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Observations sur les techniques de production des doliums préromains de Ruscino, (Perpignan, Pyrénées-Orientales) et leur diffusion régionale (IIIe s. et début du IIe s. av. n. è.).

LAURENT SAVARESE et Jérôme BÉNÉZET
p. 227-248

Résumés

Le recensement des découvertes de doliums estampillés appartenant à la fin du deuxième âge du Fer, en Roussillon, notamment à Ruscino, et diffusés jusqu’à Pech-Maho (Sigean, Aude) a soulevé il y a quelques années la question de l’existence d’une production doliaire roussillonnaise. L’examen minutieux des nombreuses traces conservées de façonnage sur les exemplaires des collections de Ruscino (Perpignan, Pyrénées-Orientales) permet maintenant de caractériser les aspects technologiques de cette production. Cette première étude, loin de répondre à toutes les questions, soulève l’aspect singulier d’une production à diffusion micro-régionale, et pose la problématique de l’itinérance des techniques et des artisans potiers.

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Texte intégral

1. Introduction

  • 1 Une vision d’ensemble, livrée par les typo-chronologies céramiques des principaux oppidums languedo (...)

1Les lignes qui suivent sont le fruit d’observations réalisées sur plusieurs fragments de doliums, propres à un groupe de production identifié sur l’oppidum côtier de Ruscino (Perpignan), site majeur du Roussillon, occupé du Bronze final jusqu’à la fin du Ier s. de n. è. (Navarro 2002 ; Gorgues 2010, 163) (fig. 1). Les données apportées par le sondage stratigraphique implanté en 1980 sur un quartier d’habitat de la ville antique permettent de faire remonter l’apparition des productions doliaires dans le courant du Ve s. av. n. è. et rejoignent en ce sens, la situation de nos jours admise pour le Languedoc occidental (Marichal 1980 ; Garcia 1987 ; Py 1993)1. Plus précisément, les quantités de fragments de doliums révélaient pour des contextes de seconde moitié du Ve et du IVe s. av. n. è. des proportions élevées par rapport à celles habituellement rencontrées sur les autres oppidums languedociens (Gailledrat, Marichal 2003, 104 ; Curé 2010, 712-713).

Fig. 1 : Localisation de l’oppidum de Ruscino et attestations de la diffusion de la production doliaire roussillonnaise.

Fig. 1 : Localisation de l’oppidum de Ruscino et attestations de la diffusion de la production doliaire roussillonnaise.
  • 2 Ce silo fait partie des nombreuses structures d’ensilage d’époque préromaine comblées en dépotoir e (...)
  • 3 L’étude réalisée par Marc Navarro, a notamment mis en évidence des similitudes dans les argiles pré (...)

2La découverte en 1992, lors des travaux de fondation du musée, d’éléments conservés de bord et de panse non cuits, ainsi que des rejets comparables notés dans le comblement du silo 1002, confortait l’idée du développement d’une production bien spécifique sur le site même à la fin du second âge du Fer. Les éléments en argile crue concernent notamment deux bords de grands doliums (de forme Bd8g) (fig. 2) excluant toute confusion avec d’autres types de récipients tel que les vases en torchis également connus en Gaule méditerranéenne pour le stockage des céréales (Garcia 1987 ; Verdin 1996-1997). Les comparaisons typologiques avec les données offertes par le mobilier de l’oppidum de Pech-Maho (Sigean, Aude), pour des horizons situés entre 250 et 200 av. n. è., soulèvent quant à elles d’autres interrogations. Tout d’abord celle de l’ampleur de l’aire géographique de diffusion de ces formes, étendue de la plaine du Roussillon au sud du Narbonnais, région distante d’une soixantaine de kilomètres au nord-est. Enfin, l’étude des marques doliaires réalisée par Marc Navarro sur ces deux sites pose la question de la filiation des doliums de Ruscino et de Pech-Maho ainsi que celle du rôle de marqueur culturel de ces récipients de stockage (Navarro 2002, 74 ; Gorgues 2010, 163)3. Loin d’apporter autant de précisions que la fouille d’un atelier de production, l’examen minutieux des fragments livre des éléments de compréhension de la chaine opératoire de façonnage. Certains de ces procédés technologiques tendent, comme nous allons le voir, à caractériser l’originalité d’une production indigène apparaissant dans le courant du IIIe s. av. n. è.

