Ce travail a bénéficié du financement I-Site Cap 20-25 de l’Université Clermont Auvergne. Les auteurs remercient l’équipe éditoriale de la revue Cybergéo, les évaluateurs ainsi que Stéphanie Truchet-Aznar (UMR Territoires) pour leurs relectures et leurs conseils.
1Après plusieurs années de négociations, le Parlement européen a adopté le 10 avril 2024 le pacte sur la migration et l’asile, dont un des enjeux est la mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité entre États membres lors de fortes augmentations des demandes d’asile, afin d’éviter les concentrations de requérants à l’asile dans quelques pays, conséquences des règlements de Dublin (Dublin III) qui prévoient l’enregistrement de la demande d’asile dans le premier pays d’entrée. Si ce pacte durcit fortement les règles d’accueil des exilés et ne fonctionne que sur le principe du volontariat, faute d’accord entre États sur un mécanisme contraignant, il illustre l’actualité de la question de la répartition spatiale des demandeurs d’asile, qui se pose depuis plusieurs décennies à différents échelons en Europe (Angenendt, Engler, Schneider, 2013 ; Šabić, 2017). De fait, la distribution spatiale des demandeurs d’asile et des réfugiés se caractérise par de fortes inégalités nationales et régionales en Europe. À l’échelle européenne, le programme MIGRARE a montré que les pays et régions (NUTS 2) les plus dynamiques économiquement captent le plus grand nombre de réfugiés et demandeurs d’asile, tandis que les régions fragiles du sud de l’Europe sont des espaces de transit. Les auteurs expliquent ce contraste par la situation des marchés de l’emploi, ainsi que par les politiques publiques plus ou moins propices à l’accueil (Hausemer et al., 2019). Pour tenter de remédier à cette inégale répartition géographique des exilés, des dispositifs sont mis en œuvre dans une perspective spatialiste non seulement à l’échelle européenne, mais aussi aux différents échelons territoriaux.
2Dans de nombreux pays européens, en effet, des politiques d’accueil et de répartition des demandeurs d’asile ont été progressivement mises en place, par exemple en Allemagne dès les années 1950 avec la clé de répartition de Königstein (Boswell, 2001), en France depuis les années 1970 (Masse, 1996), ou depuis 2015 en Espagne (Schweitzer, 2022). Les dispositifs nationaux d’accueil diffèrent d’un pays européen à l’autre et font régulièrement l’objet d’ajustements, mais ils convergent sur deux aspects. D’une part, une tendance à l’institutionnalisation de l’accueil des demandeurs d’asile s’observe dans la plupart des pays européens (Toshkov, de Haan, 2013), même si des logiques plus informelles ou spontanées demeurent vivaces (Roche, 2021). D’autre part, ces dispositifs s’inscrivent dans la logique d’une relocalisation des demandeurs d’asile dans un objectif de rééquilibrage territorial de l’accueil, afin d’éviter la concentration de l’arrivée dans certains territoires, en particulier dans les grandes agglomérations. Cette politique de dispersion spatiale se traduit par une augmentation des capacités d’accueil dans les villes petites et moyennes et dans les territoires ruraux, qui est attestée de façon qualitative dans de nombreux pays européens (Alarcón, Casademont, Lendzhova, Erdoğan, 2021 ; Bevilacqua, Bertaux, 2022 ; Mehl, Fick, Glorius, Kordel, Schammann, 2023) mais qui est beaucoup moins documentée de façon quantitative à une échelle fine (Hochedez, Lessault, Pistre, 2024). Dans le cas français, on note des travaux de cartographie des centres d’hébergement de demandeurs d’asile à l’échelle départementale (Bonerandi, Bourgeois, Richard, 2004). Plus récemment, le programme de recherche CAMIGRI a permis d’analyser l’évolution de l’implantation de ces centres au niveau local, celui des bassins de vie, entre 1999 et 2019 (Berthomière, Fromentin, Lessault, Michalon, Przybyl, 2020 ; Kreichauf, 2023). Cette étude quantitative a mis en exergue des résultats originaux, tels que la place croissante des espaces péri-urbains et des territoires ruraux dans la politique de dispersion de l’accueil des demandeurs d’asile dans les années 2000 et 2010 (Berthomière et al., 2020), ainsi que la diversification des profils d’immigration internationale dans les espaces ruraux, participant à la production de campagnes plurielles (Fromentin, 2021). Les dispositifs de répartition spatiale des exilés contribuent ainsi à une différenciation des territoires locaux de l’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés, qui n’est plus l’apanage des grandes métropoles.
- 1 Dans cet article, le terme de déprise renvoie à un phénomène de fragilisation (Chouraqui, 2023), qu (...)
3Si l’importance du local dans la gouvernance des migrations en Europe (Zapata-Barrero, Caponio, Scholten, 2017) fait l’objet de débats (Flamant, Lacroix, 2021), le local turn dans les études migratoires ne fait aucun doute : il met l'accent sur l'importance des contextes locaux dans la compréhension des phénomènes migratoires et dans les modalités d’accueil d’exilés. Cette approche, très féconde ces dernières années en Europe et reposant sur des enquêtes qualitatives, reconnaît l'importance des dynamiques et des configurations politiques locales dans la gestion de flux migratoires qui, quant à elles, relèvent des échelons national et européen (Flamant, 2020 ; Kühn, Bernt, 2019 ; Rosenberger, Müller, 2020). Elle permet dans le même temps d’interroger les différences territoriales de réceptivité de populations exilées (Glorius, Doomernik, 2020). Parmi ces travaux, certains se penchent spécifiquement sur les contextes territoriaux marqués par la décroissance démographique et la déprise1, qui sont en ce sens particuliers qu’ils posent la question du repeuplement par l’installation d’exilés et de la redynamisation de territoires en perte de vitesse (Flamant, Fourot, Healy, 2020 ; Meijer, Popławska, Szytniewski, 2023 ; Schemschat, 2021). Cette question – refugee-led revitalization – a connu un regain d’intérêt après 2015-2016 en Europe, en particulier dans les pays où les dynamiques de déprise font l’objet d’attentions politiques et académiques de longue date, comme en Allemagne ou en Italie méridionale (Martins, Davino, 2023 ; Schemschat, 2024).
