans le but de participer à combler cet écart, le présent travail va montrer comment le média social Facebook est mobilisé par les publics numériques au Cameroun pour revendiquer les meilleurs services et le respect des opérateurs de téléphonie mobile. De ce fait, comment les abonnés des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun s’y prennent-ils pour manifester sur les médias sociaux pour lutter contre la médiocrité des services ? L’hypothèse faite postule que les revendications en ligne autour des services rendus par les opérateurs de téléphonie Orange et MTN prennent la forme des publications, des partages, et des commentaires en ligne qui revêtent des indicateurs des combats de la postcolonialité.

5La méthodologie de l’étude repose sur une netnographie (Guérin, 2009 ; Sayard,2013 ; Peirot, 2016) qui nous dirige vers la collecte des données sur les pages des célébrités qui ont pris la responsabilité d’accompagner l’opération en ligne, ainsi que celles d’autres internautes qui ont suivi le mouvement. Nous avons complété ces données avec une trentaine d’entretiens semi-dirigés pour donner la possibilité aux utilisateurs des médias sociaux de s’exprimer au sujet de leurs interventions relatives aux pratiques querellées des opérateurs de téléphonie mobile. Pour rendre les données recueillies intelligibles, la théorie de l’activisme en ligne ainsi que celle des mouvements sociaux à l’ère du Numérique ont été mobilisées. L’analyse des contenus (Bardin, 2013) nous a permis de démontrer que l’activisme en ligne autour des services des opérateurs de la téléphonie mobile au Cameroun se présente comme un engagement en ligne justifié par le désir de rejeter tout ce qui a un lien avec l’ancien colon. Le travail est développé en trois points :

  • Les aspects théoriques et méthodologiques de l’étude ;

  • Les tendances en ligne de l’opération « mode avion » ;

  • La postcolonialité au centre de l’opération « mode avion ».

Les aspects théoriques et méthodologiques de l’étude

6L’activisme en ligne (Monaco, 2011 ; Girard, 2013 ; Yaméogo, 2020) est au cœur de cette réflexion. Ce faisant, il est intéressant de saisir les théories et les concepts qui ont guidé la collecte des données recueillies. Pour y parvenir, nous avons estimé que la théorie de l’activisme en ligne et celle des mouvements sociaux à l’ère du numérique semblent adaptées.

La théorie de l’activisme en ligne et celle des mouvements sociaux à l’ère du numérique au centre de l’étude

7La théorie de l’activisme en ligne (Yaméogo, 2020) permet de montrer comment les internautes se transforment en un peuple à la fois surveillant et juge. Sans tenir compte du silence des instances responsables de la télécommunication au Cameroun, les internautes transforment le média social Facebook en une agora électronique en posant dans l’espace public des problèmes d’intérêt général. La prise de parole en ligne se présente selon la théorie de l’activisme comme une appropriation qui permet d’utiliser les médias sociaux pour atteindre des objectifs particuliers. Ceux d’un peuple exigeant, qui milite pour la prise en compte de l’intérêt collectif et le respect des règles en société. Celle-ci se développe en présentant les nouvelles formes d’engagement comme les likes, les partages des publications, les commentaires. Cela entraîne des mouvements complémentaires qui démontrent que l’activisme en ligne recherche au moins deux choses : attirer l’attention et mobiliser les gens pour la défense des causes.

8Par ailleurs, on constate que les différentes prises de parole dépassent le simple cadre d’une revendication pour devenir un vrai mouvement social. La théorie des mouvements sociaux en ligne est indiquée pour faciliter la compréhension d’une telle réalité. Les travaux de Nicolas Douay (2014) sont révélateurs du fait que, prendre la parole en ligne donne la possibilité de participer à la construction de la société. La théorie des mouvements sociaux en ligne favorise des éclairages sur les prises de parole en ligne des différents influenceurs qui ont décidé de porter l’opération « Mode avion ». Cette théorie montre que l’internaute se met en scène pour revendiquer ce qui lui semble juste. Puisqu’il s’agit de la possibilité de donner son avis face aux réalités qui traversent la société, il est à constater que les mouvements sociaux en ligne sont des adjuvants de la démocratie. Il existe alors des interactions régulières entre ceux qui se plaignent et ceux qui ont posé des actes répréhensibles.

La triangulation au service de la compréhension de l’activisme en ligne

9L’opération mode avion a regroupé un certain nombre de pratiques en ligne qui visent l’amélioration des conditions des clients des opérateurs de la téléphonie mobile au Cameroun. Pour mieux les appréhender, nous avons fait le choix d’une netnographie c’est-à-dire, l’observation des actes communicationnels en ligne en cherchant à leur donner du sens. Cela est complété par des documents consultés et quelques entretiens avec les personnes qui ont participé à ce mouvement social en ligne. Puisque la recherche qualitative vise la compréhension d’un certain nombre de réalités, le media social Facebook a été investi comme terrain d’étude.

