1La crise sanitaire due à la Covid-19 et les mesures de restrictions ont suscité des indignations et des protestations. Ces dernières ont pris départ sur les réseaux socio numériques (RSN) sous forme de postures vaccino-sceptiques pour déboucher sur des manifestations sur l’espace public. Leurs formes sont variées : rejet des vaccins, des mesures de restriction et même des dirigeants. La crise sanitaire devient politique.

3Dans cet article, nous analyserons le rôle des pratiques informationnelles (PI) dans l’adhésion des Marocains au mouvement contre l’obligation du pass vaccinal et dans la formation d’un espace de contestation. Nous formulons les hypothèses suivantes :

4H1 : la richesse des pratiques informationnelles serait à l’origine de la mobilisation en ligne contre le pass vaccinal au Maroc.

5H2 : la vidéo, comme source d’information, serait un catalyseur déterminant de la mobilisation en ligne contre le pass vaccinal.

6Après avoir précisé le cadre conceptuel, nous présenterons brièvement notre méthodologie avant de définir les PI des antivax et comment elles se traduisent en mobilisation.

Précision conceptuelle

Les Pratiques informationnelles

7Les pratiques informationnelles (PI) désignent « la manière dont un ensemble de dispositifs, de sources formelles ou non, d’outils, de compétences cognitives sont effectivement mobilisés, par un individu ou un groupe d’individus, dans les différentes situations de production, de recherche, d’organisation, de traitement, d’usage, de partage et de communication de l’information. » (Ihadjadene et al. 2009). Le terme de « pratique » englobe ici « aussi bien les comportements, les représentations que les attitudes informationnelles de l’humain (individuel ou collectif) associés à ces situations » (Ihadjadene et al. 2009).

8Elles sont aussi définies comme « une manière concrète d’exercer une activité d’information visant des résultats concrets sans intention d’expliquer comment le résultat a été atteint. Ce sont des procédures, des manières de faire sur et avec l’information (recherche, évaluation, exploitation, traitement, stockage, diffusion) permettant à une activité, par exemple professionnelle, de se dérouler. » (Gardiès et al, 2010 : 125).

9Le concept de PI intègre aussi la dimension sociale, s’inscrit dans le temps et renvoie à des conduites finalisées. Ces pratiques ont la caractéristique d’être réglées et répétées dans le temps et englobent les savoirs et les représentations grâce auxquels nous pouvons les comprendre et les appliquer selon les situations qui se présentent.

Mobilisation numérique

10Par mobilisation numérique, nous désignons « de nouvelles formes de mobilisation ayant des caractéristiques propres et s’appuyant massivement sur l’usage des technologies numériques dans les différents moments de l’action collective (formation du cadre contestataire, socialisation, recrutement, communication et organisation de l’action) » (Sedda, 2021 : 56). Ces formes de mobilisation numériques qualifiées par Cardon (2010 : 118) de « nouvelles formes de mobilisation informationnelle qui se caractérisent par leur spontanéité ainsi que leur nature auto-organisée et décentralisée » sont donc spontanées, non organisées (Alnasser, 2020) et permettent au citoyen lambda de faire entendre sa voix et de participer au débat public. En effet, les TIC « offriraient par ailleurs la possibilité de promouvoir croyances, convictions et valeurs sans avoir à se soumettre aux procédures hiérarchisées de la prise de parole régulant généralement la diffusion des opinions » (Granjon, 2017).

11Ces mobilisations sont aussi éphémères car elles sont rattachées à un événement d’actualité ; c’est un « passage du militantisme idéologique et d'adhésion au militantisme « distancié » et « de cause », conçu comme un modèle d'engagement temporaire et orienté vers la réalisation de projets spécifiques » (Sedda, 2021 : 56).

12Par ailleurs, les usagers ont la possibilité de créer, commenter et diffuser l’information, ralliant d’autres usagers autour d’une cause renforçant des mouvements sociaux qui prennent de l’ampleur jusqu’à dépasser les frontières numériques pour se traduire en des manifestations sur le terrain et influencer des décisions politiques et économiques. En effet, « différents mouvements contestataires […] sur le Web, ont donné naissance à des changements, à l’annulation de certaines décisions politique, économique, éducative, sociale et parfois même à l’abrogation de certains articles du code pénal » (Abentak et al., 2019).

13La mobilisation numérique est aussi caractérisée par la diversification de ses formes d’action : les répertoires de l’action collective consistent autant en des formes classiques (sit-in, boycott), que nouvelles ou renouvelées (pétitions en ligne, centralisation des témoignages par des hashtag, discussions dans les commentaires, liens hypertextes…).

