Introduction

1Lors de sa transition vers un régime de marché, la Chine a accordé une priorité absolue au développement économique, un phénomène qualifié de "PIB-isme" (Sum, 2023). Cette approche a conduit à une urbanisation rapide, stimulant en retour l’industrialisation du pays. Cependant, ce modèle productiviste a entraîné d'importants problèmes environnementaux, notamment une pollution sévère et une surallocation des ressources foncières publiques vers l’immobilier résidentiel (inter allia Wang et al., 2023).

2Les petites villes n’ont pas été épargnées, loin s’en faut. Non seulement elles subissent la pollution au même titre que les grandes métropoles (Liu et al., 2019), mais elles pâtissent plus gravement du retournement de la crise immobilière du fait d’une suraccumulation de logements vacants (Li, 2017).

4Alors que les grandes régions urbaines bénéficient de ressources humaines, matérielles et financières considérables pour s'adapter à ce changement, les petites villes situées dans des régions reculées ne bénéficient pas des mêmes avantages. Là comme ailleurs, les responsables municipaux sont nommés par les autorités supérieures et promus selon leur capacité à générer de la croissance économique. Dans le contexte d’intense concurrence entre les responsables municipaux au niveau national pour attirer l’attention de Pékin, comment des villes de petite taille situées en lointaine périphérie de ces grandes agglomérations urbaines peuvent-elles espérer se positionner ?

5La littérature est peu diserte sur la question. Dans ce pays marqué par le gigantisme urbain, les entités catégorisées comme "petites villes", c’est-à-dire situées sous le seuil démographique de 500 000 habitants (selon la définition officielle de 2014 citée par Thierry Sanjuan, 2017, p. 290), sont restées très peu documentées par la littérature. Pourtant, comme le notent plusieurs auteurs, il serait risqué d’appliquer aux petites villes des considérations fondées sur l’analyse des grands centres urbains (Bell, Jayne, 2009 ; Tutusaus, 2017), leur trajectoire se situant souvent à la croisée de l’urbain et du rural (Satterthwaite, 2014).

6Dans le cas de la Chine, Thierry Sanjuan et Bruno Fayolle Lussac (2017) ont mis en évidence la fragilisation des petites villes situées en marge des méga-régions. Certaines d’entre elles se sont efforcées de promouvoir un modèle de développement distinctif, comme l’ont documenté Harvey Neo et Choon-Piew Pow (2015) pour la ville de Jinghong et Maylis Bellocq (2017) pour celle de Tongli. Cependant, ces travaux ne traitent pas de l’injonction gouvernementale au développement durable, qui s’est faite plus pressante à partir de 2015, modifiant les stratégies de carrière des cadres municipaux.

7Nous présentons ici le cas de Xianju, une petite ville devenue pionnière d’un modèle de "développement vert" (绿色发展, lǜsè fāzhǎn) autour d’un projet de Parc National. Grâce aux caractéristiques très singulières du paysage local, les dirigeants de Xianju ont été en mesure de mettre en œuvre un projet de "développement vert" se conformant aux attentes de leur hiérarchie. Cet article analyse les stratégies qu’ils ont déployées pour élaborer progressivement leur modèle de développement en s’adaptant à l’évolution constante des directives des niveaux hiérarchiques supérieurs, aux contraintes imposées par leurs bailleurs de fonds et aux transformations de l’environnement géopolitique du pays.

9Les résultats présentés s’appuient sur 50 entretiens semi-directifs et approfondis menés auprès d’une grande diversité d’acteurs de la ville au cours d’une période de trois ans, de 2017 à 2019. Ces données ont été enrichies par des expériences d’observation participante ainsi que par l’exploitation d’articles de presse, de statistiques officielles, de rapports d'experts et de littérature grise produite par des services gouvernementaux. La période couverte par notre enquête se situe au croisement de deux mandatures : celle de novembre 2011 à août 2016 qui a initié le projet de Parc, et celle d'août 2016 à avril 2020 qui l’a consolidé tout en élargissant le périmètre spatial et sectoriel du projet de développement territorial. Notre travail de terrain a dû être interrompu en raison de la pandémie de Covid 19, mais nous avons pu actualiser certaines informations en recourant à nos contacts locaux.

10Dans la première section, nous combinons trois champs de littérature pour proposer un cadre d’analyse rendant compte des principaux défis auxquels les villes chinoises sont confrontées dans leur quête d’un modèle de croissance répondant à la double injonction de productivisme et de "durabilité". Puis nous étudions comment les cadres municipaux de Xianju ont relevé ces défis dans le contexte particulier d’une petite ville.

Le difficile positionnement de l’État local dans un cadre macroéconomique productiviste

Le PIB-isme impulsé par "l’État Développeur"

11Il est généralement admis que le modèle de développement issu de la transition économique en Chine est fondé sur un principe productiviste commun à d’autres pays d’Asie orientale. L’État y joue un rôle primordial, analysé au prisme du concept de "l’État développeur" (developmental state). Introduit par Chalmers Johnson (1982) pour expliquer la croissance exceptionnelle du Japon dans l'après-guerre, ce concept a eu une portée heuristique considérable. Enrichi par les travaux d’Alice Hoffenberg Amsden (1989), de Meredith Woo-Cumings (1991) et de Robert Wade (1990), il a permis de comprendre le succès économique des "dragons" et des "tigres" asiatiques dans les années 1990 (Peng, Yang, 2013).

