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2024
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L’artificialisation des sols dans la presse française. Évolution (1982-mars 2024) et disparités spatiales : d’une notion floue à un objet juridique aux représentations multiples

Land take in the French press. Trends (1982-March 2024) and spatial disparities: from a ambiguous notion to a legal object with multiple representations
La artificialización del suelo en la prensa francesa. Evolución (1982-marzo 2024) y disparidades espaciales: de una vaga noción a un objeto jurídico con múltiples representaciones
Guillaume Schmitt

Résumés

Français English Español

L’artificialisation des sols, objet sociotechnique à la définition floue, est devenue un objet juridique à travers une succession de dispositifs législatifs dont la loi Climat et Résilience de 2021. Après une rétrospective sur la formalisation de cette notion depuis 1982, une analyse de la presse française révèle que le nombre d’articles en rapport est en forte augmentation et que les registres lexicaux correspondent à des représentations protéiformes incluant notamment le changement climatique, la biodiversité, la gouvernance ou les projets urbains. La presse nationale et régionale produit et diffuse des informations d’ordre juridique, environnemental, sociétal et conflictuel sur ce paradigme désormais affirmé de l’urbanisme. Les lieux cités dans la presse du Nord de la France tend à démontrer que l’artificialisation des sols est employée à la fois dans les centres urbains les plus importants, leurs périphéries et les zones moins denses et plus agricoles, notamment lors de risques environnementaux majeurs.

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Texte intégral

Introduction

1Le terme artificialisation a émergé dans le débat public français à l’aube des années 2020, bien que sa formalisation remonte aux premières années de la décennie 1980 dans la sphère scientifique (Colsaet et al., 2018). Il se réfère à un processus ayant une incidence majeure sur le climat (îlot de chaleur, European Environment Agency, 2019), les enjeux alimentaires par la disparition des terres agricoles (Seto et al., 2011), le cycle de l’eau (imperméabilisation, Béchet et al., 2017), la biodiversité (du sol et des habitats, Geneletti et al., 2017) et l’organisation des agglomérations urbaines (mobilité, gestion des réseaux, etc., Montanarella, Panagos, 2021). En France, l’artificialisation n’apparaissait que de manière implicite dans les politiques publiques environnementales et les documents d’urbanisme, à travers des termes tels que la gestion économe de l’espace, la limitation de l’étalement urbain, le renouvellement urbain. La loi climat et résilience (n°2021-1104, article 192 du 22 août 2021) l’a défini comme "l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage". Cette loi précise également que l’artificialisation devra être deux fois moindre entre 2021 et 2031 par rapport à la période 2011-2021. À l’horizon 2050, l’artificialisation devra être compensée selon le principe du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) à l’instar, en Europe, du soil strategy for 2030 (European Commission, 2021).

2Sa définition juridique et les controverses qui en ont suivi en a fait un objet médiatique dans les journaux français (Leconte, 2022). "Ces producteurs d’information, eux-mêmes situés, économiquement, géographiquement et politiquement, sont sans doute l’un des principaux vecteurs de représentations de la dynamique des espaces contemporains […], ils participent de fait à la création d’espaces publics de référence" (Beauguitte et al., 2016). En effet, comme le précisent Gassiat et Verger (2016), "les représentations tendent à être très dépendantes du fonctionnement du champ journalistique et de sa capacité à imposer sa vision du problème […]. Les journalistes participent ainsi à la fabrique des représentations, en relayant les informations issues des sphères politiques, scientifiques ou ordinaires (grand public)". La manière dont la presse française emploie le vocable artificialisation révèle comment ce nouveau paradigme de l’aménagement du territoire est diffusé, tant sur le plan spatial que temporel dans le débat public (Soler-Couteau, Strebler, 2021). Cet objet sociotechnique abstrait a progressivement migré des sciences de la donnée aux sciences sociales depuis sa formulation au cours des années 1980 (Akrich, 1993). Ses représentations, entendues comme des interprétations du réel, sont par nature multiples (Lévy, Lussault, 2003). Elles se distinguent de sa perception définie comme "la fonction par laquelle l’esprit se représente des objets en leur présence" (Auray et al., 1994, p.13-14). Bien que les représentations soient influencées par la ligne éditoriale et l’évolution économique contemporaine de la presse, cette dernière constitue un matériau de recherche pertinent dans la mesure où elle produit et diffuse des discours contribuant à installer ou façonner l’artificialisation dans le débat public (Champagne, 1997).

3D’autres notions formalisées dans la sphère académique ont, par le passé, percolé dans le débat public et la presse, à l’instar de la notion d’environnement ou de développement durable (de Cheveigné, 2000 ; Comby, 2009). Ces notions ont connu des évolutions de leur définition et périmètre, au point de les qualifier d’objet flou (Theys, 2014). D’une manière générale, le postulat que l’artificialisation puisse voir sa mobilisation médiatique en étirer la définition peut être établi à deux nuances près. Tout d’abord, la formalisation de cette notion repose sur plusieurs approches portant sur les écosystèmes, les sols et la consommation foncière (Hendrickx, Halleux, 2023). Ensuite, sa définition juridique et opératoire intervient fortement dans sa médiatisation récente, tant dans l’acceptation ou non de cette dernière que dans l’évolution des pratiques urbanistiques. Par ailleurs, la filiation de l’artificialisation est indubitablement liée à la notion d’occupation du sol, dont elle constitue l’un des phénomènes majeurs observés depuis une cinquantaine d’années par la géographie (Song et al., 2018). En urbanisme, sa généalogie s’inscrit également pleinement dans celle de l’occupation du (des) sol(s) par le biais, en France, de la planification réglementaire avec les plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension (en 1919), les Plans d’Occupation des Sols (POS, en 1967) et les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU en 2000). Alors que l’artificialisation s’inscrit dans plusieurs registres, comment la presse française la mobilise et plus particulièrement l’objectif Zéro Artificialisation Nette ? Quelles représentations de l’artificialisation concoure-t-elle à (re)produire ? Ces représentations témoignent-elles du rôle prépondérant des politiques locales dans l’application d’un objectif environnemental majeur, comme le suggèrent Gradinaru et al. en 2023 et Schatz et al. en 2021, à propos de l’ambition européenne de préservation des sols (European Commission, 2021) ?

