Introduction

1Les constantes avancées technologiques depuis la révolution industrielle ont entraîné une explosion démographique et une consommation de ressources (et leurs pollutions associées) toujours croissantes aboutissant à une pression sur l'environnement désormais critique (Dansereau, 1957). Sur le plan de la biodiversité, l'éclairage artificiel constitue une menace de modifications importantes des écosystèmes et de dégradation (Hölker et al., 2010 ; Longcore, Rich, 2016 ; Lao et al., 2020 ; Mena et al., 2021) : au-delà des espèces nocturnes, celui-ci bouleverse également les rythmes circadiens des espèces diurnes et jusqu'au règne végétal (Dunlap, 1999 ; Dominoni, Nelson, 2018 ; Segrestin et al., 2021). La prise en compte de la protection de la biodiversité dans les politiques de gestion du territoire s'en trouve donc élargie et devient prépondérante (Orientations nationales de la trame verte et bleue, 2019 ; Stratégie nationale biodiversité 2030, 2024 ; Ome, 2023). La prise de décision pour des réponses efficaces nécessite une connaissance plus fine du fonctionnement des écosystèmes et donc des modèles plus performants. Enfin, la prise en compte de l'éclairage artificiel et de la pollution lumineuse dans la révision des SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) et PLU (Plan Local d'Urbanisme) requiert des outils d'aide à la décision territorialisés. C'est à cet enjeu que nous nous proposons de répondre en explorant des méthodes innovantes pour tirer le meilleur parti des jeux de données existants et ainsi contribuer à une meilleure lecture des enjeux locaux en termes de biodiversité et d'aménagement du territoire.

Émergence de la trame noire

2L'intervention humaine sur son environnement entraîne des impacts sur celui-ci, principalement négatifs et résumés sous le terme de "pollutions". Ces dernières sont définies comme "toutes modification anthropogénique d’un écosystème se traduisant par un changement de concentration des constituants chimiques naturels, ou résultant de l’introduction dans la biosphère de substances chimiques artificielles, d’une perturbation du flux de l’énergie, de l’intensité des rayonnements, de la circulation de la matière ou encore de l’introduction d’espèces exotiques dans une biocénose naturelle" (Ramade, 2012, p.55).

3Au-delà du strict champ scientifique, les considérations contemporaines sur le changement climatique nécessitent des actions gouvernementales. En France, le Grenelle de l’environnement (2007) aboutit à la création de la Trame Verte et Bleue en tant qu'outil de gouvernance (Cormier et al., 2010). De plus, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 a fait compléter la notion de trame verte et bleue avec la mise en place d’une trame noire.

4Parallèlement, l'éclairage artificiel augmente régulièrement, impactant 99 % de la population européenne en 2010 (Falchi et al., 2016 ; Davies, Smyth, 2018), et aboutit à une nouvelle forme de pollution, la pollution lumineuse. En 2010, la thèse de doctorat de Samuel Challéat intitulée "Sauver la nuit : empreinte lumineuse, urbanisme et gouvernance des territoires" attire l'attention sur cette problématique contemporaine (Challéat, 2010).

5En 2016, l'article L371-1 du code de l'environnement inclut la gestion de l'éclairage artificiel la nuit dans la Trame Verte et Bleue. L’arrêté du 27/12/2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses amène à traiter cette question de façon spécifique avec l’apparition de la Trame Noire. Les premières méthodes sont publiées en France en 2018 par l'Office Français de la Biodiversité (Sordello et al., 2018). Ces méthodes restent peu nombreuses et dérivées de celles utilisées dans le cadre de la Trame Verte. Il paraît donc pertinent d'explorer de nouvelles méthodes de modélisation pour répondre aux objectifs réglementaires d'une part, mais aussi et surtout d'approfondir la compréhension des effets de la lumière artificielle sur la biodiversité nocturne.

Mesurer l’éclairage

7Le schéma suivant présente le cas de figure le plus simple, avec un unique point lumineux, afin de définir les grandeurs qui nous intéressent. Il est caractérisé par la position de sa surface émettrice (considéré comme un point x, y, z de l'espace) et l'angle solide (longitudinal et transversal) de l'onde émise.

Grandeurs physiques

8Parmi les grandeurs présentées sur la figure 1, nous nous intéressons à :

• l'éclairement, qui est la valeur locale du rapport entre le flux lumineux et l'étendue géométrique. Il s'agit donc d'une valeur ponctuelle en un point donné de la surface réceptrice.

