- 1 Certains musées se penchent d’ailleurs depuis longtemps sur ces problématiques, tels le Musée dauph (...)
1L’appel aux pratiques participatives émanant des institutions culturelles, des mécènes et pourvoyeurs de subventions comme des communautés citoyennes a pris, à l’heure du mouvement militant Black Lives Matter, un caractère d’urgence et une pertinence accrue (Golding & Modest, 2013). Dans le même temps, le débat autour de la co-création d’expositions dans les institutions muséales est entré dans le champ des réflexions pratiques et académiques autour des thématiques de prise de pouvoir, de l’exposition du racisme et de la responsabilité des institutions à donner la parole aux citoyens. De toutes parts, donc, les musées sont appelés à plus d’inclusion, de prise en compte de voix nouvelles et plurielles provenant de la société elle-même (Eidelman, 2017)1. Il leur est demandé de porter la parole et, même plus, de donner le pouvoir aux citoyens. Les pratiques participatives sont un outil particulièrement important et sollicité dans les musées de société : ils portent une responsabilité de représentation de la société contemporaine dans son entièreté, sa diversité et sa complexité (Chevallier & Fanlo, 2013 ; Delarge & Roussel, 2018).
2Historiquement, les musées de société et écomusées ont un lien privilégié avec les pratiques participatives. Georges Henri Rivière (1897-1985), l’un des inventeurs de la muséologie moderne (Calafat & Viatte, 2018) et fondateur du Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), est aussi l’un des théoriciens des écomusées dont il a créé le concept à la fin des années 1960 : une institution adaptée aux parcs naturels régionaux, ouverte sur le territoire et ses habitants. Ce modèle qui sera baptisé par le ministre de l’Environnement de l’époque « écomusée » est le creuset dans lequel la participation citoyenne a pris forme. Pour Hugues de Varine (2018 : 45), « la notion muséologique de participation est née en France au Creusot-Montceau », avec l’émergence de la nouvelle muséologie développée selon lui d’abord en dehors de l’Europe, dans les musées communautaires d’Amérique du Nord, d’Amérique latine et d’Afrique. Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), « par MNATP interposé », est l’héritier direct de cette tradition française du participatif. Dès avant son ouverture, le futur musée s’est attaché à inclure les citoyens, son public à venir, dans ses dynamiques de création, notamment par le moyen d’un groupe d’usagers, outil consultatif. Depuis, le musée a enrichi cette tradition de la participation en étendant le spectre de l’inclusivité à ses principaux champs de compétences (acquisition et documentation des collections, conception d’expositions, programmation culturelle) et en donnant la parole à des collectifs très éloignés de la scène muséale. Cette ouverture est loin d’être neutre, pour le Mucem comme pour les musées au sens large.
3Cette ouverture des institutions muséales suscite cependant des critiques qui se font le reflet d’hésitations ontologiques. Au cœur de celles-ci se trouvent plusieurs problèmes :
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celui de la distribution du pouvoir ;
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celui d’un décalage grandissant entre un discours théorique et politique de la participation ;
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celui de sa mise en œuvre dans les institutions culturelles et les musées de société en particulier.
4Nous proposons avec cet article d’explorer les enjeux de l’inclusion des représentants de la société civile dans des projets muséaux en nous concentrant sur les formes de co-construction d’expositions, en particulier celles qui concernent des groupes invisibilisés et des minorités peu ou pas représentées dans les institutions. Au-delà de la démocratisation des institutions, nous voyons cet outil comme permettant au musée de devenir un agent de justice sociale (Janes & Sandell, 2019) et un égalisateur de la représentation et de la lutte contre le racisme (Golding & Modest, 2013). Les questions centrales sont les suivantes : y a-t-il un réel bénéfice, et pour qui, à donner la parole et, partant, le/du pouvoir à des citoyens ? Quels sont les obstacles rencontrés dans la co-création d’expositions avec des non-spécialistes du musée ?
- 2 Résidence IMéRA/Mucem (février-décembre 2020).
- 3 En cours d’élaboration, Barvalo sera présentée à Marseille d’avril à août 2023.
- 4 Désignés par l’exonyme « tsiganes », de nombreux représentants de ces groupes préfèrent l’appellati (...)
- 5 Autour de cette équipe de conception composée de vingt personnes, appartenant au Mucem comme extéri (...)