12Selon les théoriciens de ce champ, l’État développeur se caractérise par un engagement prioritaire envers la croissance économique. Il intervient sur le marché à travers une planification stratégique visant à stimuler le développement économique et à transformer la structure industrielle pour renforcer la compétitivité internationale (Cheng, 1999 ; Thurbon, 2014 ; Chen, Geng, 2017). En assurant le contrôle du crédit bancaire, il canalise ses ressources limitées vers des secteurs jugés stratégiques (Chen, 2006). Il maintient son autonomie en régulant les investissements étrangers par le biais de politiques protectionnistes (Cheng, 1999), tout en encourageant le capital privé à se tourner vers l'exportation (Maidment et al., 1998), pour accélérer la modernisation industrielle par un rattrapage technologique.

13Du fait de sa proximité géographique et de ses similitudes culturelles avec les pays sinisés de la région, la Chine a convergé vers le modèle de l’État développeur. Dès les années 1980, le Parti communiste chinois a fait du rattrapage industriel sa priorité (Heilmann, 2008), en accordant un soutien direct aux entreprises publiques par un système financier contrôlé par l'État et une croissance économique tirée par les exportations (Bolesta, 2007). Cette politique a été mise en œuvre au moyen des deux grands attributs du developmental state : une bureaucratie éclairée fondée sur un principe de recrutement méritocratique (Nee et al., 2007) et une agence de pilotage industriel investie d’importants pouvoirs (Baek, 2005). Cependant, l’État développeur chinois se distingue considérablement du modèle régional. La vaste étendue du territoire et la densité de la population chinoise rendent impossible un pilotage par le centre, de sorte que le pays a connu une décentralisation poussée du pouvoir économique vers les gouvernements locaux.

Décentralisation asymétrique et pression temporelle sur les cadres municipaux

14Avec l'ouverture de la Chine au marché, les gouvernements locaux ont en effet gagné une grande indépendance, disposant de pouvoirs et de compétences réglementaires, fiscales et administratives considérables (Zhou, 2008 ; Peng, 2009 ; Zhou, 2009). Pour autant, le gouvernement central n'a pas relâché son pouvoir politique. La Chine reste étroitement dirigée par le Parti communiste dans le cadre d’un régime "capitaliste d’État-parti" (party-state capitalism, Pearson et al., 2021). Les cadres municipaux ne sont pas élus par le peuple mais nommés par les échelons supérieurs du Parti communiste. Chien (2010) qualifie de "décentralisation asymétrique" ces rapports déséquilibrés entre l’État central et local.

15Les dirigeants locaux sont sélectionnés par un système d'évaluation axé sur la performance (Edin, 2003 ; Tsui, Wang, 2008 ; Lo, 2020), nommé "système de responsabilité cible" (目标责任制mùbiāo zérèn zhì) et répondant à un engagement contractuel : en début d’année, les cadres de niveau supérieur établissent des "cibles" de développement (objectifs chiffrés) que ceux de niveau directement inférieur doivent réaliser. À la fin de l'année, les performances de ces fonctionnaires sont évaluées selon leur capacité à atteindre les cibles fixées (Tsui, Wang, 2004 ; Wu, Zhang, 2007). Plusieurs indicateurs sont d’ordre politique (consolidation de l’organisation locale du PCC, conformité à la discipline et à l’idéologie du Parti) et social (éducation notamment), mais le plus grand poids est attribué aux performances économiques : montant des recettes publiques, de la croissance du PIB, des flux d'IDE, importance du commerce et de la production industrielle (Chen, Kung, 2016). Les dirigeants locaux sont donc incités à s'engager dans une compétition intense sur le plan économique.

16Toutefois, les bonnes performances ne suffisent pas : les cadres doivent agir dans un temps compressé car les opportunités de promotion sont soumises à des plafonds d'âge. Théoriquement, un dirigeant local dispose d’un mandat de cinq ans, renouvelable une fois, mais s’il n'est promu qu'à la fin de chaque mandat il plafonnera sur le même échelon à partir de 55 ans (Kou, Tsai, 2014). En pratique, le Parti décide de la nomination et de la durée des mandats. Il peut prendre à ce sujet une décision à tout moment, de sorte que les dirigeants municipaux ne connaissent pas à l’avance la durée effective de leur fonction (Chien, Woodworth, 2018). Celle-ci peut varier entre un et dix ans (Eaton, Kostka, 2014), mais s’établit en moyenne autour de 3,7 ans (Chen et al., 2017). Ces contraintes liées aux limites d’âge et à la durée incertaine des mandats obligent les dirigeants locaux à calibrer leurs futures performances sur du court terme (Chien, Woodworth, 2018).