Fig. 2 : Exemples conservés de fragments de doliums crus.

Fig. 2 : Exemples conservés de fragments de doliums crus.

DAO et clichés L. Savarese.

2. Détermination d’un mode de production

2.1. La matière première : l’argile de la plaine roussillonnaise

3En l’absence d’analyse pétrographique, l’examen des argiles utilisées, réalisé à la loupe binoculaire, permet toutefois de parler d’une origine locale. Outre une texture rendue graveleuses par l’emploi d’un dégraissant de quartzite atteignant parfois 1 cm de grosseur, elles se caractérisent par la présence d’un fin dégraissant sableux et micacé typique des formations géologiques roussillonnaises (fig. 3). La caractérisation de cette pâte a été abordée par Isabelle Rébé au sujet d’une production de céramique fine : la céramique grise roussillonnaise (Rébé 2003, 267-275 ; Rébé 2007, 10). Si nous sommes là bien loin des pâtes « rustiques » des productions doliaires, ces deux répertoires ont en commun un abondant dégraissant de particules de mica magnésien. La présence d’éléments de quartzite est-il naturel, ou s’agit-il de dégraissant rajouté ? Les formations d’argiles quaternaires et pliocènes des terrasses et de la plaine contiennent ces deux éléments et les possibilités d’approvisionnement sont sans doutes nombreuses sur les coteaux et dans le fond des talwegs. Les dernières recherches menées à Ruscino, n’ont pas donné l’occasion d’aborder la question de la localisation des gisements proches d’extraction de l’argile, ni d’engager des analyses physico-chimiques. La localisation de fours, la tradition potière de la céramique grise roussillonnaise, qui remonte au VIe s. av. n. è. et perdure jusqu’au Ier s. de n. è., sous-entend la présence de carrières dans les environs du site. Les localiser au seul moyen de la prospection pédestre n’est pas envisageable à ce jour tant le milieu naturel a été modifié par l’action des colluvionnements, des alluvionnements et des investissements humains du XXe siècle.

4Une même origine géographique (ou peut-être tout simplement « le lieu ») de fabrication semble d’ores et déjà pouvoir être recherchée en Roussillon ; Ruscino, en l’état actuel du nombre de découvertes d’exemplaires de doliums, et surtout des fragments découverts à l’état d’argile crue, pourrait bien être identifié comme un des centres producteurs. Le statut de chef-lieu indigène, au cours du second âge du Fer, renforce également l’idée d’un dynamisme économique fort (Barruol 1980). Il resterait à savoir si cette industrie doliaire était aux mains de potiers installés à Ruscino ou s’il s’agissait de services de potiers itinérants et spécialisés (les deux cas n’étant d’ailleurs pas incompatibles) ; nous aurons l’occasion de revenir sur cette question (Amouretti 1979 ; Garcia 1987, 59).

Fig. 3 : Exemple caractéristique de la texture de la pâte d’un dolium roussillonnais.

Fig. 3 : Exemple caractéristique de la texture de la pâte d’un dolium roussillonnais.

DAO et clichés L. Savarese.

2.2. Entre façonnage et tournage

  • 4 Nous préférons utiliser le terme de tournette qui nous semble plus précis que la notion de tour len (...)
  • 5 Plateaux amovibles maintenus à l’aide d’argile sur les girelles des tours ou des tournettes ; ils s (...)

5Convenons tout d’abord que le volume de terre mis en œuvre et les dimensions de ces vaisseaux, généralement comprises entre 1,20 m de hauteur pour 1 m de diamètre, écartent d’emblée l’idée de l’usage d’un tour classique de potier afin de monter la pièce. Un autre point important, dans l’approche des techniques employées, est la récurrence, sous le fond des doliums, de paires de « cordons » parallèles, imprimés en positif et se croisant en formant une croix. Le dolium complet découvert en 1988 sous le niveau de sol d’une unité d’habitat d’époque romaine (maison III) offre à ce jour l’exemple le mieux conservé de ces types d’aménagements (fig. 4, n° 1) (Marichal 1988). Ces traces s’expliqueraient selon nous par l’usage de grandes tournettes4 dont les girelles auraient été équipées de rondeaux5 comportant la matrice des cordons (fig. 4). Des tournettes, composées d’un axe surmonté d’une girelle en bois, sont connues dans la poterie traditionnelle contemporaine, notamment en Espagne, et permettent de faire tourner manuellement des charges de plusieurs dizaines, voire centaines de kilos (Romero Vidal, Cabasa Calpe 1999).

