1. Cadre de l’étude

1Le cadre géographique de l’étude offre un ensemble structuré de plaines et de bas plateaux délimités de part et d’autre par des massifs montagnards culminant de 1300 à plus de 1700 m d’altitude : le massif vosgien au nord, les plateaux et la haute chaîne du Jura au sud/sud-est. Cette entité est loin de constituer un ensemble uniforme et offre un paysage contrasté. Entre 300 et 500 m d’altitude, les collines pré-jurassiennes, les avant-monts calcaires et les plateaux de Haute-Saône, compartimentent l’espace et offrent une multitude de reliefs escarpés propices à l’établissement de sites de hauteurs. Au nord du Jura, les vallées de la Saône et du Doubs et leurs affluents constituent un débouché naturel de la Trouée de Belfort en direction de la Bourgogne et du couloir rhodanien. Un autre itinéraire de circulation est-ouest, classiquement utilisé, suit le piémont occidental du Jura. Alors qu’au nord, les Vosges forment une barrière peu accueillante, la bordure de l’arc jurassien et le premier plateau présentent une configuration accidentée plus perméable grâce à des chainons et des reculées d’orientation NO-SE entaillés par des cours d’eau. Ces voies de pénétration du massif en favorisent le franchissement en direction du Plateau suisse : au nord, par la haute vallée du Doubs et l’Ajoie, au centre par les régions de Salins et de Lons-le-Saunier et au sud par la vallée de l’Ain en direction de la haute vallée du Rhône. Enfin, entre Vosges et Jura, la Trouée de Belfort offre une voie de circulation majeure, vecteur des influences d’Europe continentale en direction de l’ouest.

2Les fortifications de pierres et de terre, implantées en bordure de plateaux calcaires escarpés, font partie du patrimoine représentatif du Néolithique et de la Protohistoire régionale. Dès le milieu du XIX^e siècle, des remparts sont sommairement décrits et souvent interprétés comme des amas de blocs inorganisés. L’attribution au Néolithique de la plupart d’entre eux repose alors sur un mobilier lithique abondant plus aisément datable que les fragments de céramiques corrodés recueillis en surface (Piningre 2016). Les campagnes d’inventaire et de topographie réalisées dans les années soixante-dix et quatre-vingt (Passard 1980 ; Roussel-Claerr 1983 ; Urlacher, Passard 1989 ; Pétrequin 1988a) permettent alors d’en dresser les bilans les plus complets. Ils portent sur les aspects typologiques et chrono-culturels de ces sites, ainsi que sur leur organisation spatiale, territoriale et sociale (Piningre 1974 ; Gallay 1975 ; Gallay, Pétrequin 1986). Ces recherches trouvent leur point fort avec les travaux de P. Pétrequin dans le cadre de synthèses sur l’exploitation et le contrôle des carrières de pélite-quartz sud-vosgiennes de Plancher-les-Mines (Haute-Saône) utilisée pour la fabrication de lames de haches polies (Jeudy et al. 1995 ; Pétrequin, Jeunesse 1995).

2. Problématique

4La pratique des habitats de hauteurs fortifiés trouve ses racines au début du Néolithique moyen II. La répartition des 67 sites répertoriés, dont 52 fréquentés au Néolithique, privilégie la bordure du Jura où plusieurs concentrations peuvent être notées (fig. 1). Inversement, sur les moyens plateaux de Haute-Saône, à proximité des grands terroirs agricoles, les enceintes sont moins nombreuses, plus espacées et de plus grandes superficies. Leurs fonctions comme villages permanents contrôlant un territoire et leur caractère défensif ne peuvent être niés à partir du mobilier recueilli et des remparts aux dimensions quelquefois imposantes. A ces aspects s’ajoute le rôle de marqueurs sociaux que les caractères ostentatoire et symbolique de ces constructions peuvent représenter, que ce soit dans l’appropriation d’un territoire ou l’expression d’une cohésion sociale qu’induit la mise en œuvre collective de l’édification d’un rempart (Piningre 2013).

5Bien que répondant aux critères communs d’une position dominante en bords de plateaux escarpés, barrés aux endroits les plus accessibles, de nettes différences dans les superficies comprises entre moins d’un hectare et plus de trente hectares ainsi que dans les dimensions des remparts hauts de quelques dizaines de centimètres à près de 8 mètres, servent d’argument principal au modèle désormais classique de hiérarchisation entre ces différents sites. Pour les plus importants, le rôle de place centrale environnée de villages satellites fortifiés ou non, généralement évoqué avec des appréciations différentes, s’adapte à la documentation franc-comtoise. Le contrôle de sources de matière première et la spécialisation artisanale d’une partie de la population trouvent leurs illustrations au Néolithique dans la région de Belfort-Montbéliard avec les exploitations de pélite-quartz, ainsi qu’à la périphérie des secteurs salifères de Salins et de Lons-le-Saunier où, dans les trois cas, le maillage des sites est particulièrement dense (Pétrequin, Jeunesse 1995 ; Pétrequin, Jeudy, Jeunesse 1996). Pour les périodes les plus récentes, les exploitations du sel s’accroissent. L’extraction et le contrôle des gites de minerai de fer, nombreux en Franche-Comté, pourraient être aussi évoqués (à Laissey par exemple) mais aucune preuve n’est actuellement avérée. A Bourguignon-Lès-Morey et à Salins l’activité métallurgique du bronze et du fer révélée en bordure du rempart par des aires charbonneuses dallées jalonnées de petits creusets, de quelques moules en grès et de scories de fer est conforme à une production artisanale locale plutôt qu’à une production de masse.

6Si l’éperon ou la crête barrés par un ou deux remparts et les enceintes de bords de plateaux représentent les modèles régionaux standard attribués au Néolithique, le tracé et l’élévation de certains remparts présentent des formes plus complexes, peu commentées jusqu’ici (fig. 2 et 3). Se pose alors la question d’une datation différente de ces sites ou celle de compléments apportés dans le temps à un dispositif défensif plus ancien. Certaines de ces extensions ne permettent pas d’écarter non plus l’hypothèse de mises en valeur agricoles récentes (épierrement), sans rapport avec les structures défensives. En l’absence de fouilles approfondies et de datations, il est donc hasardeux d’interpréter comme homogènes les plans de ces sites. Quelques exemples en illustrent les diversités. Sur le Mont-Guérin à Montmirey-la-Ville (Jura), un rempart de dimensions inégales enserre la quasi-totalité de l’éperon. Tout comme à Port-Lesney (Jura), le rempart élevé qui barre l’éperon contraste avec une levée de taille modeste puis une terrasse qui délimitent les autres côtés et posent la question de l’efficacité défensive de ce dispositif. A Nans (Doubs), un rempart transversal monumental, d’une hauteur moyenne de 7 m, isole un éperon étendu, naturellement défendu par des escarpements, alors qu’au nord, une seconde levée de dimensions inférieures et d’orientation distincte, assortie d’un fossé externe, partage le plateau (Urlacher, Passard 1989, fig. 4-6). Le rempart en éperon barré classique du Camp de Château à Salins-les-Bains (Jura) qui isole une superficie de près de 4 ha est complété par un dispositif enserrant la partie culminante sur une superficie beaucoup plus réduite de 7500 m². Le prolongement latéral des deux extrémités d’un rempart transversal monumental par deux levées dont la hauteur diminue progressivement peut être remarqué à Bourguignon-les-Morey ou au Camp de Cita à Echenoz-la-Méline (Haute-Saône). Enfin, sur le Mont-Souvance à Laissey (Doubs), une levée de pierres médiane partage l’éperon, alors que la totalité de celui-ci est entourée par une terrasse peu élevée, d’apparence discontinue, longeant le versant abrupt de tous côtés.