4Dans ce sillon, toute une série de recherches s’intéressent aux logiques démographiques et économiques de la dispersion et du repeuplement qui se jouent dans le secteur du logement en zone détendue. En effet, le caractère détendu du marché immobilier dans les territoires en déprise en fait des lieux d’accueil de populations défavorisées, notamment de personnes exilées. En Allemagne particulièrement, l’arrivée importante d’exilés en 2015-2016 a permis de limiter, voire d’enrayer temporairement le déclin démographique de nombreux espaces et de retendre le marché immobilier (Bernt, Böhmer, 2023 ; El-Kayed, Bernt, Hamann, Pilz, 2020 ; Engel, Deuter, Domann, Nuissl, Baumgärtner, 2019 ; Wolff, Haase, Leibert, 2020). Or les disponibilités immobilières jouent un rôle prégnant dans la localisation des centres d’accueil et d’hébergement (Adam et al., 2019, 2020 ; Arfaoui, 2021 ; Berthomière et al., 2020a; Gardesse, 2020 ; Gardesse, Lelévrier, 2020). Dans le contexte de marché du logement "détendu" de villes est-allemandes, El-Khayed et Bernt mobilisent une approche acteurielle pour montrer que des bailleurs tant municipaux que privés se sont spécialisés dans l’hébergement des exilés, mais aussi d’autres populations très précaires, en particulier de demandeurs d’asile. Cette spécialisation résulte d’un jeu complexe de contraintes, politiques mais surtout financières, qui alimentent ce que les auteurs nomment une "machine ségrégative" (Bernt, 2021 ; Bernt, Böhmer, 2023 ; Bernt, Hamann, El-Kayed, Keskinkilic, 2021). Au-delà du secteur du logement, des recherches soulignent aussi l’approche utilitariste qu’ont certains élus locaux de l’accueil de personnes exilées, dont la présence peut permettre de dynamiser un territoire ou a minima de maintenir de l’activité et des équipements publics (Arfaoui, 2019, 2021 ; Engel et al., 2019 ; Kühn, 2021), et participe de fait d’un rééquilibrage territorial de l’accueil.
- 2 CADA : centre d’accueil de demandeurs d’asile.
5Ce faisant, les politiques de relocalisation d’exilés dans des territoires en déprise leur permettent d’accéder à de meilleures conditions d’hébergement, mais tendent aussi à considérablement fragiliser les situations individuelles ainsi que l’accompagnement par des travailleurs sociaux du fait d’une localisation dans des espaces "left behind" (Pike et al., 2023 ; Zoomers, 2023) où l’accessibilité à des services sociaux, de santé, juridiques etc. est souvent problématique (Mehl et al., 2023). Des recherches récentes sur l’accueil dans des milieux peu denses français ont mis en exergue que "le dispositif officiel crée du contrôle et de la contrainte, autant par la mise en mouvement des personnes en demande d’asile que par leur immobilisation, quand il assigne et déplace vers des CADA2 éloignés […] Cette politique fragilise et précarise la vie et les corps des personnes exilées, qui ne peuvent pas organiser leur sociabilité, se projeter dans des stratégies pour reconstruire leur existence" (Del Biaggio, Gatelier, Noûs, 2021). Face à cette fragilisation observée dans différents territoires européens, des travaux ont mis en évidence l’importance des initiatives locales, le rôle primordial des associations de bénévoles dans l’accueil d’exilés, pour qu’ils puissent accéder à des ressources, à des soins et à des services indispensables mais parfois difficilement accessibles en contexte de déprise et pallier ainsi partiellement la fragilité de l’accompagnement institutionnel dans ce type de territoires (Berthomière, Imbert, Michalon, 2021 ; Geuijen, Oliver, Dekker, 2020 ; Hoppe-Seyler, 2020).
6Dans le prolongement et à la croisée de ces travaux, et à travers l’étude du cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), deuxième région française d’accueil institutionnel des demandeurs d’asile, notre recherche s’intéresse à l’articulation des logiques de répartition spatiale des structures d’hébergement et de la dynamique des territoires locaux, en portant une attention particulière aux effets des contextes territoriaux de déprise sur l’accueil d’exilés. L’évolution récente de la répartition des capacités d’accueil de demandeurs d’asile et de réfugiés se poursuit-elle dans une logique de rééquilibrage territorial et de dispersion spatiale ? Témoigne-t-elle d’une prise en compte des enjeux de fragilisation sociale dans l’organisation spatiale de l’accueil ? Face à la précarisation accrue des personnes en situation de demande d’asile d’une part, et la fragilisation de leur accompagnement réalisé par les travailleurs sociaux dans des espaces en déprise d’autre part, quelle est l’évolution de la dynamique de dispersion des capacités d’accueil dans les espaces en déprise ? Pour répondre à ces questions, nous proposons d’analyser la distribution spatiale des places Asile et intégration et son évolution récente à une échelle très fine – communale –, en utilisant un jeu de données inédit, tout en prêtant attention aux dynamiques des espaces d’accueil et aux facteurs de localisation évoqués par des acteurs lors d’entretiens semi-directifs réalisés en 2023. Dans un premier temps, sont présentés le dispositif Asile et intégration et sa déclinaison dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont la gestion s’appuie sur le fichier de suivi qui constitue le pilier de la base de données communale que nous avons constituée. Dans un deuxième temps, la géographie et la dynamique spatiale du parc Asile et intégration sont analysées. Dans un troisième temps, sont identifiées les communes en déprise pour examiner les logiques de rééquilibrage territorial du parc d’hébergement entre 2017 et 2022.
7En France, la répartition spatiale des places d’accueil Asile et intégration résulte directement d’une politique nationale de répartition spatiale de l’accueil, visant à limiter la concentration spatiale des exilés dans certaines villes et régions – l’Île-de-France en particulier – et à les disperser dans d’autres régions et départements. Berthomière et al. rappellent que cette politique de dispersion spatiale est ancienne dans le cas français, et que son institutionnalisation remonte aux années 1970 (Berthomière et al., 2020).