17L’absence de responsabilité envers les citoyens ne fait que renforcer le court-termisme des agendas municipaux (Keefer, 2007 ; Wu, 2015). Pendant plusieurs décennies, les dirigeants locaux ont été incités à investir dans les industries polluantes et à forte intensité énergétique pour progresser dans leur carrière en stimulant la croissance du PIB (Jia, 2017). Chien et Woodworth considèrent que cette dynamique a donné lieu à la formation de coalitions de croissance locale se mobilisant pour stimuler le développement, qu'ils qualifient de "urban speed machines" (Chien, Woodworth, 2018, p. 6). À partir des années 2010, le système d'évaluation a subi des ajustements pour réduire les risques de pollution : les indicateurs liés à l'écologie, à la protection de l'environnement et à l'innovation se sont vus attribuer plus de poids. Des objectifs d'efficacité énergétique ont été intégrés dans le 12ème plan quinquennal (2011-2015), et les gouvernements locaux sont désormais évalués en fonction de la consommation d'énergie par unité de PIB (Zhu, Chertow, 2017).

Un déficit budgétaire structurel comblé par les recettes foncières

18Pour garantir la réussite du projet de développement local, l’investissement infrastructurel est incontournable. Or, la réforme fiscale de 1994 a opéré une recentralisation des recettes fiscales vers le gouvernement central, entraînant une baisse des revenus des collectivités locales (Wang et al., 2011). Celles-ci assument désormais plus de 80 % des dépenses, alors qu’elles doivent reverser plus de la moitié de leurs recettes fiscales au gouvernement central (Sorace, Hurst, 2016). Le fardeau est tout particulièrement lourd à porter pour des petites villes (Zhang, 2014).

20Ce processus a favorisé l’émergence d’un mécanisme de "méta-captation" des plus-values foncières (Aveline-Dubach, 2020, 2024), dont les ressorts ont été bien décrits par Fulong Wu (2015) : les gouvernements locaux consolident d’abord la base manufacturière de la ville en attirant des industriels (étrangers à l’origine, puis domestiques) par une offre de terrains à bas prix en périphérie urbaine. Cela accroît la production locale, les recettes fiscales et les valeurs foncières à mesure que les zones industrielles s'urbanisent. Ensuite, les droits d’usage foncier des sols viabilisés sont mis aux enchères auprès des promoteurs pour la production de logements privés. Les revenus de ces ventes servent à équilibrer les budgets locaux et à rembourser les dettes liées au développement des infrastructures. En faisant l’acquisition à bas coût des droits d’usage fonciers des agriculteurs des zones périurbaines et des résidents des périmètres de renouvellement urbain, les gouvernements locaux parviennent à capter une proportion très conséquente des plus-values foncières qu’ils contribuent à générer.

21Cette modalité particulière de financement de l’urbanisation présente également l’avantage pour les cadres municipaux de faire valoir plus facilement leurs performances auprès du gouvernement central (Guo, Hu, 2019). De ce fait, la construction d’infrastructures, le développement industriel et le financement de l’urbanisation par méta-captation de valeur foncière se sont combinés pour former un modèle de croissance économique longtemps considéré comme vertueux (Zhou, 2008 ; She, 2014). Cependant, la grave crise immobilière qui frappe la Chine depuis 2019 témoigne des grandes vulnérabilités de ce modèle.

22En associant les champs de littérature relatifs à l’injonction au productivisme, à la décentralisation asymétrique et au déficit structurel des budgets locaux, nous élaborons ici un cadre analytique permettant d’appréhender les défis auxquels sont confrontés les responsables municipaux en Chine. Ceux-ci sont de trois ordres : a) la nécessité de définir un objectif productiviste innovant et réaliste ; b) la mise en œuvre de ce projet dans un temps compressé, et c) les arbitrages imposés par les contraintes de financement du projet. Nous examinons dans la section suivante les stratégies déployées par les cadres municipaux de Xianju pour réaliser leur projet de "développement vert", dans le cadre des conditions particulières d’une petite ville.

Xianju, ville pionnière d’un modèle productiviste "vert"

23Le xian de Xianju est situé dans la province prospère du Zhejiang, à environ 100 km de la côte occidentale de la Chine (illustration 1). Bien qu'il soit proche des grandes villes les plus peuplées de la méga-région urbaine du delta du Yangtsé (à 220 km de Ningbo et Hangzhou, à 400 km de Shanghai), il reste isolé dans une région enclavée. La première liaison ferroviaire date de 2021, reliant Taizhou à Jinhua selon un axe est-ouest. Cette situation devrait évoluer avec le projet de train à grande vitesse, qui réduira le temps de trajet entre Xianju et Hangzhou à 80 minutes seulement.

Étape initiale : un projet axé sur la perspective d’un Parc National

29La mise en visibilité du projet de PNX entraîne un essor du tourisme. Au cours des quatre années de mandat de cette équipe municipale, de fin 2011 à 2016, les recettes du Parc (droits d’entrée, téléphérique) font plus que tripler, entraînant un accroissement des revenus du tourisme de la ville (graphiques 1 et 2).

