1L’ouvrage dirigé par Mark O’Neill, Jette Sandahl et Marlen Mouliou s’inscrit dans une double perspective : il se présente partiellement comme la suite de Museums of Influence, rédigé en 1987 par Kenneth Hudson et décrivant 37 établissements à travers le monde (du Louvre au Musée Sukuma, en Tanzanie) ayant largement influencé voire révolutionné la nature du champ muséal. Il constitue également un hommage à l’activité du European Museum of the Year Award, créé également par Hudson en 1977 afin de distinguer de nouveaux établissements ou des musées ayant récemment connu des transformations significatives. O’Neil, Sandhal et Mouliou, intimement liés à l’organisation de ce prix, ont ainsi fait appel aux membres de son jury, anciens ou actuels, pour leur demander de sélectionner les musées qui les avaient le plus marqués lors de leurs visites d’inspection.

2Cinquante et un établissements ont ainsi été retenus sur les près de deux mille ayant déposé leur candidature tout au long des quatre décennies d’activité du concours. Ils sont présentés, de manière relativement brève, par 17 auteurs ayant participé aux différents jurys. Les présentations, précédées par une photo, sont parfois assez personnelles et liées à des souvenirs de visite durant le concours, parfois plus neutres, cherchant à préciser les raisons justifiant l’obtention du prix ou de la mention. Car il ne s’agit pas toujours des lauréats ayant reçu le prestigieux award : le Forum européen du musée, qui décerne les prix, distribue également un prix du Conseil de l’Europe, des mentions spéciales ainsi que divers autres awards et prix. On retrouvera ainsi des musées parfois célèbres – le Musée Vasa à Stockholm, le Louisiana à Copenhague, le Guggenheim de Bilbao, le Musée de l’innocence à Istanbul ou le Victoria & Albert Museum de Londres –, mais souvent d’autres bien plus modestes, comme le Musée Leventis de Nicosie, le Musée Alta en Norvège, le Musée du cimetière de Glasnevin, à Dublin, ou le Musée d’art Yaroslavl en Russie.

3Hudson a joué un rôle important au sein du champ muséal à la fin du xx^e siècle. Auteur prolifique, pionnier de l’archéologie industrielle, son œuvre littéraire a marqué le monde des musées des années 1970-1980. On lui doit notamment A Social History of Museums (1975), Museums for the 1980’s (1977), Museums of Influence (1987), ainsi qu’un grand nombre de guides et répertoires de musées, notamment un premier Directory of World Museums établi en 1975. Une première sélection du travail de recherche et de sélection du European Museum of the Year Award, éditée par Massimo Négri en 1993, New Museums in Europe, 1977-1993, avait déjà été opérée à l’initiative d’Hudson (qui signait là son dernier ouvrage). Revisiting Museums of Influence s’inscrit à la suite de ce travail de mise en valeur des projets et des réflexions du muséologue britannique, le titre faisant référence, en évoquant la notion de public quality, à sa volonté de rechercher l’excellence à travers l’ensemble des activités du musée : collection, architecture, présentation, programmes éducatifs, marketing, attention au confort du visiteur, etc. L’ouvrage reprend d’ailleurs certains des musées déjà retenus par Hudson lui-même en 1987, comme l’Ironbridge Gorge Museum ou le Vasa Museum.

4On peut cependant s’interroger sur l’influence de bon nombre des musées sélectionnés dans l’ouvrage de 2021. Il s’avère indéniable que la plupart des établissements décrits par Hudson en 1987 – le Louvre, le British Museum, le Metropolitan Museum, mais aussi le Palais de la découverte, le Musée national des arts et traditions populaires ou l’Écomusée du Creusot – ont exercé une réelle influence sur le champ muséal. Il apparaît tout aussi évident qu’un établissement comme le Guggenheim Museum de Bilbao ou que les rénovations du Rijksmuseum d’Amsterdam et du Victoria & Albert Museum (présentés dans l’édition de 2021) ont constitué des exemples largement diffusés à travers le monde. On peut en revanche s’interroger sur le choix des établissements présentés par les anciens membres du jury, dont la qualité apparaît certes peu contestable mais dont l’influence semble nettement plus limitée. Ce choix – tout à fait cohérent, pour un projet visant à mettre en valeur le travail de Hudson – induit forcément ses propres limites : on souhaiterait que la sélection présentée dans cet ouvrage constitue une référence sur les musées les plus influents de ces dernières années, mais cela ne semble pas être le propos des auteurs. Ceux-ci, en présentant ce panorama muséal européen, nous incitent en revanche à nous interroger sur l’évolution du monde muséal : un grand nombre des musées actuellement les plus influents ne seraient-ils pas extra-européens ? Qu’il s’agisse du Musée de la civilisation à Québec, du Museum of American Indian à Washington, des Pontos de Memoria au Brésil, de nombre de Women Museums ou du Louvre d’Abou Dabi, l’évolution du champ muséal a depuis longtemps dépassé les frontières européennes. Par ailleurs, plusieurs musées européens ayant joué un rôle fondamental sur le continent, comme le Musée d’ethnographie de Neuchâtel ou le Musée des cultures du monde, ne sont pas évoqués, n’ayant probablement jamais postulé au concours.