5Nous inscrivons ce travail au croisement de la muséologie et des sciences sociales, notamment l’anthropologie sociale. Nos positions de chercheuses s’appuient sur nos expériences internationales, académiques d’une part, professionnelles d’autre part. Chercheuses en muséologie, nous approchons ce projet du point de vue de la recherche-action. Méthodologiquement, nous utiliserons des exemples de terrain tirés du travail d’analyse d’Emilie Sitzia réalisé au Mucem2 ainsi que des projets menés au musée depuis son ouverture en 2013, en particulier l’exposition Barvalo3 dont Julia Ferloni est co-commissaire. Nous analysons la documentation produite dans le cadre de la conception de cette dernière (observation participante, documents institutionnels et entretiens avec les parties prenantes du projet) (Dallemagne et al., 2018-2021). Nous complétons ce matériel par des retours d’expérience de collègues du Mucem (entretiens individuels, ateliers, documentation interne, etc.) sur des activités en lien avec les problématiques de participation. L’exposition Barvalo (qui signifie « riche » et, par extension, « fier » en romani) traite des cultures romani4 en Europe et de l’antitziganisme auquel elles sont confrontées depuis un millénaire. L’exposition est co-construite par vingt collaborateurs d’origine rom, sinte, gitane, voyageur et non-romani, de nationalités et de profils socio-culturels différents, possédant pour certains un bagage académique, pour d’autre aucun. La majorité d’entre eux n’a jamais pris part à un projet dans un musée, certains n’en ayant même jamais visité. Mais tous ont un point de vue qualifié et légitime sur le propos5.
6Nous commencerons par examiner les enjeux théoriques qui amènent les musées de société à s’engager dans des processus de co-création avec des minorités en quête de reconnaissance. Nous questionnerons ce que signifie donner du pouvoir dans un contexte muséal et identifierons au niveau théorique et idéologique les enjeux institutionnels et sociaux qui motivent une telle pratique. Nous nous pencherons ensuite sur les obstacles structurels au passage du pouvoir, du point de vue de l’institution et de celui des participants (temporalité, formation, segmentation, expertise). Enfin, nous traiterons du problème de l’autorité partagée et de la coexistence des discours au musée.
7Pourquoi en effet ? Il est important d’établir de manière théorique les bénéfices des pratiques participatives en général et de la co-création d’expositions en particulier. Nous nous concentrons ici sur les enjeux spécifiques des musées de société et nous nous demandons qui bénéficie de ces passages de pouvoir.
8Pour le musée de société, la question de la pertinence de ses collections et de son discours est fondamentale. Il doit en permanence se renouveler, proposer des pistes de réflexion et d’engagement (Chevallier & Fanlo, 2013). En tant que porteur et créateur d’un patrimoine, il lui faut sélectionner dans le passé et le présent le contenu économique, culturel, politique et social qui répond de la façon la plus pertinente possible aux préoccupations du monde contemporain (Graham et al., 2016 : 17). Le musée de société a donc, comme bien des institutions culturelles et politiques, un perpétuel problème de pertinence (Simon, 2016).
- 6 Sous la direction de Stéphane Abriol et Françoise Loux, de 2002 à 2006.
- 7 Cette exposition a été présentée au Mucem du 15 décembre 2021 au 2 mai 2022.
9Cette difficulté a été bien balisée par la recherche récente sur le patrimoine qui explore ce problème de pertinence sous le prisme de la collection, de l’interprétation et de la construction de discours, et plus généralement des idéologies d’exposition. Alors que cette question est claire, sa résolution ou même des propositions de pistes de résolution restent rares. Le principal outil proposé de manière théorique (et pratique) pour tenter de parer à ce problème de pertinence semble toujours être celui des pratiques participatives ou des actes de co-création (Witcomb & Message, 2020). En tout cas, la pertinence passe par la localisation et le questionnement de la hiérarchie des savoirs, la construction d’un musée plus inclusif et d’un patrimoine plus largement représentatif, c’est-à-dire un travail de co-création avec les communautés-sources (Golding & Modest, 2013). Par exemple, au début des années 2000, le Mucem s’est lancé dans une ambitieuse collecte6 d’objets autour de l’épidémie de VIH-sida en Europe afin de témoigner, notamment, des stratégies de communication liées à la prévention de la maladie. Des milliers d’items et d’archives ont été alors rassemblés. Près de vingt années plus tard, l’exposition VIH/sida. L’épidémie n’est pas finie se penche sur ce fonds exceptionnel par sa qualité et son ampleur (Molle, 2019). Conçue de manière co-créative par un groupe de quarante chercheurs, muséologues, militants, patients et soignants, l’exposition permet à la fois d’enrichir la collection existante tout en construisant un récit historique multivocal à partir de cette collection selon une logique d’autoreprésentation des personnes concernées à différents titres par la maladie7.
10Pour la société civile et dans un souci de justice et de responsabilité sociale, le musée de société se doit de trouver un équilibre entre la représentation des minorités et celle du collectif (Golding & Modest, 2013). Janes et Sandell identifient un « impératif moral » des musées d’avoir un impact positif sur la société dans le contexte des crises posées par le changement climatique ou les inégalités sociales extrêmes (Janes & Sandell, 2019 : 44). Cette position difficile du musée comme porteur d’une responsabilité sociale et comme agent égalisateur est reflétée dans les débats qui ont entouré la nouvelle définition des musées de l’ICOM en 2019. Ces problèmes institutionnels liés à la pertinence et au rôle social du musée questionnent ce que signifie donner le pouvoir dans ce contexte.
