- 1 FY 58001 : nous renvoyons au rapport du diagnostic pour sa description (J.-P. Sargiano, in : Rinald (...)
1Dans le cadre du projet d'aménagement, par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône, de la déviation du village de La-Fare-les-Oliviers, et suite à un diagnostic archéologique préalablement mené par l’Inrap au lieu-dit Bastide Neuve III, sur la commune de Velaux (Rinalducci de Chassey 2008), une opération de fouille préventive a été réalisée fin 2009, sur une surface de 1000 m2, et sous la responsabilité de V. Ropiot pour la société Oxford Archéologie Méditerranée (fig. 1). La prescription avait pour objectif de caractériser précisément un alignement de structures de type four à pierres chauffées apparu durant la phase d’évaluation. L’une d’elle, le four 1, a été fouillée au moment du diagnostic (Sargiano, in : Rinalducci de Chassey 2008)1, l’autre, le four 5, par nos soins. C’est l’analyse de cette structure, datée du premier âge du Fer, que nous proposons de publier. L’homogénéité morphologique des deux faits et leur implantation permettent sans équivoque de leur attribuer le même mode de fonctionnement au même moment.
Fig. 1 : Localisation du site de Bastide Neuve III.
2Au total, la fouille a révélé la présence d’une dizaine de structures (fig. 2), concentrées dans la partie centrale de la zone décapée, se rapportant à au moins trois périodes distinctes. La plus ancienne est représentée par un foyer chasséen (FY 3). L’âge du Fer est illustré par les deux grands fours à pierres chauffées. On note aussi la présence d'une structure en creux d'époque probablement antique (FS 8), tandis qu’une fosse de plantation quadrangulaire peut se rapporter à une période très large comprise entre l'Antiquité et l'époque moderne (FS 9). Un foyer et trois fosses sont quant à eux non datés. On soulignera que l'ensemble de ces faits se situe sous un remplissage colluvial peu puissant, masqué lui-même par un niveau de terre végétale.
Fig. 2 : Plan général de la fouille.
DAO : V. Ropiot.
3Les fours protohistoriques sont conservés sur une profondeur comprise entre 0,25 et 0,30 m. Sur d'autres sites, des structures semblables, mieux préservées, se caractérisent par une profondeur importante. C'est le cas en Auvergne où des fours de cette nature peuvent aller jusqu'à 0,90 m de profondeur, considérant de surcroît que « l'érosion a pu faire disparaître la partie sommitale » (Surmely 2003, 78). L'arasement de l'occupation ancienne du site de Bastide Neuve III pourrait donc être relativement important.
Fig. 3 : Plan et coupe du four 1 avec vue du fond de la fosse.
DAO et cliché : V. Ropiot.
4Ce four, quasiment semblable à celui qui a été fouillé au cours du diagnostic (fig. 3), est orienté sur le même axe nord-nord-est/sud-sud-ouest. Un léger décalage dans l'alignement des deux structures est cependant perceptible (fig. 4).
Fig. 4 : Vue générale des fours 1 et 5.
Cliché : V. Ropiot.
5Sa forme en plan est celle d'un grand rectangle aux angles arrondis. La fosse mesure 2,05 m de long pour une largeur de 0,80 m et une profondeur de 0,25 m (fig. 5).
Fig. 5 : Plan, coupes et vue du four 5.
DAO : V. Ropiot ; cliché : T. Lachenal.
6Les parois, verticales, sont fortement rubéfiées sur 2 à 3 cm d'épaisseur et sont indurées par l'action du feu (fig. 6). Le fond, qui repose sur un niveau naturel caillouteux, est plat, ce qui confère à ce creusement un profil en U. Le comblement inférieur, d'une dizaine de centimètres d'épaisseur, est constitué en majorité de charbons inclus dans une matrice limono-argileuse de texture souple et de couleur brun à noir. On constate aussi la présence rare de nodules de calcaire et de gravillons. Ce niveau correspond vraisemblablement aux restes carbonisés des branchages et des bûches ayant servi au fonctionnement du four. Ils sont particulièrement fréquents dans la partie nord de la fosse. L’unité inférieure est surmontée d'un lit de pierres, réparties de façon assez dense et homogène dans la fosse. Elles portent des traces de chauffe intense (blocs fragmentés, bleuis et rougis). Ces pierres ne présentent pas d'organisation particulière à l'intérieur de la fosse, Elles sont englobées dans un sédiment limono-argileux brun moyen à noir. Il inclut de fréquents charbons, des gravillons et quelques escargots. On peut supposer qu'il correspond à une phase d'abandon du four. Le mobilier céramique est quasiment absent puisqu'il ne compte qu’un seul petit fragment roulé de céramique non tournée.
