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Brian Ulrich, Arabs in the Early Islamic Empire. Exploring al‑Azd Tribal Identity

Édimbourg : Edinburgh University Press, 2019, 259 pages
Enki Baptiste
Référence(s) :

Arabs in the Early Islamic Empire: Exploring al‑Azd tribal identity / Brian Ulrich.‑ Édimbourg : Edinburgh University Press, 2019.‑ 259 p.

Texte intégral

  • 1 On trouvera un panorama synthétique de ces récentes recherches dans Robin, 2019.

1Dans un contexte de renouvellement profond de l’étude de la péninsule Arabique à la veille de la prédication muḥammadienne1, cette étude de Brian Ulrich, Associate Professor à l’Université de Shippensburg, retrace la trajectoire historique de la tribu d’al‑Azd.

  • 2 Robin, 2003.
  • 3 Voir en particulier, al‑‘Awtabī, 2006.

2Moins connus que les grandes tribus judaïsées du Yémen, Ḥimyar ou Kinda2, et moins étudiés que les conglomérats tribaux d’Arabie du Nord, les Azd occupent pourtant une place de choix sur l’échiquier tribal de la péninsule. Appartenant à l’ensemble des Arabes du Sud regroupés sous l’étiquette de Qaḥṭān, du nom de l’ancêtre éponyme, cette tribu a joué un rôle prépondérant à l’époque préislamique. Alors qu’une partie de la tribu émigrait vers l’Arabie du Nord en empruntant les routes caravanières du Ḥijāz, une branche importante des Azd prenait le chemin de l’angle est de la péninsule. Arrivés en Oman, ces Azd chassèrent les Sassanides. À l’aube de l’islam, depuis les rivages orientaux de l’Arabie, les descendants de ces premiers habitants d’Oman prirent part aux grandes migrations consécutives aux conquêtes islamiques. De ce point de vue, l’historiographie omanaise médiévale3 fait grand cas de ce mythe fondateur, instaurant une continuité entre l’installation de la tribu, son implication dans les conquêtes puis sa participation active à l’imamat ibadite, à partir du viiie siècle.

3Ulrich adopte une progression chronologique, dont l’objectif est justifié en introduction. Contre l’idée que la tribu serait un bloc monolithique immuable, l’auteur cherche à montrer que sur le temps long (de la période préislamique au xe siècle), la nature de l’identité tribale azdī a évolué. Avec l’apparition de l’islam et la fondation de l’institution califale, les liens tribaux furent reconfigurés et les fondements de l’autorité des cheikhs évoluèrent en fonction de leur propension à s’arrimer à la structure impériale en formation.

4Disons‑le d’emblée, cet ouvrage ne s’adresse pas à des non‑spécialistes. Le propos est particulièrement touffu et l’auteur ne prend pas toujours le temps de revenir sur l’arrière‑plan généalogique d’une tribu. L’abondance de noms et la complexité des ramifications tribales en rendent l’abord complexe et technique.

5Après une solide introduction, dans laquelle Ulrich revient sur les principaux acquis des dernières années de recherche, l’enquête démarre dans l’Arabie préislamique. L’apport des données épigraphiques (Epigraphic South Arabian) permet de contourner le biais des sources islamiques des ixexe siècles et de relever l’apparition d’identités tribales plus ou moins diffuses. L’auteur fait feu de tout bois, cherchant toutes les occurrences possibles de la racine ’sd, même s’il n’entre jamais dans des détails techniques relatifs à ce corpus épigraphique.

6Les grandes migrations de Azd — que l’on peine toujours autant à dater — sont l’occasion de rappeler la scission entre la branche de Māzin, vouée à peupler l’Arabie de l’ouest, et la branche de Naṣr, dont la trajectoire intéressera les spécialistes de l’histoire omanaise et persane. Le chapitre se clôt par une analyse plutôt réussie du rôle des Azd omanais dans les guerres d’apostasie (ridda). Ulrich montre que l’apparition du pouvoir islamique, satellisant principalement les tribus de l’ouest de la péninsule, fut l’occasion pour le clan de Azd‑Julandā, dominant le nord d’Oman, de capter le soutien du calife, Abū Bakr, tout en conservant une large part d’autonomie. Ce faisant, le clan écrasa ses rivaux prétendument apostats en s’appuyant sur le soutien militaire des troupes médinoises, et imposa sa domination sur les foires annuelles qui se tenaient dans le nord du pays et sur la rive est du Golfe.