7En conclusion, les modèles interprétatifs proposés pour le Néolithique font appel au contrôle de territoires, de gîtes de matière première et de réseaux d’échanges à longues distances par des sociétés inégalitaires susceptibles de réalisations monumentales dans le contexte d’un accroissement de la pression démographique et de l’insécurité (Pétrequin, Jeudy, Jeunesse 1996). Ce phénomène qui ne répond pleinement qu’à une partie des habitats régionaux n’est sans doute pas univoque. D’autres raisons peuvent être envisagées, comme le contrôle s’exerçant sur d’autres types de productions « spécialisées » plus difficiles à détecter, par exemple sur les sites du nord-ouest franc-comtois, ou celles des fluctuations de la démographie et de la structure sociale des communautés villageoises.

8Avec l’introduction de la métallurgie, l’âge du Bronze et le premier âge du Fer connaissent à l’échelle européenne de profondes mutations. Le développement d’un système socio-économique apte à organiser ses approvisionnements à partir de sources de matières premières diversifiées et plus ou moins éloignées des régions utilisatrices, la mise en œuvre des nouveaux métaux et leur diffusion engendrent une redistribution, voire une amplification des courants d’échanges ainsi que de leurs contrôles. Dans ce contexte, la nature et l’évolution des sites fortifiés posent plusieurs questions auxquelles il convient d’essayer de répondre si on considère la diversification des formes d’enceintes et des superficies défendues, la fluctuation dans le temps du nombre des sites, la redistribution des lieux fortifiés et leur positionnement par rapport aux terroirs cultivables, aux nécropoles et aux points de passage obligés.

3. Les structures des remparts et l’apport des fouilles récentes

9

3.1. Une documentation ancienne incertaine

10L’architecture des remparts est longtemps restée particulièrement mal connue et mal datée. Les quelques informations issues de fouilles anciennes sont succinctes et imprécises, rarement illustrées.

11Pour les âges du Bronze, le rempart barrant le petit éperon de Mesnay « Roche-Maldru » (Jura), occupé au Néolithique moyen puis à la fin du Bronze ancien (Mordant, Pétrequin 1989), présentait une couche de chaux de 65 cm d’épaisseur, large de 3 m sur la quasi totalité des 45 m de sa longueur. Cette formation était contenue à l’extérieur par des pierres inclinées dans le sens de la pente, alors que la bordure intérieure était formée par de grosses pierres « destinées à prévenir un éboulement » (Piroutet 1913). Sur le rempart occidental de Lavans-lès-Dole (Jura), P. Pétrequin fait état d’une superposition de deux étapes de constructions. A la base, un bourrelet de pierrailles correspondant à l’occupation du Néolithique moyen était rehaussé par un apport de terre et de pierres correspondant à une occupation attribuée à l’âge du Bronze moyen (Pétrequin 1970). A la fin du Bronze final, le rempart du Mont-Ceint à Rahon (Jura) représente une des rares constructions en sable limoneux et galets recouverte par « une chape d’argile cuite armée de rondins ». L’interprétation fournie par Feuvrier d’une carapace et d’une armature de bois destinées à consolider la masse de terre reste difficile à apprécier (Feuvrier 1913).

12Pour le premier âge du Fer, des parements de blocs de calcaire sont signalés en plusieurs endroits du rempart du Mont-Guérin sur une hauteur maximale de 90 cm environ (Feuvrier 1913). Il en est de même sur une portion de la bordure interne du rempart ouest du Camp du Château à Salins où la présence de chaux y est également remarquée (fig. 4 – Piroutet 1933 ; Dayet 1967).

3.2. Le site fortifié du Bramont à Belfort (T. de Belfort) : des architectures diverses de fonctions différentes ?

13Les fouilles effectuées entre 2010 et 2015 sur le site fortifié du Bramont apportent de nombreuses informations sur la structure des remparts (Piningre, Chauvin 2007 ; Piningre 2013 ; 2016 ; Piningre, Ganard à paraître). Son implantation sur un des derniers contreforts calcaires du Jura septentrional, au débouché oriental de la Trouée de Belfort lui confère une position privilégiée par rapport à cet axe de passage. Les versants nord-ouest et sud-est, escarpés et dominant le territoire environnant d’une quarantaine de mètres, offrent un obstacle naturel réel. L’extrémité orientale de l’éperon, étroit et allongé, est coupée par deux remparts transversaux distants de 90 m (fig. 5). Les levées de pierre et de terre, longues chacune d'une dizaine de mètres et hautes de 1,8 m, sont reliées le long de la rupture de pente septentrionale par une levée de plusieurs dizaines de centimètres, large de 5 à 6 mètres. Au sud-ouest et au sud-est, leurs extrémités se prolongent par une levée moins importante, invisible par endroits avant la fouille, qu’il a été difficile à individualiser en première analyse par rapport aux terrassements réalisés en 1870 lors de l’aménagement d’une redoute pendant le siège de Belfort. Ces aménagements isolent un espace intérieur oblong, d'une superficie de 1800 m².

14Une première occupation du site au Néolithique moyen doit être mise en relation avec des activités de taille des pélites-quartz apportées de la région de Plancher-les-Mines à une vingtaine de kilomètres de là. Mais aucune structure défensive n’est datable de cette période, ce qui laisse penser alors au choix opportuniste d’un relief escarpé comme il en existe de nombreux autres dans le secteur. Le site est ensuite occupé au Bz C/D1, époque à laquelle se rattachent les aménagements défensifs. Le Bramont ne sera plus occupé postérieurement et offre ainsi une bonne image d’un site fortifié du milieu de l’âge du Bronze.