4Une démarche empirique est mise en œuvre, d’abord sur la définition contemporaine de l’artificialisation, car "les effets de cadrage sont essentiels pour comprendre le contenu des médias" (Beauguitte et al., 2016). Elle tend à démontrer que cette notion est initialement statistique et, sans être spécifique, particulièrement ancrée en France (Cavailhès, 2020). Elle dépend des contextes nationaux quant à la déclinaison de la "feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources" (European Commission, 2011). L’apparition récente d’une définition juridique en France et la coexistence d’autres acceptions plus anciennes amènent à ne pas formaliser ou retenir une définition de cette dernière. Des définitions multiples existent dans la presse au cours du temps et une démarche sans a priori permet d’en saisir les représentations. Par la suite, la démarche méthodologique est exposée afin d’étudier les dimensions spatiales et temporelles de l’artificialisation dans la presse française (79 journaux). À partir des titres, des mots clefs et du nombre d’articles, elle illustre d’une certaine façon son jaillissement dans le débat public et permet d’identifier les 4 grandes formes de représentation de l’artificialisation dans les discours. La troisième partie correspond tout d’abord à une analyse plus approfondie du contenu des articles mentionnant artificialisation (registres lexicaux), dans neuf titres de presse. Elle porte ensuite sur la géographie de la diffusion et de la production d’information sur l’artificialisation dans le Nord de la France à partir d’un recensement des toponymes dans les articles de La Voix du Nord. Il est alors possible d’établir que cette notion est mobilisée dans la presse à la fois autour d’enjeux locaux de l’aménagement du territoire, comme variable de contexte des dynamiques des marchés fonciers et immobiliers et dans des argumentaires à portée environnementale sur la biodiversité et le changement climatique.

L’artificialisation : une notion floue apparue par un effet miroir et effet d’agglomération de la statistique publique

  • 1 Loi n°85-30 du 9 janvier 1985 (montagne) ; loi n°86-2 du 3 janvier 1986 (littoral) ; loi n°99-574 d (...)
  • 2 Décret n°2022-762 du 29 avril 2022 (déclinaison de l’objectif national en région) ; loi n°2023-630 (...)

5Avant la loi climat et résilience en France, la notion d’artificialisation a fait l’objet d’interrogations quant à ses dimensions conceptuelles, tant sur le plan de sa métrologie (Chéry et al., 2014), de ses impacts environnementaux (Béchet et al., 2017), du droit (Desrousseaux et al., 2019) et des comparaisons internationales (Languillon-Aussel, Naudin, 2023 ; Colsaet et al., 2018). En devenant progressivement une notion à dimension procédurale plus contraignante1 dans le corpus législatif, ces interrogations n’ont eu de cesse d’être ravivées et alimentent des représentations multiples dans les controverses scientifiques et médiatiques (Raynaud, 2018). Aux arcanes de l’affirmation d’une définition juridique entre 2021 et le début de l’année 20242 en France, s’est ainsi adossée une série d’interrogations sur la faisabilité de mise en œuvre de limitations et compensations qualitatives et quantitatives de l’artificialisation (Doré, 2024 ; Charmes, 2023). Hendrickx et Halleux (2023) identifient trois différents concepts aux fondements de l’artificialisation qui sont individuellement sources de contradictions et de confusions lorsqu’ils sont croisés.

6Tout d’abord, l’approche écosystémique oppose l’intensité de l’artificialisation au degré de naturalité des milieux. Dans le champ de l’aménagement du territoire, les réponses opérationnelles apportées ont consisté, ces dernières décennies, à préserver et développer des réseaux écologiques par le biais des outils d’urbanisme trames verte et bleue. Se posent alors les questions de connectivité et fragmentation des habitats naturels (Franchomme et al., 2013) et de l’historicité des modifications de ces derniers (Dumont, 2022). Ensuite, l’approche par les sols porte sur la biodiversité du substrat, sa relation avec les cycles atmosphériques (perméabilité, échanges gazeux, etc.) et dans une moindre mesure sur la qualité agronomique (Burrow, 2015). Le degré d’artificialisation est alors débattu entre par exemple les potagers ou parcs urbains et les parcelles de cultures intensives (Cavailhès, 2020). Enfin, l’approche fonctionnelle de la consommation foncière est centrée sur les terres, leur disparition, la réversibilité des usages socio-économiques et la dépollution des milieux (Desrousseaux et al., 2019).

7Depraz et Chatelard (2023) précisent que ces trois approches, en corollaire des hésitations politiques dans la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation (Billet, 2017), sont à l’origine de la "fragilité de la mesure" de cette dernière. Malgré le flou de la notion, il apparaît qu’elle est pérenne dans l’histoire contemporaine des dispositifs de suivi-évaluation des politiques publiques, notamment environnementales. En effet, elle est mobilisée :

  • Depuis les années 1990 pour décrire les évolutions de l’occupation/utilisation du sol ;

  • Durant les années 2000 avec la volonté renforcée de limiter la consommation d’espace ;

  • À partir de 2010 avec l’idée de consommation foncière ;

  • Depuis 2015 avec l’inventaire des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) ;

  • Depuis 2021, elle est la pierre angulaire des dispositifs d’évaluation du ZAN.

8Ainsi, l’artificialisation en tant que notion existe par la nécessaire mesure du monde dans la statistique publique (Desrosières, 2014). Elle décrit un processus qui a été formalisé par le biais de nomenclatures décrivant les états de surface et leurs évolutions. D’une part, la statistique agricole, développée pour suivre le mouvement productiviste de l’agriculture après la Seconde Guerre mondiale, a progressivement proposé quatre types principaux d’utilisation du sol3 : agricole ; forestière ; considérée comme naturelle ; et le reste correspondant aux sols artificialisés. Autrement dit, ce qui est artificiel est déduit par effet miroir ou d’opposition dans une lecture productiviste de l’espace. À partir du niveau de nomenclature de synthèse en 3 catégories, l’évolution des sols artificialisés est calculée pour mesurer l’évolution de l’artificialisation à l’échelon départemental et plus ou moins tous les 3 ans selon les capacités techniques du plan d’échantillonnage mis en œuvre. D’autre part, initié en 1983, le dispositif européen de Coordination de l’information sur l’environnement (CORINE) a donné lieu à la production de cartographies d’occupation et d’utilisation du sol (CORINE Land Cover) en 1990, 2000, 2006, 2012 et 2018. Corine Land Cover s’appuie sur une nomenclature en trois niveaux, dont le niveau le plus simple assemble 11 catégories d’occupation/utilisation du sol regroupées sous le terme de territoires artificialisés. L’évolution de cet assemblage au détriment des territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels, zones humides et surfaces en eau4 correspond, dans cette approche écosystémique, à l’artificialisation. Celle-ci est alors déduite par effet d’agglomération d’objets cartographiques hétérogènes, détectés notamment à partir d’images satellitales, selon un protocole technique commun à l’ensemble des pays européens. La base de données Corine Land Cover a inspiré de nombreuses productions cartographiques plus précises (Comber, 2008).