• • 2 [En ligne]. URL : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037864346/

  la densité surfacique de flux, souvent assimilée à l'éclairement, n'est pas une grandeur du Système International. Elle est la valeur moyenne du rapport du flux lumineux et de la surface éclairée. Elle ne doit pas être confondue avec la densité surfacique de flux lumineux installé (DSFLi), qui est pour sa part une prescription réglementaire2.

9Le tableau 1 récapitule les relations entre les différentes grandeurs physiques.

Tableau 1 : unités de mesure

Grandeur	Système d'unités
	Énergétiques	Lumineuses
Intensité lumineuse	W/sr	candela (cd)
Flux lumineux	W	lumen (lm = cd.sr)
Luminance	W/m2/sr	cd/m2
Éclairement	W/m2	lux (=lm/m2)
Densité surfacique de flux	W/m2	lux (=lm/m2)
Radiance	W/m2/sr	n/a
Noirceur du ciel nocturne	n/a	mag/arcsec2

Source : Desvignes, 1997

Méthodes de mesure

10Les méthodes de mesures se divisent en deux familles principales : mesures directes et mesures indirectes. Les mesures directes (en lumière incidente) regroupent intensité lumineuse et éclairement ; dans la pratique, seul l'éclairement est utilisé sur le terrain par les biologistes, l'intensité lumineuse ne pouvant être mesurée qu'en laboratoire. Cependant, la mesure de l'éclairement est très sensible à un déplacement linéaire et/ou angulaire du luxmètre ainsi qu'aux sources parasites (entre autres, présence de la lune et d'un ciel nuageux).

11Contrairement aux mesures directes qui sont des mesures ponctuelles, les mesures indirectes (en lumière réfléchie) prennent en compte la somme des flux lumineux et leurs réflexions visibles de la zone de mesure. Il existe une limite supplémentaire dans le cas de la radiance, celle de la sensibilité spectrale des capteurs (Desvignes, 1997) actuellement embarqués. En effet, ceux-ci ont été développés pour la télédétection de végétation et présentent une sensibilité accrue aux infra-rouges (ce qui surestime les lampes au sodium) tout en étant filtrés dans le bleu (ce qui sous-estime les lampes LED).

12Une méthode différente, développée par le bureau d'études DarkSkyLab depuis 2014, ne vise pas à mesurer la lumière en tant que telle mais à quantifier les sources parasites. Un capteur mesure la noirceur du ciel nocturne tout au long de la nuit sur plusieurs mois. Un traitement statistique permet alors de déterminer la part de chaque source (lune, couvert nuageux, éclairage public, etc.) dans les variations de mesure (Deverchère et al., 2018).

13Abordons enfin la densité surfacique de flux, qui n'est pas stricto sensu une méthode de mesure. En effet, elle est le résultat d'un calcul, le rapport du flux lumineux à la surface définie par la distribution photométrique. Néanmoins, ce calcul se faisant en lumière incidente, il présente le meilleur lien avec la mesure d'éclairement. De plus, il fournit une donnée surfacique qui est nécessaire aux outils de modélisation de trames.

Hypothèses

15(i) Il est possible de créer une carte d’intensité de l’éclairage à partir des données de gestion de parc ne décrivant que la localisation et un ensemble de caractéristiques des points lumineux, c'est-à-dire générer un ensemble de surfaces différentes à partir de points. (ii) La modélisation d'une surface d’éclairage et l'évaluation de l'intensité lumineuse sur le territoire permet de quantifier l'intensité de la pollution lumineuse. (iii) Enfin, le croisement des surfaces d’intensité lumineuse avec des données environnementales permet de produire un prototype de trame noire pour une espèce animale.

16Valider ou infirmer ces hypothèses nécessite d'établir une typologie des lanternes afin de choisir les graphes photométriques représentatifs des surfaces éclairées observées et transformer la donnée source ponctuelle en une donnée surfacique. La théorie des graphes paysagers (Foltête et al., 2021 ; Balbi et al., 2019) est mobilisée ici ; nous retenons une espèce spécifique, Rhinolophe ferrumequinum, pour calculer un premier graphe. Un graphe paysager est une représentation simplifiée d'un réseau d'habitats, c'est-à-dire un ensemble de taches d'habitats (nœuds) et leurs connexions potentielles (liens). Son intérêt est de mettre en évidence la distribution spatiale des espèces observées sur de grandes superficies (de la commune à la région). À partir de celui-ci, des métriques de connectivité (De La Barra et al., 2022 ; Keeley et al., 2021) peuvent être calculées pour en caractériser différentes propriétés. Nous avons retenu l'indice de centralité intermédiaire (métrique BC) qui évalue dans quelle mesure une tache ou un lien occupe un rôle central au sein du réseau. Elle permet de déterminer les taches et liens constituant des points de passage obligés. Celle-ci nous intéresse principalement pour sa vocation opérationnelle, c'est-à-dire sa capacité de servir d'outil d’aide à la décision dans les politiques publiques locales, notamment l'élaboration des SCoT et PLU.