3.2.1. Le rempart ouest

15Le rempart occidental, large d’une douzaine de mètres, résulte de trois états de constructions respectivement formés d’un talus habillé sur sa façade extérieure par un parement de dalles dont le mieux conservé s’élève à 1,30 m (fig. 6). Lors des deux premiers états, la masse du rempart est composée de pierres, certaines chauffées et calcinées, et de limon argileux localement rubéfié, associés à des inclusions de chaux indurée. Le dernier état se distingue par l’absence de traces de rubéfaction (fig. 7). Les décapages et notamment l’absence de charbon de bois ont permis d’exclure l’existence de structures de bois incendiées à l’origine d’une combustion sur place. Par contre, ce que nous pouvons interpréter comme un four à chaux, avait été aménagé sur le versant intérieur. Sur une superficie d’un peu moins de 6 m2, une épaisse masse de chaux indurée de 80 cm d’épaisseur contenant par endroits des blocs partiellement calcinés, enrobés d’argile cuite, surmonte une couche de charbon de bois. Cette formation est délimitée sur les côtés ouest, sud et partiellement à l’est, par un double empilement parallèle de blocs formant un quadrilatère (fig. 7 et 8). L’empilement extérieur est composé de blocs massifs, anguleux et irréguliers, chauffés de couleur gris-bleuté. Il souligne la limite verticale d’une fosse entaillée dans le talus intérieur du premier état du rempart. L’empilement intérieur est composé de blocs de plus petites dimensions. Les côtés est et nord, où les formations calcinées se poursuivent sous une forme hétérogène, semblent avoir été l’objet de remaniements. Le double empilement qui limite la masse de chaux à l’ouest et au sud peut être interprété comme résultant de deux états d’utilisations. À la suite d’une première extraction des matériaux calcinés, les parois du four auraient été refaites et la masse de chaux n’aurait été que partiellement extraite. L’aménagement du « four à chaux » est donc postérieur à la construction du premier état du rempart. Deux datations C14 réalisées à partir de charbons de bois prélevés dans la couche charbonneuse à la base de la chaux (Ly 11979 : 3100 ± 35 BP et Ly 11978 : 3035 ± 35 BP) confirment l’appartenance de cette structure à l’occupation protohistorique du site. Il est probable que la production ait été destinée à la seconde étape de construction du rempart, ce que confirmerait l’importante masse de blocs chauffés et des agrégats de chaux utilisés pour son remplissage.

16Au nord de cette structure, l’interprétation est moins aisée. Des témoins de rubéfaction, des agrégats de chaux et des blocs chauffés et thermo-fractés indiquent l’existence d’un phénomène analogue, toutefois dépourvu de structures comparables. Il n’est donc pas impossible que cette zone ait été le lieu d’autres aménagements semblables, davantage perturbés, et que seul le four à chaux identifié ait été préservé lors de sa seconde phase d’utilisation pour des raisons difficiles à définir.

3.2.2. Le rempart sud

17Le rempart sud se présente sous la forme d’un mur rectiligne continu à double parement orienté NE/SO suivant le bord du plateau (fig. 9). Du côté intérieur, le parement grossier est composé de blocs irréguliers et de dalles souvent épaisses. Cet empilement est conservé sur 5 à 6 assises pour une hauteur maximale de 60 cm. Son extrémité occidentale forme un angle qui rejoint la base du rempart ouest. De ce côté, la rapide interruption du parement laisse planer un doute sur sa continuité, à moins qu’il n’ait été détruit lors de l’aménagement du four à chaux ?

18Le bord externe présente un parement parallèle au premier bordant la rupture de pente. Seule l’assise inférieure est restée en place, alors que la disposition en écailles des dalles supérieures, prolongée en contrebas par un éboulis, indique l’effondrement du parement du côté du versant. Le remplissage est composé par des blocs, des plaquettes et des dalles aux surfaces irrégulières. Ces éléments de petits modules, sans organisation privilégiée, sont inclus dans un limon argileux sans traces de rubéfaction et de chaux.

19Comme nous l’avons observé dans les différentes coupes, le volume peu important correspondant au démantèlement du mur indique une faible élévation de cette construction. En l’absence d’implantation d’une superstructure en bois son rôle défensif est douteux et d’autres explications pourront être envisagées.

3.2.3. Le rempart nord

20Le rempart nord est le plus difficile à appréhender en raison des perturbations subies dans sa moitié ouest, ainsi que du polymorphisme des tronçons étudiés. En dehors du contact avec le rempart ouest qui bénéficie d’un parement de dalles soigné, les tronçons intermédiaires apparaissent plus fonctionnels qu’esthétiques. Du côté intérieur, deux états de parements irréguliers formant des contreforts discontinus ont fait l’objet de réfections. L’existence d’un parement extérieur reste probable mais n’a pu être précisée compte tenu des effondrements en bordure du versant abrupt. La masse forme une accumulation de matériaux hétérogènes composés de limon argileux et de blocs chauffés et non chauffés sans organisation particulière. A deux reprises l’hypothèse de superstructures en bois (poteaux ou palissade ?) a pu être formulée, ce qui donne à cette construction une certaine originalité par rapport aux précédentes.

3.2.4. Des constructions défensives, de prestige ou fonctionnelles ?

21L’exemple du Bramont montre toute la complexité des aménagements qui n’aurait pu être perçue sans fouilles approfondies. Nous avons eu ci-dessus l’occasion de détailler la spécificité respective des architectures permettant de distinguer trois types différents.

22Le rempart ouest apparaît (comme le rempart est) le plus volumineux, voire disproportionné compte tenu de la faible superficie enclose. Son édification a fait l’objet d’un soin particulier dans le choix des matériaux utilisés pour les parements et dans l’organisation de ceux-ci qui présentent à la base une assise de gros blocs soutenant un appareil de dalles plates « cimentées » par une argile jaune rapportée (fig. 10), ainsi qu’un remplissage mêlé de chaux provenant d’un ou de plusieurs fours aménagés à cet effet. Les dalles anguleuses ont sans doute été extraites sur la face est de l’éperon où les strates redressées sont encore apparentes. Cette construction a également fait l’objet à deux reprises d’un élargissement et, à cette occasion, de la mobilisation d’une masse importante de matériaux. Ces compléments ne modifient en rien la surface initiale et ne peuvent être imputés à une fluctuation de la population comme on peut le constater sur certaines défenses en milieu lacustre (Concise, Zürich-Mozartstrasse, Bad-Buchau–Forschner par exemple ; Winiger, Burri-Wyser 2012, fig. 120, 122). Ils témoignent plutôt ici d’une nécessité de restauration et/ou d’opérations destinées à accroître le prestige de l’édifice. Comme c’est probablement le cas du rempart est, non fouillé mais qui présente aussi des blocs calcinés, un rôle fonctionnel de barrage des parties les plus accessibles de l’éperon justifie de prime abord le soin apporté à cette construction sans doute la plus élevée. La stabilité de l’ensemble était assurée par les contreforts extérieurs parementés en façade, ainsi que par un comblement de matériaux complété par l’adjonction de chaux. Cette composition peut se comprendre par la recherche d’une certaine stabilité du talus qui peut trouver d’autres solutions dès cette époque dans les architectures à caissons ou poutrages de bois (état 1 du rempart Bronze moyen de la Heuneburg par exemple). L’importante mobilisation des matériaux utilisés et les réfections réalisées durant une courte période d’occupation, ainsi que le soin apporté à la construction des façades externes, ont contribué aussi à donner à cet ensemble un aspect ostentatoire qui contraste avec les autres architectures du site.