9En 2020, Cavailhès (2020) indique que l’artificialisation est une notion "franco-française" et précise qu’une revue de la littérature internationale montre, en 2017, "que les notions d’urbanisation (urbanization) ou d’imperméabilisation (soil sealing) sont utilisées préférentiellement" (Béchet et al., 2017). Sa construction statistique et son emploi dans les bases de données TERUTI-LUCAS et Corine Land Cover ont néanmoins conduit à son recours dans les inventaires environnementaux de l’Union Européenne. De plus, et malgré une distinction souvent ténue entre "land take" et "land consumption" (Marquard et al., 2020), les pays de l’Union Européenne ont progressivement mobilisé l’objectif "zero land take" dans leurs politiques d’aménagement du territoire (Decoville, Schneider, 2016) avec les obligations de mesures des incidences sur l’environnement des aménagements (Panagos et al., 2022) et plus récemment la préservation des sols (European Commission, 2021). Toutefois, les dispositifs nationaux "zero land take" sont fonction de l’organisation administrative et de la répartition des compétences entre échelons territoriaux au sein de chaque État, y compris en termes de définition de l’artificialisation (Decoville, Feltgen, 2023).

10D’une source de donnée à l’autre, l’artificialisation varie du simple au triple depuis une quinzaine d’années en France (160 km² à 610 km² par an en moyenne). Toutefois et malgré une amnésie plus ou moins marquée liée aux évolutions techniques de ces bases de données rendant le suivi moins précis sur le temps long, les différentes sources s’accordent sur un ralentissement de l’artificialisation par rapport aux années 1990 et 2000 (Bousquet et al., 2013).

11Devenu objet juridique à portée réglementaire, l’artificialisation a donc nécessité le déploiement d’instruments de mesure spécifique (Lascoumes, Le Galès, 2005). En vue de quantifier la réduction de 50 % de l’artificialisation sur la période 2021-2031, la recherche d’un référentiel commun sur la période antérieure a retenu les fichiers fonciers, accessibles depuis 2009 auprès des services fiscaux (Bocquet, 2019). Attribuant la qualification d’artificialisées aux parcelles contenant un bâtiment et reposant sur une démarche déclarative, elle constitue un socle commun de compromis pour définir des ordres de grandeur. Le suivi/évaluation de la division par deux de l’artificialisation et des mesures compensatoires reposera, à termes, sur les bases de données d’occupation des sols à grande échelle (OCS GE) en cours de réalisation sur la France entière. Malgré leur niveau d’exhaustivité élevé, des difficultés d’interprétation de l’artificialisation semblent d’ores et déjà présager de la jurisprudence relative à la qualification de l’espace, à l’instar du caractère artificialisé ou non de jardins attenants de maisons individuelles (Charmes, 2023).

12L’artificialisation est ainsi une notion floue issue de la statistique publique et un objet du droit. Les représentations d’un tel objet dans la presse française n’ont, à notre connaissance, pas été étudiées. Une telle démarche implique de déployer un protocole méthodologique combinant analyse statistique, lexicale et spatiale.

Production et diffusion d’information sur l’artificialisation par la presse française de 1982 à mars 2024

Les articles de presse comme matériaux de recherche

13Afin d’étudier l’emploi du terme "artificialisation" dans la presse française (régionale, nationale, quotidienne et mensuelle), un protocole de collecte et d’harmonisation des articles de presse a été mis en œuvre en suivant cinq étapes. Les quatre premières ont tout particulièrement été mobilisées dans la deuxième partie de l’article et la cinquième sert les analyses développées dans la troisième partie.

  • 5 L’archive et les outils de recherche de ce site étaient en maintenance et changement structurel en (...)

14(1) Une première approche exploratoire a été menée sans a priori quant aux journaux francophones présents dans les bouquets généralistes de presse (MediaCloud5 ou Europresse). Elle a permis de ne retenir que les journaux mobilisant au moins une fois le mot "artificialisation" dans les titres, mots clefs ou articles et d’exclure ceux l’employant pour aborder uniquement d’autres thématiques (artistiques notamment). 79 journaux ont mentionné au moins une fois "artificialisation" sur la période 1982-mars 2024.

15(2) La couverture spatiale de ces journaux a été estimée à partir de leur tirage et de leur audience6 en vue de couvrir un panorama représentatif de la presse écrite (Charon, 2003). Par la suite, les 79 titres ont été répertoriés en distinguant d’une part la presse quotidienne nationale (PNQ), hebdomadaire (PNH) et mensuelle ou bimensuelle (PNM) ; et d’autre part la presse quotidienne régionale (PQR, Bousquet, Amiel, 2021). Un tel corpus est régulièrement utilisé depuis les années 1960 en Amérique du Nord (Villeneuve et al., 2006) et la fin des années 1990 en France (Charlier, 1999) dans l’étude des représentations des enjeux d’aménagement du territoire. Les deux échelles fournissent un matériau reflétant à la fois la dimension législative et nationale de l’artificialisation, notamment avec la loi climat et résilience, et sa dimension locale et parfois conflictuelle (Torre et al., 2016).

16(3) Par la suite, l’ensemble des articles dans les 79 titres recensés ont été collectés en combinant des requêtes sur les titres, mots clefs (tags) et contenu des articles et des techniques de scraping des archives des journaux retenus.

  • 7 Doublon entre le Parisien et Aujourd’hui en France ou entre les éditions locales de la PQR.

17(4) Une étape de consolidation a permis de supprimer les doublons, à l’instar des articles publiés au format papier et sur le site Internet des journaux7

  • 8 Le contenu a fait l’objet d’un fastidieux traitement d’harmonisation et standardisation (balises de (...)

18(5) La dernière étape a consisté à structurer l’information (nom du journal, titre de l’article, nombre de mots, contenu lexical8, mots clefs) dans une base de données comprenant 15 834 articles et de relever les toponymes dans les articles d’un journal de la PQR.