  • 1 Selon l’article de Bertrand Chedjou, consulté le 15 avril 2023 à 16 heures 53.
  • 2 Ici on fait allusion à ceux qui sont connectés sur Facebook.

10Selon Facebook insight1, 12,9 millions de personnes sont connectées régulièrement au Cameroun2 dans un contexte où ce pays compte environ 27 millions d’habitants. Pour mieux apprécier la place de Facebook comme dispositif de visibilisation des projets, nous avons dressé un tableau.

Tableau 1. L’utilisation des réseaux sociaux numériques au Cameroun

Modalités

Utilisateurs de Facebook

Utilisateurs d’Instagram

Utilisateurs de Twitter

Utilisateurs de LinkedIn

Effectif

3.6 millions

467 900

204 200

960 000

Source : Adapté de l’enquête chedjou Kamdem, Le Storytelling du Community management, 2023

11Le tableau ci-dessus montre que Facebook est le média social le plus important au Cameroun devant Instagram, Twitter et LinkedIn. Au regard de cela, le choix de mobiliser les pages Facebook des célébrités qui portent l’opération mode avion est en adéquation avec la recherche de la compréhension de ce mouvement en ligne au Cameroun. Ce media social étant le plus important, il est l’espace virtuel le plus indiqué pour comprendre comment les internautes prennent en charge un phénomène social au Cameroun.

12Les deux organisations mises en cause ici par les internautes sont Orange et MTN. D’abord, MTN Cameroun est un opérateur de téléphonie mobile qui se présente comme une filiale Camerounaise de télécommunication de la multinationale Sud-Africaine MTN. Cette entreprise offre aux publics plusieurs services : le crédit d’appel, les data pour la connexion internet, la vente des téléphones, le payement mobile. Selon les plaintes formulées par les activistes en ligne, figurent des griefs liés à la cherté et à la non considération de la clientèle. Cependant, les prises de parole en ligne ne sont pas pour autant très sévères comme cela est le cas pour son concurrent Orange Cameroun. MTN est donc présenté dans cette recherche dans le but de montrer le sentiment de haine particulier que plusieurs activistes ont envers Orange. Les mêmes reproches sont faits aux deux organisations. Mais il y a une forte tendance à accuser Orange et surtout à demander son départ. Orange Cameroun se présente comme un opérateur de télécommunication dont le début des activités se situe en février 2000 sous le nom de Mobilis. C’est en 2002 que Mobilis devient Orange Cameroun, filiale de la multinationale française. Orange Cameroun, tout comme MTN Cameroun, présente plusieurs services : payement mobile, crédit d’appels, forfaits internet. L’identité française de Orange nous a amené à avoir un regard particulier sur les discours que les activistes produisent à leur encontre.

13La construction des outils de collecte des données va reposer sur un certain nombre de thèmes eux-mêmes orientés par des variables. Nous avons réalisé que, « l’agora électronique », « l’appropriation de la parole publique », « le peuple surveillant », « le peuple juge », « les nouvelles modalités de la prise de parole » sont des variables qui permettent de construire le phénomène observé. Deux thèmes principaux ont retenu notre attention pour la construction des outils de collecte : les causes de l’activisme en ligne et les significations des contenus des publications des activistes sur Facebook. La collecte des données a tourné autour des trois principaux outils : une grille d’observations utilisée pour collecter des données en ligne, des entretiens menés auprès des internautes engagés dans l’opération « Mode avion » et enfin une recherche documentaire.

14Premièrement, nous avons conçu une grille d’observation entre le 20 avril 2023 et le 25 mai 2023 dans le but de collecter les données en ligne. Comme cela est développé supra, cet instrument a mobilisé les thèmes en relation avec les variables de l’étude : les acteurs engagés en ligne, les actes de parole, les significations des contenus diffusés.

Tableau 2. Grille d’observation

Thèmes et réalités à observer

Eléments observés

Acteurs engagés en ligne

Kareyce Fotso, Charlotte Dipanda, Koppo, Ebenézer Kepombia Mitoumba, Muriel Blanche, Martin Poulibe, Xzafrane

Actes de parole mobilisés

« Je serai dans l’avion », « pardon faisons ça chaque jour, c’était trop bon à moi », « Côte d’ivoire 100 f = 500 Mo et Cameroun 102 f =80 Mo » ; « Boycott citoyen », « La coordination du mouvement Mode avion suspend ses opérations », « décolonisé », « Blue by Camtel ».

Connotation des contenus diffusés

Vie chère, décolonisation, la valorisation de l’opérateur national Camtel.

Source : l’enquête sur Facebook, avril-mai 2023

15En ce qui concerne les échanges avec les internautes, nous avons effectué une trentaine d’entretiens en présentiel. Cette étape de la collecte a eu lieu entre le 20 avril 2023 et le 23 mai 2023.

