2Elle a étudié l’histoire des conservations départementales des musées, leurs moyens, leurs missions et leur fonctionnement. Ce mé­moire propose une analyse problématisée dé­montrant les enjeux et les pratiques des politiques culturelles des départements vis-à-vis des musées de leur territoire, qu’ils soient ou non départementaux.

3L’examen global réalisé grâce à cette nou­velle enquête nationale sur les coordinations départementales des musées est présenté dans un mémoire divisé en trois parties, qui sont trois niveaux d’approfondissement. Le premier chapitre propose une analyse transversale des services. Le deuxième chapitre se consacre à cinq études de cas détaillés, une par type s’intéressant aux missions. Un dernier chapitre présente précisément chaque coordination dé­partementale des musées, avec son historique, ses missions et son fonctionnement.

4Il est à noter qu’il n’existe aucune définition officielle des conservations départementales des musées. Le ministère de la Culture reconnaît leur existence, mais n’a jamais légiféré autour de ces institutions – à l’exception d’une conven­tion établie temporairement entre la conserva­tion départementale du patrimoine de l’Isère et le ministère de la Culture, permettant à celui-ci de transférer, pendant quelques années, une partie de ses missions patrimoniales. Elles n’ont donc pour description que les contours qu’elles se donnent ou que les études leur dessinent.

5Pour cette enquête, il a été décidé, en s’ap­puyant sur la littérature scientifique existante, d’appeler « conservation départementale des musées » le service d’un département – ou un agent dépendant d’un service départemen­tal – ayant pour missions une ou plusieurs des tâches suivantes :

• le conseil et l’expertise méthodologique ou scientifique concernant les espaces muséographiques auprès des communes et associations du département ;

• la responsabilité scientifique, technique ou administrative de musées départe­mentaux ou non départementaux dépour­vus de conservateur affecté à l’établissement ;

• l’accompagnement des projets de (re)structuration, de programmation, de chantier des collections, etc., réalisés par les communes ou les associations pour leurs musées – ou leurs collections ;

• la mise en réseau de plusieurs institutions muséales présentes dans le territoire dé­partemental.

6En se limitant à cette définition, quarante-sept conservations départementales des musées ont été recensées en France métropolitaine en 2013.

Les créations et le développement des conservations départementales des musées

7Les premières conservations départemen­tales des musées ont été créées par les préfec­tures départementales, c’est-à-dire des services déconcentrés de l’État. C’est le cas pour le Cal­vados où l’inspection départementale des mu­sées contrôlés est créée en 1955, et pour la Meuse où la conservation départementale des musées a vu le jour en 1956. Ces services sont bien les précurseurs des conservations départementales des musées, car ils seront, par la suite, transfé­rés tels quels aux départements. Les départe­ments du Jura (1960), de la Vendée (1972), de la Haute-Marne (1977), des Landes (1977) et de l’Hérault (1978) prennent la suite en créant à leur tour des institutions départementales assu­rant ces missions. L’objectif des différentes créa­tions est souvent de pallier le manque de moyens des propriétaires, communes ou associations, des petits musées du territoire.

8C’est à partir des années 1980 qu’on observe un véritable développement des conservations départementales des musées : en une décen­nie, leur nombre est multiplié par trois. Les lois de décentralisation datant de 1982 et 1983, dites lois Deferre, donnent plusieurs compétences culturelles aux départements – bibliothèques centrales de prêt et archives. Certes, elles ne donnent aucun pouvoir aux départements en termes de musées, mais leur confèrent un sta­tut particulier au niveau de la vie culturelle territoriale. Enfin, la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 déclare, dans son article 23. « Le Départe­ment apporte aux Communes qui le demandent son soutien à l’exercice de leurs compétences. » Les départements peuvent donc intervenir lé­galement auprès des musées municipaux.