De la marge académique au nouveau paradigme de l’urbanisme : l’artificialisation, un objet de la presse à quatre dimensions

  • 9 Les zooms correspondent à la loi Engagement National pour l’Environnement (deuxième graphique), aux (...)
  • 10 Une telle concentration temporelle est comparable à celles relevée sur les sites d’analyses de tend (...)

19Au regard du nombre d’articles parus employant le terme "artificialisation" au cours du temps, il apparaît clairement que le vocable est indéniablement sorti du giron académique et analytique dans lequel il était circonscrit depuis les années 1980 (figure 1)9. L’article (318 mots) paru dans Les Échos le 24 avril 1991 "L’environnement cherche ses indicateurs" illustre la portée, initialement métrologique, de la notion. Il s’agissait d’un indicateur parmi d’autres relatifs à l’idée que "sans statistiques fiables, pas d'information, et sans information, pas de politique fondée". Le terme est devenu progressivement un mot de la production et de la diffusion de l’information par la presse à partir de la fin des années 2010. En effet, plus de 80 % des articles sont postérieurs à 2018 et moins de 500 ont été recensés avant 201010. En ce sens, la presse illustre le changement de paradigme de l’urbanisme (Soler-Couteaux, Strebler, 2021) à l’instar de l’article "En ville, les bénéfices d’un usage intense des bâtiments sont nombreux" paru dans Le Monde le 12 janvier 2023 dans lequel il est question de "retravailler, parcelle par parcelle, l’usage de nos espaces".

20La concentration temporelle tient principalement à la médiatisation législative du vocable, mais celle-ci a également des incidences sur la façon dont sont produites et diffusées les représentations de l’artificialisation. Les représentations protéiformes de l’artificialisation s’inscrivent dans des approches écosystémique, fonctionnelle, par les sols (Hendrickx, Halleux, 2023) et sont également éminemment dans le champ social au regard d’une analyse thématique de l’occurrence des vocables associés à l’artificialisation dans les articles de presse (Paillé, Mucchielli, 2021).

21En tant qu’objet juridique, les pics d’articles relatifs à l’artificialisation s’expliquent :

    • 11 "Les Bretons sont trop gourmands en terrains", Le Télégramme, 4 février 2011.

    En 2012-2013, par l’application de la loi Engagement National pour l’Environnement (n°2010-788 du 12 juillet 2010), et notamment par les difficultés rencontrées dans le calcul des comptes fonciers dans les SCoT11 ;

    • 12 "Les principales mesures pour changer la donne", Midi Libre, 5 juillet 2018.

    En 2018, à la suite de la publication du Plan Biodiversité (devenu, en 2024, Stratégie Nationale Biodiversité 2030, SNB)12 qui contient un volet relatif à l’artificialisation ;

  • Entre fin 2019 et mi 2020, la convention citoyenne pour le Climat qui propose dans la thématique "se loger" de "définir une enveloppe restrictive du nombre d'hectares maximum pouvant être artificialisés réduisant par 2 l’artificialisation des sols"13 ;

    • 14 "Climat et résilience : Cette loi devrait se traduire dans un éco-urbanisme qui a la transition éco (...)

    En 2021 et 2022 avec la loi climat et résilience14 ;

    • 15 "Lutte contre l'artificialisation des sols : l'Assemblée veut rassurer les maires", La Tribune, 27 (...)

    En 2023 et 2024 avec les modifications législatives introduisant la garantie communale de 1 hectare en cas d’existence d’un document d’urbanisme et de projets argumentés, ainsi que les Projets d’Envergure Nationale et Européenne (PENE, loi n°2023-630 du 20 juillet 2023)15.

  • 16 "En France, une biodiversité sous haute pression", Le Monde, 16 mars 2015.
  • 17 "Aux péages pour défendre la terre agricole", La Nouvelle République du Centre-Ouest, 17 janvier 20 (...)
  • 18 "La Croix-Blanche : face aux promoteurs des « Horlogers du temps », ils ont remis les pendules à l' (...)
  • 19 "Pourquoi le zéro artificialisation nette angoisse les élus ruraux", La Provence, 27 novembre 2023  (...)

22L’artificialisation est aussi un objet environnemental, tout particulièrement dans les articles de presse les plus anciens où il est question de la "destruction"16 des milieux naturels ou de la perte de "terres agricoles"17. Elle est également un objet sociétal, dans la mesure où le vocable est utilisé à des fins contextuelles dans des articles portant sur des projets urbains locaux18. Un tel emploi semble d’ailleurs plus courant à partir de 2021. Elle est enfin un objet conflictuel dans le cadre des atermoiements législatifs autour du ZAN et des contestations de projets d’aménagement19 (bassines, autoroutes, etc.).

Figure 1 : Évolution du nombre d’articles de presses parus entre 1982 et mars 2024 employant "artificialisation"

Figure 1 : Évolution du nombre d’articles de presses parus entre 1982 et mars 2024 employant "artificialisation"
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Schmitt, 2024.

  • 20 Correspondant à 75 % du corpus.
  • 21 "Artificialisation des sols : un plan de lutte en préparation", Les Échos, 25 juillet 2019.
  • 22 "En France, le vivant s'érode à grands pas", L’Humanité, 10 janvier 2019 ; "Villes et climat : prom (...)

23Parmi les journaux ayant publiés le plus d’articles comprenant le terme "artificialisation", l’année 2023 et le premier trimestre 2024 concentrent la majorité des articles (figure 2)20. Ils correspondent pour la plupart à des articles portant sur la déclinaison locale et les adaptations de la loi climat et résilience. Le profil temporel des journaux révèle quelques spécificités dans la presse nationale avec une presse à vocation économique21 s’emparant plus tôt et plus fortement du sujet, ainsi que la presse nationale traitant régulièrement des enjeux environnementaux22. La PQR du centre et de l’Ouest aborde la question en amont de la loi climat et résilience, notamment en relatant les débats en conseil municipal ou communautaire.

Figure 2 : Intensité des publications contenant "artificialisation" entre 2019 et mars 2024 dans les principaux journaux (intensité trimestrielle en proportion du nombre d’articles de chaque journal)

Figure 2 : Intensité des publications contenant "artificialisation" entre 2019 et mars 2024 dans les principaux journaux (intensité trimestrielle en proportion du nombre d’articles de chaque journal)
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Schmitt, 2024.