23Ce que nous avons convenu d’appeler le « rempart sud » relève d’une logique différente. Sa structure semble peu compatible avec une construction élevée et monumentale. Le volume des matériaux issus de l’effondrement de la superstructure scellant les couches d’habitat indique une élévation modeste qui ne devait pas excéder une hauteur de 0,80 m. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur son rôle réellement défensif, même si la situation au sommet d’une pente abrupte peut ne pas avoir nécessité la présence d’une défense élaborée. Plusieurs données permettent de postuler en faveur d’un aménagement lié à l’implantation de l’habitat, sous la forme d’un contrefort destiné à régulariser en bordure de versant le pendage naturel du terrain du N-NO vers le S-SE. Les structures domestiques qui lui sont adossées (foyers, dépotoirs, fosses), les alignements de blocs sur et s’appuyant contre l’édifice sont autant d’indices qui viennent plus ou moins directement illustrer cette proposition que nous examinerons plus loin.

24Enfin, le rempart nord se distingue encore des précédents. Son architecture aux parements de blocs irréguliers, complétée sans doute par une superstructure à poteaux de bois, reflète un rôle avant tout fonctionnel de limite et/ou de défense où le souci premier n’était pas la recherche d’une construction ostentatoire mais plutôt efficace.

25Cet exemple isolé ne se prête guère à la généralisation. Le rempart du Châtel d’Arruffens à Montricher (VD), sur le versant sud-oriental du Jura, contemporain du Bramont, offre de bonnes convergences avec un rempart principal à « noyaux de chaux » qui barre la partie accessible d’un éperon et se prolonge de part et d’autre le long de la rupture de pente, sur plusieurs dizaines de mètres, par deux extensions moins élevées (David-Elbiali, Paunier 2002 fig. 12).

3.3. Bourguignon-lès-Morey, un rempart du Néolithique moyen modifié au premier âge du Fer

27Une étape importante de modification du rempart est attestée dans le courant du Ha D1 par le prolongement du rempart néolithique le long du versant sud sur une longueur de plus de 150 m, doté d’une porte latérale et d’un chemin d’accès empierré qui longe l’extérieur de la muraille sur plusieurs dizaines de mètres avant de la franchir. Cette construction se présente sous la forme d’un mur parementé sur les deux faces, reconstruit à quatre reprises entre le Ha D1/D2 et LTA.

28Les états 1 et 2 (Ha D1/D2) correspondent à un rempart large de 2,80 m à 3 m dont les parements sont composés de dalles de calcaire local anguleuses de dimensions pluri-décimétriques. Le parement intérieur est armé de poteaux verticaux calés à la base et espacés de 1,80 m environ dont les négatifs, larges de 30 cm en moyenne, peuvent suggérer l’utilisation de troncs équarris ou refendus. Lors de l’état 3 (Ha D2/D3), la construction précédente a été en partie arasée et un niveau de piétinement précède l’édification du nouveau rempart. Celui-ci, large de 3 m à 3,50 m, présente également une armature du parement intérieur au moyen de poteaux verticaux dont les négatifs de 20 à 25 cm de largeur sont espacés de 1,80 m à 2 m. En vis à vis de ceux-ci, un alignement de trous de poteaux de 30 à 40 cm de diamètre souligne l’axe central. Les poteaux verticaux sont reliés par des alignements orthogonaux de plaquettes et de dalles dressées révélant l’emplacement de poutres horizontales. Elles forment des caissons de 1,80 m à 2 m de côté se distinguant les uns des autres par des remplissages de matériaux différents (fig. 12).

29Enfin, les états 4 et 5 se distinguent des précédents par un rempart large de 5,50 m à 6 m (fig. 13), une utilisation de dalles de plus faible module (état 4 – Ha D3) ou de blocs hétérogènes (état 5 - LTA), l'absence de poteaux en façade et des armatures internes de bois, simplifiées ou inexistantes. Le rempart hallstattien qui, jusqu’ici, semblait s’interrompre contre le rempart néolithique se poursuit maintenant au sommet de celui-ci.

30Deux conceptions architecturales peuvent ainsi être distinguées. Le rôle du bois apparaît important dans les états anciens (1 à 3) ; l’état 3 étant le plus élaboré avec un aménagement en caissons comblés de matériaux composites et un alignement de poteaux axiaux. Ces derniers participent à l’architecture du rempart, mais pourraient servir d’armature à une superstructure périssable, une palissade ou une galerie ? La diminution de l'utilisation du bois dans les remparts des états les plus récents, voire son abandon, a nécessité l'adaptation de la construction avec un élargissement de l'emprise qui passe de 3 à 5-6 mètres, afin d'en assurer une meilleure stabilité. L’état 5, où l'utilisation du bois n’est plus attestée, se distingue dans le secteur de l’entrée par plusieurs réfections des parements témoignant de l'instabilité de la construction mais aussi du soin constant apporté à son entretien. Cette évolution peut être significative d'une pénurie d'approvisionnement en bois d'œuvre consécutive à une occupation du site durant plus d'un siècle et demi et d'une exploitation intensive de l'environnement forestier proche.

31La corrélation des différents états du rempart avec la stratigraphie des niveaux intérieurs d’occupations permet de situer l’utilisation de celui-ci sur une durée d’environ 150 ans. Cette estimation montre, à des échéances relativement courtes, le constant souci d’adaptation et de réorganisation du dispositif défensif suivant une certaine périodicité.

4. La question des entrées

32Le positionnement et la nature des entrées sont sommairement abordés par les recherches anciennes. Sur plusieurs sites, un ou plusieurs accès frontaux recoupent le rempart mais leur aspect actuel laisse souvent penser à des aménagements postérieurs et encore utilisés de nos jours pour l’exploitation agricole ou forestière et bon nombre de remparts ne fournissent aucun indice de l’existence d’une entrée frontale. Dès le XIX^e siècle, l’hypothèse d’une entrée latérale a été évoquée sans davantage de preuves qu’une interruption du rempart ménageant un espace de plusieurs mètres entre l’une de ses extrémités et la bordure de l’escarpement. Ce phénomène récurrent peut être observé sur plusieurs sites dont la topographie n’a été que peu perturbée, mais ici encore aucune datation n’est attestée : Accolans-Couchaton, Désandans, Salins, Montmirey-la-Ville, Lavans-lès-Dole, Chariez, Héricourt, etc. (Pétrequin, Jeunesse 1995, 68).