8Piloté au niveau national par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, le système Asile et intégration est organisé au niveau régional par les préfectures de régions (DREETS) et au niveau départemental par les préfectures (DDEETS), qui assurent le suivi des places. Dans chaque département, l’État délègue à des opérateurs la création et la gestion des places d’accueil, via un système d’appel d’offre et une contractualisation pour une durée de 5 années renouvelable.
9Créés en 2016, les Schémas d’accueil précisent les grandes orientations de la politique d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration. Ils émanent des services de l’État (ministère de l’Intérieur et directions régionales) qui les fournissent sur demande. Le schéma national a pour objectif de répondre à la "polarisation francilienne" des flux migratoires dans l’Hexagone et s’appuie sur le dispositif d’orientation régionale des demandeurs d’asile des régions "en tension" vers des régions "moins tendues" (janvier 2021). Ce dispositif repose sur une clé de répartition par région tenant compte de quatre critères : la population, le PIB/habitant, le taux de chômage, les capacités d’accueil au sein du dispositif Asile et intégration. En fonction de ces critères, la région AURA est, parmi les régions de province, la première "cible de ré-équilibrage" inter-régional.
10Malgré le cadre national que constitue ce dispositif Asile et intégration, les logiques de répartition spatiale peuvent différer d’une région à l’autre (Berthomière et al., 2020, p.60). L’analyse des trois schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (SRADAR) successifs d’Auvergne-Rhône-Alpes montre que l’objectif est demeuré constant depuis 2016 : harmoniser le rapport entre nombre de places et population entre les départements (taux d’équipement), tout en tenant compte de leurs opportunités immobilières (taux de vacance dans le parc social) et du niveau de précarité de leur population (revenus de la population, critère minorant le nombre de places à créer). Toutefois, le critère de population départementale, intégré à la réflexion dans le schéma de 2016-2017, disparait dans les schémas ultérieurs. De même, la "vigilance sur la non-concentration des places dans les Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville"3 (QPV), qui module le critère d’opportunités immobilières dans le schéma 2016-2017, disparait dans les schémas suivants, peut-être du fait de sa redondance avec le critère de précarité de la population (les périmètres QPV étant définis en fonction de critères de revenus).
11Le schéma régional de 2016-2017 liste des critères que les préfectures peuvent utiliser pour "analyser l’opportunité et la faisabilité des projets" de création de places : la dynamisation des espaces ruraux (maintien d’écoles, commerces, tendance démographique – dans une logique utilitariste), les transports, l’accès aux services de santé et médico-sociaux, ainsi que l’acceptabilité politique (contacts préalables avec les élus). Dans le schéma 2018-2020, l’accès aux services (médico-sociaux, écoles, etc.) est réaffirmé, ainsi que l’accès à Pôle emploi pour les Centres Provisoires d’Hébergement (CPH). En revanche, les critères de la dynamisation des espaces ruraux et de l’acceptabilité politique disparaissent. Le schéma 2021-2023 se contente de faire le constat des "difficultés de prise en charge du public dans les zones isolées" et de l’inévitable prise en compte du coût du foncier et de bâti disponible. Le difficile équilibre entre l’objectif de mobilisation de logements sociaux et celui d’un accès suffisant à différents services est souligné.
- 4 Le coût-place correspond au tarif déterminé et versé par l’État aux opérateurs pour chaque place d’ (...)
12Ainsi, la répartition des places entre départements répond assez clairement à un ensemble de critères sur toute la période, dans un objectif de rééquilibrage territorial en faveur des départements les moins dotés. Au niveau infra-départemental, le SRADAR 2021-2023 reconnaît que le rééquilibrage pose des difficultés de prise en charge du public dans les zones faiblement pourvues en transports et en services, notamment en matière de santé pour des personnes présentant des vulnérabilités médicales, des handicaps ou ayant subi ou risquant de subir des violences. Toutefois, les zones urbaines tendues ne disposent pas de bâti disponible et le coût du foncier souvent élevé ne permet pas d’ouvrir des places compte-tenu des coûts-place4 non adaptés à ces territoires (p.12-13). On note ainsi une prise de conscience de la difficulté des conditions de vie et d’accès aux services dans les espaces ruraux isolés, qui semble avoir tempéré l’utilitarisme affirmé dans le premier schéma. Surtout, la difficile équation territoriale entre accès aux services et disponibilité immobilière est reconnue de façon très explicite dans le schéma 2021-2023. C’est cette équation territoriale que nous interrogeons et objectivons à travers l’analyse d’un jeu de données communal et des entretiens semi-directifs réalisés en 2023.
13La mise en œuvre de ce dispositif au niveau régional s’appuie sur un fichier de suivi des places Asile et intégration, qui, complété par des données issues des recensements de l’INSEE, permet d’analyser la répartition des places d’hébergement et son évolution au niveau communal.
14Les travaux antérieurs sur la répartition spatiale des places du parc Asile et intégration, en France comme en Auvergne-Rhône-Alpes, reposaient sur la localisation départementale des centres d’accueil (Arfaoui, 2021 ; Berthomière et al., 2020), permettant une lecture déjà assez fine de la géographie de l’accueil institutionnel. L’équipe du programme CAMIGRI a ainsi cartographié les dispositifs institutionnels d’hébergement à l’échelon des bassins de vie, montrant que leur dispersion spatiale s’affirme progressivement dans les espaces ruraux et péri-urbains. Même si les grandes villes disposent toujours de plus grandes capacités d’accueil, "la dispersion du dispositif hors des grandes métropoles est visible dès la fin des années 1990". Pendant les décennies 2000 et 2010, "le dispositif s’est déployé en s’appuyant largement sur les territoires périurbains et ruraux" (Berthomière et al., 2020). La cartographie de cette donnée est par ailleurs régulièrement actualisée sur le site internet de la Cimade, association de défense de la dignité et des droits des personnes réfugiées et migrantes.