Fig. 6 : Four 5 : vue du fond de la fosse et détail des parois.
Clichés : T. Lachenal.
- 2 Référence Poz-36681 (US 2022, échantillon 3006).
7Les prélèvements réalisés ont donné lieu à une datation radiocarbone par AMS. Elle a été effectuée par le laboratoire de Poznan (Poznan Radiocarbon Laboratory) sur des charbons de bois (Quercus ilex/Q. coccifera). La datation ainsi obtenue a donné une fourchette chronologique en âge calibré large, puisqu'elle couvre la seconde moitié du VIIIe s. jusqu'à la fin du Ve s. av. n. è. (753BC – 410BC)2, avec un pic de probabilité à 57,8 % (fig. 7). Elle résulte du plateau hallstattien dans la courbe de calibration du carbone 14.
8En 2010, la fouille réalisée sous la direction de J.-P. Sargiano dans la parcelle voisine, à quelques dizaines de mètres au sud, a livré, parmi un ensemble d’une centaine de structures de diverses époques, une fosse (FS 44) dont la datation radiocarbone est proche de celle que nous avons obtenue pour le four 5 (763BC – 416BC). Mais surtout elle contenait un abondant mobilier céramique non tournée la situant précisément entre 625 et 600 av. n. è. (J.-J. Dufraigne, in : Sargiano 2012, 83-92). On peut donc postuler, comme J.-P. Sargiano (2012, 94), que les fours 1 et 5, fouillés respectivement en 2007 et en 2009, ainsi que la fosse mise au jour en 2010 appartiennent probablement à la même occupation relevant de la fin du VIIe s./début VIe s. av. n. è.
Fig. 7 : Tableau récapitulatif de la datation radiocarbone du four 5.
9Les charbons de bois du site de Bastide Neuve III appartiennent à la catégorie des charbons concentrés, dans la mesure où il s’agit d’une étude spécifique sur 7 fragments individualisés de bûches et sur des charbons qui ont été ramassés dans une structure de type four à pierres chauffées. L’objectif de l’étude est de déterminer botaniquement les espèces présentes au sein de ce four, et dans la mesure du possible d’essayer d’expliquer son fonctionnement.
10L’analyse anthracologique a porté sur 7 fragments de bûches carbonisées provenant de la structure en question. Quatre-cent-vingt-et-un fragments de charbon proviennent de cinq prélèvements effectués dans l’unité inférieure du four (carrés C, E, H, K et M). Les fragments de charbons indéterminables ne sont pas pris en compte dans le calcul des fréquences relatives. À propos de la méthode de récolte des charbons, il faut signaler que les bûches ont été prélevées à la main par les archéologues et séparées des autres charbons afin d’éviter leur fragmentation et la sur-représentation taxinomique de l’échantillon. Les charbons, par contre, ont été flottés et tamisés sous l’eau à l’aide d’une machine à flottation et des tamis de mailles de 250 μm, 500 μm, 2 mm, 4 mm et 10 mm. Dans un second temps, des refus de tamis ont été triés à 10, 4 et 2 mm par Oxford Archéologie Méditerranée. La quantité des sédiments traités est de 25 litres pour les cinq prélèvements décrits.