9À la fin des années 1980, il existe 23 conser­vations départementales des musées. Les an­nées 1990 doublent ce nombre : en 1999, la direction des Musées de France recense 45 ser­vices. On peut, très certainement, trouver une explication à cette évolution dans la forte aug­mentation d’ouvertures de petits musées dans la décennie 1980, vague qui connaît un essouffle­ment au milieu des années 1990. Une volonté de développement et d’aménagement du territoire apparaît également, et le département semble alors l’échelle la plus pertinente pour cela.

10Les années 2000 ne bousculent pas l’ordre précédemment établi. Une dizaine de conser­vations départementales des musées vont être créées, mais certains services commencent à disparaître. Les contraintes budgétaires et le recentrage sur les compétences obligatoires des départements se font ressentir : suppression de moyens, de postes, réorientation des missions, changements de fonctionnement, etc.

11Les conservations départementales des mu­sées ont aujourd’hui près de trente ans d’exis­tence. Les plus actives se sont souvent constituées et épanouies autour d’une personne, en général un conservateur emblématique. Aujourd’hui, cette génération de professionnels part progressivement à la retraite. Les boule­versements politiques et économiques aidant, les conservations départementales connaissent actuellement une phase de questionnements quant à leur positionnement dans le paysage culturel. Certaines ont pourtant déjà anticipé des changements de cap.

Des conservations départementales aux coordinations départementales de musées

12Les précédentes études (Roche-Bernard, 1992 ; Joly & Denise, 1999) et l’examen des historiques des services montrent qu’au moment de leur création, et jusqu’à la fin des an­nées 1990, les conservations départementales répondent avant tout à la demande des com­munes de déléguer des missions trop lourdes pour elles. Les départements permettent à ces musées municipaux de correspondre aux exi­gences de la direction des Musées de France – en matière de personnel scientifique notam­ment -, ou plus simplement d’exister en versant des aides importantes au fonctionnement et à l’investissement. Les conservations départe­mentales des musées assurent ainsi une double mission de conservation. Ce sont très souvent ces services qui ont en charge la conservation des collections des musées du territoire. À ce titre, ils s’occupent directement de conserver, restaurer, étudier et enrichir les collections. Mais ils ont aussi un rôle fréquent de soutien financier essentiel pour la conservation du musée, c’est-à-dire le maintien de son existence même.

14L’enquête de 2013 confirme très clairement ce glissement : les départements, qui ont d’abord créé les conservations pour répondre aux de­mandes des communes, ont assumé le rôle d’expert et se le sont approprié pour en faire un outil propice à leurs missions de dévelop­pement et d’aménagement du territoire. Une forte inflexion de la politique des conservations départementales des musées est visible, vers une vision globale de l’aide ou du soutien ap­portés aux musées du territoire. Les conserva­tions placent aujourd’hui au centre de leurs préoccupations la dynamique muséale du ter­ritoire, les interactions entre les musées et leurs publics, la méthodologie de projet et de mutua­lisation.

15En trente ans, les conservations départe­mentales sont ainsi majoritairement passées d’un travail individualisé avec chaque musée demandeur à une politique muséale globale travaillant avec l’ensemble du territoire. Ce qui n’exclut pas une assistance ponctuelle aux mu­sées demandeurs, mais ce travail se place au sein d’un projet à plus grande échelle. Les conservations départementales sont devenues un outil de développement local. Elles ne sont alors plus des conservations, mais de véritables coordinations départementales des musées. Le terme « conservation » définit le maintien d’une activité, la préservation des objets. Le terme « coordination » désigne la combinaison d’ac­tions, la constitution d’un ensemble cohérent, le fait d’ordonner ou de relier des éléments. Le nom de « coordination départementale » des musées semble donc beaucoup plus approprié à la situation actuelle – missions, fonctionne­ments, actions.