4.1. Le Bramont : une entrée secondaire 

33Le contact entre les remparts ouest et nord du Bramont montre, du côté intérieur, un dispositif de parements soignés et plusieurs états de construction successifs. L’interruption du parement nord correspond vraisemblablement à une entrée latérale, large de 1,20 m, qui sera ensuite condamnée (fig. 14 us. 087). Un parement intérieur (us. 089) formant un angle sans rapport apparent avec les autres constructions pourrait également s’expliquer par un aménagement particulier, plus ancien. Cette ouverture correspond vers l’extérieur avec un petit vallon qui en a sans doute facilité l’accès. Il faut supposer que cette porte n’était pas unique et qu’une entrée avait pu être aménagée, peut-être du côté est ? On peut s’interroger aussi sur les raisons de sa condamnation lors de l’élargissement du rempart ouest qui prive désormais cette extrémité de toute ouverture et qui pourrait avoir eu pour objectif d’en renforcer le dispositif défensif ? La position d’une entrée latérale offre quelques comparaisons notamment sur le petit site fortifié valaisan de Zeneggen-Kasteltschuggen (Benkert, Curdy, David-Elbiali 2010), chronologiquement proche du Bramont (David-Elbiali 1994), ou avec le rempart de la fin de l’âge du Bronze du Heunischenburg à Kronach en Franconie où une porte latérale de 1 m de large, qui ressemble beaucoup à celle du Bramont, complète une entrée principale plus monumentale (Abels 1993 ; 2002).

4.2. Bourguignon-lès-Morey : une entrée monumentale plusieurs fois reconstruite

34Au premier âge du Fer, les différentes étapes de constructions du rempart sud ont permis de suivre les aménagements successifs d’une entrée « en baïonnette » qu’utilise encore un chemin d’accès actuel. Le dispositif le plus ancien correspondant aux états 1 et 2 du rempart n’est conservé que sur sa bordure nord. Le chemin empierré, large de 6 m, composé de cailloutis émoussés mêlés à une argile compacte et plusieurs fois rehaussé, est adapté à la circulation de chariots. Il longe la branche est du rempart qui se termine au niveau de la porte par une extrémité parementée (fig. 15). À cet endroit les restes de bois carbonisés, perpendiculaires à l’axe du chemin, forment un plancher qui se poursuit du côté intérieur, au-delà de l'extrémité du rempart. Le plancher est bordé par un fossé et un alignement de plaquettes dressées signalant l'implantation d'une paroi de madriers verticaux jointifs ou d’une sablière basse. Des formations de chaux et des blocs de calcaire rubéfié correspondent sans doute au « noyau de chaux » signalé dans les publications anciennes. Ils témoignent de l’intensité de l’incendie. Du côté extérieur, une poutre carbonisée perpendiculaire au chemin marque le seuil. L'existence d'un porche couvert, se prolongeant vers l'intérieur du rempart, trouve de bons arguments à partir de ces observations qui évoquent la porte nord-ouest de la phase Ia/4 de la Heuneburg, composée d’un plancher large de 3 m et des vestiges d'une superstructure à parois de bois se prolongeant vers l'intérieur (Gersbach 1996, Abb. 1, 31).

35L’entrée correspondant à l’état 4 présente des traces d’aménagements périssables incendiés comparables aux précédents (fig. 15). Le plancher et le fossé latéral se trouvent maintenant intégrés dans l’épaisseur du rempart élargi sur une longueur de 6 m. Le seuil est marqué ici aussi par une poutre carbonisée bordée par un alignement de dalles à plat. A l’extrémité intérieure du rempart, de part et d’autre du parement nord-ouest, deux niveaux de dalles à plats juxtaposées suggèrent la base d’un escalier permettant l’accès à la partie haute du porche ou au sommet du rempart. Enfin, l’entrée de l’état 5 se distingue des précédentes par une construction sur poteaux dont les calages de 0,80 m de diamètre, de part et d’autre d’un chemin de largeur réduite, comprise entre 2,7 m à 3,5 m, signalent une superstructure en porche intégrée au rempart.

36Ce dispositif d’entrée « en corridor » avait pour objectif de canaliser les arrivants entre deux obstacles formant un entonnoir d'une longueur de 70 m, constitués par le rempart au nord, et au sud par la bordure de l'escarpement (peut-être renforcée par une palissade ?). Des dispositions d'entrée latérale sont connues entre le Bronze final et le second âge du Fer : entrée principale de Kronach "Heunischenburg" (Abels 1993 ; 2002), Heuneburg "Osttor/Donautor" (Gersbach 1995, Abb. 35, 38), Allenbach "Ringskopf", Weiersbach "Altburg" (Koch, Schindler 1994), Bundenbach "Altburg" (Schindler 1977). Les incendies des superstructures de la zone d’entrée correspondant aux états 2 et 4 posent la question de la signification de ces destructions dans la mesure où aucun indice ne vient en confirmer une origine conflictuelle. À partir de l’état 4, le rempart néolithique montre les premiers témoins d’aménagement qui peuvent refléter un renforcement du système défensif. Les premières traces de combat n’apparaissent de façon évidente qu’à LTB2 avec la découverte en nombre de pièces d’armement et de quelques restes humains de part et d’autre du rempart. Ces manifestations de conflit correspondent à l’abandon du site (Dubreucq, Piningre 2007).

5. Les habitations et la superficie des sites

37Comme dans de nombreuses régions, l’absence de fouilles extensives et l’attraction du rempart qui a cristallisé la plupart des recherches anciennes nous privent d’une connaissance précise de la réalité des zones occupées. On doit se contenter de concentrations de mobilier le long des remparts, voire en plusieurs endroits du site, qui peuvent fournir quelques indices de localisation des habitations. C’est le cas à Bourguignon-lès-Morey où, à l’écart de la bordure interne du rempart densément occupée, deux concentrations de mobilier sont localisées le long de la bordure occidentale et à l’extrémité septentrionale de l’éperon. Le modèle d’un habitat concentré en certains endroits des sites les plus étendus permet d’envisager qu’une partie de l’espaces enclos avait pu être réservé à d’autres activités (parcage de bétail ou stockage), voire de refuge des populations alentour en période d’insécurité. A l’intérieur de la surface enclose, des terrasses naturelles ou en parties artificielles, observées à Salins, Laissey, Accolans peuvent avoir supporté des rangées de maisons comme cela est attesté sur le site Rhin-Suisse-France orientale du Hohlandsbourg dans la région de Colmar (Bonnet, Plouin, Lambach 1985, fig. 2). Mais généralement les plateaux calcaires érodés sont peu propices à la sédimentation et, comme l’ont montré tous les sondages réalisés ces dernières années à l’écart du rempart, le substrat rocheux est rapidement atteint sous 20 à 30 centimètres de colluvions.

