Muriel Pécastaing-Boissière, Les Actrices victoriennes. Entre marginalité et conformisme
Muriel Pécastaing-Boissière, Les Actrices victoriennes. Entre marginalité et conformisme. Bibliothèque du féminisme. Paris : L’Harmattan, 2003. 268 pp. ISBN 2–7475–5431–7. EUR 23.
Texte intégral
1Avant l’avènement du cinéma, dans les dernières années du xixe siècle, le théâtre britannique jouit d’une prospérité et d’une reconnaissance jamais égalées. Dans son étude, Muriel Pécastaing-Boissière montre en effet qu’au cours du siècle, et surtout pendant les années 1830-1860, le théâtre britannique réussit à rallier les classes bourgeoises qui auparavant méprisaient son public et son répertoire populaires. D’après elle, les comédiennes et les actrices-administratrices victoriennes ont largement contribué à améliorer l’image du théâtre, qui est passé ainsi d’un simple divertissement populaire à une activité artistique respectable, car ces femmes avaient conscience que le sérieux de leur activité rejaillissait sur leur propre réputation et sur leur statut social. Sa démonstration rigoureuse et convaincante s’appuie sur une documentation solide qui va puiser à un grand nombre de sources primaires : les biographies, autobiographies et correspondances des acteurs et des actrices, les témoignages de personnes proches de la scène comme les critiques dramatiques et les journalistes de la presse spécialisée, les témoignages littéraires (Dickens, Thackeray, James. . .), et même les documents officiels comme les recensements, les archives des commissions d’enquêtes parlementaires sur le monde du théâtre, sans oublier les sources secondaires essentielles que sont les ouvrages généraux sur l’histoire du xixe siècle et l’histoire du théâtre en Grande-Bretagne. Cette érudition bien maîtrisée n’est jamais pesante, car l’auteur a toujours le souci de décrire d’une plume alerte la réalité vécue par les actrices, avec toutes ses difficultés, et parfois aussi ses moments de consécration. Elle sait varier le ton entre les passages émouvants où elle évoque les épreuves physiques, la fatigue, le manque de sommeil des actrices itinérantes, les passages plaisants où elle parle des jambes des actrices, ou de leur travestissement en costumes masculins, et enfin les passages quasi épiques qu’elle consacre à la carrière héroïque des actrices qui étaient devenues administratrices de théâtre, comme Mme Vestris, Marie Bancroft ou Mrs Patrick Campbell. Grâce à elle, nous prenons conscience que le métier d’actrice, en dépit des condamnations des Dissenters, devient progressivement, au cours du siècle, une profession possible pour des femmes soucieuses de leur réputation. Et parmi les professions féminines, celle-ci a la particularité d’abolir les différences de salaires entre hommes et femmes. Cette égalité est toute relative, cependant, si l’on songe que les femmes doivent dépenser plus que les hommes pour se payer leurs costumes, qu’elles sont plus souvent frappées par le chômage et qu’elles ont des carrières plus courtes et parfois interrompues par les maternités. Tout dépend de la catégorie à laquelle appartiennent les artistes, car dans la partie centrale du livre, qui constitue une véritable sociologie de la profession, on découvre tout ce qui sépare les grandes stars, comme Ellen Terry, dont le mode de vie est comparable à celui de la haute société, des pauvres femmes exploitées dans les penny gaffs (théâtres populaires à un sou), dont les revenus égalent ceux des ouvrières. Le succès des premières, leur reconnaissance sociale et leur respectabilité tirent la profession vers le haut, ce qui encourage l’ensemble des actrices, qui aspirent à jouir du respect et de la considération du public. Par cette étude passionnante, Muriel Pécastaing-Boissière fait plus qu’apporter une contribution originale à l’histoire du théâtre britannique : elle nous éclaire sur une profession encore mal connue qui s’offre aux femmes victoriennes, et surtout elle montre comment cette profession participe, peut-être plus encore que d’autres, au grand courant de quête de respectabilité et d’embourgeoisement qui parcourt la société victorienne.
Pour citer cet article
Référence électronique
Alain Jumeau, « Muriel Pécastaing-Boissière, Les Actrices victoriennes. Entre marginalité et conformisme », Cahiers victoriens et édouardiens [En ligne], 60 Automne | 2004, mis en ligne le 20 janvier 2025, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/cve/15378 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13jd6
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