16Deuxièmement, le guide d’entretien mobilisé était construit autour des deux thématiques annoncés supra. L’objectif poursuivi par ces entretiens était d’obtenir les données qui vont faciliter la description et les différentes catégorisations des actions mises en place par les activistes. Le but de notre échantillonnage n’était aucunement la représentativité, mais les caractéristiques et la richesse des diverses tendances qui émergent de cette étude sur le mouvement en ligne. Nous avons opté pour un échantillonnage boule de neige, car c’est au fur et à mesure que nous avons sélectionné les enquêtés grâce à ceux qui avaient déjà accepté de répondre à nos questions. Les personnes interrogées étaient choisies sur la base de quelques critères : la participation à l’opération mode avion, la possession d’un compte Facebook, le fait de commenter cette actualité en ligne. Nous n’avons pas discriminé les genres et les catégories sociales. Toutes les catégories sociales et les genres étaient les bienvenues, le plus important étant de satisfaire aux conditions listées plus haut. Finalement, 19 femmes ont accepté d’échanger avec nous, ainsi que 11 hommes.

17Le premier thème qui porte sur les causes de l’activisme tournait autour de 3 questions fondamentales : la définition de l’opération mode avion et les pratiques querellées ; ce que les internautes espèrent de ce mouvement, les responsables du mouvement. Le deuxième thème est une rubrique qui amenait les internautes à interpréter eux-mêmes leurs actions. Il fallait expliquer les raisons pour lesquelles ils pensent que la société locale Cameroun Télécommunications (Camtel) est une alternative sérieuse pour mettre les opérateurs étrangers « hors d’état de nuire ». L’échange a également touché aux raisons pour lesquelles les usagers de la téléphonie mobile ne cessent pas de faire une comparaison entre les prix pratiqués par Orange en France et au Cameroun.

18Troisièmement, la recherche documentaire liée à ce mouvement nous a contraint à avoir recours aux documents tel que les communiqués du Ministère des Postes et de la Télécommunication du Cameroun et les vidéos des journaux télévisés qui traitent de cette question, le communiqué de l’Agence de Régulation des Télécommunications, les journaux en ligne « O Camer.com du 27 avril 2023 », « Cameroun Web du 26 avril 2023 », « Digital Business Africa du 25 avril 2023 », « Actu Cameroun du 27 avril 2023 ». Le choix des journaux de cette période repose sur le fait qu’ils traitent de cette question et cela nous permis d’y collecter des données relatives aux thèmes retenus. Ces différents documents ont constitué une source documentaire nécessaire pour saisir comment les institutionnels s’y sont pris pendant l’opération mode avion. Tous les documents ont été collectés en ligne.

I.3. Le traitement des données

19Les données obtenues ont été, sans exception, soumise à une analyse thématique des contenus (Bardin,2013). Les étapes de cette analyse sont classiques : 1) la sélection des documents ; 2) la lecture des documents sélectionnés ; 3) La classification ; 4) l’interprétation. Toutes ces manipulations ont été faites à partir des questions de recherches, des hypothèses et des variables qui s’en dégagent.

Les tendances en ligne de l’opération mode avion : l’expression de la mise en scène de l’internaute, du peuple surveillant et du peuple juge

20L’opération mode avion a eu une très grande résonance sur le média social Facebook. Plusieurs internautes ont répondu à l’appel des coordonnateurs pour amener les opérateurs de téléphonie mobile à accorder plus de considération aux revendications des consommateurs. Il est convenable de décrire ce mouvement puis de montrer comment il s’est déployé sur Facebook.

Une définition opératoire du mouvement opération mode avion : un exemple d’agora électronique

21Les Camerounais se sont révoltés contre le traitement à eux infligé par les opérateurs de téléphonie mobile MTN et Orange. De ce fait, ils ont lancé un mouvement en ligne pour faire comprendre leur ras-le-bol. Un certain nombre de faits les a amenés à manifester leur mécontentement.

Tableau 3. Les réclamations des activistes de l’Opération mode avion

Réclamations

Acteurs ciblés

La baisse des coûts de communication et des forfaits onéreux

Les opérateurs MTN et Orange

La suppression des publicités et des messages payants, intempestifs sur les téléphones portables

Les opérateurs MTN et Orange

La cessation du siphonage des crédits et des données mobiles

Les opérateurs MTN et Orange

L’amélioration de l’expérience clients

Les opérateurs MTN et Orange

La réduction des frais de transaction Mobile Money et Orange Money 3 fois plus chers que dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne

Les opérateurs MTN et Orange

La cessation du vol de l’argent dans les comptes Orange Money et Mobile Money

Les opérateurs MTN et Orange

L’amélioration de la mauvaise qualité du réseau

Les opérateurs MTN et Orange

Rendre effective la portabilité des numéros

Les opérateurs MTN et Orange

Clarifier le flou sur la destination des fonds contenus dans les comptes Orange Money et Mobile Money des personnes décédées

Les opérateurs MTN et Orange

Stopper les abonnements payants à l’insu des clients

Les opérateurs MTN et Orange

Source : l’enquête netnographique, mai 2023

22Le tableau ci-dessus est le résumé de la situation dans laquelle se trouvent les clients des opérateurs de téléphonie mobile. Face aux difficultés causées par les opérateurs de la téléphonie mobile MTN et Orange, ils sont montés au créneau pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme inacceptable. Et, Facebook leur a semblé être l’un des meilleurs espaces pour le faire.