7Le deuxième et le troisième chapitre retracent l’histoire des Azd dans les villes‑camps (amṣār) fondées en Iraq pendant les conquêtes. En s’appuyant sur les sources généalogiques et historiques, Ulrich montre que les Azd d’Arabie de l’est s’intègrent bien plus dans les opérations menées en Iraq et en Iran. Formant un contingent important dans les villes comme Baṣrā, les Azd nouèrent des relations d’alliance avec d’autres groupes tribaux, comme Rabī‘a. Avec l’accumulation de ressources, les pratiques du leadership tribal évoluèrent. La saga familiale des Muhallabides constitue le temps fort de cette histoire Azd au premier siècle de l’islam. On appréciera particulièrement le va‑et‑vient constant qu’Ulrich s’impose entre des réflexions historiques et d’autres plus historiographiques. Usant du concept de « lieux de mémoire » pour alimenter sa réflexion sur la trajectoire des descendants d’al‑Muhallab b. Abī Ṣufra, le chercheur n’hésite pas à rapporter plusieurs versions d’un même événement, comparant les variantes, n’oubliant jamais les enjeux propres à chaque période d’écriture de l’histoire, analysant le contenu d’une source à l’aune du milieu tribal et social de son auteur. Il apparait par exemple qu’al‑Madā’inī (m. 843) s’intéressait plus à la famille en elle‑même qu’à son appartenance à un conglomérat tribal, tandis qu’al‑Mubarrad (m. 898) insère la saga muhallabide dans le cadre plus général de la geste des Arabes.

8Le quatrième chapitre est l’occasion pour Ulrich de réévaluer l’apport guerrier des Azd dans la conquête des territoires iraniens et centrasiatiques, tandis que dans le dernier chapitre l’auteur resserre son champ d’analyse et se penche sur la naissance d’un puissant groupe Azd à Mossoul. Moins convaincantes, ces dernières pages s’apparentent parfois à un passage en revue annalistique un peu sec des différents événements ayant impliqué la tribu. La conclusion du chapitre apporte néanmoins une synthèse bienvenue, clôturant cette riche investigation au ixe siècle par la mise en évidence de l’émergence d’un milieu tribal désormais urbanisé et soudé par une culture commune et partagée.

  • 4 Wilkinson, 1989, p. 75.

9La qualité de l’ouvrage d’Ulrich réside dans l’intérêt que porte l’auteur à la dimension historiographique des généalogies. Dès les premières pages, le chercheur montre comment la généalogie de Azd composée par le célèbre Ibn al‑Kalbī (m. 819) est bien différente de celle présente dans le Kitāb al‑Tijān de ‘Abd al‑Malik b. Hishām (m. 833). Les deux hommes écrivaient dans des milieux différents et la politisation croissante des rivalités tribales dans les contrées de l’empire islamique imposait des agendas différents aux généalogistes. Cette remarque n’est pourtant pas nouvelle, puisqu’à la fin du siècle dernier J. Wilkinson notait déjà cet effort de rationalisation des généalogies tribales entrepris par ce même Ibn al‑Kalbī4.

  • 5 Webb, 2016.
  • 6 Borrut, 2011 et Donner, 1998 ; 2014.
  • 7 Roy, 1991, p. 19, 22.

10En toile de fond, la question que pose la labilité des généalogies tribales est celle de la définition de l’arabité (Arabness). Le ixe siècle est une période de définition des contours identitaires de cette arabité5, dont les savants vont chercher l’essence dans les pratiques bédouines caractéristiques des tribus d’Arabie du Nord. Il n’est donc absolument pas anodin que le genre des ansāb ait prospéré à cette époque. Dès lors, en nous penchant sur ces sources généalogiques, il est clair que nous touchons aux mêmes problématiques historiographiques de recomposition du passé et de la mémoire de groupes sociaux que lorsque nous nous intéressons au premier siècle de l’islam6. Ici, l’identité tribale est l’objet d’une première construction puis de multiples reconstructions7. Ainsi, les premiers émigrants de Azd se rapportaient généralement aux clans de Ghāmid et de Thumāla, sans avoir conscience d’appartenir à un conglomérat tribal plus large. C’est le développement d’une mythologie tribale, fondée sur la geste héroïque des ancêtres de l’époque préislamique puis islamique, qui vient alimenter le processus de formation d’une identité tribale, poussant ainsi les petites tribus à s’arrimer à une plus vaste structure. Ce processus est identitaire par définition, puisque l’entrée dans ce groupe revient à accaparer un capital (asset) aussi bien matériel qu’émotionnel, dont il s’agit de défendre la réputation et dont le cheikh est le dépositaire. C’est à travers ce dernier que les membres du groupe bénéficient de la redistribution de ressources.