11L’identification a été réalisée au microscope optique à réflexion fond clair/fond noir (Olympus BX60M), avec un grossissement de x50 à 500, selon les principes de l’analyse anatomique de bois. Chacune des unités de charbon a été observée dans les trois plans anatomiques (transversal, longitudinal-tangentiel et longitudinal-radial). Les fragments carbonisés d’origine archéologique ont été comparés avec ceux de notre collection de référence de bois actuels carbonisés. Nous avons aussi utilisé les atlas xylologiques (Schweingruber 1991 ; Vernet et al. 2000). En général, les identifications se rapportent, au rang de l’espèce botanique, du genre ou de la famille. Pour les charbons pour lesquels nous n’arrivons pas à reconnaître l’espèce ou le genre, nous avons établi une catégorie : angiospermes indéterminées ; enfin une dernière catégorie regroupe tous les charbons rendus indéterminables à cause de différentes altérations. Dans l’interprétation paléo-écologique des résultats, la dernière catégorie n’a pas été utilisée (fig. 8).
Fig. 8 : Dénombrement des taxons déterminés et fréquences relatives.
C. Machado.
12L’étude anthracologique des sept fragments de bûches ramassés dans le four a permis la détermination des taxons du chêne vert/chêne kermès, du chêne blanc et du pin d’Alep (fig. 8). L’analyse des charbons récupérés a fourni également une liste d’espèces assez pauvre, avec 5 catégories taxonomiques, dont 4 espèces. Le groupe formé par Quercus ilex/Q. coccifera, cf. Quercus pubescens et Quercus sp. est dominant avec un pourcentage de 91,6%. Le chêne vert/chêne kermès a un pourcentage de 73,8%, et les 17,8% restant appartiennent aux chênes blancs et aux Quercus sp. Les autres taxons présents tels que le pin d’Alep et le viorne (Viburnum tinus) ont des taux qui représentent respectivement 7,07% et 0,79% des charbons. Enfin, les angiospermes indéterminées représentent 0,52% du total des charbons (fig. 8).
13On observe que le carré E est le plus riche avec 4 taxons pour 179 fragments analysés et le carré C le plus pauvre avec deux taxons pour un total de 32 fragments de charbon. Il faut préciser que nous avons étudié la totalité des charbons présents dans la structure.
14En ce qui concerne la taille des charbons, on remarque qu’en général tous les charbons étudiés ont une taille comprise entre 1 mm et 5 mm ; à l’exception des charbons provenant du carré M qui ont une taille comprise entre 1 et 15 mm. Les fragments des bûches par contre ont un diamètre compris entre 3 et 5,5 cm (fig. 9). Il faut signaler que la manipulation et l’identification de ces restes a été très difficile, des bûches ont été conservées gorgées d’eau et recouvertes de sédiment humide. L’humidité rend le bois carbonisé friable et mou. Enfin, concernant l’état de conservation et l’aspect des charbons, il nous paraît significatif que les charbons, vitrifiées, représentant les ¾ de l’échantillon, affectent uniquement les feuillus, dont le chêne et le viorne. Par contre, les fragments de pin d’Alep montrent une structure anatomique bien conservée.
Fig. 9 : Déterminations botaniques des fragments de bûches récupérés dans le four 5 et estimation de calibre.
C. Machado.
15L’origine des charbons impose une explication ethno-archéologique, même si les raisons qui motivent le choix sont difficiles à prouver. La pauvreté taxonomique et l’abondance des chênes à feuillage persistant indiquent que le chêne a été sélectionné comme combustible. La présence du chêne, souvent reconnu dans les structures de combustion domestiques et artisanales du sud de la France, est mise en relation avec ses qualités comme combustible. En effet, les propriétés de combustion des chênes sont celles des bois denses, des bois de faible inflammabilité mais favorisant une combustion lente. De plus, le chêne vert produit des flammes vives qui conviennent à la calcination. La combustion lente et la production des cendres peuvent être des qualités recherchées dans certaines méthodes de cuisson, dont la cuisson à l’étouffée. Dans ce cas, il faut privilégier des espèces qui brûlent longtemps sans besoin de recharge et qui produisent des cendres en grande quantité. Dans le cas de la structure qui nous occupe, l’emploi des chênes est à relier à ces qualités comme combustible et à la modalité de fonctionnement de ce four. Le pin d’Alep produit des flammes plus actives que la plupart des feuillus. Cette caractéristique des résineux est due à leur composition chimique d’une part, et à leur densité d’autre part. La résine, qui représente une part essentielle de leur composition est constituée d’hydrocarbures terpéniques à haut pouvoir calorifique favorisant l’inflammation du bois (Théry-Parisot 2001). L’utilisation des résineux, dont le pin, facilite l’allumage d’un feu. La présence de pin d’Alep parmi les charbons de la structure 5 peut s’expliquer par leur forte inflammabilité qui aurait facilité l’allumage.