Essais de typologie

16Les différentes études sur les coordinations départementales des musées ont toutes abordé et mis en avant l’hétérogénéité de ces services. Suivant l’histoire et la géographie du territoire, les personnalités des agents, la couleur poli­tique du département, les politiques culturelles menées, les moyens donnés, chaque coordi­nation départementale a un fonctionnement et des missions qui lui sont propres. C’est d’ail­leurs un ressenti très présent chez les profes­sionnels des conservations départementales : ils se sentent relativement seuls et manquent de références extérieures par rapport à leur politique muséale.

17Pour autant, grâce à une enquête d’une cinquantaine de questions menée auprès des coordinations départementales des musées, il a été possible de dégager des grandes orien­tations nationales. L’étude présente ainsi deux grandes typologies des services, l’une se fon­dant sur le fonctionnement des coordinations départementales et leur rapport avec les musées du territoire – et entre les musées du territoire -, l’autre s’appuyant sur les missions que le dé­partement donne aux coordinations des mu­sées.

18La première typologie, centrée sur le fonc­tionnement, compte quatre modèles :

• la prescription : le service départemental répond uniquement aux sollicitations des acteurs culturels locaux, sans schéma muséographique ou d’axe de développe­ment défini à suivre – les communes demandent de l’aide et le département fixe la ligne à suivre ;

• la centralisation : la conservation travaille de manière autonome avec chaque musée, mais suit un projet de service clairement établi ; chaque action s’inscrit donc dans une dynamique globale et selon des orientations prédéfinies ;

• l’animation : la coordination départemen­tale est l’initiatrice d’un réseau de musées, elle en est l’animatrice, le fait vivre et exister, elle est force de proposition et d’organisation, souvent aussi de finance­ment ;

• le soutien : la coordination départemen­tale favorise et facilite la mise en réseau des musées du territoire, mais n’est pas membre du réseau, elle peut soutenir financièrement les réseaux, leur proposer un accompagnement scientifique ou mé­thodologique.

• les coordinations départementales pour les musées du territoire qui ont des mis­sions et mènent des actions exclusivement auprès des musées non départementaux du territoire. C’est le cas, par exemple, du service du développement des musées thématiques du Nord ;

• les coordinations départementales res­ponsables des musées départementaux et pôles ressource pour le territoire qui ont, à la fois, la responsabilité des pro­priétés patrimoniales départementales et une mission de conseil et d’expertise auprès des espaces muséographiques du territoire, comme le service Patri­moine, Musées et Mémoires du Pas-de-Calais. La responsabilité concernant les propriétés départementales peut être soit administrative, soit scientifique, soit les deux ;

• les coordinations départementales si­tuées au sein d’un musée départemen­tal, ayant une mission de conseil et d’expertise pour le territoire, et dont le personnel se confond avec celui de l’éta­blissement. Le musée et son personnel dans son ensemble peuvent être réfé­rents pour les musées du territoire, mais souvent c’est le conservateur du musée qui est seul responsable de la coordi­nation départementale des musées ; c’est, par exemple, le cas de la conser­vation départementale des musées de la Mayenne ;

• les coordinations des musées départe­mentaux avec une mission informelle de conseil et d’expertise pour le territoire, dont les missions officielles portent uni­quement sur les propriétés du conseil général présentant un intérêt patrimonial, pour leur gestion scientifique et tech­nique, ainsi que leur valorisation. Toute­fois, ces services sont reconnus officieusement par les acteurs culturels du territoire comme des experts et des personnes ressources vers qui ils peuvent se tourner en cas de problématique liée aux musées ou au patrimoine. Le service des musées départementaux de l’Aveyron remplit ces fonctions ;

• les services départementaux ayant une mission concernant quelques musées mu­nicipaux ou associatifs sans être un pôle ressource pour le territoire : ils sont géné­ralement représentés par une seule per­sonne qui a pour mission de s’occuper d’une partie des « petits » musées du ter­ritoire, en étant responsable en partie ou en totalité des domaines scientifiques et administratifs. Au sein du département du Calvados, par exemple, un attaché de conservation est en charge de quelques musées non départementaux.