15Mais un centre d’accueil gère des places qui peuvent être elles-mêmes réparties dans plusieurs communes : la distribution des places à l’échelon communal n’avait jusqu’à présent jamais été étudiée. Mis à disposition de notre équipe de recherche par la DREETS AURA, le fichier de suivi du parc Asile et Intégration, qui n’est pas disponible en open source, renseigne le nombre de places d’hébergement par commune, par type de centre et par opérateur, de 2017 à 2022. Or la maille communale, très fine en France, est particulièrement pertinente dans l’analyse spatiale du dispositif : ce dernier est destiné à des populations non motorisées, parfois hébergées dans des communes non desservies par des transports en commun, pour qui les distances-temps peuvent donc différer des populations résidentes. Ces données permettent ainsi d’affiner la cartographie de l’accueil institutionnel d’exilés en Auvergne-Rhône-Alpes.
16Les données de ce fichier sont dans certains cas imprécises, elles ont donc été croisées avec les données indiquées dans les rapports d’activités des opérateurs, dans des recueils d’actes administratifs et lors d’entretiens avec les responsables de centres. Du fait des changements de statuts et de la réorganisation des types de structures, les catégories de centres ne sont pas comparables entre 2017 et 2022. Nous avons donc agrégé par commune l’ensemble des places, quel que soit le type de centre de rattachement (CADA, HUDA, CPH, etc.).
17Dans le Schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés (SRADDAR) 2021-2023, un tableau présente les "taux d’équipement" des départements : cet indicateur correspond au rapport entre le nombre de places du parc Asile et intégration et le nombre d’habitants de cette unité géographique. Le terme retenu pour cet indicateur renvoie au champ lexical de l’aménagement du territoire, l’État octroyant des financements par département/préfecture pour la gestion de ces places. Notons bien que cet indicateur porte sur le nombre de places et non de personnes effectivement accueillies. Les taux d’occupation, variables en fonction des flux d’arrivée d’exilés, sont renseignés par les opérateurs mais ne sont pas disponibles à l’échelon communal.
18Pour cette analyse, nous avons complété ces données par des indicateurs démographiques et socio-économiques issus des recensements de population de 2008 et 2019 réalisés par l’INSEE.
19La localisation des places d’hébergement dépend de logiques qui varient notamment en fonction des échelons de gestion. Aux niveaux régional et départemental, l’évolution du nombre de places dépend directement de l’État et de ses services déconcentrés, alors qu’au niveau infra-départemental et particulièrement en zones rurales, la recherche de logements relève de la prérogative des associations gestionnaires des structures d’hébergement, souvent en concertation avec les services préfectoraux, les bailleurs sociaux et parfois les communes. Les collectivités territoriales peuvent exercer une influence sur la localisation, l’évolution du nombre de places mais aussi la composition démographique des populations accueillies localement, à travers divers moyens, qu’il s’agisse de négociations, d’échanges informels avec les préfectures et les opérateurs, ou bien à travers les paramètres de mobilisation du parc d’hébergement dans les offices publics HLM (Arfaoui, 2021 ; Gardesse, Lelévrier, 2021). Dans ce jeu d’acteurs, la répartition des places et son évolution témoignent-elles d’une poursuite de la dispersion spatiale et d’un rééquilibrage territorial du parc Asile et intégration dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ?
20En région Auvergne-Rhône-Alpes, le parc Asile et intégration compte 13 223 places en 2022, soit 16 places pour 10 000 habitants (tableau 1). La répartition de ces places est géographiquement très inégale. En 2022, les seuls départements du Rhône et de l’Isère – les plus urbains - concentrent le tiers du parc. Mais c’est en Savoie et dans les départements ruraux de l’Allier et du Cantal que les taux d’équipement sont les plus élevés, alors que l’Ardèche demeure sous-dotée. La dispersion du parc vers des départements ruraux de faible densité n’est donc pas systématique et demeure très inégale.
21Dans l’ensemble de la région, 2 061 places Asile et intégration ont été créées entre 2017 et 2022 (+18,5 % de variation). Le développement du parc concerne dix des douze départements de la région. Dans deux départements, le nombre de places a diminué dans une logique de rééquilibrage affirmée dans le schéma régional : il s’agit du département le plus doté en nombre de places (Rhône) et de celui au taux d’équipement le plus élevé en 2017 (Allier). Inversement, la Loire et le Puy-de-Dôme, dont les taux d’équipement en 2017 étaient un peu inférieurs à la moyenne régionale, regroupent à eux seuls près de la moitié (46 %) des nouvelles places (tableau 1).
22Cette évolution témoigne de la régulation des créations de places par la préfecture de Région, en fonction d’indicateurs quantitatifs, en particulier du stock existant de places et des taux d’équipement. Cela témoigne à cet échelon du souci d’une gouvernance par les nombres (Supiot, 2015), de la force d’une logique de pilotage d’une politique publique par les indicateurs statistiques, (Henneguelle, Jatteau, 2021). Au niveau infra-départemental, en revanche, les localisations et les créations de places relèvent de la compétence des opérateurs et des acteurs locaux, ce qui renvoie à des logiques différentes qu’il s’agit d’examiner.