16La présence des bûches appartenant au chêne vert et au pin d’Alep (fig. 8) peut être expliquée par un même raisonnement. A notre avis, les charbons ramassés dans le four sont des résidus de bûches. Les fragments de bûches peuvent appartenir à des branches d’arbres encore jeunes qui ont été sélectionnées en raison des qualités du bois comme combustible et de leur calibre. Le diamètre des bûches (3 à 5 cm) peut être un indicateur des dimensions du four, du conditionnement du combustible et nous apporter des indices sur les exigences liées à la cuisson. On peut envisager, comme il a été signalé pour d’autres fours à pierres chauffées, qu’une fois la cuvette creusée, du bois était déposé au fond. On installe ensuite des pierres, puis des rondins ou des branchages formant une couche végétale régulière, puis la nourriture et enfin une couche végétale. Le brasier ne devait être allumé qu’au dernier moment (Pautreau, Fontugne 1996). Le pin aurait pu faire partie de la dernière phase de préparation.
17Dans le four, les charbons sont ponctuels et sont probablement les restes d’une unique combustion.
18Les données anthracologiques de Bastide Neuve III montrent un contenu souvent relevé dans les structures d’habitat à usage unique. La pauvreté taxonomique, ainsi que la dominance du genre Quercus sur le site s’expliqueraient par une sélection du combustible. La présence du chêne vert/chêne kermès dans le secteur est certaine, mais la proportion des chênes dans les environs du site semble être sur-représentée. L’étude des charbons dispersés est primordiale afin d’obtenir une image paléoenvironnementale du secteur d’étude.
19L'échantillonnage a été réalisé sur galets et selon le protocole expérimental suivant :
20Précaution : avant usage, toute la verrerie et le matériel ont été rincé au dichlorométhane.
21Le galet a été mis en contact du chloroforme pendant une nuit ;
22Après ce temps, une extraction aux ultrasons a été réalisée pendant 2 heures. Le chloroforme a ensuite été récupéré, filtré et évaporé à l'aide d'un rotavapeur puis sous un courant d'argon ;
23L'extrait sec a été transméthylé par addition de 0,5 ml de trifluorure de bore dans le méthanol (BF3/MeOH) à 60°C pendant 1 heure ;
24Après 1 heure, la réaction a été stoppée par ajout d'1 ml d'eau distillée. Les composés cibles ont été extraits avec 4x1 ml d'hexane. La phase organique a été récupérée et évaporée à sec sous courant d'argon. L'extrait sec a été repris dans 50 µl d'hexane ;
251 µl de la phase organique a été injectée dans un couplage chromatographie en phase gazeuse/spectrométrie de masse (70eV, analyseur quadripolaire) pour analyse des produits organiques présents dans l'échantillon.
26La reproductibilité des résultats a été vérifiée sur les autres galets.
27Le spectre de masse de chaque pic chromatographique a été réalisé et chaque spectre a été interprété pour déterminer la structure du composé correspondant.
Fig. 10 : Graphique présentant les pics chromatographiques des esters méthyliques et de composés azotés caractéristiques des graisses animales.
C. Pépé.
28Après extraction des composés d'intérêt, puis transméthylation des triglycérides extraits, selon le protocole présenté ci-dessus, les résultats suivants ont été obtenus :
29On remarque la présence en quantité abondante (mais non quantifiable précisément) d'esters méthyliques caractéristiques des graisses animales (esters en C16 et C18 majoritaires et esters « lourds » en C20, C22, C24 et C26), comme le montre la figure 10.