30Il s’ensuit un taux de croissance économique de 10,7 % en moyenne annuelle à Xianju sur la période, supérieur aux taux de croissance national et provincial (respectivement 6,7 % et 7,5 % en 2016). Au-delà de ces performances remarquables, la mise en place du projet de PNX a permis aux cadres locaux de Xianju de renforcer leurs relations avec les échelons supérieurs. Cette première étape du "développement vert" est donc marquée par une avancée notable dans la carrière de ces dirigeants. Ainsi, le principal artisan du projet PNX, le secrétaire du Parti communiste de Xianju (fonction supérieure à celle du maire) est promu membre du Comité permanent du PCC de la préfecture de Taizhou en 2016, poste parmi les plus importants du niveau préfectoral. Toutefois, l’essor du tourisme autour du Parc ne suffit pas à assurer une croissance économique à long terme. Une redéfinition du projet de développement s’impose.

Deuxième étape : déployer la stratégie productiviste au-delà du Parc

31La nouvelle équipe municipale désignée en août 2016 doit relever un triple défi : actualiser les objectifs de développement économique de la ville pour se différencier de ses prédécesseurs et se démarquer de ses concurrents ; conformer le secteur industriel aux normes imposées par le Parc National et aux objectifs du développement durable ; éviter une décélération du rattrapage économique. Cette seconde génération est donc conduite à définir une stratégie de transition écologique bien plus affirmée que la précédente. Cependant, elle doit agir dans un délai restreint compte tenu des plafonds d’âge régissant les carrières des cadres. Ceci est particulièrement vrai pour la nouvelle secrétaire du PCC, qui a déjà 49 ans et risque de plafonner définitivement à cet échelon si elle n’est pas promue avant juin 2020.

32En 2018, la tutelle des Parcs Nationaux est attribuée au ministère des Ressources Naturelles. Xianju perd alors le soutien du ministère de la Protection de l’Environnement et se voit écarté du classement des dix sites pouvant prétendre à une labellisation en Parc National. Le prêt de l’AFD demeure néanmoins acquis. Il engage le gouvernement local à se plier aux concepts et normes techniques en ingénierie écologique défendus par la France, et impose l’intervention de bureaux d’études français dans le domaine de la conception, de la gestion et de la scénographie des espaces à protéger (entretien No.1, cadre de l’Asie à l’AFD, mai 2017). Un rapport d’avancement de l’aménagement du PNX doit être soumis tous les six mois à l'AFD, qui encadre la sélection des contractants mais ne peut pas s’opposer aux projets de construction connexes.

33Le modèle français de Parc régional reste un référentiel pertinent pour la nouvelle équipe, car il offre la possibilité de maintenir une distance concurrentielle grâce aux progrès en ingénierie écologique, tout en conférant à cette petite ville le prestige d'une collaboration avec un pays européen.

34Les cadres de Xianju déploient alors une stratégie en deux volets : s’approprier les acquis de l’équipe précédente sans subir les contraintes d’une labellisation officielle de Parc National, et élaborer un modèle de "développement vert" touchant une variété de secteurs et de territoires au sein du xian. Cette démarche procède par enchâssement successif de projets autour du Parc, cœur du modèle, à l’image de poupées gigogne. Elle permet aux cadres locaux de s’adapter en permanence aux attentes des niveaux supérieurs pour capter des ressources financières tout en stimulant un développement endogène.

Stratégie d’image de marque des produits locaux

35L’AFD avait préconisé l’établissement de normes de qualité uniformes pour les produits locaux (agriculture, artisanat, services). Une première initiative avait consisté à créer une marque locale pour les yangmei (Myrica rubra selon la nomination scientifique), un fruit emblématique de Xianju qui confère un paysage pittoresque aux collines du sud-est de la Chine (photo 1). La culture des yangmei à Xianju est associée à celle du thé ainsi qu’à l’élevage de poulets et à l’apiculture.

36Les cadres de la seconde génération accélèrent le développement de la marque locale yangmei en mettant en valeur le dispositif original de sa culture. Cette stratégie entre en parfaite adéquation avec la nouvelle orientation formulée en 2019 par le ministère de l’Agriculture, qui vise à développer des marques de produits régionaux. En 2020, plus de 220 villages producteurs locaux de yangmei ont rallié la marque yangmei de Xianju (Zhang, Ying, 2020), et le système original de culture de ce fruit est inclus en 2023 dans la liste SIPAM (systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial) de l'Organisation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture (FAO, 2023).

37Le gouvernement local étend alors sa stratégie de marque à divers produits agricoles du xian, donnant naissance en 2021 à la marque régionale Shenxian Danong. L'objectif est de devenir une référence pour la province du Zhejiang dans ce secteur.

Stimuler le tourisme dans le Parc

38En parallèle à la création de marques pour les produits régionaux, le gouvernement local développe des activités d’écotourisme (via ferrata, escalade, randonnée, VTT), tout particulièrement dans la zone de Shenxianju. Des compétitions sportives, telles que la "slackline" (pratique sportive s’apparentant au funambulisme) et le "marathon de la coulée verte" (photo 2), sont organisées pour mettre en valeur les paysages pittoresques.

39Ces initiatives font l’objet d’actives campagnes de promotion. Plusieurs reportages sur le PNX sont diffusés par des media locaux et provinciaux, voire nationaux : CCTV 10 en 2017 et sur CCTV 4 en 2019 (CCTV4 International, 2019). Le PNX attire également l'attention des médias internationaux : en 2016, la BBC évoque la controverse suscitée par le graffiti géant effectué sur une paroi par un alpiniste (BBC, 2016), et le Figaro a fait état en 2017 du jumelage entre PNX et le Parc naturel régional des Ballons des Vosges (Court, 2017).