23Ainsi, il est présenté comme une agora électronique (Méar, 1985) un espace où les problèmes cruciaux peuvent être posés et inciter les décideurs à agir efficacement. Depuis la fin du XX è siècle, les progrès de la technologie ont permis la montée en puissance des outils de communication qui permettent de mettre un certain nombre de problèmes en relief. Qu’ils soient sociaux, économiques, culturels, les problèmes rencontrés par les hommes ne se limitent plus seulement dans la sphère privée. Plusieurs personnes ont choisi de poser ces problèmes sur les médias sociaux afin d’interpeller les différentes parties prenantes capables de participer à leur résolution.

24Dans les années 1980, plusieurs chercheurs s’interrogeaient encore sur l’efficacité d’une éventuelle agora électronique. Mais de nos jours, les faits montrent que le débat est effectif sur les réseaux en ligne. Le nombre d’abonnés sur Facebook – 3.600.000 au Cameroun - par exemple et les prises de position sur la question de l’opération mode avion font penser que la discussion et la dénonciation sont possibles en ligne. Le mouvement étant repris par la presse en ligne et même des journaux « classiques », il faut dire que la question de la révolte des clients des opérateurs de la téléphonie mobile est sérieuse. Selon l’enquête netnographique effectuée en mai 2023, on a observé environ 5000 publications concernant l’opération mode avion dans l’intervalle de 6 semaines. La thématique a été reprise sous plusieurs formes : communiqués institutionnels, sensibilisation des particuliers, prise de parole des journalistes, publications des influenceurs.

25Parmi les meneurs du mouvement, on peut reconnaître des célébrités comme l’artiste musicienne Kareyce Fotso et le comédien Ebenizer Kepombia. A leurs côtés, se trouvaient plusieurs autres personnes ayant une notoriété établie auprès des publics numériques. Leurs différentes prises de parole au sujet de cette opération démontrent une fois de plus que des camerounais ont désormais fait de Facebook une agora électronique.

L’opération mode avion comme mise en scène de l’internaute

26Les internautes, nous l’avons dit, se donnent à cœur à la participation à l’opération mode avion. Certains en profitent pour se donner à voir favorablement et se positionner dans cette agora électronique. Le décompte manuel effectué dans les pages des célébrités observées donne à voir 47 publications et 42 379 likes. Ces chiffres permettent de ressortir l’intérêt que les internautes ont manifesté vis-à-vis de l’opération mode avion. Chaque internaute tente, à travers ce mouvement de prendre part à cette mise en scène de la vie quotidienne (Goffman, 1973). D’après Goffman, le monde est une scène de théâtre à l’intérieur de laquelle chacun tente de tirer son épingle du jeu. Le média social Facebook étant une agora électronique au Cameroun, plusieurs personnes s’y trouvent pour exposer leurs idées et les faire accepter. Il peut arriver que celles-ci soient partagées par plusieurs autres personnes ou non. Mais le plus important est parfois de jouer un rôle que la majorité pourrait accepter. Quand on est une célébrité, on est épié en permanence par ses followers et on fait attention à ce qu’on décide de dire ou non. De ce fait, les célébrités comme Kareyce Fotso ont fait le choix de se mettre du côté de la masse. Dans sa démarche, elle s’est attirée beaucoup de sympathie, dans la mesure où les internautes lui ont donné l’étiquette d’une personne sociable, capable de combattre auprès du peuple. L’opération mode avion se présente comme une opportunité à saisir par les internautes en général et les célébrités en particulier pour intéresser davantage.

27Les individus sont alors sans cesse en train de jouer des rôles sans que l’un soit plus vrai que l’autre. Le plus grand rôle des célébrités comme Charlotte Dipanda et les autres revient à influencer les autres participants à rester focalisés sur l’objectif terminal qui consistait à amener les différentes parties prenantes interpellées à se pencher sur les différentes revendications des internautes. Selon Erving Goffman, chaque acteur donne un spectacle à l’attention des autres pour leur montrer que les choses sont effectivement ce qu’elles sont. Cela vient renforcer l’engagement des différents participants et renforcer la crédibilité du mouvement. Kareyce Fotso précise que :

« La famille demain est un autre jour. Le peuple choisit de donner le pouvoir à qui il veut et nous ne sommes pas d’accord avec Orange et MTN sur la tarification des différents services non, on fait quoi sur leurs pages ? Pardon allons-nous désabonner et signaler leurs pages en masse. C’est nous même qui mettons les gens en haut. On a aussi le pouvoir de les descendre quand ils refusent de nous rendre la monnaie de notre générosité. » (Publication de Kareyce Fotso reprise par le 4ème pouvoir le 28 avril 2023)