24Le nombre d’articles de presse fournit ainsi une première analyse des représentations de l’artificialisation au cours du temps en France métropolitaine. Une telle variable s’avère toutefois insuffisante pour déceler les registres argumentatifs et les éventuelles évolutions dans la mobilisation d’un objet à plusieurs dimensions ayant connu un regain de notoriété ces dernières années. Par sa portée heuristique, l’analyse lexicale permet de cerner davantage les représentations de l’artificialisation dans les discours sur l’espace (Mazière, 2018).

Des représentations plurielles contribuant à l’affirmation d’un nouveau paradigme opératoire

25L’analyse du discours est une méthode de plus en couramment utilisée en géographie (Lees, 2004). Plus précisément, l’analyse lexicale permet d’étudier sans a priori un corpus sémantique volumineux et de déceler des thèmes ou des tendances en fonction des mots significatifs et de leur cooccurrences (De La Haye Saint Hilaire et al., 2022). La presse constitue un matériau de premier ordre dans l’étude des représentations d’objet tels que les frontières ou le changement climatique (Leconte, 2022 ; Gassiat, Verger, 2016).

Analyse lexicale de la presse quotidienne portant sur l’artificialisation

  • 23 Le choix des dates permet d’homogénéiser le corpus sur le plan temporel et de disposer d’un nombre (...)
  • 24 Correspondant à 40 % des articles collectés et 50 % sur la période 2011-mars 2024.

26Dans cette perspective, une classification hiérarchique descendante est réalisée sur le lexique des articles, parus entre 2011 et mars 2024, des 9 journaux ayant le plus mobilisé "artificialisation"23 à partir du logiciel Iramuteq (Ratinaud, Déjean, 2009, figure 3)24. Il existe une hétérogénéité dans le nombre et la longueur des articles entre la PQN et au sein de la PQR s’expliquant par des différences de ligne éditoriale. Pour éviter la minimisation ou la maximisation relative au volume de chaque journal, des classifications séparées sont successivement réalisées et comparées à partir de méthodes et d’indicateurs statistiques usuels.

Figure 3 : Principales variables statiques des 9 journaux analysés

Figure 3 : Principales variables statiques des 9 journaux analysés
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Schmitt, 2024.

  • 25 Voir Audouit et al., 2022 pour une synthèse bibliographique et technique.

27Cette méthode éprouvée25 permet d’identifier les thématiques du matériau textuel et de réaliser un classement en maximisant le contraste des profils lexicaux. Les variations statistiques (volumétrie, longueur des articles, etc.) et stylistiques (formes actives ou passives, etc.) du corpus sont ainsi, d’une part, amoindries par la réalisation de classification par titre de presse (sous-corpus), et d’autre part par la lemmatisation des mots et la suppression de ceux d’usage courant (pronoms, verbes être, avoir, etc.). En aval de cette approche statistique, l’interprétation est plus conséquente, tout particulièrement dans la dénomination des classes et leurs significations (Delavigne, 2004). Après consultation des dendrogrammes, des axes factoriels, de la significativité statistique (chi²) des mots présents dans une classe et des verbatims en rapport, il apparaît que sept registres lexicaux sont mobilisés lors de l’emploi du vocable "artificialisation". Ces registres peuvent coexister dans le même article et des articles peuvent être majoritairement dans un registre spécifique.

Les sept registres lexicaux de l’artificialisation dans la presse

  • 26 45 articles entre 2023 et mars 2024.
  • 27 "Le premier bilan de l'Observatoire de la biodiversité", 23 mai 2011 ; "Dans la région, quelle prot (...)

28Le premier registre lexical correspond aux questions écologiques et environnementales, oscillant entre 12,8 % (La Provence) et 39,2 % du total des mots d’un journal (La Voix du Nord, figure 4). Pour cette dernière, une telle proportion s’explique par le nombre d’articles portant sur les inondations26 dans le Pas-de-Calais et d’autres, présents de 2011 à mars 2024, rapportant des diagnostics réalisés par les observatoires environnementaux régionaux27. Les mots les plus significatifs gravitent autour de la biodiversité et du changement climatique.

  • 28 "Le Lochois émet davantage de gaz à effet de serre que la moyenne nationale", 1er octobre 2018.
  • 29 "L’appel au « sursaut » du Haut Conseil pour le climat", 1er juillet 2022.

29Au regard des arbres de classification, La Nouvelle République28 (14 %) et Le Monde29 (21,7 %) ont un registre lexical proche gravitant autour du changement climatique et des mesures d’adaptation essentiellement orienté sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (agriculture, énergie et bâtiment).

Figure 4 : Les registres lexicaux de l’artificialisation dans la presse française (2011-mars 2024)

Figure 4 : Les registres lexicaux de l’artificialisation dans la presse française (2011-mars 2024)
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Schmitt, 2024.

  • 30 "Le boulevard du Parisis légitimé, les opposants indignés", 23 juin 2023.
  • 31 "Sur le plateau de Saclay, la dernière ZAD d'Île-de-France", 12 mai 2022.
  • 32 Il en est de même pour La Provence avec le registre suivant.

30Les conflits d’aménagement du territoire occupent entre 10,5 % (La Voix du Nord) et 30,5 % (La Provence) des articles étudiés. Pour le Parisien, les conflits rapportés ou commentés sont, d’une part, relatifs aux infrastructures de transport30 et d’autres part aux projets urbains majeurs31 contestés au titre de la préservation de la production agricole. Sans être absent de La Nouvelle République, ce registre lexical ne se démarque pas particulièrement et apparaît dilué dans les autres classes32.

  • 33 "Ces quatre zones commerciales vont se réinventer", 28 mars 2024.
  • 34 "L'embolisation de Bordeaux devrait profiter aux territoires adjacents", 5 décembre 2019.
  • 35 "Feu sur la centrale solaire !", 9 février 2011.
  • 36 "Préserver les ressources naturelles : l'exemple des abords de la Turdine", 29 mai 2021.

31Lié à la nature de la PQR, le registre lexical commentant des projets urbains varie entre 12,9 % (Le Parisien) et 26 % du contenu des articles (La Nouvelle République). Les mots les plus significatifs varient en fonction des spécificités des projets en région : réhabilitation des espaces (Le Télégramme)33, les mobilités en ville (Sud Ouest)34, l’énergie solaire (L’Est Républicain)35, la requalification et la dépollution (Le Progrès)36.