40Entre 2016 et 2018, la coopération entre la France et la Chine joue un rôle crucial dans la promotion du Parc. Elle accroît le prestige de la petite ville et contribue à renforcer son attractivité auprès des touristes et des entrepreneurs.

Du tourisme rural à la villégiature

41L’essor de l’écotourisme, joint à l’investissement public en infrastructures (routes, parkings, installations électriques) entraîne le développement d’autres secteurs dans les zones rurales avoisinant le Parc, notamment l’hôtellerie, la restauration et le commerce. Le gouvernement local se sert du système de marque pour labelliser des chambres d'hôtes afin d’accroître le niveau général de qualité des services locaux. En 2019 est créée une "médaille gîte" décernée conjointement par l’AFD et le PNX. Contrairement aux pratiques courantes en Chine, les critères de qualité, largement imposées par l’AFD, ne portent pas sur les attributs conventionnels du confort intérieur mais sur les commodités en termes de nature, de durabilité, de voisinage, de protection de l'environnement et d’interaction communautaire. Ces exigences coïncident avec le positionnement de la municipalité de Xianju en matière de développement touristique local, à savoir devenir "l'arrière-cour du delta du Yangtze avec de l'air frais" (空气清新的长三角后花园kōngqì qīngxīnde chángsānjiǎo hòuhuāyuán).

42La montée en popularité du Parc encourage les initiatives privées dans les villages, suscitant le retour d’anciens résidents en quête de revenus devenus plus attractifs que dans les grandes villes. C'est particulièrement le cas du village de Xiaye, situé aux abords immédiats du Parc, où une centaine de gîtes sont ouverts entre 2015 et 2019, attirant environ 160 000 visiteurs par an.

43Le tourisme lié au parc connaît cependant des fluctuations saisonnières. Il avait été prévu dès 2003 de lisser ces variations en aménageant une zone de villégiature au nord du Parc, accessible par autoroute et proche de l’une des communes les plus dynamiques de la ville. L’objectif était d’y développer des ressources culturelles et d’attirer des entreprises du secteur de la santé et du bien-être pour inciter les résidents des métropoles à effectuer des séjours de moyenne et longue durée à Xianju. Cependant ce projet n’a pu décoller avant 2015.

44En 2016, la nouvelle équipe municipale établit un plan de développement de cette zone, dont elle espère tirer des recettes fiscales annuelles à hauteur de 450 millions de yuan (58 millions d’euros) d’ici à 2035. Le projet, dont la réalisation est actuellement en bonne voie, prévoit la création d’un incubateur culturel, l’aménagement d’une rue commerciale artisanale, des centres de soins et de conférence, un stade de sport, des résidences secondaires et des hôtels haut-de-gamme. À cela s’ajoute un écomusée réalisé conjointement par l’AFD et le PNX, ayant pour but de valoriser les "performances vertes" (绿色政绩, lǜsè zhèngjì) de Xianju.

Généralisation de la stratégie de "verdissement" vers le secteur industriel

45Cependant, le défi du "développement vert" concerne surtout le secteur industriel. Celui-ci comprend à Xianju principalement la pharmacie, la chimie, le caoutchouc et le plastique. En 2015, le gouvernement local instaure un système d’évaluation de la "performance globale" de ces entreprises pour éliminer les plus énergivores et polluantes. Ces performances sont évaluées selon cinq grands critères : la superficie occupée, la consommation d'électricité, l'indice de pollution, la contribution fiscale et le chiffre d'affaires.

46Seuls deux critères, la consommation d’électricité et la pollution, sont en lien avec les enjeux environnementaux. Le premier poursuit des objectifs d’efficacité énergétique et de décarbonation (la majeure partie de la production d’électricité étant thermique), tandis que le second vise la dépollution de l’air et des eaux : mesure de l’azote ammoniacal, du dioxyde de soufre, des oxydes d’azote et des composants organiques des eaux usées.

48Ce système d'évaluation est toutefois élaboré de manière à favoriser les grandes entreprises, en accordant des points supplémentaires en fonction de la taille (chiffre d’affaires et capitaux propres), de la contribution fiscale, ainsi que de la capacité à investir dans des équipements et technologies. Si ces points additionnels ne permettent pas aux grandes entreprises de qualité inférieure d'atteindre la catégorie A, ils les empêchent généralement de tomber dans la catégorie C. Deux facteurs principaux expliquent ces privilèges : tout d’abord, les grandes entreprises sont d’importants contributeurs des revenus fiscaux du xian ; ensuite, ce groupe comprend des entreprises d’État (State-Owned Enterprises, SOE) qui ont des liens très étroits avec les municipalités, du fait de leur statut public commun mais aussi de la mobilité des cadres entre les collectivités locales et les SOEs.