Fig. 4 : Cordons conservés sous les fonds de divers modules de doliums.

Fig. 4 : Cordons conservés sous les fonds de divers modules de doliums.

DAO et clichés L. Savarese.

6Les dimensions moyennes de ces cordons sont comprises entre 1,3 à 1,5 cm de largeur pour un espacement variant de 2/3 mm à 2 cm. Leur faible épaisseur, de l’ordre de 1 à 2 mm, indique qu’il s’agissait de cannelures peu profondes aménagées sur le plateau. Les aspects irréguliers et légèrement curvilignes des exemplaires observés, nous laissent penser que les rondeaux pouvaient être en argile, cuite ou crue, les empreintes en négatif ayant été au préalable tracées au doigt. Le dispositif offrait, nous pouvons l’imaginer, un triple intérêt :

7un maintien de l’ouvrage pendant les phases de rotation,

8un ancrage léger et rétractable du fond du dolium lors du séchage,

9à terme, un renfort du fond de type cordon.

Fig. 5 : Exemple de cordon simple.

Fig. 5 : Exemple de cordon simple.

DAO et clichés L. Savarese.

  • 6 La datation du comblement du silo 6, précisée par l’association de céramique attique, de céramique (...)
  • 7 Bien que le comblement de cette structure n’ait pas encore fait l’objet d’une étude spécifique, la (...)
  • 8 Pour rappel, ces travaux, non publiés, ont révélé un dolium entier mais très fragmenté, contenant à (...)

10Nous comptons également, parmi le mobilier exhumé du comblement du silo 6 fouillé en 2011 (Rébé et al. 2011)6, un cas bien conservé de fond révélant un aménagement semblable n’utilisant qu’un seul cordon (fig. 5). A Elne, on a aussi recensé un fond présentant deux cordons dans un sens et un seul dans l'autre (fig. 7, n°13). Cette technique comportait ainsi des variantes et n’était pas uniquement réservée aux grands conteneurs, comme tendrait à l’indiquer la présence de traces identiques, sous le fond d’une jarre découverte dans le comblement du silo 1237, et dans le cas d’un demi module de dolium exhumé en 1992  d’une tranchée liée à la construction du musée (US TM 004) (Marichal 1992) (fig. 4, n° 2 et 3)8.

Fig. 6 : Comptage des éléments caractéristiques des productions doliaires du Roussillon.

Fig. 6 : Comptage des éléments caractéristiques des productions doliaires du Roussillon.

11Nous avons actuellement comptabilisé dans les collections de Ruscino dix exemplaires de fonds de doliums s’illustrant par cette technique (fig. 7). Si l’absence de forme complète sur d’autres sites du département limite les comparaisons, la fréquence à Elne des bords de type 8b dans des contextes de fin de IIIe s. av. n. è. est importante à noter (fig. 6) (Bénézet et al. 2012, 274-275) et l'on retiendra, malheureusement sans contexte fiable, l’emploi à trois reprises au moins de la même méthode pour la réalisation des fonds (Cour du Patronage, Rue du Château) (fig. 7, n° 13 à 15).

Fig. 7 : Exemples de dolium découverts dans les Pyrénées-Orientales.

Fig. 7 : Exemples de dolium découverts dans les Pyrénées-Orientales.

Dessins et DAO J. Bénézet.

2.3. La réalisation du fond

  • 9 Le collage de boules d’argiles, pour réaliser un fond de grand diamètre, conserve souvent sur le re (...)
  • 10 Il serait par ailleurs impossible de lier entre elles les boules d’argile au contact du rondeau. Ce (...)
  • 11 Les procédés traditionnels, lorsque cela est nécessaire, consistent à un saupoudrage de sable fin o (...)