5.1. Des espaces habités peu documentés

38Au Bramont, seuls ont été protégés en bordure du rempart sud, des dépotoirs et des épandages charbonneux, des structures de cuisson aménagées au moyen de dalles et des soles d’argile rubéfiée. La relative préservation de ces vestiges témoigne sans ambiguïté de la présence d’activités domestiques. L’absence de trous de poteaux qui n’auraient pas manqués d’être apparents dans le substrat de calcaire délité, conduit à nous interroger sur l’existence d’habitations peu ancrées au sol, aux parois reposant sur des solins. Deux ensembles de structures semblent accréditer cette hypothèse. D’une part, quatre blocs de dimensions hors normes par rapport à ceux utilisés dans les remparts, équidistants de 1,50 m environ, étaient alignés sur une longueur de plus de 6 mètres sur le mur sud et pourraient avoir été placés là comme supports de sablières basses (fig. 9). Plus à l’est, deux alignements de blocs perpendiculaires au parement intérieur et associés à deux foyers pourraient eux aussi avoir servi au calage d’une base de paroi de maison. Ce type d’architecture à sablière basse sur soubassement de pierres est attesté en Suisse en milieu terrestre à partir du milieu du Bronze moyen. De même, l’alignement de maisons en rangées le long de la rupture de pente est privilégié sur les sites fortifiés de Möriken-Kestenberg ou du Wittnauer Horn (David-Elbiali 1992).

39Le restant des secteurs étudiés le long du rempart nord est plus délicat à interpréter. Des vestiges d’aires de combustion ainsi que des épandages de céramiques laissent penser qu’une extension de l’habitat a pu concerner également cette partie du site.

5.2. Les superficies des sites fortifiés

40Comme au Néolithique, les superficies encloses des sites fortifiés occupés à l’âge du Bronze et au premier âge du Fer sont variées et s’échelonnent entre moins d’un hectare (Salins, Bramont, Mesnay…) et 6 ha, la moyenne se situant autour de 3 ha. Bourguignon-lès-Morey et Lavans-les-Dole constituent une exception avec 17 et 18 ha (fig. 16). Tant que nous ne disposerons pas d’un nombre de sites étudiés sur des surfaces significatives, il sera difficile d’interpréter et d’argumenter ces distinctions et de les attribuer aux manifestations d’une hiérarchisation entre des sites centraux et des adaptations architecturales de hameaux aux plateaux calcaires (Mordant 2008). Ces superficies peuvent être comparées à celles des villages palafittiques les mieux connus aux ruelles orthogonales planifiées, défendus par des palissades ou des remparts de bois. Pour l’âge du Bronze, les surfaces encloses varient entre quelques dizaines d’ares (Concise 2 – 3000 m², Hochdorf-Baldegg – 2200 m², Cortaillod-Est – 5200 m²) et rarement plus d’un hectare (Hauterive-Champréveyres – 8500 m², Cortaillod-les Esserts – 15000 à 18000 m²), avec une tendance à l’agrandissement de certains d’entre eux à la fin de la période (Arnold 1992 ; David-Elbiali 1992). Si les plus petits sites fortifiés jurassiens peuvent se ranger parmi ceux-ci, l’amplitude des superficies des sites fortifiés de hauteur pose encore la question d’une organisation différente des superficies encloses.

6. Typologie et chronologie des habitats fortifiés protohistoriques, quelques hypothèses

41Du point de vue de la chronologie, on oppose fréquemment des périodes d’occupation et de désertion considérées comme autant d’indices cycliques de tensions sociales et économiques (Brun 1987 ; 1988). Pour la Franche-Comté, les propositions faites ces vingt dernières années à partir d’une documentation moins étoffée que l’actuelle ont montré une fluctuation avec un pic d’accroissement des sites fortifiés entre –1400 et –1200, puis une reprise à partir du IX^e siècle av. J.-C. (Pétrequin 1988b ; Pétrequin, Magny, Bailly 2005 ; Pétrequin, Weller 2007).

42Une révision des éléments de datation disponibles nous permet de distinguer plusieurs catégories entre les sites qui ont fourni des vestiges « protohistoriques » non datables précisément, les sites où quelques objets datés (généralement métalliques) sont connus sans qu’il soit possible de préciser la nature de leur présence, les sites qui disposent de lots de mobilier caractéristique mais dépourvus de contextes (c’est souvent le cas des fouilles anciennes) et enfin, les sites pour lesquels la documentation de terrain offre les éléments d’une approche satisfaisante de la chronologie, voire du statut des aménagements et des occupations.

43A partir de ces critères, nous retiendrons 35 sites se rattachant respectivement à une ou à plusieurs étapes des âges du Bronze et du Fer (fig. 17). En prenant en compte les périodes les mieux documentées, ceux-ci se répartissent de la façon suivante : Les sites du Bronze ancien ne sont caractérisés que par des ramassages de surface et ce n’est qu’à la transition du Bronze ancien et du Bronze moyen que les éléments de datation sont plus diversifiés. Un nombre de sites à peu près équivalent est connu pour le Bronze moyen/début Bronze final. Les preuves d’occupations sont rares ensuite jusqu’au BF IIIa. Au BF IIIa et IIIb, le mobilier d’une dizaine de sites conforte une indubitable reprise des habitats de hauteur mais leur continuité au début de l’âge du Fer reste mal étayée avec trois sites seulement. A partir du Ha D1 une documentation étoffée illustre une forte reprise qui se poursuit au Ha D2/D3, puis un abandon progressif à la fin de LTA.

6.1. Le Bronze moyen

44À la transition du Bronze ancien/moyen les sites fortifiés ne semblent pas répondre à un phénomène de masse. Cette période est toutefois la moins bien documentée. Les occupations répertoriées utilisent d’anciens sites fortifiés au Néolithique moyen. Alors que la plupart d’entre eux sont dispersés, le secteur salinois fait figure d’exception avec une concentration de petits sites de faible superficie dont les implantations respectives, distantes de quelques kilomètres, pourraient résulter du morcellement de la topographie locale et de l’individualité des communautés villageoises. Leur implantation au débouché des voies d’accès multiples au plateau ainsi que les nécropoles proches des Moidons, d’Aresches et de La Chapelle-sur-Furieuse bénéficient de contacts en direction de la Suisse qui connaît alors un âge du Bronze en pleine expansion (Mordant, Pétrequin 1989 ; David-Elbiali 2000 ; Piningre et al. 2004).

45Dans la seconde moitié du Bronze moyen et au début du Bronze final (Bz C, Bz D), les modalités d’occupation semblent marquer un renouvellement à plusieurs égards. On remarque alors un accroissement du nombre des habitats attestés, ainsi que de nouvelles implantations s’accompagnant de la construction de remparts aux modèles complexes si l’on se réfère au Bramont, à Salins ou au Châtel d’Arruffens à Montricher (VD) (David-Elbiali, Paunier 2002 ; Piningre 2013 ; 2016). Inversement, à Bourguignon-lès-Morey, les occupations du Bz A2-B1, puis du Bz D1 n’ont pas laissé de témoins d’un profond remaniement du rempart.