49L’illustration 3 représente la stratégie de transformation industrielle du gouvernement local de Xianju. Les zones de différentes couleurs représentent l'approche de la municipalité selon les critères de taille (chiffre d’affaires et capitaux propres) et de qualité (effets environnementaux, l'intensification de l’activité et de l'innovation). Le soutien public accordé aux entreprises dépend de leur position sur l'échelle de performance.

L’innovation technologique, clé du projet de mutation industrielle

50En sus de la modernisation des industries traditionnelles, le gouvernement local de Xianju cherche à attirer des industries à forte valeur ajoutée en lien avec des enjeux environnementaux. Sont privilégiés les secteurs de l’équipement médical (50 entreprises enregistrées à Xianju dans ce secteur en 2023), des nouveaux matériaux et du stockage de données massives. Pour encourager l'innovation technologique, le gouvernement local a intégré un indicateur de ratio de dépenses de R&D dans son système d'évaluation des entreprises, et accorde également des points bonus et des subventions pour les investissements, achats et qualifications liés à l'innovation technologique. Il alloue par ailleurs des fonds spéciaux pour recruter des talents dans des structures de R&D basées à Shanghai, Hangzhou ou Shenzhen, afin de stimuler l’innovation au sein des entreprises dont le siège social est basé à Xianju.

Déployer divers mécanismes de financement

Faible apport relatif des recettes foncières

53Une particularité notable de la structure de financement de Xianju est la contribution limitée des ventes foncières aux recettes municipales, ne représentant que 21 à 25 % du total des revenus (graphique 3), contre 50 % ou plus généralement dans les autres villes chinoises. Alors que l’investissement immobilier a connu une forte accélération partout en Chine au cours de la dernière décennie, cela n’a pas été le cas à Xianju où nous ne constatons qu’un accroissement modéré en 2019 et 2020 (graphique 4), malgré une augmentation assez significative des valeurs foncières, passées de 9 000 à 14 000 yuan/m² de 2016 à 2020 dans la ville-centre.

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55Les acteurs rencontrés à Xianju considèrent tous que la valorisation de l’immobilier tient au développement économique et démographique, et non pas aux effets d’une stratégie municipale de financement de l’urbanisation par des recettes foncières (entretien en mars 2019 : No.6, cadre municipal en charge du développement économique ; entretiens en décembre 2019 : No.28, directeur d'une entreprise investissant dans la zone de villégiature, No.29, cadre municipal en charge du logement et de la construction, No.39, directeur d’un centre commercial, No.48, responsable d’une entreprise de promotion immobilière).

56Les cadres municipaux de Xianju ne présentent pas des opinions convergentes sur la conduite à mener à l’égard des ventes de droits d’usage foncier. Ceux qui ne sont pas originaires de Xianju sont plus enclins à y recourir que les natifs (entretien No.6). Toutefois, l’attitude générale à l'égard du secteur immobilier reste très prudente. Comme le pouvoir d'achat immobilier dans les zones urbaines de Xianju provient principalement de la demande locale, le potentiel de valorisation foncière à capter n’est ni considérable ni stable. Les cadres municipaux craignent qu’une trop grande attention portée à ce secteur ne détourne les entrepreneurs de l’investissement productif.

Obtenir le soutien des échelons supérieurs

57Comme les fonds externes représentent la principale source de revenus locaux, il est essentiel de trouver des moyens efficaces pour mobiliser ces ressources, en particulier en recherchant le soutien des autorités supérieures, afin de favoriser le développement économique et de faire progresser la carrière des responsables locaux.

58Demander de l'aide à ses supérieurs n'est pas un signe d'incompétence : au contraire, si la demande porte sur un projet novateur, elle atteste de la compétence de l’équipe municipale. En sollicitant un soutien financier auprès de leurs tutelles, les cadres locaux confortent la pertinence du choix de leurs supérieurs, contribuant ainsi à une dynamique de rétroaction positive. C’est ainsi que les quatre cadres-clé de la mandature 2016-2020 parviennent tous à gravir un échelon (tableau 1). La secrétaire du PCC est devenue vice-présidente de la Conférence consultative politique de Taizhou, passant de l’échelon 7 à 6 (tableau 1).

Tableau 1 : Carrière des principaux cadres de Xianju (mandature 2016-2020)

Cadre	Poste en 2016	Fonctions obtenues par la promotion
Cadre A	Secrétaire du PCC de Xianju (échelon 7)	Printemps 2020 : vice-présidente de la Conférence consultative politique de Taizhou (échelon 6)
Cadre B	Maire (vice-secrétaire) de Xianju (échelon 7)	Mi-2020 : secrétaire du PCC de Xianju (échelon 7), même échelon mais poste plus important 2021 : membre du comité permanent du PCC de la préfecture de Jiaxing (échelon 6)
Cadre C	Directeur adjoint du PNX (échelon 10)	Automne 2016 : directeur du groupe pilote pour la construction du xian écologique (échelon 9) Fin 2016 : vice-président de la Conférence consultative politique de Xianju (échelon 8)
Cadre D	Directeur du PNX (échelon 9)	2019 : directeur du Bureau du développement et de la réforme de Xianju (échelon 9), même échelon mais poste plus important 2021 : cadre de la Commission d'inspection disciplinaire de Taizhou (échelon 8)

Li, 2024. Source : enquête des auteurs

59La nécessité de gagner l'appui des autorités supérieures a conduit, comme nous l’avons vu, à adopter une approche en poupée gigogne dans l'élaboration des politiques à Xianju. Les nouveaux dirigeants cherchent à préserver autant que possible l'héritage de leurs prédécesseurs tout en introduisant de nouveaux éléments, ce qui conduit à la réinterprétation des stratégies locales à mesure qu’émergent de nouvelles directives du gouvernement central et provincial. Cette approche permet à l’équipe municipale de bénéficier de soutiens externes à chaque étape. Chaque nouvelle strate est plus étendue que la précédente car elle engendre de nouveaux projets ou réintègre des projets existants pour impulser des synergies.

