2Conçu dans le cadre du programme de recherche Mémoloi, le volume est le quatrième d’une série d’ouvrages sur la mémoire des grandes lois qui ont marqué le droit du patrimoine culturel français.

3L’ouvrage intéressera particulièrement les chercheurs et les professionnels de musées qui y trouveront une mise en perspective historique des grandes questions qui sont au cœur de leurs métiers, telles l’inaliénabilité des collections, la gratuité et la politique tarifaire, la mission de service public des musées, l’émergence des services de médiation, et il contribuera peut-être à réaliser le souhait exprimé dans les contributions traitant des liens entre les musées et la recherche (notamment celles de Poulot, p. 117-124, et de Cuenca, p. 131-137), et appelant à un rapprochement entre les champs. Les lecteurs trouveront également des éclairages essentiels sur les débats actuels relatifs aux restitutions ou à la circulation des œuvres, notamment dans les « impensés » de la loi de 2002 (chap. 5.2).

4La prouesse de l’entreprise réside dans son positionnement épistémologique. Les auteurs replacent la loi Musée dans un large contexte historique tout en donnant à voir les jalons de son élaboration dans les deux projets de loi avortés de 1992 et 1994, jusqu’aux débats parlementaires et sénatoriaux de 2001, faisant apparaître les ajouts de « dernière minute » (contribution de Thiébaut, p. 245-257) et les forces internes propres à l’action publique. Ils rappellent aussi que « ce n’est pas l’histoire des musées qui épuisera l’histoire de la règlementation sur les musées, et que […] si la seconde est indissociablement liée à la première, elle n’en est pas pour autant le reflet ni même […] la conséquence immédiate » (Cornu & Wagener, p. 187) et qu’il existe un « espace intermédiaire » (ibid.) qui va puiser dans une grammaire juridique du « déjà là ».

5L’approche méthodologique a voulu tenir ensemble « ces deux usages du passé que sont la mémoire et l’histoire » (Cornu et al., p. 11). Elle s’appuie principalement sur des documents d’archives mais aussi sur la mémoire de protagonistes majeurs ayant participé à l’élaboration de la loi de 2002, tels Jacques Sallois, directeur des Musées de France de 1990 à 1994, qui a participé à la formulation des deux projets de loi de 1992 et 1994 (entretien p. 225-233), et Francine Mariani-Ducray, directrice des Musées de France de 2001 à 2008, qui a accompagné le processus du vote de la loi (entretien p. 235-243).

6L’ouvrage se structure en cinq grandes parties qui suivent la chronologie de l’élaboration de la loi de 2002 (avant, pendant et après son adoption), et la replace dans le contexte européen et international (4^e partie) qui a influencé tant sa nécessité que certains aspects de son contenu. Cent soixante pages sont consacrées à deux albums – l’un d’images et l’autre de documents d’archives – et aux cinq annexes, dont la première offre un tableau comparatif utile des différents projets de loi dans les années 1990 (p. 748-761).

7Si la force de l’ouvrage est son positionnement épistémologique, c’est également ici que peut résider sa complexité. En effet, les contributions étant organisées selon la temporalité de la loi, la vision d’ensemble d’une thématique particulière ne se donne pas à voir directement. C’est pourquoi nous proposons ici de détailler successivement le contenu des cinq grandes parties de l’ouvrage et d’offrir ponctuellement un aperçu transversal des thématiques majeures en renseignant les contributions s’y rapportant, intégrant de la sorte tant le contexte historique que les débats et les questions laissées ouvertes (les « impensés »).

9Le chapitre 2 de cette première partie interroge l’articulation entre les collections publiques et la recherche scientifique (Maget Dominicé, p. 99-104 ; Dias, p. 111-116 ; Demoule, p. 125-129), notamment la difficile articulation entre la dynamique de patrimonialisation et celles de l’enseignement et de la recherche (Nardin, p. 105-110 ; Poulot, p. 117-124 ; Cuenca, p. 131-137). Cette contribution constitue la base de la réflexion présentée plus loin dans l’ouvrage au moment d’aborder les impensés de la loi de 2002 et qui suggère un statut spécial pour les collections scientifiques appelant à les considérer davantage comme un « matériel d’étude » (Denolle, p. 547-552).