12Le fond a pu être réalisé soit par plaque, soit par la liaison de boules d’argile, techniques que nous n’avons pas pu identifier clairement sur nos exemplaires9. L’usage des colombins, attesté à Lattes, ne semble pas retenu pour ces productions si l’on tient compte de l’observation de nombreux fragments de fonds qui n’ont révélé aucune trace de montage de ce type (Curé 2010, 696)10. Le revers des fonds décrit des surfaces relativement lisses et brutes de séchage. Dans quelques cas un excédant de gravier, visiblement disposé sur le rondeau afin de limiter l’adhérence du fond, est observable (fig. 8, n° 1)11. Un raclage de l’extérieur, marquant l’angle de départ du bas de panse et délimitant la circonférence, ressort comme une constante dans le mode de fabrication, tant des grands modules que des petits. Cette étape se distingue bien sur les grands exemplaires par de nombreux enlèvements de dégraissant formant une bande rugueuse sur 3 à 4 cm de hauteur (fig. 8, n° 2). A l’intérieur, le contour de la jonction du fond et de la panse est souvent lissé au doigt créant deux cannelures digitées. Ajoutons que les tensions provoquées par le séchage ont tendance à créer une concavité plus ou moins marquée du fond (fig. 4, n° 1 et 3 ; fig. 8, n° 1).

Fig. 8 : Etapes de réalisation du fond et du départ de panse.

Fig. 8 : Etapes de réalisation du fond et du départ de panse.

DAO et clichés L. Savarese.

2.4. Montage de la panse

  • 12 Ce dolium fut découvert dans la même tranchée de fondation du musée.

13L’observation des sections représentatives des différentes parties de la panse révèle des marques récurrentes de façonnage et de collage illustrant les étapes du montage. La rareté des doliums entièrement conservés limite nos observations sur le nombre exact de phases de reprise. Les deux exemplaires complets, et notamment le dolium RUS 1988 115 récemment restauré (fig. 4, n° 1) (Touzeau, Rébé 2010), permettent de distinguer sur une hauteur de 60 cm, du bas de panse jusqu’à l’épaulement, un minimum de quatre à cinq bandeaux d’une hauteur variable d’une quinzaine de centimètres. Ils sont perceptibles par de légères variations du profil contribuant à donner à la panse un aspect quelque peu ¨boursouflé¨. La fabrication complète des ces vaisseaux s’effectuait en un minimum de six à sept phases, en respectant entre chacune, un temps de séchage obligatoire pour supporter le poids des ajouts de terre (fig. 4, n° 1). La réalisation du bas de panse était amorcée en même temps que le fond sur une hauteur moyenne inférieure à 10 cm. Plusieurs fragments révèlent en coupe la forme arrêtée en biseau de ce premier stade d’élévation ainsi que la reprise du montage de la paroi. Les fractures de bas de panse conservent fréquemment sur les tranches des tessons la marque des collages du bandeau supérieur débordant sur le précédent (fig. 9). Ces jonctions, peuvent toutefois occasionner des points de rupture ; un séchage trop rapide, intervenant lors d’une phase de reprise, conserve parfois dans l’épaisseur de la paroi la forme donnée au plan de joint. Le dolium entier, mais entièrement fragmenté, découvert en 199212 permet d’observer plusieurs cas de ¨mauvais collages¨ au niveau de la panse. Ils présentent, comme pour le fond, des niveaux arrêtés en biseau sur environ 2,5 cm de largeur. Ces plans de joint ont fait l’objet de préparations de type guillochage permettant de faciliter le collage avec le rang suivant. Sur le bandeau inférieur, il s’agit de stries légèrement obliques, espacées de 2 à 2,5 cm et mesurant 1,7 cm de longueur (fig. 9, n° 1). Elles ont été probablement réalisées à l’aide d’une fine lame en métal ; l’aspect lissé de l’empreinte ainsi que l’étroitesse des entailles, larges de 2 à 3 mm et profondes d’autant, évoqueraient ce genre d’outil. Un autre fragment, correspondant à un bandeau supérieur, présente, sur une même terminaison biseautée, des traces imprimées en positif sous la forme de petits cordons (fig. 9, n° 2). Long de 2,3 cm et large de 2,5 mm, ils correspondraient au moulage des entailles observées sur le bandeau inférieur. L’équidistance de ces cordons est irrégulière ; elle est comprise entre 0,8 cm et 1,8 cm, ce qui sous entend des pratiques variables dans le guillochage. Des techniques semblables furent observées sur des exemplaires de Pech-Maho dans le secteur d’entrepôt 62 A (Solier 1974 ; Navarro 2002, 41).