Le prêt souverain de l’AFD, une arme à double tranchant

60Parmi les sources de financement du projet de "développement vert", le prêt souverain de l’AFD, négocié par la mandature 2011-2016, a été un catalyseur de changement sur lequel l’équipe suivante a pu capitaliser. Au-delà des conditions financières avantageuses qu’offrait ce prêt – faibles taux d’intérêt et longs délais de remboursement –, il apportait l’expertise et le suivi de la maitrise d’ouvrage par l’AFD, véritable valeur ajoutée par rapport aux conditions d’autres bailleurs de fonds. De plus, l'AFD était en mesure de fournir des équipements, des techniques, des concepts et des partenariats avec des bureaux d’études et entreprises françaises. Ce prêt international a eu également un effet de levier appelant le financement de la China Construction Bank et l’aide des autorités supérieures. Comme le prêt souverain était attribué à l’État chinois mais garanti par la province du Zhejiang, les représentants du niveau provincial impliqués dans le processus d'approbation du prêt de l’AFD ont été incités à attribuer des financements complémentaires. Les cadres de Xianju ont pu ainsi se rapprocher des autorités provinciales, mais également de représentants du gouvernement central, comme la Commission Nationale du Développement de la Réforme, le ministère de la Protection de l’Environnement et le ministère des Finances. Pour tous ces acteurs, le prêt de l’AFD a fait du PNX un cas exemplaire de coopération internationale et de financement innovant dans la constitution du système de Parcs Nationaux en Chine, ainsi qu'un terrain d’expérimentation pour concilier conservation des ressources et développement économique. Cependant, ce prêt a été obtenu à un moment où il était considéré comme prestigieux de coopérer avec un bailleur de fonds européen. Par la suite, l’approche française est devenue facteur de contraintes grandissantes pour la municipalité de Xianju.

61Une première série de problèmes a relevé des contradictions entre l’approche environnementale de l’AFD et les exigences productivistes auxquelles les cadres locaux sont soumis. Les termes du prêt imposaient la conformité aux normes françaises du Parc National et des projets connexes. Or, pour les cadres locaux, les normes standard chinoises sont considérées comme suffisantes pour faire approuver les projets par les autorités supérieures. Les critères supplémentaires imposés par l'AFD grèvent les rendements des projets, compliquant de fait l'obtention des autorisations administratives et l’accès à d'autres financements. Les responsables locaux de Xianju estiment que le modèle français sert bien les intérêts de la région sur le long terme mais ne répond pas efficacement aux besoins immédiats (entretien No.5, cadre municipal en charge de l’aménagement du PNX, mars 2019). Ainsi, dans le domaine de la revitalisation rurale, ils considèrent le développement économique et infrastructurel comme un prérequis pour résoudre les problèmes sociaux de la population rurale, au risque de dénaturer la qualité esthétique du site. Le projet de réaménagement du village de Gongyu, présenté dans l’encadré suivant, illustre bien ces divergences d'approche.

62Une autre divergence concerne les modalités de gouvernance des Parcs. En France, le processus décisionnel des Parcs naturels régionaux est caractérisé par une approche ascendante, où l'initiative émane des élus des communes concernées, ainsi que des réseaux socioprofessionnels et des associations locales. En Chine, les décisions sont prises rapidement par un petit nombre de hauts dirigeants aux différents échelons. Le modèle de Charte à la française est donc incompatible avec l’organisation du pouvoir politique en Chine.

63Si la coopération franco-chinoise a pu être considérée comme vertueuse et conciliable avec les objectifs locaux au cours des premières années, la participation française a ensuite été perçue comme un frein au pouvoir de décision local. Cette perception a été considérablement renforcée au cours de la seconde mandature.

64La montée en puissance de la Chine en tant que bailleur international, exportateur de technologies et de valeurs – notamment au travers des "nouvelles routes de la soie" (Belt and Road Initiative) – a diminué l'importance de la coopération avec les pays développés pour les autorités supérieures chinoises. À la fin 2017, le gouvernement chinois a promu la "doctrine de la confiance en soi" (四个自信, sìgè zìxìn) comme principe fondamental, mettant l'accent sur la confiance en sa propre culture, ses institutions et sa production nationale dans tous les domaines. Cette orientation a donné lieu à un regain de nationalisme, notamment en réponse à la guerre commerciale avec les États-Unis en 2018 (Bouvier, Geng, Zhao 2024).