Tableau 1 : Répartition départementale du parc Asile et intégration en Auvergne-Rhône-Alpes (2017 et 2022)
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|
Population (2019)
|
Parc Asile et intégration 2017
|
Parc Asile et intégration 2022
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|
|
|
|
Nombre d'habitants
|
Part en Auvergne-Rhône-Alpes
|
Nombre de places en 2017
|
Part en Auvergne-Rhône-Alpes
|
Taux d'équipement en 2017
|
Nombre de places en 2022
|
Part en Auvergne-Rhône-Alpes
|
Taux d'équipement en 2022
|
Solde 2017-2022
|
Taux de variation 2017-2022
|
|
01
|
Ain
|
652 432
|
8,1
|
924
|
8,3
|
0,14
|
1 194
|
9,0
|
0,18
|
270
|
29,2
|
|
03
|
Allier
|
335 975
|
4,2
|
873
|
7,8
|
0,26
|
784
|
5,9
|
0,23
|
-89
|
-10,2
|
|
07
|
Ardèche
|
328 278
|
4,1
|
313
|
2,8
|
0,10
|
323
|
2,4
|
0,10
|
10
|
3,2
|
|
15
|
Cantal
|
144 692
|
1,8
|
256
|
2,3
|
0,18
|
337
|
2,5
|
0,23
|
81
|
31,6
|
|
26
|
Drôme
|
516 762
|
6,4
|
632
|
5,7
|
0,12
|
783
|
5,9
|
0,15
|
151
|
23,9
|
|
38
|
Isère
|
1 271 166
|
15,8
|
1 898
|
17,0
|
0,15
|
2 213
|
16,7
|
0,17
|
315
|
16,6
|
|
42
|
Loire
|
765 634
|
9,5
|
1 010
|
9,0
|
0,13
|
1 505
|
11,4
|
0,20
|
495
|
49,0
|
|
43
|
Haute-Loire
|
227 570
|
2,8
|
282
|
2,5
|
0,12
|
352
|
2,7
|
0,15
|
70
|
24,8
|
|
63
|
Puy-de-Dôme
|
662 152
|
8,2
|
773
|
6,9
|
0,12
|
1 228
|
9,3
|
0,19
|
455
|
58,9
|
|
69
|
Rhône
|
1 875 747
|
23,3
|
2 556
|
22,9
|
0,14
|
2 472
|
18,7
|
0,13
|
-84
|
-3,3
|
|
73
|
Savoie
|
436 434
|
5,4
|
672
|
6,0
|
0,15
|
860
|
6,5
|
0,20
|
188
|
28,0
|
|
Auvergne-Rhône-Alpes
|
8 042 936
|
100,0
|
11 162
|
100,0
|
0,14
|
13 223
|
100,0
|
0,16
|
2 061
|
100,0
|
Roth, Lécuyer, 2024.
Sources : INSEE RP 2019 ; Fichier de suivi DNA DREETS AURA, 2023.
23En 2022, 178 communes sont dotées de places Asile et intégration, soit 4,4 % des communes de la région Auvergne-Rhône-Alpes. La moitié des places sont concentrées dans 24 communes.
24En première analyse, les places Asile et intégration restent concentrées dans les agglomérations urbaines, et la dispersion est inégale selon les départements. La carte du parc Asile et intégration à l’échelon communal en 2022 (carte 1) montre la concentration des places dans les plus grandes agglomérations urbaines de la région, et notamment dans les villes-centres : Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne comptent ainsi plusieurs centaines de places, et les communes de leurs banlieues respectives ne sont pas en reste. La carte montre aussi que selon les départements, la dispersion spatiale des places est plus ou moins prononcée. Ainsi, dans les deux départements savoyards, le Puy-de-Dôme et l’Allier, la dispersion spatiale des places est nettement plus importante que dans les départements très ruraux du Cantal, de la Haute-Loire ou de l’Ardèche, où le parc Asile et intégration est réparti sur moins de 6 communes. À cette échelle, la ruralité n’est donc pas un facteur de dispersion.
Carte 1 : Répartition communale du parc Asile et intégration en 2022
Lécuyer, 2024.
25Le niveau d’équipement des communes est déterminant pour expliquer la distribution des nouvelles places créées, dans une double logique de dispersion-consolidation. Le tableau 2 décrit les évolutions géographiques du parc Asile et intégration dans la période la plus récente au niveau communal. Le développement du parc Asile et intégration se traduit par l’augmentation du nombre de communes équipées en places d’hébergement (178 en 2022 contre 135 communes en 2017). Ce solde se décompose ainsi : 58 communes qui n’étaient pas équipées en places Asile et intégration en 2017 le sont devenues en 2022. Inversement, 15 communes équipées en 2017 n’ont plus aucune place d’hébergement en 2022. Toutefois, cette augmentation du nombre de communes équipées – donc cette poursuite d’une dynamique de dispersion – ne saurait masquer la logique générale de consolidation des localisations communales existant déjà en 2017 : les créations de places entre 2017 et 2022 ont très majoritairement eu lieu dans des communes déjà équipées en 2017 (tableau 2), ce qui recoupe un résultat de l’équipe CAMIGRI au niveau des bassins de vie en France : les auteurs précisent que sur la période 2017-2019, les créations de places d’hébergement ont eu lieu principalement dans les lieux déjà dotés, plus que par la création de places dans des bassins ruraux jusqu’alors non dotés (Berthomière et al., 2020).
Tableau 2 : Répartition du solde de places Asile et intégration en fonction de l'équipement des communes en places en 2017
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Dans des communes déjà équipées en 2017
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Dans des communes non équipées en 2017
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Création de nouvelles places (2017-2022)
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2 161
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1 323
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Diminution du nombre de places (2017-2022)
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-1 423
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Roth, Lécuyer, 2024.
Source : Fichier de suivi DNA, DREETS AURA, 2023.
- 5 Les noms des communes où siègent des centres sont mentionnés dans les rapports d’activité publics d (...)
26Les soldes de créations-suppressions de places entre 2017 et 2022 soulignent deux logiques. La première est une logique de fermeture de centres d’accueil et d’orientation (CAO). Par exemple, le CAO des Vans5 (07) qui comptait 107 places en 2017, ainsi que le CAO de Varennes-sur-Allier (03), qui comptait 206 places en 2017, ont fermé, respectivement en 2018 et 2021. La seconde logique correspond aux dispersions de places Asile et intégration et la création de nouvelles places dans les centres existants (carte 2). En 2017, la commune de Boën-sur-Lignon comptait 260 places (130 places en CADA, 70 en HUDA et 60 en CAO). Le CAO a fermé et 140 places de CADA et HUDA ont été dispersées dans des petites communes rurales du Forez à l’occasion d’un projet de requalification de l’ancien hôpital local où étaient initialement localisées les 260 places, ne laissant plus dans cette petite ville que 58 places en 2022.