14Enfin, le numérique facilite l’internationalisation des contestations (Sedda, 2021 : 61). Un mouvement peut être repris dans d’autres zones géographiques en étant réapproprié selon les conditions spécifiques des contestataires.

Méthodologie

15Nous avons adopté une analyse mixte (quantitative et qualitative).

17L’analyse des résultats de l’enquête quantitative a été faite à l’aide du logiciel Sphinx 2 plus. Ce dernier nous permet de faire, en plus de l’analyse des tableaux à plat, des croisements de plusieurs variables et le calcul du Chi 2. Ce calcul détermine si le croisement des variables est significatif ou non. Autrement dit, c’est grâce au calcul du Chi 2 que nous pouvons affirmer s’il y a une dépendance significative entre les variables croisées ou non. C’est à l’aide aussi de ce logiciel que nous pouvons avoir des cartes factorielles de correspondances multiples qui déterminent la corrélation entre plusieurs variables.

19En vue d’interpréter nos résultats, nous nous sommes appuyées sur :

• La théorie des usages et gratifications : le récepteur actif sélectionne les médias et leurs contenus selon ses besoins. Les fonctions des médias sont la distraction, les relations sociales, l’identification personnelle et la surveillance, et les sources de gratification sont le contenu, l’exposition aux médias, et l’influence du contexte social sur cette exposition.

• La théorie de la richesse des médias : s’intéresse à la capacité et à l’efficacité des supports de transmission de l’information. Les médias qualifiés de « riches » sont capables de transmettre des messages à fort impact (oral et visuel) dans diverses langues, favorisent un retour rapide, s’adaptent au destinataire (avec infusion de l’affect) et peuvent transmettre des messages ambigus, complexes et non directifs.

Résultats

20La combinaison des résultats des études se présente comme suit.

Les pratiques informationnelles des questionnés

21Les RSN constituent la source d’informations la plus utilisée par les questionnés, sauf pour les personnes dont le niveau d’études ne dépasse pas le primaire. Ces derniers se contentent des informations diffusées par les chaînes audiovisuelles nationales. C’est une catégorie qui ne possède pas, en général, les compétences cognitives, communicationnelles, numériques et linguistiques susceptibles de lui permettre de consulter des sources variées et internationales. Ces dernières transmettent des contenus divergents voire contradictoires, qui nécessitent un esprit critique pour discerner le vrai du faux. Il est donc question chez cette catégorie, de « pauvreté informationnelle », théorie sur laquelle nous reviendrons par la suite.

22Les sources d’informations des autres catégories sont d’abord les RSN, suivis par les chaînes télévisées nationales, et la troisième est composée de sources variant en fonction du niveau d’études :

• les chaînes radiophoniques nationales pour ceux dont le niveau d’études est le secondaire ;

• les sources officielles pour les diplômés d’un bac+2 (11,21 %) et d’un bac+5 (21,27%) ;

• la presse classique pour les diplômés d’un bac+3 ;

• les revues scientifiques spécialisées pour les personnes ayant un bac+8.

23Nous remarquons qu’au fur et à mesure que le niveau d’études s’élève, la radio et la presse nationales ne constituent plus une source d’informations.

24Nous remarquons aussi que seule la catégorie « bac+8 et plus » consulte les revues scientifiques spécialisées (39%). Cette catégorie possède les compétences qui lui permettraient de comprendre ces contenus.

Des PI à la mobilisation contre l’obligation du pass vaccinal

25Le croisement des variables « statut professionnel » et « sources d’informations » a montré une dépendance très significative justifiée par un Chi 2 =71,94, un degré de liberté (ddl) = 45,1 et 1 – p = 99,34 %.

26La carte factorielle explicite le rapprochement entre le statut professionnel et la diversification des sources d’informations et montre une répulsion entre la consultation de revues scientifiques spécialisées et la catégorie « sans fonction ».

27D’après cette carte factorielle, les fonctionnaires, les salariés du privé, les professions libérales et les étudiants ont recours à des sources variées d’informations divergentes. Ils combinent à la fois les médias classiques, les médias alternatifs, les revues scientifiques spécialisées, la consultation des spécialistes de la santé et la consultation des proches.

28Les pratiques de ces catégories sont riches. Elles se caractérisent par une régression du recours aux médias classiques au profit des médias alternatifs. Grâce à l’information alternative numérique, qui est multimédia (texte, vidéo, audio), immédiate et interactive, ces usagers ont accès à des informations différentes de celles produites et diffusées par les médias institutionnels.