65Dans ce contexte, l'adoption de principes occidentaux de développement local revient à admettre implicitement l’infériorité chinoise. En conséquence, si expérimenter un modèle français dans un xian montagneux n’est pas en soi problématique, il devient risqué d’en faire la promotion. Les responsables locaux de Xianju réalisent qu'ils ont pris conscience de cette situation trop tardivement (entretien No.34, responsable du PNX, décembre 2019).

66La partie française a revu assez vite ses exigences de gouvernance participative du PNX, se concentrant plutôt sur la réalisation des objectifs fixés en commun (Verdier, 2019). Les principales parties impliquées – à savoir l'AFD, le gouvernement provincial du Zhejiang et la municipalité de Xianju – partagent le même objectif : achever les travaux d'infrastructure pour éviter un nouveau dépassement de délai. Ces constructions ont été retardées d'au moins trois ans en raison de diverses perturbations, telles que des retards dans la planification et les approbations des niveaux supérieurs, ainsi que les impacts associés à la pandémie de Covid 19. Bien que les échéances du projet aient été renégociées, ce retard est préjudiciable aux intérêts des dirigeants locaux actuels, qui doivent à leur tour assurer un pilotage économique et politique conforme aux attentes de leurs supérieurs.

Conclusion

67L'exemple de Xianju illustre comment, dans le contexte chinois, une petite ville peut faire preuve d’une plus grande agilité que des métropoles pour se positionner comme pionnière d’un "développement vert" conforme aux idéaux du projet de "civilisation écologique". Cette agilité découle de sa taille réduite, qui permet aux autorités municipales d'adopter des stratégies efficaces pour imposer des normes environnementales aux industries locales et attirer des financements externes, tout en minimisant les risques liés à un retournement immobilier. Le succès de cette stratégie s'explique également par l’imbrication de territoires urbains et ruraux caractéristiques d’une petite ville (au périmètre particulièrement étendu dans le contexte chinois d’un xian), favorisant la diversification des activités dans le cadre d’un projet de "verdissement" de l’économie. Bien évidemment, les qualités paysagères de Xianju, préservées des premières phases de l’industrialisation du pays, ont constitué une base incontournable de ce modèle productiviste.

68Au-delà des caractéristiques particulières des petites villes et de Xianju en particulier, on retrouve à l’échelle de ce xian le moteur de l’exceptionnelle croissance du pays : le principe de "décentralisation asymétrique" qui incite les cadres municipaux à mener à bien un projet de développement économique dans un temps compressé. Notre étude des stratégies des dirigeants de Xianju illustre bien le profond entremêlement de la démarche productiviste et de la stratégie d’avance concurrentielle s’associant aux recherches de financement. Il faut souligner la faible dépendance aux revenus fonciers de ce modèle de développement, ce qui préserve Xianju du danger d’un retournement des marchés immobiliers. L’agenda de développement urbain a plutôt procédé par emboîtement de projets successifs pour permettre l’adaptation à l’évolution continue des directives des instances supérieures afin d’obtenir des aides publiques. Ces directives, en retour, prennent racine dans les expérimentations locales, dont les plus réussies sont tournées en modèle par le gouvernement central ou les autorités provinciales, à l'instar de la marque de produits régionaux Shenxian Danong.

69Dans ce domaine de la revitalisation rurale et du développement touristique, le gouvernement local s’est fortement appuyé sur la coopération franco-chinoise comme outil de cofinancement et catalyseur d’innovation. Toutefois, certaines exigences liées au prêt de l’AFD (fréquentation des zones touristiques, gouvernance plus inclusive du Parc, etc.) n’ont pu être satisfaites du fait de l’incompatibilité de l’approche française avec les contraintes économiques et politiques imposées au niveau local par l’État-parti. Le prestige initial d’un partenariat avec la France s’est en outre mué en risque politique pour l’équipe municipale à mesure que se dégradaient les relations entre la Chine et l’Occident.

70Cet article n’avait pas pour objet de mesurer l'efficacité de la stratégie de "verdissement" menée par le gouvernement local de Xianju. Cependant, notre enquête met en lumière une conception étroite du développement durable, axée sur la diminution de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre – le pays s’étant engagé à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2060. Ces actions ont à l’évidence un effet bénéfique en réduisant les dommages sur l’environnement et la santé causés par une industrialisation jusqu'alors peu réglementée, tout en favorisant la création d’emploi et l’élévation du revenu des habitants. Cependant, la stratégie de "verdissement" tel que formulé par les autorités chinoises pourrait engendrer de nouveaux problèmes sociaux et environnementaux en raison de l'approche brutale de la politique économique, imposée sans concertation avec les acteurs concernés et se substituant à la politique sociale, de la tolérance à l’égard de la pollution par les grandes entreprises, de l'accent mis sur le tourisme de masse et plus généralement de la faible attention portée aux équilibres écologiques. Au-delà du cas chinois, ce constat rejoint l’analyse des chercheurs en écologie politique urbaine (inter allia Swyngedouw, Heynen, 2003 ; Keil, 2003 ; Kaika et al., 2023), qui soutiennent que les approches techno-centrées axées sur la performance et ancrées dans des logiques de marché constituent des obstacles majeurs à une véritable transition écologique au sein des capitalismes contemporains.