Méthodologie de cartographie et de modélisation

Présentation du territoire

17Ce travail exploratoire a été mené en partenariat avec Brest métropole, qui constitue le terrain d'étude (figure 2). Cet EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunale) se compose de huit communes, d'une superficie totale de 21 784 hectares, pour une population de 215 366 habitants (INSEE, 2020). L'extension urbaine reste mesurée, les surfaces artificialisées ne représentant que 32 % de la métropole, avec un maximum de 56 % pour la commune de Brest. Sur le plan environnemental, la métropole est composée de communes littorales traversées par plusieurs fleuves côtiers. L'agriculture est présente jusqu'à la frange urbaine dans sa forme traditionnelle de petites parcelles délimitées par un bocage très marqué ; sur les sept communes du plateau léonard au nord, l'élevage intensif et les cultures fourragères prédominent alors que sur le relief plus marqué de Plougastel-Daoulas, l'élevage extensif en pâturage est en déprise au profit de cultures maraîchères sous serres (dont notamment les fraises).

Données mobilisées

18Les données sources sont constituées de shapefiles répartis en trois catégories : les surfaces végétalisées propices à la biodiversité, les surfaces bâties qui y font obstacle et les surfaces éclairées (tableau 2).

Tableau 2 : synthèse des données sources

	Donnée	Source	Type de données	Date des données	Spécificité	Traitement
Végétal	Carte d'occupation des sols	OSO Théia	Raster 10 m résolution	Janvier 2020	Couche surfacique créée par télédétection, bien adaptée aux grandes étendues végétales extra-urbaines	Ces deux couches sont regroupées ; leurs classifications étant différentes, elles sont recodées selon les étages de végétation, bas (pelouses et prairies), moyen (buissons et cultures), haut (arbres) plus l'hydrographie (eau)
	Carte de végétation	Trame Verte Urbaine Brest Métropole	Raster 25 cm résolution	Avril 2021	Couche surfacique créée par photo-interprétation, recensant toute la végétation des taches urbaines de la métropole
Bâti	Emprise des bâtiments	Cadastre	Vecteur	Mars 2021	Couche surfacique de l'ensemble des bâtiments	-
	Emprise des voiries	Open street map	Vecteur	Janvier 2021	Couche linéaire constituée de l'axe médian des voiries, leurs dénomination et types de voies	Une couche surfacique est générée avec quatre largeurs de voies (6 m, 12 m, 18 m, 24 m) selon leur type
Éclairé	Localisation des lampadaires	Brest Métropole	Vecteur	Juillet 2022	Couche ponctuelle répertoriant les 35 984 lampadaires et leurs caractéristiques, dont notamment le type de lanterne et de technologie (57 % de sodium et 33 % de LED)	À partir des types de lanternes, une typologie de forme d'éclairage est créée. Une couche surfacique des surfaces éclairées est générée en associant ces formes et la hauteur des mats ; les valeurs d'éclairement sont pondérées selon la technologie des lampes

Pinçon, 2022

19L'ensemble des données et méthodes de traitement mises en œuvre sont synthétisées sur la figure 3.

Cartographier l’éclairage artificiel

Modélisation spatiale des zones d’éclairement

21Les données de gestion de parc d'éclairage public ne contiennent que les localisations des lampadaires, c'est-à-dire des points qui, par définition, n'ont ni forme ni orientation.

22En ce qui concerne la forme, les constructeurs de luminaires fournissent des graphes de distribution photométrique. Sur Brest métropole, 592 modèles différents sont installés. Dans ce travail, nous créons donc une typologie synthétique (figure 4) : éclairage routier (forme elliptique), éclairage piéton (forme circulaire), mise en valeur architecturale (spot vertical et spot horizontal). Pour chacun, quatre emprises (valeur maximale d'éclairement, valeur seuillée à 50 %, 10 %, 2 %) sont utilisées pour créer les géométries des surfaces éclairées. La figure 4 illustre les formes représentatives de ces quatre types.