29Grâce à l’interactivité, le citoyen lambda peut devenir producteur et diffuseur de contenus et ne plus être cantonné dans le statut du récepteur passif. Le développement de l’internet serait, selon Beauvallet et al. (2005), en affinité opérationnelle avec le « militantisme informationnel » qui « regroupe l’ensemble des activités visant à produire et à diffuser de l’information dans un but politique ou social. » (2005 : 280). En effet, le numérique « présente des propriétés particulièrement adaptées aux projets du militantisme informationnel transnational : allègement des contraintes éditoriales, réduction drastique des coûts de diffusion, modèle de communication many to many, facilités de production coopérative et ouverture d’un espace de participation élargie permettant une plus grande interactivité et une interchangeabilité des rôles de producteur et de récepteur d’information. » (Beauvallet et al, 2005 : 280).

30Le militantisme informationnel défini comme l’ensemble des « mobilisations multiformes dont l’ambition est de mettre en œuvre leurs propres dispositifs de production d’information et/ou de démocratiser les médias en agissant sur leur message, leurs pratiques, leur organisation et le contexte règlementaire qui les régit, dans le but d’encourager l’expression de citoyens et d’élargir leur participation à l’espace public » (Cardon et al. 2005 : 175-176) serait à l’origine de la transformation des PI de ces catégories.

31Effectivement, nous avons remarqué lors du visionnement des vidéos et des podcasts une libération de l’expression sous plusieurs formes : vidéos où on s’exprime ouvertement, audios, commentaires texte en dialecte marocain, en arabe ou en français. Leur contenu porte sur le doute quant à l’efficacité des vaccins, les effets secondaires, le manque de visibilité, les mesures liberticides, ...

32Les médias alternatifs ont inclus les exclus du débat public et ont accordé une attention à la dimension locale. En agissant ainsi, ils ont élargi le pouvoir d’expression médiatique en partageant des informations peu diffusées, contrairement aux médias traditionnels. Certains médias alternatifs « se veulent le reflet des mouvements sociaux, relayant les revendications et les avancées altermondialistes qui sont très peu médiatisés. » (Gergaud, 2012 : 3).

33Les PI de ces usagers ont subi des mutations liées au changement des habitudes de recherche et de consommation de l’information et à l’émergence d’une défiance vis-à-vis des médias classiques et des sources officielles. En effet, face à ce flot d’informations émanant de sources variées, les usagers ont développé des postures vaccino-sceptiques et des comportements qui se traduisent par un refus des politiques vaccinales alimentant la mobilisation.

34Ces personnes ont réussi à influencer d’autres citoyens. Les stratégies qu’elles ont déployées se basent principalement sur :

• le partage de vidéos des victimes des effets secondaires de la vaccination (44%) ;

• le partage de discours de scientifiques internationaux sur les effets néfastes des vaccins (44%) ;

• le partage de témoignages des victimes (39%).

35Grâce à ces stratégies, les usagers orientent les traitements et contrôlent « l’allocation des ressources psychiques (niveaux d’attention, ampleur des connaissances activées) » (Chabrol, 2004 : 7). Selon les résultats, les processus de réception des antivax étaient orientés vers un traitement systématique et avaient bénéficié d’un niveau d’attention assez élevé et les connaissances activées étaient très importantes et abondantes, particulièrement chez les individus ayant un niveau d’instruction plutôt élevé. Ces processus de réception expliquent les changements de jugements, d’attitudes et de comportements, plus ou moins importants et durables (Chabrol, 2004 : 7).

36Toujours selon nos résultats, la vidéo jouerait un rôle décisif comme argument de dissuasion contre la vaccination. En analysant le tableau à plat portant sur la participation au mouvement de mobilisation, il apparait que 20,4% de notre échantillon a participé en partageant des vidéos, 13,9% a partagé des hashtags et 9,4% s’est abonné à des pages/groupes de mobilisation contre la vaccination obligatoire.

La vidéo comme outil d’insufflation de la mobilisation

37Les 40% ayant reconnu que leur décision de refus de se faire vacciner est due aux RSN ont été influencés par :

• les témoignages vidéos sur les effets secondaires : 28% ;

• les vidéos des experts, médecins et virologues : 20 % ;

• les contenus relatifs aux libertés individuelles : 16 % ;

• les vidéos des mouvements antivax internationaux : 10 %.

38Les communications du ministère de la santé occupent la dernière place (4%). Il ressort de ce qui précède que les contenus ayant le plus d’influence sont des vidéos qui émanent de sources non officielles et indépendantes.