11La loi Musée ne règle cependant pas la question des autres métiers du musée – question pourtant soulevée dans les projets de loi des années 1990. D’une part, la situation particulière des restaurateurs n’est pas tranchée : travailleurs indépendants libres de circuler selon les règles du marché intérieur européen depuis 1993, leur reconnaissance est fragilisée (Négri, p. 459-467 ; Saillard, p. 483-490). Les restaurateurs voient même leur accès à la profession restreinte puisque seules quatre formations sont à présent reconnues par l’État comme délivrant le diplôme requis pour exercer sur les collections des musées de France (Hénaut, p. 217-223 et 475-482). D’autre part, les nombreux autres métiers du musée du xxi^e siècle ne sont pas du tout évoqués (Chaumier, p. 583-587).

12Un aperçu de la diversité des enjeux, métiers et compétences – souvent sous-estimées – que requièrent les musées d’aujourd’hui est donné dans différentes contributions abordant davantage l’économie de la culture. Des deux contributions de Maxime Reversat, la première apporte un éclairage sur le mode de gestion de la Réunion des musées nationaux - Grand-Palais (p. 151-162), et la seconde s’inquiète de l’autonomisation scientifique et budgétaire croissante des grands établissements nationaux (par exemple, la nécessité de l’augmentation constante des ressources propres reposant sur des compétences spécifiques) (p. 499-507). La contribution d’Émilie Terrier aborde l’image des collections pouvant être valorisées sur un plan commercial (gestion des droits) face à la notion de domaine public immatériel (libre de droits) (p. 385-389). L’article de Xavier Greffe traite de la tendance du marché à faire des musées des entrepreneurs innovants et plaide en faveur de la durabilité financière (p. 573-581).

14La troisième partie dresse une cartographie de la loi Musée en identifiant ses particularités, ses apports novateurs et les éléments qui sont empruntés aux grandes lois françaises du droit du patrimoine culturel l’ayant précédée, à savoir la loi de 1913 sur les monuments historiques, la loi de 1941 sur les musées des beaux-arts, l’ordonnance de 1945 sur l’organisation provisoire des musées des beaux-arts ou encore la loi de 1979 sur les archives.

15Si la loi de 2002 sur les musées est conçue dans les pas de la loi de 1913 sur les monuments historiques (Cornu, p. 327-330), le label « Musée de France » en est une particularité propre. Avec ce label, la loi de 2002 s’articule autour de quatre principes fondamentaux : la réaffirmation du principe d’inaliénabilité, l’harmonisation du statut juridique des musées de France, le transfert de propriété des biens mis en dépôt dans les musées territoriaux et le renforcement de la notion de service public des musées.

16Premièrement, le label vient réaffirmer le principe d’inaliénabilité des collections muséales dans le respect du principe de la domanialité publique (Chastanier & Cornu, p. 305-316). Les principes d’insaisissabilité et d’imprescriptibilité concernent aussi dorénavant les collections privées. Les biens acquis par les musées privés avec l’aide des pouvoirs publics sont frappés d’inaliénabilité sur le plan juridique – biens régis jusque-là par le droit privé (Cornu, p. 367).

17Si la loi de 2002 réaffirme le principe d’inaliénabilité des collections muséales, elle ne clôt pas pour autant les discussions sur la légitimité absolue du principe laissant certaines préoccupations ouvertes. En effet, pour certaines collections, le principe d’inaliénabilité semble trop contraignant : les collections scientifiques des muséums, qui constituent davantage un matériel d’étude (Denolle, p. 547-552) ; les collections d’art contemporain qui sont confrontées à la problématique de l’encombrement des réserves empêchant les musées d’acquérir de nouvelles œuvres (Chastanier & Cornu, p. 309) ; ou encore les collections publiques qui conservent des biens spoliés, des objets issus de pays colonisés, des restes humains ou des objets sacrés (Cornu, p. 563-571). Concernant ce dernier point, les discours publics évoquent d’ailleurs la possible formulation d’une loi-cadre (Chastanier & Cornu, p. 315) pour la restitution de biens culturels entrés dans les collections publiques durant la période coloniale. Certaines collections étant dispersées dans différents pays, certains plaident même pour la définition d’un positionnement international, s’inspirant des Principes de Washington adoptés en 1998 aux États-Unis et portant sur la restitution des biens spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale (Bodenstein, p. 91 ; Cornu, p. 567).