23Concernant l'orientation, le postulat de travail est que les luminaires présentant une distribution asymétrique (en particulier l'éclairage routier) visent à produire un éclairage plus large (grand axe de l'ellipse) que profond (petit axe de l'ellipse). Nous retenons ce petit axe comme référence. Les points (emplacement des lampadaires) sont alors projetés perpendiculairement sur l'axe médian des voiries (figure 5) ; l'ensemble point d'origine/point projeté permet alors de calculer l'azimut de chaque lampadaire. Chaque géométrie créée précédemment subit alors une rotation correspondant à son azimut.

24Enfin, nous devons prendre en compte les bâtiments : nous considérons que le flux lumineux s’arrête sur les façades. Pour cela, nous utilisons les données cadastrales pour découper les surfaces créées.

Modélisation des valeurs d'éclairement

25Cette étape consiste en un simple calcul : le flux lumineux de chaque lampadaire est divisé par la superficie éclairée, modulo valeurs seuils. La valeur du flux lumineux n'est pas toujours renseignée ; dans le cas de Brest métropole, il manque 46 % des valeurs. Nous effectuons une classification des sources lumineuses par technologie (Sodium, LED, Iodure, Halogène, Cosmopolis) en postulant que les rendements au sein de chaque classe sont similaires. Nous pouvons calculer pour chaque classe les corrélations puissance consommée/flux lumineux à partir des données existantes, puis interpoler les valeurs manquantes de flux lumineux à partir de la puissance consommée (donnée toujours présente).

26En complément du résultat brut du calcul des valeurs d'éclairement, nous créons une valeur dérivée incluant un facteur de correction en prévision d'éventuelles divergences entre valeur calculée et valeur mesurée sur le terrain ; ce facteur de correction est également archivé pour chaque lampadaire.

Modéliser une pollution lumineuse et application à la trame noire

27La trame noire est définie comme "un ensemble connecté de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques [ayant] un niveau d'obscurité suffisant pour la biodiversité nocturne" (Sordello et al., 2021, p.19). Il s'agit du pendant nocturne de la trame verte diurne.

28Deux approches sont proposées pour modéliser la trame noire :

• soustraire la carte de pollution lumineuse de la trame verte existante (méthode dite déductive), la trame noire est alors un sous-ensemble de la trame verte ;

• prendre en compte la carte de pollution lumineuse parmi les facteurs réduisant la perméabilité du paysage dans les continuités écologiques (méthode dite intégrative).

29Dans tous les cas, il est nécessaire de disposer de données spatialisées des réservoirs de biodiversité et des corridors. Pour cela, nous utilisons une pondération de valeur de biodiversité selon l'occupation du sol (Liénard, Clergeau, 2011).

30Les données sources pour les modèles sont regroupées en deux ensembles : d'une part, l'occupation du sol végétalisé et anthropisé (figure 6) et, d'autre part, l'éclairement modélisé (figure 7).

Modèle déductif

31Les données mobilisées sont les cartes de végétation photo-interprétées de Brest métropole pour les taches urbaines, d'occupation du sol Theia OSO (Inglada et al., 2017) pour le reste du territoire (figure 6) et d'éclairage artificiel (figure 7) précédemment créée.

32Pour obtenir une occupation du sol globale et homogène, les deux données source de végétation sont fusionnées et harmonisées puis un carroyage est appliqué (Cerema, 2011) ; une valeur de 250 m de côté est retenue pour les carreaux. Afin de caractériser la contribution potentielle de chaque habitat à la biodiversité, un indice potentiel de biodiversité (Liénard, Clergeau, 2011) est calculé pour chaque carreau :

I_Bio = Σ (surface habitat x pondération) / Σ surfaces habitats

33Nous utilisons les pondérations établies dans cet article ; elles s'échelonnent de 1 (milieux très favorables, comme les forêts ou lacs de plus d'un hectare) à 0,1 (milieux très défavorables, tels que les carrières ou grandes cultures monospécifiques). Cet indice, sans dimension, permet de comparer la valeur écologique de chaque carreau (figure 9a).

34La même opération est effectuée pour l'éclairage artificiel (figure 9b), à la différence que la pondération est ici inversée : valeur proche de 0 pour les éclairements les plus faibles, valeur proche de 1 pour les éclairements les plus élevés. Cette pollution lumineuse calculée est donc à considérer comme un impact proportionnel à l'éclairement.