28On se rend compte que les participants du mouvement présenté par ce travail jouent leur partition afin que les choses changent. Les leaders donnent le ton et jouent un rôle d’influenceur auprès des autres en espérant que cela pourrait porter des fruits. La multiplicité d’acteurs impliqués dans le théâtre de la revendication montre que chacun des acteurs est soucieux de la crédibilité du mouvement et pour cela, il mobilise toutes les ressources nécessaires pour que son objectif soit atteint. Le mouvement mis en place tente de fabriquer une idéalisation de cette revendication en montrant son bien-fondé. Les acteurs sont alors contraints à la mise en place des actions qui « spectacularisent » le mouvement au point où certains se comportent même comme s’il s’agit d’un jeu. Des slogans comme « Je suis dans l’avion », « Fais-moi voyager sans décoller », « pas de développement sans une bonne connexion » sont repris sur Facebook. Tous ces jeux de mots viennent confirmer que les internautes se sont appropriés de l’opération mode avion afin de l’adapter à leur propre langage.

29Par ailleurs, par effet d’entraînement, les autres publics numériques suivent la tendance en se servant de leurs téléphones portables devenus un véritable mode d’expression (Mahdi Amri et Nayra Vaclafor, 2010). Selon ces auteurs, le téléphone portable est désormais mobilisé par les jeunes pour exprimer leurs idées et surtout construire leurs identités. Dans ce contexte, ils montrent à travers leurs prises de position, ce qu’ils attendent des opérateurs de la téléphonie mobile au Cameroun. Ils ne sont pas de simples spectateurs du mouvement, mais ils entrent dans l’arène pour défendre une idée et exprimer leur identité.

La métaphore du peuple surveillant et du peuple juge

30La condamnation d’une pratique dans un espace social organisé est l’apanage de la justice, considérée comme l’instance de surveillance. Cependant, dans le cadre de nos observations, les internautes se comportent comme si c’est à eux de décider de ce qui est et de ce qui n’est pas. Quand une figure centrale de cette dénonciation comme la célèbre artiste Camerounaise Kareyce Fotso prend la parole pour dire « Le peuple donne le pouvoir à qui il veut », « C’est nous-même qui mettons les gens en haut », « On signale jusqu’à ce Pa Zuck off tout ça [SIC] », on réalise que les internautes veulent contrôler ce qui se fait en société. Le tableau-ci après vient nous conforter dans cette impression.

Tableau 4. Réactions des internautes sur l’opération mode avion

Entrées

Relevé des indices

Analyse

Pistes d’interprétation

Figures de style

« Je vais toutes vous mettre en mode avion »

Hyperbole

Dénonciation des abus de Orange Cameroun

« Beaucoup nous ont insulté alors que notre combat est en train de payer »

Anti-thèse

Opposition sur le boycott des opérateurs de la téléphonie mobile

« Je reviens vers toi Camtel »

Personnification

Appel à la décolonisation

Tonalité

« Ton masque et celui de tes semblables tombent. Tu t’enrichis sur les cadavres des gens »

Polémique

Appel à la décolonisation

Source : Nos soins, à partir de l’enquête netnographique avril et mai 2023.

31Le tableau ci-dessus permet de réaliser que les internautes se sont érigés en surveillants, malgré le fait que cela ne fasse pas l’unanimité. Ils décident de ce qui peut être acceptable et vice-versa. Les faits reprochés aux opérateurs de téléphonie mobile et principalement à Orange sont graves. Les internautes Camerounais se sentent abusés et lancent une sonnette d’alarme. Cette capacité du peuple à surveiller l’environnement s’apparente à un pouvoir populaire (Hector Mendez, 2014). En effet, le fait que le peuple prenne le pouvoir pour sanctionner certains faits remonte aux stratégies de transformations sociales en Amérique latine. Les organisations populaires se montrent capables de construire des espaces de revendication au cas où elles se rendent compte que les pouvoirs publics ne le font pas. L’émancipation de la société à travers les revendications se fait alors ressentir à travers ce que les internautes réalisent sur Facebook au Cameroun. On remarque que Internet offre aux différents plaignants une nouvelle façon d’appréhender les choses qui se comme une nouvelle sociabilité (Castells, 2001). Chacun, derrière son clavier peut faire entendre sa voix et participer à la dénonciation.

32Le pouvoir populaire est souvent l’œuvre des cadets sociaux (Bayart,1992). Et dans le cas de l’opération mode avion, la cherté des services offerts par Orange Cameroun est principalement décriée par les consommateurs des milieux dits défavorisés qui n’ont pas les moyens de payer les sommes demandées et qui sont fatigués de se surpasser. Dans le but de se positionner auprès de ce peuple surveillant, certaines célébrités les accompagnent dans la revendication du changement. La récompense que ce peuple surveillant tire généralement de ce genre d’initiatives c’est l’oreille attentive des gouvernants. Il arrive souvent qu’ils prêtent attention et proposent des pistes de solution. La recherche documentaire nous révèle dans le cadre de notre enquête que, la ministre des postes et télécommunications du Cameroun a initié un communiqué le 26 avril 2023 dans l’optique de calmer les ardeurs des activistes. Si la figure centrale de la télécommunication au Cameroun a pris ce genre de décisions, cela signifie que le mouvement du peule en ligne a eu un écho. Et, il s’est arrêté seulement quand la coordination portée par les artistes Xfrane, Kareyce Fotso, Mitoumba Ebenezer Kepombia, Martin Poulibe et Koppo en a décidé ainsi. On peut lire un extrait de leur communiqué qui va dans ce sens :