39En effet, l’analyse des échanges discursifs des militants en ligne révèle une défiance vis-à-vis des discours institutionnels. Ceci nous incite à soulever la question de la confiance informationnelle. Cette confiance constitue un facteur susceptible d’influencer les comportements informationnels des manifestants au cours de leur quête d’informations ainsi que lors de la phase de l’utilisation de l’information. Nos résultats ont d’ailleurs prouvé que les opposants au pass ont cherché leurs informations dans des sources non officielles, des revues scientifiques et sur les RSN.

40Ces mêmes militants arguent leurs défiances par la valeur intrinsèque de l’information. Leurs propos rejoignent ceux de Maurel et al, pour lesquels « l’information peut avoir une valeur stratégique, s’avérer un instrument de pouvoir et être parfois volontairement déformée, par exemple dans un contexte de conflit d’intérêts. » (2012 : 78).

41La confiance informationnelle est aussi tributaire de « la perception des individus envers la qualité de l’information (et des sources d’information) et sa valeur (symbolique, d’affaires, de preuve, etc.) » (Maurel et al, 2012 : 77). Les échanges discursifs soulignent que la qualité des informations véhiculées par certains organismes officiels reste non convaincante. Ces informations font partie du champ lexical de la peur (le nombre de morts, de contaminés, …). Ce qui explique le hashtag et slogan : « Non à la dictature sanitaire ».

42Effectivement, nous avons remarqué que les discours du ministre de la santé, principal interlocuteur sur la situation pandémique du pays, ont provoqué des commentaires virulents et des réactions allant à l’encontre des objectifs escomptés.

44Les internautes ont exprimé leur manque de confiance et considèrent les informations non crédibles. Pour insister sur le refus, les commentaires ont donné une teinte politique et religieuse à la question du vaccin. Même l’aspect économique (inflation) a été incorporé. Ils abordent également les vidéos sur les effets secondaires des vaccins semant le doute et la confusion. La méfiance a été accentuée par l’absence d’une reconnaissance officielle des effets secondaires et de la prise en charge des victimes. Les propos du ministre ont été interprétés par certains internautes comme une façon de créer la zizanie et la ségrégation entre les vaccinés et les non-vaccinés. Certains commentaires évoquent un caractère anticonstitutionnel de la décision de l’obligation du pass vaccinal. À ces réactions s’ajoutent les actions sur le terrain de professionnels et de personnalités publiques.

45Le manque de fiabilité est aussi un critère qui a fait que ces militants ont perdu confiance en les informations émanant de sources officielles. La fiabilité « repose sur la cohérence de l’information à travers le temps : des sources d’information fiables doivent être en mesure de maintenir un niveau acceptable d’exactitude dans le temps » (Bergeron, 1996 ; Choo, 2002). Or, certaines informations, surtout en rapport avec l’efficacité des vaccins et les mesures de protections se seraient révélées, avec le temps, inexactes. Les médias alternatifs étaient, aux yeux de ces internautes, plus crédibles.

46Un dernier critère, et non le moindre, explique cette confiance en les médias alternatifs au détriment des sources officielles : la richesse des sources d’informations des premiers. Cette richesse se « réfère à la capacité de celles-ci à transmettre un maximum d’information pour comprendre la situation ou le problème à résoudre » (Daft et al, 1984). Effectivement, ces médias ont transmis des informations venant de sources souvent exclues par les médias traditionnels. En procédant ainsi, ils contribuent à l’élargissement du pouvoir d’expression médiatique et se positionnent comme « la critique qualifiée d’« anti-hégémonique » et la critique dite « expressivité ». (...) Il s’agit avant tout de surveiller ces derniers, d’être attentifs à leurs erreurs d’honnêteté médiatique » (Gergaud, 2012 : 5).

47La pauvreté informationnelle, caractéristique des PI des personnes dont le niveau d’études est peu élevé, se définit comme « la situation dans laquelle les individus et les communautés, dans un contexte donné, ne possèdent pas les qualités et les habilités requises ou les moyens matériels d'accéder efficacement à l'information, de l'interpréter et de l'utiliser de manière appropriée ; la situation est plus largement caractérisée par un manque d'information essentielle et une infrastructure de l'information peu développée » (Britz, 2004: 194).

48Chatman (1995) est à l’origine de ce concept. Inscrite dans le cadre du courant des usages et gratifications, elle effectue des études empiriques sur les besoins d’information des populations marginalisées, le plus souvent économiquement pauvres, et constate que les moyens matériels n’expliquent pas à eux seuls la pauvreté informationnelle ; le capital intellectuel impacte la nature des pratiques : « un info-riche n'a pas seulement besoin de ressources économiques adéquates pour assurer un accès à l'information mais aussi d'un capital intellectuel pour trouver, évaluer et traiter l'information » (Boubaker, 2017 : 11).