35Enfin, pour chaque carreau, l'indice potentiel de biodiversité (I_Bio) est pondéré par l'indice de pollution lumineuse (I_Lux) pour obtenir la trame noire (figure 9c) :

I_Trame_noire = I_Bio x (1 - I_Lux)

Modèle intégratif

36Ici, en plus des données utilisées précédemment, nous incluons les surfaces bâties, l'emprise des voiries. Nous utilisons les graphes paysagers (Foltête et al., 2021) pour déterminer directement les réservoirs et corridors pour des espèces nocturnes représentatives (Albert, Chaurand, 2018). Nous choisissons Rhinolophe ferrumequinum (grand rhinolophe) comme espèce témoin pour les raisons suivantes :

• elle fait partie des espèces retenues dans le cadre des critères de cohérence nationale de la trame verte et bleue (Sordello, 2022). La méthode présentée peut donc facilement être appliquée sur un autre territoire que Brest métropole et à des échelles différentes.

• elle est très présente en Bretagne et est régulièrement observée sur le territoire de Brest métropole. Nous pouvons donc confronter le modèle avec la réalité de ces observations (Foltête et al., 2019).

• comme pour l'ensemble des chiroptères en général, la littérature scientifique est abondante (Sordello, 2013). Puisque la détermination des coûts de déplacement se fait à dire d'experts, cette bonne connaissance des traits de vie de l'espèce permet de travailler sur une base solide.

• ses trajets journaliers sont importants : les estimations varient de 2 à 10 km autour du gîte (Bensettiti, Gaudillat, 2002) jusqu'à 5,5 à 9 km (Groupe mammalogique breton, 2020). Les liens conservés dans le graphe sont donc plus nombreux, permettant ainsi de mieux faire ressortir le réseau de déplacement entre réservoirs. Nous suivons les recommandations de l'INRAE (Papet, Vanpeene, 2020) pour la définition des classes de coûts de déplacement et le choix des métriques.

37À partir de ce graphe paysager, la connectivité peut être caractérisée par des métriques. Nous avons retenu l'indice de centralité intermédiaire (métrique BC) qui évalue dans quelle mesure une tache ou un lien occupe un rôle central au sein du réseau.

Résultats

38La carte des surfaces éclairées a été générée dans deux conditions : lorsque le parc est entièrement allumé (du coucher du soleil à 0h30 et de 6h30 au lever du soleil) et en prenant en compte les extinctions et les baisses d'intensité (en cœur de nuit, de 0h30 à 6h30). Ces résultats ont été calculés à partir des données disponibles au 27/07/2022 ; des extinctions et baisses d'intensité plus importantes sont intervenues à partir de novembre 2022 en raison de l'augmentation du coût de l'énergie.

39Dans la première condition (figure 8a), 2 273 ha sont éclairés (sur les 21 766 que compte la métropole) ; dans la seconde condition (figure 8b), 1 528 ha sont éclairés. Cette variation n'est pas homogène (tableau 3) : il apparaît que ce sont les communes périphériques qui pratiquent l'extinction alors que Brest se limite plutôt à des baisses d'intensité dans les quartiers résidentiels. Les valeurs d'éclairement les plus élevées diminuent de 75 %, correspondant principalement à la mise en valeur architecturale ; le reste étant constitué de l'éclairage routier des axes et intersections principaux.

Tableau 3 : superficies éclairées par classes d’éclairement

Éclairage complet				Éclairage partiel
Classes	Aire (ha)	Aire (%)		Classes	Aire (ha)	Aire (%)
< 1 lux	92,92	4,09 %		< 1 lux	127,55	8,34 %
≥ 1 et < 2,5 lux	442,74	19,48 %		≥ 1 et < 2,5 lux	349,08	22,84 %
≥ 2,5 et < 5 lux	568,86	25,02 %		≥ 2,5 et < 5 lux	458,55	30,00 %
≥ 5 et < 10 lux	612,07	26,93 %		≥ 5 et < 10 lux	341,20	22,32 %
≥ 10 et < 15 lux	283,46	12,47 %		≥ 10 et < 15 lux	124,15	8,12 %
≥ 15 et < 25 lux	181,55	7,99 %		≥ 15 et < 25 lux	98,48	6,44 %
≥ 25 et < 50 lux	82,19	3,62 %		≥ 25 et < 50 lux	27,24	1,78 %
≥ 50 lux	9,42	0,41 %		≥ 50 lux	2,27	0,15 %
Total	2 273,19			Total	1 528,52

Pinçon, 2022

Modèle déductif

40Les 3 798 carreaux (tableau 4), dont l’indice de pollution lumineuse est inférieur à 0,1, ont en pratique une valeur nulle et correspondent à l’espace périurbain sans éclairage public. Cet espace regroupe l'ensemble des réservoirs de qualité (indice supérieur à 0,6), de même que l'essentiel des réservoirs de qualité moyenne (indice compris entre 0,4 et 0,6). Sur les taches urbaines, les espaces végétalisés présentent des scores faibles (indice compris entre 0,1 et 0,4) hormis quelques parcs urbains et la frange interstitielle avec l'espace périurbain (indice compris entre 0,4 et 0,6).