11Il existe une différence considérable entre « donner le pouvoir » et « donner du pouvoir », qui a des conséquences particulièrement marquées dans le contexte muséal. En effet, « donner le pouvoir » présuppose une égalité au moins théorique dans la possibilité d’exercer ce pouvoir. Cependant, dans un contexte muséal, cela est pour le moins problématique. Le pouvoir reste souvent du côté du musée qui valide les propositions d’expositions, d’acquisitions et la mise en œuvre des expositions (moyens, espaces, etc.). « Donner du pouvoir » semble donc a priori la seule option dans les institutions muséales aujourd’hui. Cela étant, ce constat n’est en rien négatif : cette situation n’empêche pas les visiteurs de ressentir au musée les effets de ce pouvoir partiel confié à des non-professionnels.
- 8 En cela, la démarche s’aligne avec le célèbre « nothing about us without us » (Charlton, 1996) à pr (...)
12L’émancipation dans le cadre des musées se pense encore en majorité au niveau de l’impact du discours muséal sur les spectateurs plutôt que sur les participants co-créateurs d’une exposition (Sitzia, 2017). Toutefois, il y a une distinction importante entre l’émancipation du visiteur/consommateur du discours présenté et l’émancipation du participant co-créateur d’un discours qui le concerne directement8. Comment, donc, penser l’émancipation des participants co-créateurs d’une exposition, particulièrement dans le cadre du travail avec des minorités invisibilisées dans des structures muséales hiérarchiques rigides et dans un contexte politique qui voit les discussions autour de l’identité souvent diabolisées ?
- 9 Il est important de noter qu’il n’y a pas, ni dans la théorie ni dans la pratique, une équation exa (...)
13Le passage du concept d’émancipation du participant individuel à celui de l’empowerment9 d’un groupe co-créateur d’une exposition apporte quelques éléments de réponse. En effet, ce concept d’empowerment, défini comme le processus d’acquisition de pouvoir, nous permet de revoir la notion de passage de pouvoir en précisant la relation entre individuel et collectif. De plus, comme le souligne Cornwall (2008), l’empowerment implique une conscience critique qui contribue à changer les équilibres de pouvoir de façon pérenne. Celle-ci confère une valeur transformative à la parole donnée par le groupe minoritaire. Cette notion d’empowerment met en exergue le problème de hiérarchisation des savoirs tout en considérant la question politique de la position d’énonciation du musée. L’empowerment est donc implicitement politique et contribue à la justice sociale. Seul un musée engagé peut aller au-delà d’une rhétorique de la participation par laquelle les participants sont les bénéficiaires d’un service, le « recevoir une part » conceptualisé par Zask (2011). Un musée « neutre » ne peut donc pas se permettre de faire acte d’émancipation, ni d’empowerment. De plus, ce dernier s’inscrit non seulement dans une logique à la fois individuelle et collective, mais aussi dans une logique de transformation politique dans la durée.
14Que signifie donc donner du pouvoir dans le contexte muséal actuel ? Est-ce simplement donner une voix, un espace à un groupe perçu comme socialement et historiquement invisibilisé ? Il y a une distinction à faire entre donner une voix et donner du pouvoir. Cette distinction s’inscrit dans la différence entre la monstration temporaire d’une voix collective et/ou personnelle, et un procédé de construction de patrimoine inscrit dans la durée avec le groupe en question et impliquant une forme de reconnaissance. La patrimonialisation est un procédé complexe, non neutre et ancré dans des interactions longues et des négociations sociales complexes (Macdonald, 2013). Ce passage du don d’une voix temporaire à la création d’un patrimoine permanent est lié à la construction de discours et de collections attachés à ce groupe.
15En effet, le réel passage de pouvoir du musée à la communauté se fait dans l’écriture durable du patrimoine commun.
- 10 Les fonds d’archives ayant pour sujet les populations romani, principalement émanant de chercheurs, (...)
16L’exposition Barvalo est pensée selon le même modèle d’autoreprésentation d’une minorité fortement discriminée que VIH/sida. L’épidémie n’est pas finie. En parallèle des cinq années de co-conception du projet, Barvalo donne l’occasion de relire le fonds ancien du musée, cette fois-ci avec un regard romani, et de s’apercevoir que les presque 900 objets et archives10 le composant dressent un portrait stigmatisant de ces populations.
- 11 L’enquête-collecte est un processus de construction de matériel d’étude du musée : des enquêtes eth (...)