46La distribution des sites est espacée et couvre la totalité de la zone d’étude à l’exception des hauts plateaux et de la Haute-Chaine (fig. 18). Une bonne partie d’entre eux réutilise l’emplacement d’anciens habitats néolithiques (Bourguignon-lès-Morey, Lavans-lès-Dole, Salins, Ecrille, Noroy-les-Jussey), mais quelques-uns correspondent ou semblent correspondre à des créations ex-nihilo (Belfort — le Bramont, Châtel d’Arruffens, Surmont, Tournedoz, Consolation-Maisonnettes). Si la proximité de quelques sépultures tumulaires peut être notée à Salins (Clucy, Salins-Thésy) et Consolation-Maisonnettes (Guyans-Vennes) elle n’apparaît pas la règle. Ces sites sont implantés sur des voies de passage comme la vallée du Doubs et les accès aux plateaux du Jura. L’exemple du Bramont apparait significatif à cet égard. Situé au débouché oriental de la Trouée de Belfort, au contact des groupes de la Culture des tumulus du Haut-Rhin, cet habitat montre par son mobilier céramique et métallique des liens avec les groupes orientaux établis entre Rhin et Bavière, mais aussi avec l’Italie du Nord sans doute par le truchement du Plateau suisse (Piningre, Ganard à paraître).

47Une mise en parallèle avec une expansion notable des dépôts de bronze, dont la répartition occupe les mêmes contextes, peut également être soulignée, notamment sur les principales voies d’accès aux plateaux du Jura ou au débouché du Rhin supérieur dans la région bâloise (fig. 18). Le secteur salinois est tout à fait remarquable. Les petits sites fortifiés sont désormais abandonnés au profit de l’unique fortification du Camp du Château qui polarise dans un rayon de 5 km un nombre hors normes de dépôts (Piningre, Grut 2009 ; Gauthier, Piningre 2016). Cette particularité peut se justifier par la concentration sur un seul habitat fortifié du contrôle de l’accès aux plateaux par la vallée de la Furieuse et ses affluents, et surtout à partir du XVe siècle av. J.-C. par un accroissement de l’exploitation du sel représentant une matière d’échange de première importance susceptible d’alimenter la contrepartie d’un flux important de métal (Pétrequin et al. 2001 ; Pétrequin, Weller 2007, fig. 9). Le secteur de Salins n’est sans doute pas unique et il est tout à fait possible que le bassin de Lons-le-Saunier, actuellement urbanisé mais qui bénéficie des mêmes atouts, ait pu connaître un développement analogue. Dans ce secteur, plusieurs sites de hauteurs mal documentés pourraient constituer de bons candidats (Bornay, Conliège, Montmorot).

6.2. La seconde moitié du Bronze final

48Le choix exclusif de la bordure du Jura apparaît nettement à partir de la seconde moitié du Bronze final, à un stade évolué du Ha A2 et au Ha B1/B2, tandis que l’habitat groupé se développe en vallée (Dampierre-sur-le-Doubs, Quitteur, Valentigney). Conjointement, les villages palafittiques, abandonnés depuis le début du Bronze moyen, connaissent une forte recrudescence sur les lacs suisses. Alors que les sites de hauteurs sont peu nombreux au début de la période, leur nombre s’accroit au Ha B2/3 avec une continuité des occupations et de nouvelles implantations.

49Les sites étendus sont rares mais un grand nombre d’entre eux n’ont pas fait l’objet de recherches approfondies. La permanence de l’occupation du Camp du Château à Salins constitue pour l’instant une exception qui peut s’expliquer par la spécificité de ses activités. Plus au nord, le crêt escarpé du Mont-Souvance à Laissey abandonné depuis le Néolithique occupe alors une position dominant un méandre de la moyenne vallée du Doubs de près de 300 mètres en bénéficiant d’une large visibilité sur une portion encaissée de la vallée et le rebord du premier plateau. Cette position a pu lui conférer un rôle majeur comme tendraient à le montrer les fragments d’armes recueillis.

50Conjointement, une catégorie de petits sites perchés révèle un nouveau type d’occupation qui se distingue par des superficies inférieures à 1 ha et des altitudes élevées. Au nord du Jura, à l’écart des zone agricoles fertiles, les sites de Tournedoz, Surmont, Péseux-Solemont, Consolation-Maisonnettes (Doubs) occupent le sommets de pitons escarpés (entre 550 et 650 m) qui commandent l’amont de petits affluents du Doubs favorisant l’accès aux plateaux (fig. 19), ou bien, comme le Mont-Julien à Pont-de-Roide, le débouché de la haute vallée du Doubs au contact de la plaine de Mandeure (fig. 20). Plusieurs de ces petits sites, réutilisés au Moyen-âge, ont été bouleversés et les remparts ne sont pas toujours attestés (Bornay, Ecrilles, Ménétru-le-Vignoble, Mont-Julien, Consolation-Maisonnettes, Tournedoz). À Laissey, la discrétion d’un système défensif indique que le choix d’une hauteur escarpée de tous côtés pourrait s’affranchir de la construction d’un rempart développé.

51Leurs emplacements, à l’écart pour certains des zones classiques de colonisation, privilégient des secteurs à fort potentiel de circulation en marge de l’extension des influences palafittiques de Suisse occidentale (fig. 21). Des liens étroits avec ce domaine en plein essor peuvent être établis à partir du mobilier recueilli sur ces sites et dans les dépôts qui leurs sont proches (Piningre, Pernot, Ganard 2015). On remarque notamment à Péseux plusieurs épingles à nodosités fréquentes en Suisses au Ha A2/B1, mais inconnues de l’autre côté du Jura (fig. 22). Dans les dépôts du Mont-Julien à Pont-de-Roide (Doubs), des séries d’anneaux de chevilles à décors de cercles concentriques, associés à des épingles à tête céphalaire, sont typiques du secteur de Cortaillod. Tous ces objets illustrent le rôle actif que ces emplacements ont pu jouer dans les échanges trans-jurassiens. On peut alors s’interroger si cette préférence pour des sites peu étendus et perchés suggérant des communautés peu nombreuses et leurs implantations spécifiques correspond à une fonction particulière de refuge ou de contrôle à l’écart des terroirs agricoles étendus.