« Le boycott citoyen fût assurément une belle expérience d’engagement citoyen. Vivement que les multinationales qui opèrent au Cameroun prennent conscience à l’avenir et intègrent désormais dans leurs logiciels que les consommateurs ne comptent plus jamais se laisser malmener en silence sans qu’ils ne se mobilisent pour défendre avec détermination leurs droits. » (Extrait du communiqué de la coordination du 21 mai 2023).

33Il est à constater que le peule a un pouvoir vérifiable et il s’en sert pour revendiquer un certain nombre de droits qu’ils estiment bafoués. Parmi les plaintes des internautes, le désir de voir Camtel prendre les devants sur le marché de la téléphonie mobile s’est présenté comme une tendance lourde. Cette volonté sonne comme un désir décolonisation ou encore de l’incitation à l’affirmation des marques locales. Cet aspect des observables nous plonge dans réalité des marques commerciales originaires des anciens pays colonisateurs dans les territoires postcoloniaux.

La révélation de la théorie postcoloniale dans l’opération mode avion au Cameroun

34La théorie postcoloniale présente les décisions prises par les anciens territoires colonisés comme un recours aux sources (Mignolo, 2013). Il s’agit de cesser de croire que les réalités imposées par le colon sont les meilleures et de ce fait, devraient être reprises sans aucune interrogation. En ce qui concerne cette réflexion, l’opérateur de téléphonie mobile Orange est Français et la France a régné pendant des décennies dans une partie du Cameroun. Les travaux sur la postcolonie montrent une certaine révolte des locaux vis-à-vis de tout ce qui concerne l’ancien colon. Yves Mudimbe (1973) conseille même dans un de ses ouvrages – l’odeur du père – de se débarrasser de l’influence du colon.

L’opération mode avion comme remise en cause du discours du père

35Beaucoup d’internautes que nous avons interrogé ont été clairs. Les entreprises françaises ne manquent pas de prétexte pour exploiter leurs territoires d’accueil quand l’occasion se présente. Cela dit, une telle attitude dans les affaires ne saurait rester impunie. Ce que disent les français en ce qui concerne les coûts des services de la téléphonie mobile et des rapports entre Orange et les consommateurs camerounais n’est pas vu d’un bon œil. Durant un entretien, un de nos enquêtés remarque que :

« En 2023, la colonisation ne se passe plus dans les champs et les plantations de bananes et café, les esclaves ne sont plus enchaînés avec la complaisance des chefs traditionnels. Mais elle se construit et se développe dans les bureaux, dans les ports, dans les chantiers et dans les forêts ! Où on impose une loi étrangère au détriment du développement local, l’esclavage n’a plus besoin des chaînes de métal mais il se fait aujourd’hui de manière subtile, avec des chaînes mentales, avec la complaisance des dirigeants et des entreprises. »

36On peut alors constater que les consommateurs déplacent le débat vers les questions de l’identité de l’opérateur de téléphonie mobile. L’opération mode avion n’est plus seulement une revendication des meilleurs services et une tarification adaptée aux moyens réels du consommateur moyen. Il s’agit d’un problème historique, diplomatique, culturel. Des Camerounais réclament Camtel. Ils souhaitent que l’opérateur de téléphonie mobile local se positionne efficacement dans l’espace marchand au détriment de Orange et MTN qui sont des compagnies étrangères. Non seulement, ils occupent un espace géographique qui ne leur appartient pas pour faire des affaires, mais ils sont également chers. Même si les compagnies étrangères présentées sont au nombre de deux, les internautes ont une forte tendance à mettre le tort sur Orange, qui est une compagnie française.

37Cela dit, le discours du père et même son odeur deviennent irrespirables. Il faut retrouver des choses qui ressemblent au Cameroun. Ce recours aux sources consiste aussi à brûler cette bibliothèque coloniale (Mudimbe, 1973) afin de montrer de l’intérêt pour ce qui est proposé par les entreprises à capitaux Camerounais. Pour le littéraire Congolais – Mudimbe -, il faut trouver un moyen pour que l’Afrique vive ses propres expériences avec ses propres règles. Les internautes s’expriment sur cette question à visage découvert. Il faut que les utilisateurs de la téléphonie mobile, selon les activistes, décident de s’écarter des services proposés par l’ancien colon. Selon eux, il y a de nouvelles stratégies de (re) colonisation que mobilisent les anciennes nations colonisatrices parmi lesquelles la France, pour mieux s’enraciner en terre Africaine. Les justifications des opérateurs de téléphonie mobile ne semblent pas avoir un bon accueil, car l’heure est désormais à la négation du discours du père.