17À la suite de propositions de certains des experts de l’exposition Barvalo, le musée a décidé de constituer un patrimoine de l’habitat et de la vie quotidienne des Gens du Voyage (qui préfèrent l’autodésignation « Voyageurs »). Aux yeux de ces derniers, il s’agit d’un objet de fierté. Ces ustensiles de cuisine, de service, de ménage, de literie, etc., leur sont spécifiques, bien qu’aussi destinés à des non-membres de la communauté par leurs fabricants, et vendus sur des marchés voyageurs (fig. 1). La préparation de l’enquête-collecte11 « Professions et savoir-faire romani en Europe et Méditerranée », dont les experts de Barvalo sont les enquêteurs, a permis de contextualiser ces acquisitions autour de l’habitat voyageur.
Figure 1. Service à thé Flowers of the Month, manufacture Royal Albert, 1984, Royaune-Uni, porcelaine. En cours d’acquisition.
Photo : Julia Ferloni.
18Dans l’enquête-collecte comme dans la constitution de collections et la conception de l’exposition, le Mucem s’engage dans des procédés de passage de pouvoir, dans une co-écriture durable du patrimoine commun. En donnant du pouvoir, elle crée un empowerment des communautés concernées. C’est là qu’il est important de distinguer entre donner « le » pouvoir et donner « du » pouvoir : c’est en effet dans cet espace que l’on trouve une réponse pragmatique entre les idéaux théoriques émancipatoires d’empowerment et la pratique muséale au quotidien. Mais est-ce sans risque ?
19Face à cet impératif à « faire du participatif », des critiques se font de plus en plus entendre (Cooke & Kothari, 2001). Anne Watremez met en garde contre les risques pour les musées à se lancer à l’aveugle dans la démarche d’inclusivité de leurs publics, particulièrement ceux issus de communautés discriminées. Pour elle, les musées pourraient y perdre tout sens critique et devenir « la caisse de résonance de revendications identitaires des différents groupes » (Watremez, 2013 : 31). Entre légitimité scientifique et représentation inclusive, l’équilibre à trouver est donc délicat.
- 12 Arnstein (1969) distingue trois stades croissants de la participation : la non-participation, le to (...)
- 13 Ou encore parce que les objets proposés sont ceux d’une certaine catégorie de la population, ne don (...)
20En dépit des critiques, la participation sous toutes ses formes et à des degrés divers reste perçue comme la manière la plus adaptée et positive pour parvenir à une inclusion réussie. Cependant, les activités muséales ne se prêtent pas toutes de la même façon ni au même degré à la participation. La définition exacte de ce qu’est une « véritable » participation inclusive et de ce qui relève du tokenism est encore largement débattue au niveau théorique aussi bien que sur le terrain (Simon, 2010). Les musées en général et les musées de société en particulier se basent souvent sur une variation de l’échelle de participation citoyenne d’Arnstein (1969) pour en déterminer les différents types et le succès12. Selon cette pionnière de la réflexion participative, toutes les pratiques situées sur son échelle en deçà du partenariat seraient du tokenism, une mesure symbolique, voire une instrumentalisation de la parole des individus extérieurs à l’institution. La théorie très politique d’Arnstein s’adapte mal aux pratiques participatives muséales, surtout à celles destinées à donner parole et pouvoir à des groupes discriminés. Faut-il ainsi classer la collecte participative « Vivre au temps du confinement » organisée par le Mucem en avril 2020 comme tokenism sous prétexte que, une fois leurs dons argumentés envoyés à l’institution, les donateurs n’ont plus aucun contrôle sur les objets, leurs expositions éventuelles ou les discours tenus sur eux13 ? Nous ne le pensons pas. Ce type de problème de définition montre un écart et un certain détachement entre une théorie de la participation fréquemment politisée et une pratique muséale souvent bienveillante et maladroite (Walsh in Murawska-Muthesius & Piotrowski, 2016 : 196). À cet écart s’ajoute une incompréhension interne : les différents départements d’un même musée sont rarement d’accord sur ce qu’est la participation et les objectifs qui lui sont assignés (Elffers & Sitzia, 2016).
- 14 En particulier dans le cadre des ateliers « participation ». Voir ci-dessous pour plus de détails s (...)
- 15 Des exemples d’exploration de systèmes de partage de connaissances sur le participatif qui se sont (...)
21Lorsque se posent les questions de structure des dynamiques participatives, il est essentiel de prendre en compte le fait qu’elles sont toujours expérimentales, par manque de pratique et, quand pratique il y a, par manque de partage d’expérience. Nous avons recueilli des témoignages de collègues français lors d’échanges sur le sujet organisés par le Mucem14. Ils ont été complétés par une enquête internationale sur les questions de rémunération des communautés-sources dans le contexte d’expositions collaboratives (Ferloni et al., 2021). Ce matériel met en évidence un sentiment de perpétuel « bricolage », d’un traitement au cas par cas pour adapter les pratiques inclusives à l’institution. Faute d’une réflexion globale menée à la tête de chaque musée sur la mise en application concrète de cette inclusion, pourtant décrite dans de nombreux projets scientifiques et culturels, les musées restent dans l’expérimentation, les outils se mettant très lentement en place. À quelques exceptions près, ce constat est valable pour les institutions françaises en plus grande mesure que pour celles du nord de l’Europe et celles des pays de langue et culture anglophones15.