41Concernant la pollution lumineuse, les impacts faibles sont localisés sur la périphérie des taches urbaines (indice compris entre 0,1 et 0,2) et sur les quartiers résidentiels (indice compris entre 0,2 et 0,3). Les impacts moyens se situent dans les centre-bourgs, les zones d'activités et les voies de communication (indice compris entre 0,3 et 0,4 ; les voies de communication majeures et leurs intersections ont un indice compris entre 0,4 et 0,5). Les impacts importants (indice supérieur à 0,5) sont concentrés en trois endroits : l'hôpital psychiatrique de Bohars, le port du château et le pont de l'Iroise (Figure9b, repères A, B et C respectivement).

42Les impacts avec des indices supérieurs à 0,3 se retrouvent sur des espaces ayant déjà une qualité faible (cœur de tache urbaine) ou marginalement moyenne (limite urbain-périurbain). Les impacts faibles (indice compris entre 0,1 et 0,3) affectent également cette même limite pour l'essentiel. Les effets sont pourtant notables : en valeurs absolues, les surfaces présentant un intérêt très faible (indice inférieur à 0,1) pour la biodiversité nocturne augmente de 28,3 %, les surfaces avec un intérêt faible (indice compris entre 0,1 et 0,4) diminuent de 1,8 %, les surfaces ayant un intérêt moyen (indice compris entre 0,4 et 0,6) diminuent de 11,5 %, les surfaces de qualité (indice supérieur à 0,6) diminuent de 6,9 %.

Tableau 4 : nombre de carreaux par indice et par classe

Indice de biodiversité potentielle				Indice de pollution lumineuse				Indice de biodiversité potentielle nocturne
Indice	Carreaux (nb)	Carreaux (%)		Indice	Carreaux (nb)	Carreaux (%)		Indice	Carreaux (nb)	Carreaux (%)	Variation
< 0,1	985	18,28 %		< 0,1	3 798	70,49 %		< 0,1	1 264	23,46 %	28,32 %
≥ 0,1 et < 0,2	836	15,52 %		≥ 0,1 et < 0,2	124	2,30 %		≥ 0,1 et < 0,2	768	14,25 %	-8,13 %
≥ 0,2 et < 0,3	536	9,95 %		≥ 0,2 et < 0,3	614	11,40 %		≥ 0,2 et < 0,3	591	10,97 %	10,26 %
≥ 0,3 et < 0,4	571	10,60 %		≥ 0,3 et < 0,4	724	13,44 %		≥ 0,3 et < 0,4	548	10,17 %	-4,03 %
≥ 0,4 et < 0,5	669	12,42 %		≥ 0,4 et < 0,5	122	2,26 %		≥ 0,4 et < 0,5	560	10,39 %	-16,29 %
≥ 0,5 et < 0,6	905	16,80 %		≥ 0,5 et < 0,6	2	0,04 %		≥ 0,5 et < 0,6	832	15,44 %	-8,07 %
≥ 0,6 et < 0,7	490	9,09 %		≥ 0,6 et < 0,7	2	0,04 %		≥ 0,6 et < 0,7	461	8,56 %	-5,92 %
≥ 0,7 et < 0,8	290	5,38 %		≥ 0,7 et < 0,8	0	0,00 %		≥ 0,7 et < 0,8	269	4,99 %	-7,24 %
≥ 0,8 et < 0,9	102	1,89 %		≥ 0,8 et < 0,9	0	0,00 %		≥ 0,8 et < 0,9	92	1,71 %	-9,80 %
≥ 0,9	4	0,07 %		≥ 0,9	2	0,04 %		≥ 0,9	3	0,06 %	-25,00 %
Total	5 388			Total	5 388			Total	5 388

Pinçon, 2022

Modèle intégratif

43Le graphe est calculé à l'échelle du territoire complet, il est cependant trop dense en informations pour être décrit entièrement ; nous nous focalisons sur un secteur en limite d'urbanisation, le fond de la Penfeld (figure 5).

44Le graphe de référence (figure 10a) montre un axe majeur de circulation pour les chiroptères, globalement orienté sud-ouest/nord-est. Cet axe suit la vallée d'un affluent de la Penfeld dans la partie occidentale et la vallée de la Penfeld elle-même dans la partie septentrionale. Les réservoirs sont constitués de ripisylves denses jusque sur les flancs de vallées aux dénivelés abrupts ; cette topologie explique la qualité de ces espaces en limitant son anthropisation.