Les problèmes géopolitiques dans l’opération mode avion

  • 3 On dénombre 24 enquêtés sur 30 qui n’ont pas de propos tendres envers Orange Cameroun. Pourtant, il (...)

38L’opération mode avion est également le fait d’une révolte de la présence française au Cameroun à travers ses multinationales. Une présence qui ressemble à une dictature capitalistique pour plusieurs personnes. Arjun Appadurai (2001) montrait déjà que dans la mondialisation, ce ne sont pas seulement les hommes qui circulent. Les stratégies d’internationalisation des entreprises leur donnent désormais la possibilité de s’étendre partout dans le monde. De ce fait, l’opérateur de téléphonie mobile français subit un traitement spécial durant cette opération mode avion. Pourtant, deux firmes sont boycottées. MTN et Orange. Les propos liés à l’exploitation concernent beaucoup plus Orange, car il s’agit d’une entreprise française. Beaucoup d’internautes et personnes interrogées3 sont convaincues que les prix pratiqués par Orange au Cameroun peuvent s’expliquer également par le désir de continuer à spolier l’Afrique francophone dans le but de rapatrier les capitaux en Europe de l’ouest. Une enquêtée précise que : « Le peuple fâché et uni n’a jamais été aimé par les politiciens ni par les intérêts étrangers ». L’insistance sur un discours sur les étrangers met un accent particulier sur la géopolitique.

39Par ailleurs, le mouvement met également l’accent sur le fait que les dirigeants locaux ne prennent pas au sérieux l’autonomie dans certains domaines, notamment celui de la téléphonie mobile. Si les firmes étrangères comme MTN et surtout Orange prennent le contrôle au Cameroun, c’est parce qu’ils trouvent un moyen d’empêcher à l’Etat de trouver des solutions locales. Plusieurs enquêtés pensent d’ailleurs que l’une des solutions se trouve dans la valorisation de Camtel, l’opérateur de téléphonie mobile local. Par ailleurs, la volonté de voir Camtel prendre les choses en main cache mal le désamour vis-à-vis des opérateurs de téléphonie mobile et plus précisément, les français qui sont beaucoup plus pointés du doigt par les enquêtés. Les études postcoloniales mettent souvent l’accent sur l’aspect sémiotico-culturaliste qui se limite aux façons de faire et aux styles de vie. Cependant, les données du terrain émanant de notre enquête révèlent qu’il y a également un côté politique qui émerge à travers les verbatim d’entretien. Une enquêtée remarque que,

« On dit que l’Afrique est riche en ressources naturelles mais pauvre en Ressources Humaines. Tout cela est dû à beaucoup de choses et quand on regarde les causes il y a beaucoup de choses que l’on peut citer. Mais l’une des raisons principales c’est Orange qui est l’ennemi incontestable de l’Afrique et je vais vous expliquer pourquoi. En Guinée par exemple, 15 Gigas de connexion coûtent 20 euros. Comment se fait-il qu’en Afrique où les gens gagnent 10 fois moins bien leur vie qu’en France Internet coûte plus cher en Afrique qu’en France et ce n’est même pas le plus alarmant. »

40On peut remarquer que les plaintes sont aussi politiques qu’économiques. Les Camerounais se plaignent du paradoxe des prix et le vivent comme un manque de considération. Non seulement, ils rejettent les opérateurs étrangers et plus précisément français, mais ils les accusent aussi d’être mal intentionnés. La théorie postcoloniale se fait ressentir à travers toutes ces déclarations conservatrices. Cependant, on peut observer que les déclarations des enquêtés conduisent également vers le pillage du Cameroun ; c’est-à-dire le volet économique du post colonialisme proprement dit.

La dimension économique dans l’opération mode avion

41Précédemment, nous avons montré qu’il y a un côté géopolitique dans l’opération mode avion. Et, cela a une incidence sur le rapatriement des capitaux. Certains s’amusent même à faire une comparaison entre le budget du Cameroun et celui de l’opérateur de téléphonie mobile Orange, puisque c’est à lui que plusieurs enquêtés ont fait allusion au sujet de la dimension économique. Les simulations sont faites sur le nombre d’abonnés et les rentrées estimatives par jour. Sans se référer aux sources bien présentées, les enquêtés s’amusent à attribuer des chiffres à partir de ce qu’ils imaginent comme consommation journalière de chaque consommateur. Et, sur cette base, ils sont convaincus que les opérateurs de téléphonie mobile gagnent trop d’argent en Afrique et au Cameroun en particulier. Nous avons pu relever la démonstration suivante sur un compte Facebook :

« La moyenne de recharge journalière des abonnés camerounais est de 1000 FCFA en faisant une péréquation entre les petits consommateurs de moins de 500 francs CFA par jour avec les grands consommateurs qui chargent plus de 10.000 francs par jour. Soit une recette de 12. 000.000.0000 par jour par opérateur et 360 milliards par mois. Par an, c’est environ 4000 milliards CFA en tenant compte des mois de 31 jours. » (le compte dont nous parlons est celui de Valère Bertrand Bessala. Il s’agit de la vidéo qu’il a diffusée le 1er mai 2023)