30De plus, la présence de composés azotés (amides), caractéristiques de composés présents dans les membranes cellulaires animales, conforte l’hypothèse de la présence de graisses animales sur les galets (fig. 10 et 11).
Fig. 11 : Graphique présentant plus précisément les composés azotés (amides) caractéristiques des composés présents dans les membranes cellulaires animales.
C. Pépé.
31Il est à noter l'absence de cholestérol, ce qui ne remet en aucun cas en cause la conclusion précédente puisque ce composé n'est présent (dans les conditions normales) qu'en faible quantité dans les graisses animales et qu'un chauffage trop important aurait pu détruire.
32Il est à noter aussi que pour chaque étude, un « blanc » a été réalisé pour s'affranchir de tout phénomène de pollution provenant du matériel et des machines utilisées (fig. 12).
Fig. 12 : Graphique présentant la courbe des composés chimiques d’un galet « blanc » servant à l’étalonnage d’une éventuelle pollution.
C. Pépé.
33En conclusion, il apparaît clairement que ces galets ont été en contact, à un moment donné, avec des quantités importantes de graisses animales.
34Les deux fours rectangulaires mis au jour sur le site de Bastide Neuve III sont distants de 1 m et sont alignés sur le même axe longitudinal. D’un point de vue chronologique, il est vraisemblable que ces structures se rapportent au premier âge du Fer, notamment à la fin du VIIe s./début du VIe s. av. n. è.
35Les analyses concernant le four 5 ont porté sur deux aspects essentiels : l'anthracologie en premier lieu, et enfin, la recherche de graisses sur des galets composant le comblement supérieur ; ces deux points visant notamment à caractériser le fonctionnement des fours.
36L'étude des charbons de bois réalisée par C. Machado apporte des éléments importants sur le choix des combustibles, pouvant être mis en relation avec le mode de fonctionnement de la structure. On retient tout d'abord qu'une sélection de bois a été opérée. La prédominance du chêne dans l'assemblage se justifierait en particulier par ses atouts comme combustible. Il favorise une combustion lente et la production de braises en abondance. Ce choix correspondrait alors à une conduite de feu spécifique. Certains modes de cuisson, dont la cuisson à l’étouffée, requièrent ces qualités. L’utilisation du pin d’Alep, quant à elle, s'expliquerait par le fait que la forte inflammabilité de ce résineux faciliterait l’allumage. L'analyse révèle par ailleurs que les charbons du four sont probablement les restes d’une unique combustion. Ainsi, cette structure n'aurait servi qu'une seule fois. Cela rejoint les conclusions anthracologiques établies pour le site du Champ de Brach à Eyrein (Beausoleil et al. 2006-2007, 108-109).
37A l'instar des analyses effectuées sur les fours à pierres chauffées découverts sur ce même site corrézien, nous avons choisi d'orienter nos analyses vers la recherche de triglycérides sur des galets du four. Le résultat indique clairement, comme à Eyrein (Beausoleil et al. 2006-2007, 103), la présence en quantité importante de graisses animales à la surface des blocs. Le four a donc vraisemblablement servi à la cuisson ou à la préparation d'aliments carnés. Nous indiquons toutefois que la structure n’a pas livré de restes fauniques.
38Dans le cadre de ce présent article, il ne nous semble pas nécessaire de proposer un panorama complet et une répartition exhaustive de ce type de structures. Sur ce point, on pourra se référer à la publication des actes du colloque de Bourg-en-Bresse et Beaune de 2000 (Frère-Sautot 2003) qui illustrent l'ampleur géographique de leur distribution et aux cartes de répartition proposées dernièrement (Pranyies et coll. 2012, 38-39). D'autre part, dans la mesure où le four de Bastide Neuve III a pu être daté du premier âge du Fer, nous nous bornerons ici à évoquer des exemples appartenant à cette période chronologique. On peut toutefois rappeler rapidement que l'existence de ce type de four couvre une large fourchette chronologique puisqu'on en rencontre depuis le Néolithique, mais que les formes présentes à cette période diffèrent généralement des exemplaires protohistoriques. Dans ce sens, nous éviterons de dresser une approche évolutive comparée trop fastidieuse, car si du Néolithique au premier âge du Fer, ces fosses de combustion peuvent effectivement prendre pour qualificatif générique l'appellation de fours à pierres chauffées, il apparaît actuellement qu'elles recouvrent des réalités morphologiques et fonctionnelles disparates d'une époque à l'autre, et peut-être aussi à l'intérieur même d'une période.