  • 37 "Grand Périgueux : pourquoi les communes perdent ou gagnent des habitants", Sud Ouest, 20 janvier 2 (...)
  • 38 "La construction toujours freinée par les maires", Le Progrès, 30 juillet 2021.
  • 39 "Pays basque : L'agent immobilier se prend, lui aussi, le marché en pleine face", Sud Ouest, 20 fév (...)

32Le cinquième registre lexical est relatif aux marchés fonciers et immobiliers et plus généralement à l’accès aux marchés du logement (12,6 % dans Sud Ouest et 25,6 % dans La Provence). La division par deux de la mobilisation d’espaces naturels et agricoles entre 2021 et 2031 et l’objectif ZAN sont particulièrement mobilisés dans des argumentaires sur la relation entre prix et offre foncière37 et dans les articles se faisant le relais d’opinion des promoteurs de logements neufs38, plus récemment dans une période de hausse des taux d’emprunt immobilier39.

  • 40 "Saint-Pierre-Quiberon, commune pilote pour l'étude du zéro artificialisation", Le Télégramme, 13 o (...)
  • 41 "Laurent Wauquiez renonce à ne pas respecter le dispositif « zéro artificialisation nette »", Le Mo (...)

33Le sixième registre correspond aux commentaires relatifs à la mise en œuvre de la loi climat et résilience (Acteurs/Loi, 8,4 % dans Le Monde et 26,4 % dans La Nouvelle République) Il correspond majoritairement à la description des évolutions des documents d’urbanisme40, du corpus législatif et dans une moindre mesure à des interviews ou des citations d’hommes et femmes politiques. Dans la presse nationale41, il se mêle à celui portant sur les élections.

  • 42 "Ils se sont trompés", Sud Ouest, 30 mars 2016.

34Le septième registre porte sur les élections et se concentre principalement sur les périodes électorales des élections présidentielles et municipales. L’artificialisation est principalement une variable de contexte42 dans ce registre lexical compris entre 8,7 % dans Le Télégramme et 20 % dans Sud Ouest.

35Les différences de volume de chaque registre lexical entre les journaux traduisent sans nul doute des lignes éditoriales et des stratégies commerciales différenciées dans une sphère médiatique en pleine mutation. Elles témoignent aussi du poids accordé aux représentations de l’artificialisation dans la presse régionale. Ses effets sur les milieux naturels et la production agricole apparaissent prépondérants. L’importance du registre des conflits témoigne de sa mobilisation et du changement en cours dans l’acceptabilité sociale des projets urbains. Elle est aussi un argument courant dans la description des difficultés de production de logements ou dans d’accès aux marchés fonciers et immobiliers. Le changement de paradigme de l’urbanisme qu’implique sa réduction et sa compensation est sans doute plus présent dans la presse spécialisée, bien que les évolutions du dispositif ZAN aient été particulièrement suivies dans les 9 journaux analysés. Afin d’étudier plus finement la dimension spatiale des représentations de l’artificialisation dans la PQR, une étude des lieux cités est menée dans le Nord de la France.

La géographie de la diffusion et de la production d’information de la presse quotidienne régionale : les articles de La Voix du Nord mentionnant "artificialisation"

  • 43 À partir des noms de communes, de regroupements intercommunaux, de SCoT et du fichier Fantoir (http (...)

36La PQR comprend des informations relatives à un "événement rapporté", "commenté" ou "provoqué" dans lesquelles les noms de lieux servent à contextualiser les articles (Bourdin et al., 2020). Ces lieux donnent à lire la géographie de la diffusion et de la production d’information sur l’artificialisation. Étant donné la complexité de la toponymie, nous avons restreint la démarche exploratoire43 aux occurrences dans les articles de La Voix du Nord mentionnant "artificialisation" entre 2005 et mars 2024 (Giraut et al., 2008, figure 5).

Figure 5 : Occurrence des lieux cités dans les articles de La Voix du Nord mentionnant "artificialisation" (2005-mars2024) dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais

Figure 5 : Occurrence des lieux cités dans les articles de La Voix du Nord mentionnant "artificialisation" (2005-mars2024) dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais
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Schmitt, 2024.

37La géographie des articles portant sur l’artificialisation dans le Nord de la France tient à cinq raisons :

    • 44 "Encore des capacités de construire dans les années à venir ?", 21 juin 2023.
    • 45 "Que peuvent faire les agglos pour accélérer la transition énergétique ?", 5 juillet 2021.

    La structure démographique du territoire. Les grandes agglomérations et leurs périphéries concentrent les articles portant sur des exemples de limitation de l’étalement urbain44 et de requalification des friches industrielles et commerciales45 ;

    • 46 "Canal Seine-Nord et canal de Condé-Pommeroeul : Janine Petit dénonce du gigantisme", 21 avril 2014
    • 47 "Le nouveau plan local d’urbanisme (PLU) de la MEL, une occasion manquée ?", 4 mars 2024.

    Les conflits ou tensions autour des projets d’aménagement d’envergure46 ou lors d’enquêtes publiques des documents d’urbanisme47 ;

    • 48 "Mais où sont nos paysages ?", 1 juin 2005.

    Au titre de la préservation de l’activité agricole48 ;

    • 49 "Les rivières devenaient folles", 3 mars 2024.

    Lorsque des aléas environnementaux sont récurrents49, à l’instar des inondations dans l’agglomération de Saint-Omer.

    • 50 "L'Agglo maubeugeoise tente d'influencer le SCOT sur la question des réserves foncières", 1 juin 20 (...)

    Plus occasionnellement, des territoires sont cités dans le cadre d’expérimentations urbaines menées au titre de politiques publiques de sobriété foncière (Maubeuge)50.

38La géographie des représentations de l’artificialisation par la PQR dans le Nord de la France illustre ainsi la mobilisation de manière répétée de cette notion initialement floue. Elle tend à démontrer que l’artificialisation est un argument indéniablement installé dans les discours sur l’espace et son évolution, et ce dans les territoires des plus denses au moins denses et sur des thématiques relatives à la protection des milieux naturels, la préservation du foncier agricole et le renouvellement urbain. En soit, la PQR du Nord de la France a accompagné la percolation de la notion, passant progressivement d’une cause d’érosion de la biodiversité, en passant par un facteur du changement climatique, à un paradigme d’un urbanisme davantage circulaire et moins alimenté par un foncier naturel et agricole, longtemps considéré comme principal gisement de la construction.