42Cette réplique est révélatrice de multiples déclarations des internautes au sujet des inquiétudes des Camerounais au sujet du chiffre d’affaire des opérateurs de téléphonie mobile étrangers. Même si les volets précédents avaient déjà mis en avant la circulation des capitaux grâce à la mondialisation (Appadurai, 2001), ils n’ont pas mis en surbrillance les inquiétudes des locaux face aux chiffres d’affaires des entreprises étrangères. L’opération mode avion ne serait donc qu’un arbre qui cache la forêt. Une bonne partie des plaintes ne réside pas seulement dans le fait que les prix soient si chers ou encore la qualité du réseau. Même si ces volets ont toute leur épaisseur, il faut tenir compte du malaise du Camerounais face à la prospérité d’une entreprise française au Camerounaise. MTN, l’opérateur de téléphonie mobile Sud-africain est aussi dans la même situation. Il y a une certaine tolérance vis-à-vis de l’opérateur Sud-Africain qui contraste avec une sorte de ressentiment (Angenot, 2008) quand il s’agit de la compagnie française. Ce mouvement de ressentiment est un refus de l’autre, une pulsion de repli contre la diversité.

43Cependant, les discours des enquêtés sont beaucoup plus véhéments quand il s’agit de l’opérateur de téléphonie mobile Orange. Cela peut s’expliquer par l’histoire. Si on saisit les rapports de dominants / dominés entre la France et le Cameroun, on peut comprendre le ras-le-bol des internautes Camerounais. Le rapport colonisateur et colonisé revient dans les consciences et rend les Camerounais repoussants. Le fait de tolérer les Sud-africains le montre aussi à plus d’un égard, car les enquêtés parlent très rarement d’eux à titre personnel. Si ce sentiment de rejet se justifie par l’histoire, il faut également ajouter que l’état actuel des choses n’arrange pas les Camerounais. Convaincus que la France est une « malchance » pour le Cameroun, ils estiment que le chiffre d’affaires de l’opérateur de téléphonie mobile Orange pouvait être celui de Camtel si la France ne venait pas imposer régulièrement des choses aux autorités Camerounaises. La question de l’argent que génèrent les services de ces opérateurs de téléphonie mobile est l’un des indicateurs cachés de l’opération mode avion au Cameroun.

Conclusion

44La réflexion que nous avons produite a mis en relief l’activisme en ligne des clients des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun. Ce travail consistait à interroger les tendances qui se dégagent de cette manifestation en ligne. A l’aune de la triangulation, nous avons collecté des données en rapport avec nos interrogations. Celles-ci ont permis de vérifier l’hypothèse centrale de la recherche qui postule que les revendications en ligne autour des services rendus par l’opérateur de téléphonie Orange revêtent des indicateurs des combats de la postcolonialité. Cela se justifie par le fait que, les activistes citent généralement Orange dans les publications diffusées en ligne de façon négative. Ils se comportent comme si MTN n’était pas une organisation étrangère chaque fois qu’ils font allusion au volet identitaire qui explique les actions posées dans le cadre de l’opération mode avion. Même si MTN est retenu dans le corpus d’étude, c’est davantage pour justifier qu’en tant que multinationale, les activistes tolèrent beaucoup plus sa présence. Les enquêtés que nous avons écouté permettent de comprendre que, les Camerounais craignent la présence des entreprises étrangères au Cameroun. Selon eux, Orange représente un aspect de la continuité de l’hégémonie française au Cameroun.

45Aussi, les français interdiraient-ils aux gouvernants locaux de doter le Cameroun d’un opérateur de téléphonie mobile local qui travaille vraiment pour leurs intérêts. Le coût trop élevé de la connexion et des appels ne participe pas à la construction d’un Cameroun qui migre vers l’émergence. L’opération mode avion est aussi en réalité une arme de revendication du départ de l’ancien colon qui prend des décisions opposées à la volonté des Camerounais. Cela peut se
vérifier également par les finances. Les chiffres d’affaire dans le secteur de la téléphonie mobile étant élevés, il est intéressant pour les opérateurs étrangers que ces capitaux servent plutôt au développement de leurs pays respectifs. Les Camerounais qui sont acteurs de ce mouvement veulent contrecarrer ce projet ou bien, réduire son influence.

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Notes

1 Selon l’article de Bertrand Chedjou, consulté le 15 avril 2023 à 16 heures 53.

2 Ici on fait allusion à ceux qui sont connectés sur Facebook.

3 On dénombre 24 enquêtés sur 30 qui n’ont pas de propos tendres envers Orange Cameroun. Pourtant, il existe deux opérateurs de téléphonie mobile d’origine étrangère au Cameroun.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Timothée Ndongue Epangue, « L’activisme en ligne des abonnés des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun »Communication, technologies et développement [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 20 octobre 2023, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/ctd/8729 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ctd.8729

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Auteur

Timothée Ndongue Epangue

Université de Douala

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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