27Les soldes positifs renvoient à deux évolutions distinctes. L’une correspond à des créations de centres : par exemple, en 2018, la création du CPH de Savoie se traduit par la création de places à Moûtiers ainsi que dans des communs alentours, puis à la création de 10 places dans l’agglomération de Chambéry ; de même, on note la création du CADA de Saint-Flour en 2018, dans une commune qui ne comptait jusqu’alors aucune place d’accueil. L’autre correspond à la création de nouvelles places par des centres existants : cette logique concerne la majorité des nouvelles places, créées dans des communes qui en était déjà dotées ou dans d’autres qui en étaient dépourvues.
28La carte montre ainsi une double dynamique de développement du parc, celle d’une consolidation des localisations existantes en 2017, d’une part, et d’autre part celle de création de places dans des communes qui en étaient dépourvues – bien souvent des communes de banlieue (Saint-Etienne, Grenoble, Chambéry, Valence, etc.), parfois dans des petites villes et des espaces ruraux (Moûtiers, Gannat, etc.). La tendance à la dispersion communale du parc se poursuit donc, même si elle n’est pas exclusive du renforcement des localisations existantes.
Carte 2 : Création et suppression de places Asile et intégration entre 2017 et 2022
Lécuyer, 2024
29La double dynamique de dispersion et de consolidation se fait-elle pour autant au profit de communes en déprise, dans une perspective de "refugee-led revitalization" (Schemschat, 2020) ? Pour répondre à cette question, nous avons procédé à une typologie, qui permet d’appréhender la diversité des territoires en fonction de leur dynamisme ou de leur déprise, et qui met en évidence trois classes de communes d’accueil. L’analyse de la répartition des places et leur évolution de 2017 à 2022 au sein de chacune des trois classes permet ensuite de tester l’hypothèse selon laquelle les territoires en déprise seraient un lieu privilégié de l’accueil dans le cadre du dispositif Asile et intégration, enfin de questionner les logiques à l’œuvre dans les effets de rééquilibrage.
30Sept critères ont été retenus pour différencier les communes d’accueil (tableau 3) en fonction de leur dynamisme et de leurs caractéristiques identifiées dans la littérature comme facteurs de localisation des places d’hébergement (situations socio-démographiques, facilités de captation de logements ou de bâtiments).
31La littérature montre que les villes moyennes et grandes sont des lieux privilégiés de l’accueil en France (Berthomière et al., 2020), ce qui motive le choix du nombre d’habitants comme un des indicateurs. Le dynamisme démographique et socio-économique constitue une autre dimension du choix des communes d’accueil (Glorius, 2021). Il est ici renseigné par trois indicateurs : le taux de variation de la population de 2008 à 2019, la part des personnes âgées (plus de 75 ans) dans la population totale et le taux de chômage en 2019.
32Les travaux qualitatifs récents sur l’accueil d’exilés en France ont maintes fois souligné que les disponibilités immobilières jouent un rôle prépondérant dans le choix de localisation de centres et de places d’accueil (Arfaoui, 2021 ; Berthomière et al., 2020 ; Gardesse, Lelévrier, 2021). Arfaoui a de surcroît pointé le rôle des organismes HLM dans l’hébergement des exilés et leur intérêt à placer le parc Asile et intégration dans les territoires fragiles présentant une forte vacance du parc social, dans le cas du département du Puy-de-Dôme (Arfaoui, 2021). Cette dimension est ici illustrée par deux indicateurs : la part de logements vacants, mais aussi la part des logements HLM en 2019 car ces logements HLM sont plus aisément mobilisables par les opérateurs que des logements du parc privé (Arfaoui, 2021).
33Enfin, des travaux ont montré que l’acceptation des exilés par les populations locales est plus forte dans les territoires présentant une certaine tradition migratoire (Glorius, 2021), d’où le choix d’intégrer la part des immigrés dans la population dans l’analyse.
Tableau 3 : Liste des indicateurs pris en compte dans l’ACP et la CAH
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Indicateurs utilisés dans l’ACP et la CAH (Source : INSEE RP 2008 et 2019)
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Population et dynamique démographique
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P19_POP
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Population en 2019
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EVOLPOP08_19
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Taux de variation de la population entre 2008 et 2019
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Structure de la population
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TX_75PLUS
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Part des plus de 75 ans dans la population totale en 2019
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PART_IMMIG
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Part des immigrés dans la population totale en 2019
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CHO_1564
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Taux de chômage des 15-64 ans en 2019
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Caractéristiques du parc de logements
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TX_HLM
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Part des logements HLM dans le total des résidences principales en 2019
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TX_LOGVAC
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Part des logements vacants dans le total du parc de logements en 2019
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Roth, Lécuyer, 2024.
34Pour obtenir un indicateur synthétique prenant en compte chacune de ces dimensions, une analyse en composante principale (ACP) a été réalisée à partir des sept indicateurs. Elle fait apparaître un premier axe, qui représente un tiers de l’information (33,57 %). Il oppose, pour les 179 communes considérées, le taux de variation de la population entre 2008 et 2019 d’une part, au taux des plus de 75 ans et au taux de vacance des logements (figure 2). C’est donc un axe qui différencie les communes en déprise des communes démographiquement dynamiques. Le second axe, qui représente près de 30 % de l’information, est principalement déterminé par le taux de chômage, la part d’immigrés et le taux de HLM, trois variables corrélées entre elles (figure 2), ainsi qu’au nombre d’habitants en 2019 (P19_POP).
Figure 1 : Graphe des variables de l’ACP – axes 1 et 2
Lécuyer, 2024.
- 6 Cette classification a été réalisée avec la fonction HCPC du package FactomineR, qui calcule le den (...)
35Les axes factoriels de cette ACP constituent les variables d’entrée de la classification ascendante hiérarchique (CAH) avec distance euclidienne6. Ainsi, la classification réalisée sur les 179 communes dotées de places Asile et intégration fait apparaître trois classes. Une typologie à 4 classes ne distinguait que la ville de Lyon, exceptionnelle par son nombre d’habitants, un des critères de la classification. La typologie à cinq classes a également été écartée car elle divisait la classe 2 en trois groupes. Or, nous souhaitions concentrer notre analyse sur les communes identifiées par la classe 3.
Figure 2 : Description de chaque classe par les variables
Lécuyer, 2024.