52Datées de la fin du Bronze final ou du début du Ha C, les céramiques recueillies dans une fissure de rocher au sommet du Mont-D’Or (Les Longevilles-Mont-d’Or, Doubs – Passard, Piningre, Urlacher 1992) sortent des normes. Elles représentent l’un des rares exemples d’implantation à une altitude de 1460 m, inhabituelle dans le Jura et peu favorable de prime abord à un habitat sédentaire. Les résultats de la fouille ponctuelle n’ont pas permis de préciser la fonction domestique ou cultuelle de ce site. Il bénéficie toutefois d’une large emprise visuelle en bordure de la falaise abrupte du Mont-D’Or qui domine de plus de 650 m la vallée de l’Orbe, voie d’accès naturelle aux plateaux par la cluse de Pontarlier, et au loin le Plateau suisse et la chaîne des Alpes. Cependant, cette position n’est pas unique et rappelle celle du Châtel D’Arruffens à Montricher (VD), sur un éperon fortifié de la fin du Bronze moyen à 1390 m d’altitude (David-Elbiali, Paunier 2002).

6.3. Le premier âge du Fer

53Par rapport à la période précédente, l’occupation des sites de hauteur au Ha C semble connaitre une certaine désaffection mais la rareté des sites documentés de cette période invite à la prudence. La progression de leur nombre durant le Hallstatt final jusqu’à La Tène ancienne marque ensuite un renouveau. Chronologiquement, sur 13 sites documentés, les occupations de la plupart d’entre eux ne semblent pas s’inscrire dans la continuité de la période antérieure. Elles débutent pour certains dans le courant du Ha D1 (Bourguignon-lès-Morey, Montmorot, Laissey, Mont-Guérin…) ou au Ha D2 (Salins). Un pic d’occupation est atteint au Ha D2/D3 et se prolonge jusqu’au début de LTA.

54Les sites de Bourguignon-lès-Morey, Salins, Montmirey-la-Ville – Mont-Guérin attestent une modification substantielle des dispositifs défensifs. Sur ces sites importants les remparts sont étendus et peuvent enserrer la totalité de l’espace comme au Mont-Guérin, mais les fouilles sont trop peu nombreuses pour en établir la règle. Inversement, les aménagements défensifs du site de Laissey, pourtant densément occupé durant tout le Hallstatt final et à La Tène ancienne, restent discrets mais cette situation pourrait s’expliquer par les défenses naturelles que lui procurent sa topographie élevée et des versants escarpés. On constate une préférence pour les sites étendus de plusieurs hectares, voire pour les sommets de buttes témoin ou de crêtes bien visibles dans le paysage (Bourguignon-lès-Morey, Salins, Mont-Guérin, Montmorot, Laissey, Ecrille, Mont-Julien). Les petits sites occupés à l’âge du Bronze final sont apparemment désertés et on ne retrouve plus les concentrations qui caractérisaient auparavant certains secteurs.

55La répartition des sites reflète une distribution équilibrée entre la bordure occidentale du Jura et les bas plateaux (fig. 23). Les hauts plateaux, notamment la région de Pontarlier où les nécropoles tumulaires attestent un peuplement dense, en sont toujours dépourvus. Un maillage régulier de 30 à 40 km est plus conforme avec la polarisation d’un large territoire. Leurs localisations privilégient les itinéraires de communications majeurs comme les vallées du Doubs, de la haute Loue, de l’Ain. Plusieurs d’entre eux (Bourguignon-lès-Morey, Laissey, Salins) attestent d’échanges avec l’Italie du Nord et le domaine méditerranéen (Dubreucq, Cicolani 2009 ; Dubreucq 2013) alors que le Camp du Château, classiquement répertorié parmi les « pôles princiers » nord-alpins (fig. 24), retrouve son rôle privilégié avec le contrôle des sources salées, concurrencé un peu plus au sud par Montmorot.

56La proximité de nécropoles à tumulus multiples et d’un site fortifié, si elle est bien illustrée à Salins avec la nécropole des Moidons et ses deux tombes à char (Piningre et al. 2004) ou dans la périphérie de Montmorot avec la nécropole de Conliège, est loin d’être la règle. Bon nombre de sites bénéficiant d’un environnement similaire et densément occupés au Ha D en sont dépourvus sans que la taphonomie paraisse être la principale explication (Laissey, Bourguignon-lès-Morey, Mont-Guérin…). Seule le groupement des tumulus du secteur de Rougemont (Doubs), en périphérie du site fortifié de Nans, pourrait être plus conforme à ce modèle.

7. Conclusion

57Ce bilan destiné à orienter de futures approches constitue un instantané résultant d’une documentation inégale et indicative que l’on se gardera de généraliser.

58Les fouilles extensives des remparts apportent des résultats encourageants lorsque ceux-ci peuvent être corrélés avec des niveaux d’occupation datés. Ces données montrent toute la complexité des architectures et invitent à la prudence dans les interprétations d’ensembles mal datés et peu ou pas explorés. L’exemple du Bramont considéré avant la fouille comme un village fortifié néolithique est de ceux-là. Les exemples de transformation des architectures confortent l’idée d’investissements collectifs constants que ce soit à des fins fonctionnelles ou symboliques. A cet égard, nous avons pris ici le parti d’une interprétation fonctionnelle des inclusions de chaux de certains remparts mais d’autres pistes associant à celle-ci une démarche symbolique ne sont pas à écarter.

59En opposition avec le Néolithique où le phénomène des habitats de hauteurs fortifiés apparaît généralisé et correspondre à une composante culturelle forte, les sites fortifiés de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer présentent des mutations sensibles dans leur structure et leur répartition. Leurs emplacements ont été associés à une redistribution des axes de circulation et des points de contrôle, voire des secteurs de contacts culturels. A cet égard, la bordure occidentale du Jura semble occuper, surtout à la fin de l’âge du Bronze, un rôle particulier qui ne retrouve guère d’équivalent sur sa face orientale peu éloignée il est vrai des chapelets de villages de bords de lacs qui concentrent une forte dynamique culturelle et sociale. Le maillage et la nature des sites du premier âge du Fer tendent à montrer une nouvelle étape et bénéficient des contextes les mieux connus déjà largement commentés dans les publications de ces dernières décennies.

60Durant l’âge du Bronze, la fluctuation du nombre de sites fortifiés par périodes a déjà été corrélée avec des manifestations d’insécurité (Pétrequin 1988b) et de fluctuations climatiques et démographiques ainsi que des fonctionnements sociaux. Sans privilégier les explications déterministes, la diversité des implantations et de leurs superficies indiquent des choix variés qui peuvent aussi résulter de variantes économiques, culturelles et sociales adaptées aux reliefs calcaires. D’une manière générale, on reste dans l’attente de compléments d’études des zones d’habitats qui constituent toujours un fort déficit grandement préjudiciable à l’interprétation du statut respectif de ces sites.

61Abels 1993 : ABELS (B.-U.) - Die Heunischenburg, eine urnenfelderzeitliche Befestigung in Nordbayern. In : DANNHEIMER (H.) dir. - Das keltische Jahrtausend. Mainz-am-Main, Ph. von Zabern, 1993, p. 83-87.