39Ces structures deviennent plus fréquentes et sont amplement réparties à partir de la phase de transition Bronze/Fer (Hasler, Coye 2000, 218). Les découvertes se sont par ailleurs multipliées ces 15 dernières années. La région Rhône-Alpes est particulièrement bien fournie, notamment le Bas-Dauphiné, suite aux opérations d'archéologie préventive réalisées en amont de l'aménagement du tracé de la ligne TGV Rhône-Alpes, où les fosses de combustion sont parfois associées à des vestiges d'habitat et couvrent une période allant du Bronze final au premier âge du Fer (Hénon et coll. 2003). Souvent disposées en batterie, les modalités d'organisation de ces structures peuvent varier d'un site à l'autre et selon les périodes. À la fin de l'âge du Bronze et au début de l'âge du Fer, il semble que l'alignement soit privilégié, et notamment, il apparaît que l'axe nord/sud ou nord-ouest/sud-est est plutôt recherché, ce qui pourrait témoigner en faveur d'une orientation préférentielle. Un exemple particulièrement éloquent est fourni par le site d'Eyrein en Corrèze, totalisant 31 fours datés du premier âge du Fer et (Beausoleil et al. 2006-2007), ou encore par le site de Grièges dans l’Ain où un alignement de 21 structures du même type a été plus récemment exploré (Pranyies et coll. 2012).
40La Provence dispose à l'heure actuelle d'un petit corpus relatif à ce type de fosses. En premier lieu, il faut mentionner les découvertes réalisées lors de l'opération du TGV Méditerranée. Tout d'abord, dans les Bouches-du-Rhône, cinq fosses de combustion rectangulaires avaient été mises au jour à Ventabren. Il s'agit de l'exemple le plus proche géographiquement, chronologiquement et morphologiquement de celui de Bastide Neuve. Ces fosses, dont la forme et le comblement rappellent celles qui nous occupent, sont disposées en batterie alignée sur un axe nord-sud et sont distantes les unes des autres d'environ 1 m (Hasler, Coye 2000 ; Hasler et al. 2003). Au nord de la région provençale, dans les Hautes-Alpes, le site de Saint-Antoine à Vitrolles a également fourni 5 structures de ce type appartenant à la même séquence chronologique que celles de Ventabren. Elles sont cependant agencées de façon différente, quatre d'entre elles étant groupées deux par deux (Hasler, Coye 2000, 217-218). Des découvertes de même nature ont été faites lors d'opérations archéologiques préventives à Aix-en-Provence (Auburtin, Sargiano 2014) et dans les Alpes-de-Haute-Provence à Saint-Martin-les-Eaux et à Peipin (in : Rinalducci de Chassey 2008, 113). Dans le Var, aux Arcs-sur-Argens, deux ensembles de foyers à pierres chauffées répartis de part et d’autre d’un chemin probablement protohistorique, ont été récemment publiés (Dubesset et coll. 2016). Le premier correspond à un alignement de 11 structures datées du Bronze final III, tandis que le second groupe comprend 7 autres foyers utilisés entre le Ve et le IIIe s. av. n. è. Cette attribution montre une perduration de l’utilisation de ce type de fours jusqu’au second âge du Fer.
41Les fours à pierres chauffées font l'objet de diverses interprétations relatives à leur utilisation, principalement en ce qui concerne la sphère d'activités à laquelle ils appartiennent. On distinguera la sphère artisanale, le domaine de l'alimentation et la sphère sociale, ces deux dernières pouvant par ailleurs être associées dans le cadre d'un événement collectif.