Conclusion

39Après une formalisation datant de plus d’une quarantaine d’années, l’artificialisation, notion définie par la statistique publique agricole et environnementale par effet miroir et d’agrégation, est désormais un objet médiatique affirmée. Consacrée sur le plan juridique au prix d’une définition nécessairement restrictive d’une notion initialement floue, la presse nationale et la presse locale ont contribué à sa diffusion, mais également à la production de représentations multiples. Elle est en effet façonnée à la fois en objet juridique, environnemental, sociétal et conflictuel.

40Malgré les mutations économiques et organisationnelles de la PQR, rendant la relation entre ses modes d’édition et la géographie de sa diffusion plus complexe que par le passé, il apparaît que l’artificialisation est convoquée dans toute la France métropolitaine dans des proportions variées selon les registres lexicaux invoquées. Ces registres transcrivent "des valeurs géographiques diffusées et promues par les médias" (Brennetot, 2009).

41Les registres écologiques et environnementaux sont présents dans les 9 titres de presse ayant été davantage investis et témoignent peu ou prou de conceptions des actions anthropiques comme étant perturbatrices d’un fonctionnement pensé comme naturel des écosystèmes. Le changement climatique y est mobilisé de manière diffuse à l’exception de la Nouvelle République et du Monde. L’artificialisation est aussi un argument très courant dans les articles relayant des opinions lors de grands conflits d’aménagement du territoire. L’attachement au lieu et à leur préservation (tant sur le plan des pratiques culturelles que du paysage) en sont généralement les clefs de voûte. Elle apparaît comme variable contextuelle dans la presse locale, dès lors qu’il s’agit d’évoquer des projets urbains en cours et de décrire les évolutions des marchés fonciers et immobiliers. La lutte contre l’artificialisation y est, pour le moins, présentée comme un paramètre à prendre en compte dans la démarche entrepreneuriale ou une contrainte au fonctionnement libéral de l’économie marchande. Les tergiversations législatives ont également fait l’objet d’articles de presse dédiés, tandis que les différentes élections ont, in fine, assez peu fait référence à l’artificialisation. Ces articles portent sur des interrogations relatives à la dimension procédurale et normative de la loi climat et résilience et l’interroge quant à l’égalité et l’équité des territoires. L’étude des représentations de l’artificialisation dans la presse révèle ainsi des approximations quant à sa définition juridique et son application. Les lieux cités dans les articles de La Voix du Nord témoignent toutefois d’une adéquation entre les enjeux locaux d’urbanisme et les débats en conseil municipal ou communautaire repris dans les éditions locales. Plus généralement, les articles n’évoquent qu’exceptionnellement les sols (dans leur dimension agronomique ou en termes de biodiversité), alors qu’il s’agit de l’un des enjeux majeurs sous-tendu de la loi climat et résilience, au regard de la définition de l’artificialisation retenue.

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Notes

1 Loi n°85-30 du 9 janvier 1985 (montagne) ; loi n°86-2 du 3 janvier 1986 (littoral) ; loi n°99-574 du 9 juillet 1999 (zone agricole protégée) ; loi n°2005-157 du 23 février 2005 (périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains) ; loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 (compte foncier dans les documents d’urbanisme) ; loi n°2014-366 du 24 mars 2014 (surface nécessaire à la construction) ; stratégie nationale bas-carbone (2015 et 2020 : diminution forte de la mobilisation de foncier agricole et naturel) ; loi n°2016-1087 du 8 août 2016 (Éviter, Réduire, Compenser) ; Plan Biodiversité du 4 juillet 2018 (ZAN) ; loi n°2021-1104 du 22 août 2021 (division par deux du rythme d’artificialisation en 2030 et compensation complète en 2050) ; loi n°2023-630 du 20 juillet 2023 (Projets d’Envergure Nationale et Européenne et garantie communale).

2 Décret n°2022-762 du 29 avril 2022 (déclinaison de l’objectif national en région) ; loi n°2023-630 du 20 juillet 2023 (accompagnement des élus) ; décret n°2023-1096 du 27 novembre 2023 (évaluation et suivi) ; décret n°2023-1097 du 27 novembre 2023 (territorialisation) ; décret n°2023-1098 du 27 novembre 2023 (conciliation régionale) ; décret n°2023-1259 du 26 décembre 2023 (friche) ; décret n°2023-1408 et arrêté du 29 décembre 2023 (photovoltaïque).

3 À partir de 1982, l’enquête par échantillonnage TERUTI à l’échelle française, puis TERUTI-LUCAS à l’échelle européenne en 2005. La dernière version de la double nomenclature (occupation/usage) est présentée en ligne. URL : https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/bases-donnees/teruti-lucas.

4 Terminologie de la nomenclature reprise en ligne. URL : https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/bases-donnees/corine-land-cover.

5 L’archive et les outils de recherche de ce site étaient en maintenance et changement structurel en avril 2024. Il a notamment été mobilisé par Grasland (2020) dans l’analyse du traitement de la pandémie dans la presse régionale.

6 ACPM : Audience et dénombrement des médias, [en ligne]. URL : https://www.acpm.fr/

7 Doublon entre le Parisien et Aujourd’hui en France ou entre les éditions locales de la PQR.

8 Le contenu a fait l’objet d’un fastidieux traitement d’harmonisation et standardisation (balises de mises en forme html, tabulation, caractères spéciaux, formatage aux normes Unicode, etc.).

9 Les zooms correspondent à la loi Engagement National pour l’Environnement (deuxième graphique), aux débats de la convention citoyenne pour le Climat et la loi climat et résilience (troisième et quatrième graphique). Le pas de temps du premier graphique est tri-annuel à partir de 2010 ou en fonction du faible nombre d’articles auparavant.

10 Une telle concentration temporelle est comparable à celles relevée sur les sites d’analyses de tendance de mots clefs dans les moteurs de recherche par exemple.

11 "Les Bretons sont trop gourmands en terrains", Le Télégramme, 4 février 2011.

12 "Les principales mesures pour changer la donne", Midi Libre, 5 juillet 2018.

13 [En ligne]. URL : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/se-loger-2/.