22Parmi les problèmes structurels concrets freinant la participation co-créative dans les musées de société, quatre aspects nous paraissent essentiels : le temps, la formation, la sectorisation de l’institution et la reconnaissance des savoirs et des expertises (fig. 2).
Figure 2. Les freins à la conception d’expositions participatives : vers un pouvoir partagé ?
Photo : Julia Ferloni / Emilie Sitzia.
23Le premier handicap aux projets de co-création participative est celui du temps. Dans des musées aux équipes souvent sous-dimensionnées au vu de la multiplicité des missions qui leur incombe, sortir des schémas existants qui ont fait leurs preuves en termes d’efficacité n’est pas toujours évident. Les propositions participatives entreprises avec des non-professionnels du musée nécessitent de donner une attention et un temps accrus par rapport à un projet non participatif : réunir les protagonistes, les former au travail muséal, les accompagner et garder le lien avec eux tout au long des phases de conception et de production. La tentation est alors grande, pour « gagner du temps », de faire du participatif a minima, c’est-à-dire de se cantonner à une phase de consultation. Le musée recueille les avis de citoyens, sélectionne ce qui lui semble pertinent et le met en forme. L’apport des participants est alors contrôlé par l’institution.
24Si l’on prend l’exemple de la création d’une exposition au Mucem, il faut en moyenne trois ans pour monter des projets dont la durée de visibilité varie de trois mois à quatre années. Le fossé entre trois années de préparation pour trois mois d’exposition interpelle les participants extérieurs, avec le sentiment de consacrer leur temps et leur énergie pour une exposition perçue comme « éphémère » plus que « temporaire ». Pour certains, comme cela a été constaté pendant la conception de Barvalo, ce temps long de la création d’un projet est démotivant. Le cas paroxystique de la pandémie mondiale de Covid-19 a été exemplaire : entre continuer à avancer sur une exposition de trois mois et s’investir pour aider les populations romani les plus fragiles à faire face au virus comme aux flambées de haine à leur encontre, les militants participant au projet n’ont pas été longs à choisir. « Mon retrait du comité est dû seulement à la hiérarchisation des priorités que je me dois de faire », écrit l’un des experts, issu du monde associatif, afin d’expliquer son départ.
25On voit ici une des tensions essentielles de ces projets de co-création : inscrire un patrimoine nouveau et donner le contrôle de l’écriture durable du patrimoine commun aux participants nécessitent un investissement majeur de temps, de la part de l’institution qui tente des modes de fonctionnement nouveaux à chaque étape, et pour les participants qui ne perçoivent pas toujours la pérennité de leur travail. De plus, l’engagement communautaire dans ces pratiques de co-création est souvent le fait d’activistes de la société civile habitués à des actions chocs à la temporalité courte, une action-réaction aux problèmes immédiats de la communauté qu’ils défendent ou représentent. Les écueils de temporalité sont une des différences essentielles entre le musée activiste (institutionnel et créateur de patrimoine à la temporalité longue) et les activistes au musée.
- 16 D’autre part, il serait souhaitable de multiplier les modules de formation des métiers du musée sur (...)
- 17 En raison du contexte de pandémie de Covid-19, toutes les séances prévues n’ont pu se dérouler, mai (...)
- 18 Par exemple, la responsable du Département de la production des expositions, auparavant à la tête d (...)
26Animer des groupes et travailler en mode participatif ne s’improvise pas. Les équipes du musée doivent donc être formées tant sur les méthodes à employer que sur les types de projets existants avant de se lancer dans « l’aventure participative ». Cette étape de la formation et du partage des savoirs au sein de l’institution est importante car elle permet de réfléchir ensemble et d’aligner les voix du musée sur la définition même de la participation, de penser l’importance des enjeux des pratiques participatives au niveau institutionnel et social, et de déterminer des objectifs communs pour toute l’institution. Le Département de la recherche et de l’enseignement du Mucem, afin de faire avancer la réflexion de l’établissement sur le sujet, a lancé en 2020 un « atelier participation » mensuel. Il s’adresse à tous les agents de l’institution qui le souhaitent, et pas uniquement à ceux évoluant dans le Département des publics16. Le principe en est le suivant : deux à trois intervenants présentent chacun un projet collaboratif qu’ils ont porté au sein d’un musée et/ou d’une université17. Grâce à cet atelier, il est apparu que certains avaient de solides expériences collaboratives18. Ce constat peut sembler étonnant : pourtant, les activités du musée sont tellement segmentées que les discussions inter-départements n’ont bien souvent lieu que sur des points précis de projets en cours.