36Ainsi, la classification réalisée sur les 179 communes dotées de places Asile et intégration fait apparaître 3 classes.
37La classe 1 (en noir) est composée de 59 communes de moins de 30 000 habitants. Elles partagent :
-
de fortes valeurs positives pour la variation de la population ;
-
de faibles valeurs pour des variables telles que le taux de chômage, le taux de vacance des logements, le taux de HLM, la part des plus de 75 ans, la part des immigrés.
38La classe 2 (en rouge) est composée de 71 communes. Ce groupe est caractérisé par :
-
de fortes valeurs pour les variables part d’immigrés, taux de HLM, taux de chômage, et nombre d’habitants ;
-
de faibles valeurs pour les variables part des plus de 75 ans.
39La classe 3 (en vert) est composée de 49 communes (de 400 à 35 000 habitants). Ce groupe est caractérisé par :
-
de fortes valeurs pour les variables part des plus de 75 ans, taux de vacance des logements, taux de chômage;
-
de faibles valeurs pour les variables variation de la population, part des immigrés, taux de HLM.
40La cartographie de ces trois classes fait ressortir plusieurs aspects. Tout d’abord, les communes de la classe 1, en noir, sont principalement des communes sous forte influence urbaine, telles que Crolles, Fontaines-St-Martin, Oullins, Mozac ou Saint-Pierre-d’Albigny. La plupart se situent dans les périphéries des grandes agglomérations ainsi que dans des vallées alpines. Ensuite, la classe 2 comporte à la fois les centres des grandes agglomérations mais également des communes de banlieues populaires (La Ricamarie, Vaulx-en-Velin, Bourg-lès-Valence) et des petites villes marquées par l’industrie (Oyonnax, Cluses, Givors, Moûtiers). Enfin, les communes de la classe 3 sont en majorité situées dans les départements du Massif central (Auvergne, Loire et Ardèche). Il s’agit de communes comme Montluçon, Roanne, Saint-Eloy-les-Mines, Aubenas, Modane, Saint-Michel-de-Maurienne, etc. En 2017, ces communes en déprise ne représentaient qu’à peine 5 % de la population de la région, mais elles concentraient près du quart du parc Asile et intégration, ce qui confirme qu’elles étaient encore des lieux privilégiés de l’accueil institutionnel.
Carte 3 : Les classes de communes dotées de places Asile et intégration (2022)
Lécuyer, 2024.
41Le tableau 4 montre la répartition des places et des créations de places en fonction des trois types de communes (tableau 4). En 2022, la classe 1 compte 20 % des places Asile et intégration. Entre 2017 et 2022, 21 % des créations de places Asile et intégration ont été effectuées dans cette classe 1. Leur rôle dans l’accueil institutionnel est donc stable. En 2022, la classe 2 compte 59 % des places Asile et intégration. Entre 2017 et 2022, 67 % des créations de places Asile et intégration ont été effectuées dans cette classe 2. Leur rôle dans le dispositif Asile et intégration a donc été nettement renforcé dans la dernière période. Enfin, en 2022, la classe 3 compte 21 % des places Asile et intégration. Entre 2017 et 2022, seulement 11 % des créations de places Asile et intégration ont été effectuées dans la classe 3.
Tableau 4 : Part des places et des créations de places en fonction des classes de communes (2017-2022)
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Classes de communes
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Part dans la population de la région en 2019 (%)
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Part des places en 2017 (%)
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Part des places en 2022 (%)
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Part des créations de places 2017-2022 (%)
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Classe 1
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4,2
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19,4
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19,8
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21,3
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Classe 2
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29,4
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57,5
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59,5
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67,3
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Classe 3
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4,7
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23,1
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20,7
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11,4
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Lécuyer, Roth, 2024
Sources : INSEE RP 2019 ; Fichier de suivi DNA DREETS AURA, 2023.
42Si on ne dispose des données fines qu’à compter de 2017, la répartition communale du parc Asile et intégration en 2017 indique que les communes en déprise avaient été une des cibles de l’extension du parc dans la période antérieure à cette date, puisqu’elles concentraient 23 % du parc. Entre 2017 et 2022, la logique de localisation des places d’hébergement dans les communes fragiles marque néanmoins très nettement le pas. Leur rôle dans l’accueil Asile et intégration s’est donc affaibli, elles ne sont pas la cible privilégiée des créations de places sur cette période, contrairement aux communes de la classe 2, qui cumulent les deux-tiers des nouvelles places.
43Ainsi, les communes en déprise, en particulier dans l’ouest de la région, portent une part relativement importante de l’accueil Asile et intégration, mais les créations de places entre 2017 et 2022 témoignent d’un certain rééquilibrage en faveur de communes plus dynamiques, ce qui renvoie à une diversité de logiques.
44Ce rééquilibrage à l’œuvre dans la période 2017-2022, avec un délaissement relatif des communes en déprise au profit des grandes villes et de leurs banlieues, correspond à différentes logiques, que des entretiens qualitatifs menés en 2023 auprès de responsables de structures d’accueil permettent de cerner.
45Pour partie, cette tendance est liée à la fermeture de gros CAO qui avaient été créés dans l’urgence lors de la "crise migratoire" de 2015-2016, souvent dans les bâtiments vacants, voire des friches, dans des zones en déprise.
46Par ailleurs, même dans un contexte territorial marqué par la déprise, le manque de biens locatifs en zones rurales peut être un obstacle à l’augmentation du nombre de places, comme l’indique une responsable de CADA :
"[L’opérateur] a cherché d’autres hébergements [dans cette petite commune où le CADA dispose déjà de 33 places], ils auraient bien ajouté 20-30 places, mais à la location, c’est introuvable, même dans les autres patelins alentours" (St-Eloy, décembre 2023).