42Dans la sphère artisanale, on peut évoquer la proposition formulée au sujet des fours mis au jour à Ventabren dans les Bouches-du-Rhône et à Millau dans l'Aveyron. Celle-ci privilégie l'idée qu'il s'agit de fosses de carbonisation appartenant à des ensembles artisanaux, pouvant être mis en relation avec des activités de fonte du minerai de fer (Hasler et al. 2003, 47). L’analyse chimique conduite sur les galets du four à Bastide Neuve III exclut d'emblée cette explication. A Velaux, le four 5 a manifestement servi à la cuisson ou à la préparation d'aliments carnés. Dans cette perspective, et dans le cadre de l'économie vivrière rurale, ce type de fours pourrait-il être destiné au séchage ou au fumage de la viande en vue de sa conservation ? L’hypothèse de l'usage de ce type de structures à des fins de torréfaction ou de grillage de graines et de fruits est par ailleurs avancée (Gascó 2003 ; Hénon et coll. 2003, 418). Sur le site de Bastide Neuve III, aucun dispositif, ni restes carpologiques pouvant évoquer de telles pratiques n'ont été observés. De plus, il ne semble pas que le choix du combustible soit motivé par la production de fumée. La découverte de Velaux tend quoi qu'il en soit, à confirmer que les fours qui nous occupent ont une vocation culinaire certaine. Une telle fonction prévaut pour le site de Grièges, mais ici, c’est la présence de restes fauniques dans les niveaux d’abandon des foyers qui a permis de formuler cette interprétation (Pranyies et coll. 2012, 27). La cuisson à l'étouffée est l’utilisation qui a également été retenue pour le site du Champ de Brach à Eyrein où les fours ont révélé la présence d’un dépôt de matières grasses animales ou végétales, d'après les analyses de composés organiques présents sur des blocs de granite. Sur ces deux sites, l’agencement des fours, leur concomitance et leur homogénéité fonctionnelle conduisent les auteurs à envisager un statut particulier pour ces structures. Il est vrai qu'attribuer une simple fonction alimentaire à ces batteries de fours n'explique pas en soit leur distribution régulière couramment en enfilade et sur un axe préférentiel, comme c'est le cas également à Pérignat-les-Sarlièves en Auvergne (Surmely 2003, 78), à Ventabren dans les Bouches-du-Rhône (Hasler, Coye 2000, 217), à Saint-Priest (Jacquet et coll. 2003) et à Meyzieu (Hénon et coll. 2003) dans le Rhône, sur le tracé de la ligne LGV Montpellier-Nîmes entre Aubord et Beauvoisin dans le Gard (secteur 17 : information B. Sendra) ou encore sur le site du Rival à La-Côte-Saint-André en Isère (Bleu et coll. 2010 ; Charvet in : Péquignot et al. 2012). Compte tenu de la relative constance caractérisant ces découvertes, en particulier en termes de chronologie, de morphologie et de disposition topographique, ce type de site témoignerait d'un événement « planifié » et parfois « synchrone » en relation avec un fait social ou cultuel (Beausoleil et al. 2006-2007, 110). Il s’agirait explicitement des « vestiges de repas collectifs et cérémoniels » (Milcent 2009, 471), dans le cadre d’une manifestation sociale à l’échelle de la famille ou du groupe (Vital 1992, 173).
43Malgré leur faible nombre, il est probable que les deux fours du site de Velaux participent du même phénomène. La fouille que nous avons réalisée à Bastide Neuve III n’a cependant pas permis de conclure à la présence de vestiges associées. Cela dit, parmi les structures découvertes lors de cette opération, quatre structures (FS 2, FS 4, FY 6 et FS 7 : fig. 13) réparties autour des fours n’ont pas pu être datées faute de mobilier (céramique non tournée indigente et non caractéristique, faune absente et restes végétaux carbonisés non exploitables pour une datation radiocarbonne). La fosse 6 est probablement un foyer. Elle a fourni par ailleurs un fragment de pierre à aiguiser et un éclat de meule. Les fosses 2 et 4 pourraient correspondre à des vidanges de structures de combustion avec apports pierreux, la dernière est une petite cuvette de nature indéterminée. Rien n’exclut définitivement qu’elles soient synchrones des fours du premier âge du Fer.