27C’est donc une formation à plusieurs niveaux qui doit se mettre en place. Tout d’abord, il y a une sensibilisation à faire à l’échelle de l’établissement pour identifier des modes de travail, les barrières rencontrées, les sujets sensibles. Concernant les participants, une présentation des différents corps de métiers des expositions doit se faire bien en amont pour les familiariser avec les processus de création d’une exposition et anticiper les potentiels problèmes de disjonction. C’est le parti qui a été adopté pour Barvalo : lors de la première rencontre avec les experts en mai 2019, des représentants des huit services intervenant à un moment donné dans l’exposition ont présenté leur métier et les tâches qu’ils allaient accomplir dans le cadre du projet.
28Cependant, la formation n’efface pas toutes les difficultés. Elle permet simplement de réduire leur impact. Le nombre de services impliqués dans la conception de l’exposition citée à l’instant permet de toucher du doigt l’un des obstacles au bon fonctionnement d’un projet participatif : la segmentation des activités. Certains départements interviennent en toute fin de l’opération et ont donc manqué les discussions qui l’ont vu naître et grandir. C’est la raison pour laquelle, dans le cas de Barvalo, un atelier a été conçu pour trouver le titre de l’exposition, les « éléments de langage » et visuels à éviter (comme les mots « tsiganes » ou les photos de bidonville et de caravane) associant, trois ans avant l’exposition, le service de la communication du Mucem dans son entier et les experts extérieurs au musée (fig. 3).
Figure 3. Atelier de conception de l’exposition Barvalo : choisir un titre pour l’exposition. Une collaboration entre les experts de Barvalo et le service de la communication du Mucem.
Photo : Sandra Barbier, Mucem.
29De cette manière, l’équipe de la communication est sensibilisée très tôt au risque de la transmission d’un antitziganisme inconscient, et les experts appréhendent mieux les impératifs liés à une communication muséale. Ce dialogue et cet impact direct sur les pratiques de l’institution contribuent à l’empowerment de la communauté-source. Cela permet une prise de conscience critique de la part de l’institution et des participants qui contribue à changer les équilibres de pouvoir.
30Si l’on considère le musée contemporain comme un laboratoire de connaissance commune et la création de savoir comme l’un de ses rôles essentiels, le passage de pouvoir et l’expertise des participants ne devraient plus être remis en question. Restent deux points cruciaux à résoudre : la visibilité et la reconnaissance de ce savoir citoyen.
31La reconnaissance des savoirs citoyens et situés (Haraway, 1988) passe en grande partie par la rémunération. Les enjeux soulevés sont doubles : garantir une participation plus large (en terme socio-culturel), puisqu’elle permet de compenser la perte financière liée au temps passé par un individu à collaborer avec un musée et l’engage (dans tous les sens du terme). En effet, sans compensation financière, le musée se « limite » à avoir le point de vue d’un seul type de bénévole : visiteur de l’institution, déjà convaincu de son utilité et désireux de l’assister dans sa recherche d’inclusivité. La rémunération offre au participant une reconnaissance du travail qu’il accomplit en ce qu’il est un expert auquel on demande le même degré d’implication qu’un professionnel du musée. C’est d’ailleurs sur ce critère que se base un collègue anglophone interrogé sur les pratiques de rémunération de son institution : « si le travail que nous demandons à un participant avait été payé s’il avait dû être fait par un contractuel, nous visons à payer notre participant » (Ferloni et al., 2021). Le Mucem n’a pas de politique définie en la matière. Et pourtant, sur certains projets, l’implication demandée est forte, dans un souci d’obtenir des projets réellement co-gérés. Depuis le début effectif de Barvalo en 2019, les experts consacrent en moyenne une journée par mois au projet. L’une d’eux témoigne : « Vous nous demandez vraiment beaucoup de travail. Ces derniers temps, je n’ai pas réalisé les tâches que vous souhaitez nous voir accomplir. » Dans le cas de cette exposition, des solutions au « coup par coup » ont été trouvées : rémunération du rapport de terrain de l’enquête-collecte que certains ont réalisé pour enrichir l’exposition et les collections du musée, achat d’objets pour les collections, voyage collectif aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour le pèlerinage gitan, don d’objets griffés Mucem, billets pour les expositions, etc., en plus du défraiement de leur déplacement à Marseille.
32Au-delà d’une absence de rémunération mettant en question la valeur du travail des participants, les enjeux d’encadrement de la construction des savoirs situés sont non négligeables. En effet, dans le traitement des sujets abordés par les musées de société, le savoir situé est souvent d’une aussi grande importance que le savoir académique. Cependant, ce savoir situé est souvent perçu comme non neutre et se complique de la tension entre histoire individuelle et récit collectif. Par souci de porter la voix de ce savoir situé, l’institution met en place des structures qui, tout en s’assurant de la présence de cette parole, l’encadrent voire la contrôlent. Le statut des agents du musée qui accompagnent ces processus de co-création en dit long sur la valeur accordée au savoir situé des participants.