47Le rééquilibrage pourrait aussi être l’effet de la prise de conscience par les associations gestionnaires de l’effet socialement très fragilisant pour les demandeurs d’asile et les réfugiés d’une "relocalisation" en milieu rural (Arfaoui, 2021). Ainsi, le responsable du centre provisoire d’hébergement (CPH) de la petite ville de Moûtiers en Savoie nous expliquait lors d’un entretien en mai 2023 que, lors de sa prise de fonction en 2018, plusieurs appartements du CPH étaient situées dans des petites communes isolées, dépourvues de transport en commun. Il fit alors le constat que :
"cette implantation-là est contradictoire avec la notion d'intégration, contradictoire avec la notion de prise en charge d'une vulnérabilité et que ça ne peut pas fonctionner, sinon à créer des conditions d’une forme de maltraitance" (Moûtiers, mai 2023).
48Il décide alors de revoir la géographie des places du centre. L’absence de commerces et de liaison en transport en commun constitue alors ses critères de fermeture de places, à l’image de :
"cette commune enclavée entre une bordure de voie rapide, une carrière et une usine pétrochimique. Il y a une bretelle [d’autoroute]. Dans ce hameau-là en fait, il n'y a aucun service, il n'y a pas de boulangerie par exemple, pas de dépôt de pain. Aucune supérette, rien du tout, à part des logements et une usine. Donc là on ferme" (Moûtiers, mai 2023).
49La fermeture de ces places est compensée par la création en 2019 d’un nombre équivalent de places dans un quartier prioritaire de l’agglomération chef-lieu du département, à environ une demi-heure en train du siège du CPH. C’est aussi cette agglomération qui est ciblée pour l’extension du parc de ce centre en 2023.
- 7 HUDA : Hébergement d’urgence de demandeurs d’asile.
50De même, au CADA-HUDA7 de Vêtre-sur-Anzon (Loire), la dispersion des places dans de nombreuses communes rurales s’avère problématique pour les résidents, mais aussi pour les intervenants sociaux et pour les coûts de transport. Les responsables expliquent ainsi :
"On essaie de pas trop dispatcher, de faire en sorte que l’intervenante sociale ait une zone de référence où elle est amenée à se rendre régulièrement pour ces accompagnements et de faire qu’elle ait pas à aller à Noirétable, après à [village A] etc., on essaie de rassembler un petit peu […]. Le [bâtiment] collectif de [village B], qu’on a en location, va fermer, de même que l’accueil en diffus de [village C]. Parce que, ils sont ultra isolés. Il n’y a aucun transport en commun. Même pas de bus. Encore, ici, à Saint-Thurin, on a que deux bus par jour. Nous, on a dû prendre des contrats avec des agences de transport, de car, pour faire des navettes scolaires pour les enfants du CADA, et si y avait pas ça ils pourraient pas aller à l’école, quoi. Le souhait, c’est de rester sur la ligne Noirétable-Boën, et non plus de s’éparpiller. À [village D], aussi, ça a été très, très compliqué parce que c’est très isolé. Pour les gens qui y habitent, c’est pas un problème parce qu’ils ont une voiture, mais quand on n’a pas de voiture, y a pas de bus, y a rien. Et puis l’intervenante sociale, elle met 40 minutes pour y aller, c’est infernal" (Vêtre-sur-Anzon, juin 2023).
51La réouverture en 2024 d’une structure de 90 places dans la petite ville voisine de Boën fin 2024 permettra de limiter cette dispersion spatiale des places d’hébergement.
52Si tous les types de communes peuvent être concernés par la création de nouvelles places, la dynamique de dispersion du parc Asile et intégration dans des communes en déprise s’efface au profit des communes plus dynamiques en Auvergne-Rhône-Alpes sur la période récente (2017-2022). Dans ce nouveau rééquilibrage, les enjeux de captation de logements, de fragilisation des situations individuelles et de difficulté de l’accompagnement social dans des contextes marqués par la distance et la dispersion spatiale sont pris en compte par les opérateurs. Toutefois, ces communes en déprise dotées de places Asile et intégration présentent les taux d’équipement les plus élevés, leur population étant réduite : les structures d’accueil peuvent localement y jouer un rôle important de revitalisation, que ce soit dans le secteur du logement, de l’économie locale, de la fréquentation des établissements scolaires et de services postaux, ou de l’emploi dans le secteur social.
53La politique de relocalisation des exilés de la région parisienne vers les départements de province se poursuit en France, dans une logique d’équilibrage que les services de l’État mettent en œuvre au sein des régions à partir de critères chiffrés, par exemple en Auvergne-Rhône-Alpes. Dans cette région, l’analyse de la répartition des places et de son évolution, à l’échelon communal, a permis de mettre en évidence trois dynamiques entre 2017 et 2022. La dynamique de dispersion des places se poursuit, au vu de l’augmentation du nombre de communes dotées de places d’accueil. Dans le même temps, les localisations existantes sont consolidées : les créations de place ont majoritairement lieu dans des communes déjà dotées. Ces deux résultats confirment des tendances qui avaient été observées à un échelon moins fin ailleurs en France par l’équipe CAMIGRI (Berthomière et al., 2020). Enfin, la dispersion du parc d’hébergement dans les communes en déprise a nettement marqué le pas sur la période étudiée, au profit de communes plus dynamiques au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’extension de l’étude à l’ensemble du territoire français permettrait de savoir si ce résultat inédit correspond à une tendance nationale, mais elle supposerait la mise à disposition, par le Ministère de l’Intérieur, des données publiques sur les localisations communales des places d’hébergement.
54Cette dynamique observée dans la région Auvergne-Rhône-Alpes reflète le difficile équilibre territorial entre disponibilités immobilières et accessibilité aux services, auxquels sont confrontés les opérateurs. Les places créées pendant cette période sont en effet essentiellement concentrées dans les villes grandes et moyennes et leurs banlieues. Le mouvement antérieur de dispersion dans les espaces en déprise a montré ses limites, dans la mesure où la captation de logements locatifs dans le parc privé y est parfois difficile, et surtout parce que cette dispersion fragilise les situations individuelles et l’accompagnement des exilés par les intervenants sociaux. Les territoires en déprise demeurent toutefois, en 2022, un des grands types d’espace d’accueil (une place sur cinq), ce qui invite à étudier la consolidation de l’ancrage local des centres d’hébergement, notamment dans le cadre des dispositifs de revitalisation urbaine dans les petites villes.
