Philipp Ther, 2023, How the West Lost the Peace: The Great Transformation Since the Cold War, Polity, 304 p.
Texte intégral
1À toutes les époques, il y eut des voix pour espérer faire une seule nation de l'humanité entière, mais à chaque génération le rêve recule un peu plus. La chute du mur de Berlin, en 1989, a soulevé de nouveaux espoirs, qui ont amené Habermas (1994) à préparer comme objectif à long terme "de surmonter progressivement la division et la stratification sociale de la société mondiale, sans porter atteinte aux singularités culturelles". Dans ce contexte idéalisé, développé par les médias occidentaux, la population a subi une surprise brutale lors de l’agression russe en Ukraine en 2022. Finis les rêves, il semblait qu’on avait perdu la paix, comme en d’autres temps on avait perdu la guerre.
2Dans la dernière édition de son livre, paru en 2023 chez Polity (How the West Lost the Peace: The Great Transformation Since the Cold War), l’historien Philipp Ther cherche à comprendre comment cette défaite est arrivée. Gagner la paix, comme gagner la guerre, suppose des sacrifices et la prise de risques. La chute du mur de Berlin permettait cette prise de risque. L’Europe a manqué à cette époque d’un homme politique analogue à Aristide Briand, dont on a gardé le souvenir du discours de 1920 à la Société des Nations qu’il avait contribué à fonder ("Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons, place à la conciliation, à l’arbitrage, à la paix"). Puisque les troupes soviétiques quittaient tous les pays de l’Est après 1989, l’OTAN devenait une "coquille vide", et on pouvait penser soit à la dissoudre, soit à lui fixer de nouvelles missions et de nouvelles structures, avec une possible adhésion de la Russie à l’alliance. Bien au contraire, en 1999, l’OTAN s’agrandit sans changer ses objectifs, en incluant la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie. La même année, l’OTAN se révèle incapable d’assurer la protection de la minorité serbe au Kosovo, où les pogroms des nationalistes albanais ont fait des dizaines de morts. Quand en 1994, les séparatistes pro-russes ont gagné les élections régionales de Crimée avec les deux tiers des voix, les démocraties européennes n’ont pas bougé non plus, comme s’il ne s’était rien passé.
3La perte de la paix a peut-être, selon Philipp Ther, une raison plus profonde encore que les événements de la politique étrangère : la perception de la mondialisation, pour laquelle le clivage demeure très profond. Le projet du libéralisme économique a révélé ses côtés négatifs, dont la mise à l’écart des régions et des pays éloignés des grands pôles et surtout des catégories sociales aux très faibles ressources, non concernées par les revendications sociétales des classes moyennes des pays de l’Ouest. La crise de ce début du XXIe siècle est donc une étape grave dans la construction de l’humanité. Pour les géographes, qui se sont fait depuis deux siècles une spécialité dans le tracé des frontières, il serait sans doute temps de réfléchir à la question de les supprimer.
Pour citer cet article
Référence électronique
Yves Guermond, « Philipp Ther, 2023, How the West Lost the Peace: The Great Transformation Since the Cold War, Polity, 304 p. », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Revue de livres, mis en ligne le 01 octobre 2023, consulté le 09 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/40634 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.40634
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