33Cependant, ces « outils » internes comme externes peuvent être perçus par les participants comme des obstacles au passage transparent de la parole collective. L’exposition Barvalo est encadrée par trois commissaires. L’une d’entre eux est d’origine romani, ce choix ayant été fait d’une part au vu de ses compétences de curatrice, d’autre part pour assurer une « présence de la communauté-source » dans la direction du projet, avec donc un rôle décisionnel. Et cependant, pour quelques-uns des experts de Barvalo, sa position suscite de la méfiance. Ayant une certaine vision de ce que sont les cultures romani et de la manière dont elles doivent être présentées, elle est « soupçonnée » par eux, à tort ou à raison, de faire primer sa vision sur celle des experts.
34Comment partager l’autorité et faire coexister des discours dans une institution qui risque de figer des pratiques sociales en perpétuel devenir ? Comment (ré)évaluer un récit dans une logique de partage et de multivocalité ? Nous nous penchons ici sur les problèmes de confiance, de présentation de voix non biaisées et de négociation des discours.
35Plus peut-être que dans n’importe quel autre projet muséal, l’humain est au centre des dynamiques participatives. Notamment lorsqu’il s’agit de composer avec des publics éloignés du musée, soit parce que ce dernier n’est pas vraiment dans leur horizon de pratique culturelle, soit qu’ils s’en méfient en tant que structure conçue par et appartenant à une élite détentrice des pouvoirs politiques comme économiques.
36Au démarrage de Barvalo, en 2019, plusieurs experts du groupe, en particulier ceux d’origine romani, ont fait preuve d’une grande défiance à l’égard du musée. Comment être sûr que le Mucem n’allait pas utiliser leurs idées, leur travail – qui plus est bénévole –, en les pervertissant, soit en déformant le propos, soit en n’en sélectionnant qu’une partie ? Cette question a occupé une grande partie des discussions préliminaires, ralentissant le processus de création de l’exposition tel qu’il avait été prévu initialement par l’équipe encadrante. Il s’est avéré nécessaire de prendre le temps de construire cette confiance, d’être à l’écoute des membres du comité des experts. Et de montrer tout au long du processus collaboratif que la parole des experts citoyens a du poids et que l’exposition restituera chacune des opinions exprimées, simplement mise en forme afin de faciliter la compréhension du visiteur. Cette assurance, qui finalement n’est que celle donnée par l’équipe curatoriale et non celle de la direction du musée et encore moins celle du ministère de la Culture, n’est pas toujours suffisante. Au bout de deux ans, l’un des experts a décidé de quitter Barvalo, convaincu que le discours tenu dans un musée national, et donc tenant d’un point de vue structurellement dominant, ne peut que renforcer l’antitziganisme quand bien même le projet de l’exposition est justement de battre en brèche ce dernier. Ce qui est remis en question ici n’est donc pas la foi accordée aux individus portant l’exposition, mais celle placée dans le système même qui donne corps au musée.
37Cette confiance donnée n’est pas limitée au temps de la collaboration, ni même à celui de l’exposition. Les participants doivent en effet disposer d’un droit de suite. Être assurés que tout ce qui sera communiqué, publié, montré dans une autre institution après l’exposition ne sera pas une version modifiée du projet initial. Nous sommes encore dans la question essentielle du temps long de la création d’un patrimoine et de l’empowerment d’une communauté.
38Le musée de société ne peut prendre ce rôle et cette responsabilité qu’en devenant un lieu d’exploration du commun et du collectif, en se transformant en ce que Borg et Mayo nomment des « sites de lutte, de contestation et de renouvellement culturels » (Borg & Mayo, 2010 : 37), ou encore le musée agoniste prôné par Mouffe (2016). Par cette confrontation de voix multiples, le musée de société peut contribuer à résoudre (et a minima mettre en exergue) les potentielles dissonances qui sont inhérentes à toute création patrimoniale (Macdonald, 2013). La responsabilité de rendre visibles les patrimoines dissonants et les mémoires plurielles qui « portent de façon simultanée des significations contradictoires » (Graham et al., 2016 : 3) implique une parole libérée de la part des participants et l’acceptation par ces derniers d’une gêne et parfois même de conflits.