Fig. 9 : Procédés de collage de la panse.

Fig. 9 : Procédés de collage de la panse.

DAO et clichés L. Savarese.

14Ce dispositif, indique d’une part que les colombins étaient superposés sur un plan biseauté dont l’inclinaison est comprise entre 50 et 60 degrés avec un faible débordement de pâte, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la panse, n’excédant pas 4 cm. D’autre part l’aspect très bien conservé de ces empreintes témoignerait de difficultés fréquentes du contrôle du séchage entraînant une faible cohésion des collages et à terme la fragilité de l’ensemble.

15Il est intéressant de signaler à ce propos un exemplaire de panse tronquée sur sa moitié, conservé en place sur le quartier d’habitat et affleurant, au stade d’arrêt de la fouille, à la surface du sol. Il présente, sur une vingtaine de centimètres de long, le sommet d’un bandeau aminci en bourrelet (fig. 10). L’aspect non fini, avec un léger ressaut de pâte formant un sillon sur le dessus, suggèrerait davantage une reprise du profil supérieur du bandeau lors d’une phase de modelage qu’un réel bord. Le ressaut de pâte, orienté vers l’intérieur, est en tout point comparable aux traces que laisseraient un lissage grossier effectué à la main sur une texture de pâte très humide. La reprise des fouilles à l’avenir permettra de vérifier s’il s’agit d’une trace conservée de façonnage de panse de dolium ou d’identifier a contrario un grand cuvier d’un nouveau type.

Fig. 10 : Forme conservée d’un boudin sur un plan de joint.

Fig. 10 : Forme conservée d’un boudin sur un plan de joint.

Cliché L. Savarese.

16En ce qui concerne l’épaisseur des parois, de l’ordre de 2 à 2,5 cm, l’observation des fragments n’apporte pas de précision sur la technique employée. Les méthodes traditionnelles encore utilisées, peuvent prétendre à une comparaison, du moins à des pistes de réflexion quant aux moyens susceptibles d’avoir servi dans la Protohistoire. Les procédés toujours employés dans cet artisanat décrivent l’emploi de boudins d’argile assez volumineux et étirés à la batte, ou à la main, jusqu’à atteindre l’épaisseur désirée de la paroi de panse (Romero Vidal, Cabasa Calpe 1999). Ainsi transformé, après séchage et cuisson de la céramique, la distinction entre cette technique et celle du montage à la plaque est, à notre avis, impossible. Dans un cas comme dans l’autre, l’usage de la tournette et de gabarits servant au contrôle des diamètres permet un travail de correction du contour de la panse. Observons simplement que le montage des panses, effectué par des superpositions de bandeau étirés et corrigés à la tournette, rappelle fortement les traces de façonnage conservées sur les doliums roussillonnais.

2.5. La réalisation du col et de la lèvre

  • 13 Un montage en deux étapes, fond/milieu de panse d’un côté et col/haut de panse de l’autre, nécessit (...)

17La réalisation du col représente une étape particulièrement délicate de la fabrication d’un dolium. Les tensions générées par le collage de la lèvre, constituée d’une masse humide, épaisse en moyenne de 5 à 6 cm, sur un haut de panse plus fin, et déjà raffermi, représentent des risques importants de retraits et de fissurations que seule une gestion rigoureuse du séchage pouvait éviter13.

Fig. 11 : Principales techniques de réalisation de bords de doliums produits à Ruscino à la fin du deuxième âge du Fer.

Fig. 11 : Principales techniques de réalisation de bords de doliums produits à Ruscino à la fin du deuxième âge du Fer.

DAO et clichés L. Savarese.

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  • 14 Soulignons, de façon générale, la fréquence des réparations de cols de doliums à l’aide d’attelles (...)