Fig. 13 : Les structures non datées à proximité des fours.
DAO : V. Ropiot ; cliché : A. Charvet.
- 3 De même que pour FR 1 et FR 5, cette fosse peut sembler isolée, mais dans le secteur fouillé en 201 (...)
44La seule structure pouvant être associée de façon tangible à nos fours est la fosse mise au jour à environ 30 mètres au sud, lors de la fouille de l’Ecole Départementale des Sapeurs Pompiers (Sargiano 2012). Si celle-ci peut être considérée comme contemporaine des fours à pierres chauffées (voir supra partie 2), alors son remplissage interpelle à plusieurs titres : elle comprenait des rejets de foyers (quelques galets rougis, charbons, éléments de terre rubéfiée, cendres), des vestiges de petits ruminants (mouton/chèvre) (I. Rodet-Belarbi, in : Sargiano 2012, 90) et un lot de coquillages marins. Pour ces derniers, leur cohérence semble suggérer un repas unique (N. Weydert in : Sargiano 2012, 91). Outre ces éléments qui évoquent un simple rejet dans le cadre d’une consommation domestique, elle contenait un nombre élevé de fragments de céramique (668 fragments), représentant une vingtaine d’individus (J.-J. Dufraigne, in : Sargiano 2012, 85). Tout d’abord, on peut faire remarquer qu’une telle concentration est surprenante dans un secteur qui n’a pas livré d’autres éléments matériels se rapportant à cette époque3. Ensuite, en ce qui concerne la composition du lot, près de la moitié sont des pots voués au stockage ou à la cuisson des aliments, pour les autres, il s’agit de vases à boire (1 coupelle et 4 gobelets) et à présenter la nourriture (3 jattes et 2 coupes). Appartiendraient-ils à un service spécifique ayant été utilisé lors d’un événement renvoyant à la sphère sociale ? L’analyse de ces récipients reste à approfondir (fonction, représentation catégorielle, état de la céramique au moment du dépôt, bris éventuels, etc…), mais la nature, le voisinage et la contemporanéité vraisemblable de ces trois structures nous conduisent à émettre l’hypothèse d’un lien plus étroit qu’il n’y paraît : la fosse pourrait être envisagée comme un lieu de rejet des vases et des restes alimentaires ayant été consommés dans le cadre d’un repas particulier, ayant sollicité d’une part la cuisson de viandes sur de grands foyers construits pour l’occasion et à usage unique, et, d’autre part, l’utilisation d’une vaisselle variée, puis jetée pour des raisons difficiles à établir, peut-être en lien avec un processus cérémoniel. Dans cette configuration, fours et fosse formeraient alors un ensemble cohérent qui illustrerait plusieurs étapes dans ce type de manifestation, la cuisson, la consommation et peut-être le rejet délibéré (et l’enfouissement) de la vaisselle l’ayant accompagnée.
45Sur d’autres sites, il arrive que du mobilier céramique soit attestée dans les niveaux d’abandon des fours (par exemple Les Communaux d’Arézieux à Villette-d’Anthon en Isère au Bronze final IIIb, Le Clapier à Beauvoir-de-Marc en Isère, La Chapelle et Les Hermières à Mézieux dans le Rhône pour le premier âge du Fer : Hénon et coll. 2003 ; Bayard Nord RD96 à Guilherand-Granges en Ardèche pour le VIIIe s. av. n. è. : Robert et al. 2013). Ces ensembles pourraient-ils également constituer ce qui reste de la vaisselle utilisée à l’occasion de repas impliquant ces structures de cuisson ? Considérant qu’entre le IXe et le VIIe s. av. n. è., les alignements ou batteries de fours relèvent effectivement de manifestations collectives à caractère social, la piste de l’approche fonctionnelle, de la représentativité par catégorie et du traitement ou de l’état, après utilisation, des vases jetés dans les niveaux d’abandon des fours ou dans des structures associées serait sans doute elle aussi intéressante à suivre, dans la perspective globale de fournir des éléments de réponse à la question du déroulement et de la nature cérémonielle, voire rituelle, de cette pratique.
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