39Dans l’exemple de Barvalo, la libération de la parole n’a pas été immédiate. Il a fallu l’accompagner, et cela a été le rôle de l’équipe encadrante du projet : faciliter la prise de parole, les échanges entre les différents experts composant le comité. Au départ, si chacun d’entre eux connaissait au préalable au moins un des membres du groupe, chacun découvrait en revanche des individus qui, pour certains d’entre eux, avaient des opinions divergentes d’avec les leurs. Les partager n’a pas été évident : entre le caractère réservé de certains les incitant à se mettre en retrait, l’autocensure des experts d’origine non romani se sentant moins légitimes, le silence de ceux sans bagage académique, intimidés parce qu’ils se jugeaient moins compétents, les premiers séminaires de travail ont vu quatre fortes personnalités romani très diplômées et éloquentes monopoliser la discussion. Il a fallu mettre chacun à l’aise en adaptant les pratiques de travail selon les techniques de l’intelligence collective, faire de nombreux entretiens individuels pour à la fois asseoir la confiance en la qualité du propos de chacun et recueillir les paroles autocensurées. Cette gestion de l’autocensure et de la légitimation des paroles est essentielle au potentiel émancipatoire des expositions conçues en co-création. Mais c’est le processus de négociation des savoirs qui en assure une reconnaissance équitable et permet l’empowerment du groupe consulté.
40Ce type de participation co-créative pose une série de problèmes concernant le partage inégal du pouvoir. Souvent, la sélection et la mise en forme par l’institution, sans négociations avec les citoyens, tendent à aplanir les dissonances au sein du groupe consulté qui est dès lors perçu et représenté comme homogène. L’objectif de l’institution est alors de donner une voix unique consensuelle plutôt que d’explorer une parole multiple et un dialogue autour du commun/collectif. Cela tend à créer un patrimoine visible mais sur-simplifié.
- 19 Nightingale et Mahal ont montré le danger de la volonté d’inclusivité maximale ou du racisme instit (...)
41Dans ce rôle de constructeur de patrimoine inclusif, le musée se doit donc de négocier des niveaux de discours variés : que ce soit des discours politiques, académiques et/ou émotionnels. Là encore, la confiance en l’institution et en l’individu représentant le musée est essentielle. Les co-commissaires font partie d’une équipe dans laquelle la négociation de l’autorité est difficile. Des stratégies de communication variées (dessin, vidéo, etc.), l’usage d’un vocabulaire inclusif, d’un « nous » curatorial, doivent tout faire pour se démarquer de l’autorité institutionnelle et être dans la logique d’inclusion19.
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- 21 À la différence des deux expositions Rêvons la ville (2017) et Osez l’interdit (2019) appartenant a (...)
42Un musée engagé dans la co-création doit en effet devenir un musée agoniste au sens défendu par Chantal Mouffe, c’est-à-dire un musée engagé dans l’empowerment des participants et visiteurs, le lieu public du développement d’un discours critique prenant en compte et exposant des voix multiples et contradictoires (Mouffe, 2016). Un exemple de négociation des discours dans un contexte polyphonique est la future exposition permanente du Mucem, consacrée à la création d’un patrimoine méditerranéen et prévue pour fin 2023. Ce projet tente de prendre en compte la multiplicité de points de vue pour éclairer certaines œuvres du parcours. Ces dernières seront choisies par une dizaine de jeunes Marseillais de 15 à 25 ans associés à l’équipe de la conservation. Les récits sur ces œuvres seront co-construits par ces jeunes, le musée, des spécialistes issus du monde universitaire ainsi que par des praticiens des objets sélectionnés20. L’idée est d’offrir pour chaque objet de la multivocalité « à égalité de discours », chaque voix comptant autant que les autres21. L’institution se doit d’être particulièrement attentive à l’équilibre de pouvoir dans ces négociations des discours, car quel que soit le résultat montré, l’institution en ressort légitimée : en participant, les citoyens la valident (Zask, 2011 : 8). Il ne faudrait pas que cela se produise en trahissant d’une certaine façon cette parole citoyenne.
43Notre article a montré qu’il y a des bénéfices certains à donner du pouvoir aux citoyens. Cela permet au musée de société de se tourner vers les questions de pertinence et vers les nouveaux rôles de justice sociale et d’égalisateur qui lui sont impartis. Pour les communautés participantes, c’est un levier d’empowerment par le travail collectif et la visibilisation du discours. Pour l’institution comme pour le citoyen, la participation est le moyen de créer un patrimoine inclusif et nuancé qui s’éloigne du discours patrimonial autorisé et met en exergue une variété de voix. Le musée de société est ainsi transparent et expose sa manière de faire récit avec ses doutes et ses questionnements : il montre de façon inclusive plutôt que démontre du haut de son autorité.
44Notre analyse a révélé que si les obstacles rencontrés dans la co-création d’expositions avec des non-spécialistes du musée sont nombreux, ils ne sont certainement pas insurmontables. En structurant la participation et en l’intégrant réellement comme politique d’établissement, le musée se lance dans la voie de l’engagement. La neutralité tant vantée par certaines institutions est en effet impossible : toute exposition présente un point de vue, c’est le principe même du commissariat. Cet engagement du musée de société, ce devenir agoniste, est indispensable au passage de pouvoir, au maintien de la pertinence d’un musée inclusif et représentatif porteur de récits collectifs.