45Nous pouvons également observer deux axes secondaires : l'un partant de l'axe principal vers le nord-ouest, en direction du bois de Keroual et un autre traversant Bohars au nord d'un quartier pavillonnaire déconnecté du centre-bourg.

46Le graphe prenant en compte l'éclairage public (figure 10b) met en évidence son impact sur la connectivité : l'axe majeur disparaît quasiment le long de la vallée de la Penfeld puisque ses réservoirs se retrouvent isolés. Des niveaux d'éclairements élevés (figure 6) sont présents le long des voiries principales que sont l'avenue Le Gorgeu (10 à 20 lux) et le boulevard de l'Europe (20 lux), au niveau de l'hôpital Cavale blanche et sur Bellevue (30 lux). Dans ce dernier cas, il s'agit d'un quartier prioritaire de la ville (QPV), cet éclairage répond à un besoin de sécurité (Mosser, 2007).

47L'axe secondaire se réorganise, suivant la vallée de l'affluent de la Penfeld puis remontant vers le bois de Keroual avant de rejoindre l'arrière-pays de Bohars.

Discussion

Création d’une carte d’intensité de l’éclairage à partir des données de gestion de parc

48Le travail préparatoire de classification des points lumineux (typologie) a permis de déterminer les surfaces éclairées sur quatre niveaux d'intensité ; l'interpolation des données manquantes concernant les valeurs de flux lumineux a permis d'attribuer des valeurs cohérentes aux surfaces éclairées. Nous aboutissons donc à une carte d'intensité d'éclairage sur le territoire. Elle est plus précise que les modèles courants (comme LightPollutionToolbox) qui considère que la surface à éclairer l'est de manière complète et uniforme. Cependant, la distinction fondamentale entre éclairement et densité surfacique de flux fait que notre modèle reste une approximation, d'autant plus que la géométrie de flux utilise un modèle moyen alors que les luminaires (en particulier routiers) ont une grande variété de géométrie.

49En pratique, cette limite est peu gênante lorsque nous utilisons le modèle à l'échelle du territoire de Brest métropole puisque la différence dans les surfaces éclairées est négligeable par rapport à sa superficie ; lorsqu'il s'agit de prédire le gradient d'éclairement d'un transect sur un terrain d'étude de quelques dizaines de mètres carrés, quatre niveaux ne sont plus suffisants.

Caractérisation de la pollution lumineuse sur le territoire

50Nous pouvons considérer que les densités surfaciques de flux lumineux seuillés calculés correspondent à la moyenne des valeurs d'éclairement au sein de chacune de ces surfaces. Des écarts peuvent apparaître entre les densités calculées et les moyennes issues notamment des simulations des études d'éclairement lors de l'installation de nouveaux luminaires et de mesures de terrain. L'interpolation des valeurs de flux lumineux manquantes en est la cause principale. C'est pourquoi un facteur de correction a été intégré ; par défaut, il est ajusté en fonction de la technologie de la lampe. Il peut également être affiné au cas par cas, sur un terrain d'étude particulier par exemple.

51Ce choix permet de conserver la cohérence d'ensemble des valeurs tout en évaluant au mieux l'intensité lumineuse à l'échelle la plus locale. Autrement dit, cette pondération précise la pollution lumineuse issue de l'éclairage public afin d'évaluer son impact.

Production d'un prototype de trame noire

52Les graphes paysagers doivent être calculés pour une espèce donnée car les coûts de déplacements utilisés pour le calcul représentent le gradient de facilité pour ladite espèce à traverser un milieu donné (Foltête, 2012). Nous avons choisi l'espèce Rhinolophe ferrumequinum (grand rhinolophe). Les barrières écologiques déjà connues pour le grand rhinolophe sur le territoire de Brest métropole sont bien visibles dans le modèle généré, ce qui confirme sa pertinence. L'intérêt est de mettre en évidence de petits réservoirs jouant un rôle clef dans le réseau (corridor en pas japonais) mais difficile à repérer sur le terrain (Tarabon et al., 2019).

53Cette démarche peut facilement être affinée en calculant des graphes pour d'autres espèces et en déterminant les réservoirs communs à plusieurs espèces, ce qui identifie des espaces stratégiques multifonctionnels (Clauzel et al., 2018).