14 "Climat et résilience : Cette loi devrait se traduire dans un éco-urbanisme qui a la transition écologique pour objectif", Le Monde, 21 février 2021.

15 "Lutte contre l'artificialisation des sols : l'Assemblée veut rassurer les maires", La Tribune, 27 juin 2023.

16 "En France, une biodiversité sous haute pression", Le Monde, 16 mars 2015.

17 "Aux péages pour défendre la terre agricole", La Nouvelle République du Centre-Ouest, 17 janvier 2013.

18 "La Croix-Blanche : face aux promoteurs des « Horlogers du temps », ils ont remis les pendules à l'heure", Sud-Ouest, 21 juin 2022.

19 "Pourquoi le zéro artificialisation nette angoisse les élus ruraux", La Provence, 27 novembre 2023 ; "Tout grand projet d'équipement provoque désormais des conflits", La Croix, 4 novembre 2014.

20 Correspondant à 75 % du corpus.

21 "Artificialisation des sols : un plan de lutte en préparation", Les Échos, 25 juillet 2019.

22 "En France, le vivant s'érode à grands pas", L’Humanité, 10 janvier 2019 ; "Villes et climat : promotion canopée", Libération, 26 juillet 2019.

23 Le choix des dates permet d’homogénéiser le corpus sur le plan temporel et de disposer d’un nombre suffisant de textes pour mener les classifications. Certains titres de presse (Ouest-France) n’ont pu être retenus du fait de la très forte hétérogénéité des articles en termes de longueur notamment.

24 Correspondant à 40 % des articles collectés et 50 % sur la période 2011-mars 2024.

25 Voir Audouit et al., 2022 pour une synthèse bibliographique et technique.

26 45 articles entre 2023 et mars 2024.

27 "Le premier bilan de l'Observatoire de la biodiversité", 23 mai 2011 ; "Dans la région, quelle protection ?", 23 novembre 2017 ; "Des scénarios pour freiner l’artificialisation", 11 janvier 2024.

28 "Le Lochois émet davantage de gaz à effet de serre que la moyenne nationale", 1er octobre 2018.

29 "L’appel au « sursaut » du Haut Conseil pour le climat", 1er juillet 2022.

30 "Le boulevard du Parisis légitimé, les opposants indignés", 23 juin 2023.

31 "Sur le plateau de Saclay, la dernière ZAD d'Île-de-France", 12 mai 2022.

32 Il en est de même pour La Provence avec le registre suivant.

33 "Ces quatre zones commerciales vont se réinventer", 28 mars 2024.

34 "L'embolisation de Bordeaux devrait profiter aux territoires adjacents", 5 décembre 2019.

35 "Feu sur la centrale solaire !", 9 février 2011.

36 "Préserver les ressources naturelles : l'exemple des abords de la Turdine", 29 mai 2021.

37 "Grand Périgueux : pourquoi les communes perdent ou gagnent des habitants", Sud Ouest, 20 janvier 2022.

38 "La construction toujours freinée par les maires", Le Progrès, 30 juillet 2021.

39 "Pays basque : L'agent immobilier se prend, lui aussi, le marché en pleine face", Sud Ouest, 20 février 2024.

40 "Saint-Pierre-Quiberon, commune pilote pour l'étude du zéro artificialisation", Le Télégramme, 13 octobre 2021 ; "ZAN : Le sénateur Blanc veut que le gouvernement sorte "du flou"", La Provence, 16 décembre 2022.

41 "Laurent Wauquiez renonce à ne pas respecter le dispositif « zéro artificialisation nette »", Le Monde, 25 février 2024.

42 "Ils se sont trompés", Sud Ouest, 30 mars 2016.

43 À partir des noms de communes, de regroupements intercommunaux, de SCoT et du fichier Fantoir (https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/fichier-fantoir-des-voies-et-lieux-dits/). 2 089 occurrences ont été inventoriées au niveau de la rue, du lieu-dit et de la commune. Une occurrence par commune a été comptabilisée pour chaque article mentionnant la totalité du Nord et du Pas-de-Calais.

44 "Encore des capacités de construire dans les années à venir ?", 21 juin 2023.

45 "Que peuvent faire les agglos pour accélérer la transition énergétique ?", 5 juillet 2021.

46 "Canal Seine-Nord et canal de Condé-Pommeroeul : Janine Petit dénonce du gigantisme", 21 avril 2014.

47 "Le nouveau plan local d’urbanisme (PLU) de la MEL, une occasion manquée ?", 4 mars 2024.

48 "Mais où sont nos paysages ?", 1 juin 2005.

49 "Les rivières devenaient folles", 3 mars 2024.

50 "L'Agglo maubeugeoise tente d'influencer le SCOT sur la question des réserves foncières", 1 juin 2013.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Évolution du nombre d’articles de presses parus entre 1982 et mars 2024 employant "artificialisation"
Crédits Schmitt, 2024.
URL http://journals.openedition.org/cybergeo/docannexe/image/41502/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 376k
Titre Figure 2 : Intensité des publications contenant "artificialisation" entre 2019 et mars 2024 dans les principaux journaux (intensité trimestrielle en proportion du nombre d’articles de chaque journal)
Crédits Schmitt, 2024.
URL http://journals.openedition.org/cybergeo/docannexe/image/41502/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 352k
Titre Figure 3 : Principales variables statiques des 9 journaux analysés
Crédits Schmitt, 2024.
URL http://journals.openedition.org/cybergeo/docannexe/image/41502/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 228k
Titre Figure 4 : Les registres lexicaux de l’artificialisation dans la presse française (2011-mars 2024)
Crédits Schmitt, 2024.
URL http://journals.openedition.org/cybergeo/docannexe/image/41502/img-4.jpg
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Titre Figure 5 : Occurrence des lieux cités dans les articles de La Voix du Nord mentionnant "artificialisation" (2005-mars2024) dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais
Crédits Schmitt, 2024.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Schmitt, « L’artificialisation des sols dans la presse française. Évolution (1982-mars 2024) et disparités spatiales : d’une notion floue à un objet juridique aux représentations multiples », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Aménagement, Urbanisme, document 1081, mis en ligne le 11 décembre 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/41502 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12vzb

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Auteur

Guillaume Schmitt

Maître de conférences
Laboratoire de Recherche Sociétés & Humanités (LARSH), Université Polytechnique Hauts-de-France (UPHF), France
guillaume.schmitt@uphf.fr

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Droits d’auteur

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