11Au rang des critiques, nous pourrions regretter qu’après une introduction très dense, dans laquelle Ulrich mentionne plusieurs théories dont il semble vouloir s’inspirer, certaines de ces idées qui paraissaient pourtant fécondes disparaissent tout simplement de l’ouvrage.

12En outre, et même s’il s’agit d’un choix éditorial, publier un texte de cette nature sans translittération des noms arabes est inconcevable. Comme nous l’avons dit, cet ouvrage s’adresse à des spécialistes et la disparition de toutes traces de l’orthographe arabe n’est ni justifiée ni justifiable.

13Ajoutons enfin qu’une reconstitution des principaux arbres généalogiques aurait certainement été une aide non négligeable pour naviguer dans le texte. Deux tableaux jalonnent l’ouvrage, mais ils présentent des généalogies très simplifiées qui ne dépassent pas la période préislamique. Un tel effort de reconstitution aurait d’ailleurs été une première appréciable, tant cela manque dans les différents ouvrages abordant la question.

14Cette riche enquête ouvre incontestablement des portes à de nouvelles recherches, qui pourront s’interroger par exemple sur la manière dont l’autonomisation politique de régions marginales s’accompagna de la production de mémoires tribales locales qui enracinaient une dynastie dans un espace géographique à des fins légitimatrices.

  • 8 Crone, 1994.

15Avec le développement du califat, le monde tribal fut polarisé par des alliances entre des clans et entre des conglomérats tribaux plus vastes, générant des animosités et sécrétant, in fine, l’opposition fameuse entre Qays/Arabes du Nord et Yaman/Arabes du Sud8. Lorsqu’ils recomposèrent les généalogies des grandes tribus, les savants de l’époque abbasside projetèrent cette conflictualité sur l’époque préislamique, suggérant l’existence d’une faille identitaire profonde entre les Bédouins du Nord et les sédentaires du Sud.

16Si l’on ne peut nier l’existence de deux modes de vie assez différents, le Nord étant plus bédouin que le Sud, cet ouvrage montre en tous cas qu’il faut se garder de s’engouffrer avec trop de hâte dans les écueils historiographiques qui jalonnent les sources généalogiques.

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Bibliographie

Al‑‘Awtabi, Abū al‑Mundhir Salma, al‑Ansāb, éd. Muḥammad Iḥsān al‑Naṣṣ, Mascate, Wizārat al‑turāth al‑qawmī wa‑l‑thaqāfa, 2006, 2 vols.

Borrut Antoine, Entre mémoire et pouvoir. L’espace syrien sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides (v. 72–193/692–809), Leyde, Brill, 2011.

Crone Patricia, « Were the Qays and Yaman of the Umayyad period political parties ? », Der Islam, 71, 1994, p. 1‑58.

Donner Fred M., Narratives of Islamic Origins. The Beginning of Islamic Historical Writing, Princeton, Darwin Press, 1998.

Donner Fred M., « Muhammad und die frühe islamische Gemeinschaft aus historicher Sicht », Asia, 68/2, 2014, p. 439‑451.

Robin Christian J., « Les religions pratiquées par les membres de la tribu de Kinda (Arabie) à la veille de l’islam », Judaïsme ancien/Ancient Judaism, 1, 2013, p. 203‑263.

Robin Christian J., « L’Arabie préislamique », in Mohammed Ali Amir‑Moezzi et Guillaume Dye (éds.), Le Coran des Historiens, Paris, Les éditions du Cerf, 2019, vol. 1, p. 51‑155.

Roy Olivier, « Ethnies et politique en Asie centrale », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 59‑60, 1991, p. 17‑36.

Webb Peter, Imagining the Arabs. Arab Identity and the Rise of Islam, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2016.

Wilkinson John C., The Imamate Tradition of Oman, New York, Cambridge University Press, 1987.

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Notes

1 On trouvera un panorama synthétique de ces récentes recherches dans Robin, 2019.

2 Robin, 2003.

3 Voir en particulier, al‑‘Awtabī, 2006.

4 Wilkinson, 1989, p. 75.

5 Webb, 2016.

6 Borrut, 2011 et Donner, 1998 ; 2014.

7 Roy, 1991, p. 19, 22.

8 Crone, 1994.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Enki Baptiste, « Brian Ulrich, Arabs in the Early Islamic Empire. Exploring al‑Azd Tribal Identity », Arabian Humanities [En ligne], 13 | 2020, mis en ligne le 28 mai 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/cy/5651 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cy.5651

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Auteur

Enki Baptiste

Université Lumière Lyon 2 – CIHAM UMR 5648 / CEFAS USR 3141

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