54Enfin, ce modèle peut être intégré à une échelle plus large puisqu'il s'appuie largement sur les données d'occupation du sol pour représenter la connectivité fonctionnelle des réseaux (Clauzel, Bonnevalle, 2019), bien que dans ce cas la corrélation entre le modèle et les observations soient plus délicate à établir pour les liens les plus faibles (Bourdouxhe et al., 2020).

55Globalement, les hypothèses de départ sont vérifiées. Plusieurs limites apparaissent cependant, la principale étant la dualité entre éclairement (qui est une donnée ponctuelle) et densité surfacique de flux lumineux (qui est une donnée surfacique). Or, les méthodes utilisées pour modéliser la trame noire nécessitent une donnée surfacique alors que les biologistes se servent de données ponctuelles pour caractériser leurs milieux d'études (Pauwells et al., 2021).

56Une seconde limite importante concerne les niveaux calculés : nous pouvons estimer que les valeurs moyennes (grossièrement entre 10 et 100 lux) sont proches des valeurs réelles mais que la marge d'erreur s’accroît significativement pour les valeurs les plus basses. Le modèle fonctionne bien pour des espèces relativement peu sensibles, comme les chiroptères, qui ont un seuil entre 20 et 30 lux (Gaston et al., 2013) ; en revanche, pour les espèces les plus sensibles, comme Strix varia qui a un seuil de 1,6.10^-6 lux, nous ne disposons pas d'une telle précision.

57Enfin, notre modèle ne prend en compte que l'éclairement au sol et est plutôt adapté à l'évaluation des impacts sur la faune, alors que la flore subit également des effets négatifs comme des perturbations des cycles de croissance (Ffrench-Constant et al., 2016). L'intégration de modèles numériques d'élévation et de surface permettrait de calculer la hauteur de la végétation et d'en déterminer les surfaces impactées. Cet ajout déterminerait également les zones d'ombre plus favorables situées en dessous des canopées éclairées (Pauwells et al., 2019).

Conclusion

58Notre méthode explore une approche peu développée : en effet, lors de la construction des indicateurs nationaux de pollution lumineuse (Sordello et al., 2018), l'usage des données de gestion d'éclairage public est évoqué mais n'est pas encouragé car celles-ci sont incomplètes au plan national. Notre objectif a donc été d'exploiter au mieux ces données pour établir un modèle pertinent dans une démarche scientifique et opérationnelle et produire une cartographie avec une gradation de niveaux d'éclairement.

59Ces données sont incomplètes à plus d'un titre : d'une part, bien que rendues obligatoires par l’arrêté du 27/12/2018, les valeurs de flux lumineux notamment ne sont dans la pratique pas toujours renseignées par le gestionnaire (surtout pour les luminaires les plus anciens). Une interpolation des valeurs manquantes par classe de technologie a néanmoins abouti à une bonne corrélation. D'autre part, l'éclairage public ne constitue qu'une partie de l'éclairage artificiel nocturne (ALAN) ; par exemple, sur les photos satellite de Brest métropole, de très grandes serres agricoles montrent une radiance très supérieure à celle du centre ville. Cependant, dans un cadre opérationnel, la métropole peut facilement intervenir sur l'éclairage public et sa modélisation permet d'établir une synthèse des zones à enjeux à l'échelle du territoire entier, constituant de ce fait un puissant levier d'action.

60Une fois les données prétraitées, le calcul de la cartographie des niveaux d'éclairement est un processus simple et rapide. Cette cartographie a alors montré une bonne souplesse d'usage : deux modèles de trame noire ont pu être générés sur cette base commune. La trame noire issue de la méthode déductive a permis de produire un document de synthèse, exploitable à l'échelle de la métropole et principalement orienté sur la qualité des réservoirs ; celle issue de la méthode intégrative est plutôt axée sur les connexions entre réservoirs. Elle permet d'étudier la structure des corridors à l'échelle de la métropole, mais aussi de repérer de petits réservoirs ponctuels importants pour le réseau à une échelle beaucoup plus fine qui pourrait être la cible d'opérations de diminution d'éclairage.

61Ainsi, la force et l'originalité de notre approche est de s'appuyer sur des données a priori peu adaptées, les données de gestion de parc d'éclairage. La réflexion a principalement porté sur le pré-traitement de celles-ci afin d'en extraire toutes les informations pertinentes, ce qui a permis de parvenir à des modèles assez précis pour un usage scientifique. Par ailleurs, la méthode reste simple, ce qui la rend utilisable dans un cadre opérationnel ; nous avons donc ici une méthode hybride et fournissant un outil supplémentaire pour l'étude de la trame noire.