49Parmi les besoins que le public satisfait dans ses usages des médias se trouvent les besoins cognitifs, inhérents à la recherche d’informations susceptibles de permettre à l’usager une meilleure compréhension du sujet/situation ou problème à résoudre. Cette quête d’informations est considérée, selon Cvijikj et al (2013), comme l’une des principales motivations qui poussent les individus à se connecter aux RSN. Dans notre cas, les usagers s’y connectent étant en quête d’informations « fiables » qui leur permettraient de prendre une décision. Les RSN leur facilitent le contact avec d’autres individus vivant le même dilemme.

50Concernant le sujet de la vaccination, le besoin à combler est un besoin d’information. Des études effectuées par plusieurs chercheurs ont démontré que, dans le domaine de la santé, les RSN sont utilisés comme source d’information. Chung (2011) a découvert que les sites de réseautage social liés à la santé sont utilisés afin de se renseigner sur l’état de santé d’autres personnes, trouver des informations sur les médicaments et services de santé, et obtenir des réponses en matière de santé et les conseils des gens qui ont vécu les mêmes expériences qu’eux.

51Selon Atkin (1973) et plus tard Belkin (1976), le besoin d’information répond à un besoin de réduire l’incertitude. « Les « anomalies » dans les connaissances, le manque de connaissances sur un thème, les doutes sur certaines connaissances, sont à l’origine du besoin d’information. » (Boubée et al, 2010 : 22). L’usager doit pouvoir identifier ses anomalies pour savoir avec précision ce qu’il doit chercher pour les résoudre. La recherche d’informations est donc cantonnée aux individus incertains, conscients de leur manque de connaissance, ce qui n’est pas le cas des personnes ayant déjà émis un jugement et pris une décision.

52En revanche, la connaissance d’une situation très fréquente peut mener à des erreurs, étant donné que l’individu, devenu expert, peut avoir « l’illusion de savoir » : « si j’ai de l’incertitude alors j’ai besoin d’information ; si je n’ai pas de connaissances alors je n’ai pas d’incertitude ; si j’ai de la certitude alors je n’ai pas besoin d’information. Avoir besoin d’information implique que l’on ait de l’incertitude, et donc des connaissances. » (Boubée et al, 2010 : 23).

53La recherche d’informations n’est pas le seul besoin exprimé par les militants. Ces internautes étaient animées par le désir de se sentir membre d’un groupe. Cet effet d’attroupement a été aussi observé par Shao (2009). Selon son étude, les usagers des RSN échangent des contenus en vue de renforcer les liens sociaux. Les raisons du groupement de ces communautés virtuelles sont le partage d’intérêts communs, la socialisation et l’identification à un groupe. La socialisation de nos usagers se faisait via le partage de vidéos et d’informations surtout celles sur les effets secondaires. Ces échanges suscitaient beaucoup d’émotions et renforçaient les liens de soutien et de solidarité avec les victimes.

54Notre étude a permis de déceler deux types de PI : d’une part celles pauvres caractérisées par l’absence de diversification des contenus et se basant uniquement sur les médias audiovisuels nationaux, et d’autre part, les PI riches avec des sources d’informations variées. La diversification de sources offre la possibilité aux personnes avec un niveau d’études élevé, de comparer, d’évaluer, d’exploiter et de traiter différents contenus en faisant preuve d’un esprit critique.

55Cet esprit critique a poussé certains à perdre confiance en les médias officiels et à se diriger vers les médias alternatifs diffusant des informations différentes et plus contrastées. Les PI riches ont conduits les usagers à changer d’attitude et de comportement et de passer de l’indignation aux actions de protestation contre le pass vaccinal.

56Ces PI ont donc joué un rôle crucial dans les mobilisations contre l’obligation du pass vaccinal. Le recours à la vidéo a développé une forte résistance aux discours officiels et a mis en évidence la capacité d’agir des usagers. Dans ce sens, nous nous interrogeons, d’une part, si l’usage des RSN en général, et de la vidéo en particulier, dans ces mobilisations sociales, n’inaugure-t-il pas de nouveaux rapports à l’espace public au Maroc ? D’autre part, la richesse informationnelle facilitée par les RSN n’induirait-elle pas un effet Dunning-Kruger, cette impression de tout savoir et de se considérer comme expert sans avoir les compétences requises ?