19Troisièmement, la loi de 2002 tranche la question de la propriété des œuvres mises en dépôt par l’État dans les musées territoriaux avant 1910 (date du décret pour le contrôle des musées territoriaux). La loi de 2002 établit le transfert de la propriété des biens mis en dépôt par l’État aux collectivités territoriales gestionnaires des musées dépositaires (Musitelli, p. 299-304). Ce transfert de propriété laisse cependant la question de la circulation des œuvres quelque peu floue : la loi ne précise pas les modalités de prêt et de transfert des œuvres ni de leur circulation au niveau international (dans « les impensés », voir Cornu, p. 523-531, Poulot, p. 532-533, et Kazerouni, p. 534-535).

20Quatrièmement, la loi de 2002 ancre la mission fondamentale de service public du musée – faisant du label « Musée de France » le label d’un service public –, inscrivant l’objectif de démocratisation culturelle en son cœur à travers la notion d’accessibilité au public le plus large et d’égal accès de tous à la culture, en rendant notamment obligatoire l’inscription de la politique tarifaire dans le cadre d’une politique culturelle plus large (Cornu, p. 277-287).

21En outre, la loi de 2002 instaure de nouvelles dispositions fiscales favorisant le mécénat d’entreprise pour l’enrichissement des collections publiques (Chastanier, p. 331-347 ; Pellas, p. 349-359).

22Le chapitre 3.2 de l’ouvrage ouvre la thématique du musée religieux qui intéressera particulièrement les lecteurs du présent numéro de la revue Culture & Musées consacré à l’exposition des objets religieux. Quatre contributions traitent de cette thématique à travers l’ouvrage.

24Il est à noter que la spécificité des musées religieux dénote clairement de l’approche française, ayant sécularisé les biens du clergé à la Révolution. Elle se distingue de la définition du musée formulée par Krzysztof Pomian dans le premier tome du Musée, une histoire mondiale dans lequel il définit le musée comme étant « une collection publique et profane » (Pomian, 2020 : 11), c’est-à-dire une collection placée sous la responsabilité d’une personne morale et sécularisée en tant qu’elle ne participe à aucun culte religieux.

25La quatrième partie est consacrée au contexte européen et international dans lequel a été élaborée la loi Musée. Elle permet au lecteur d’élargir la compréhension de certains débats qui occupent l’élaboration de la loi face à des problématiques communes au sortir de la Seconde Guerre mondiale (nécessité de cadrer la prolifération des musées depuis 1970, établissement du marché unique européen en 1993 impliquant la libre circulation des biens et des services) et de confronter le modèle français de 2002 aux modèles de gouvernance étrangers (sur la définition du musée, le statut juridique, la relation État-régions, le financement, le statut des directeurs des musées nationaux, etc.). Ainsi, sont étudiés les musées d’Allemagne (Maget Dominicé, p. 405-417), de Grande-Bretagne, où l’on retrouve le label ou accreditation qui a inspiré le modèle français (Vigneron, p. 419-424), d’Italie (Roccella, p. 425-433), d’Espagne (Cerezales, p. 441-443 ; Lorente, p. 445-450) et de Grèce (Voudouri, p. 451-457), où le système d’accréditation est également en application. Contrairement aux musées de France dont les collections constituent le fondement, les musées grecs sont reconnus sur le critère de leur accessibilité au public. Les lecteurs retrouveront également en fin d’ouvrage une contribution sur le modèle muséal nord-américain où le Québec applique un système d’accréditation depuis 1974 qui oblige, comme en France, de disposer d’un service d’accueil du public, d’animation et de médiation (l’interprétation étant une fonction essentielle des musées québécois depuis les années 1970). Mais, contrairement à la loi française, l’agrément québécois est donné à l’établissement au titre de son intérêt public (certains n’ont pas de collections) (Montpetit & Bergeron, p. 599-612).

27La cinquième partie est consacrée au bilan, aux impacts et aux impensés de la loi de 2002 dont la plupart sont évoqués plus haut (par exemple, la circulation des œuvres, les restitutions, l’inaliénabilité, les métiers, etc.).

29L’ouvrage 2002. Genèse d’une loi sur les musées apporte une compréhension riche de l’élaboration d’une loi, tant par la diversité des contributeurs, la multidisciplinarité de l’approche et la grande qualité et précision des textes. En rappelant les origines historiques des principes fondamentaux de la protection du patrimoine et leur évolution, l’ouvrage apporte sans aucun doute des éléments essentiels pour les débats en cours et à venir sur la place et le rôle des musées dans nos sociétés.