19Différentes traces de pliages de pâte, observables sur les tranches des lèvres, montrent que l’achèvement des doliums était réalisé dans la continuité et non, comme pour le tournage des amphores, par des opérations séparées suivi d’une phase d’assemblage14. Les types de bords les plus courants produits à Ruscino au IIIe s. av. n. è. sur les grands modèles, et probablement encore au début du IIe s., sont de type Bd8b (Py 1993). Ils sont formés par un ou plusieurs replis de pâte vers l’extérieur (fig. 11). A l’heure actuelle nous n’avons pas observé sur nos exemplaires de cas de bord rajouté, tel qu’on peut en rencontrer par exemple dans les contextes lattois (Curé 2010, 713). On peut supposer que la forme finale de la lèvre, arrondie et tombante, était affinée à l’aide d’un gabarit (en bois ?) et la mise en rotation de la tournette. Les types de lèvres juste épaissies (forme Bd8g et Bd8e) n’auront été modelés que par un simple repli, soit extérieur, soit intérieur (fig. 11, n° 3 et 5). L’utilisation d’une argile un peu trop raffermie a permis de conserver dans certains cas des traces très nettes de ces replis de boudin formant la lèvre. Le fragment de col découvert en 2011 dans le comblement du silo 6 illustre bien ce cas de figure révélant à la cassure des plans de joint non soudés (fig. 12) (Rébé et al. 2001, 111).

Fig. 12 : Exemple de lèvre (forme Bd 8b) repliée de mauvaise facture.

Fig. 12 : Exemple de lèvre (forme Bd 8b) repliée de mauvaise facture.

DAO et clichés L. Savarese.

20Le collage de l’excédent de pâte, consécutif au repli, se distingue également sur l’extérieur, au niveau de la jonction avec le col. Un ajout supplémentaire d’argile garantissait la solidité de l’assemblage et était masqué par un lissage horizontal au doigt, formant sous la lèvre, les trois ou quatre nervures caractéristiques des ces productions (fig. 13).

Fig. 13 : Le renfort de la jonction lèvre/col.

Fig. 13 : Le renfort de la jonction lèvre/col.

DAO et clichés L. Savarese.

2.6. Traitements de surface

21Un peignage, exécuté par des passages obliques, parfois en diagonale, a été utilisé occasionnellement comme technique, visant davantage à régulariser les zones d’assemblages qu’à constituer un décor. Notons que le procédé concerne tant l’intérieur que l’extérieur de la panse. Les impressions conservées révèlent les négatifs d’un peigne (végétal, bois ou cardium ?), muni de dents plates d’environ 2 mm de largeur. La superposition des passes et le mauvais état des surfaces ne facilitent pas la détermination de la largeur de l’outil. Quelques mesures sont réalisables sur des fragments mieux conservés, notamment ceux exhumés du comblement du silo 002 fouillé en 1991, et restituent une largeur minimale de 4,5 cm (fig. 14) (Marichal 1991). Cette largeur approximative correspond à un outil de type estèque crantée, pouvant être tenu dans une main et appliqué sous la pression de 3 doigts. Ces traces sont par contre généralement absentes sur l’extérieur, à partir du milieu de panse. Soit un travail de lissage les a effacées, soit l’opération n’a concerné que la partie basse de la panse. A l’intérieur, elles sont souvent visibles jusqu’à la jonction col/haut de panse (fig. 14).

Fig. 14 : Traces conservées de peignage.

Fig. 14 : Traces conservées de peignage.

DAO et clichés L. Savarese.

  • 15 Les dépôts blanchâtres présents sur les panses des doliums n’ayant pas fait l’objet d’analyse dans (...)

22Une couverte, de couleur beige blanchâtre15, est fréquemment observée à l’extérieur, sur le col, où elle est en général mal conservée, ainsi que sous la forme de coulées le long des panses en dessous du niveau d’épaulement, résultant de l’excédant ¨d’engobage¨ du haut des récipients (fig. 4, n° 2 ; fig. 15) (Claustres 1951, 181-183 ; Tardieu 1976, 77). Le même procédé est également observé à Elne ainsi qu'à Pech-Maho (Solier 1958, 1961, 1979 ; Navarro 2002, 50). L’altération souvent prononcée des pigments indique soit que les opérations de couverte étaient effectuées après cuisson, la matière disparaît dans ce cas avec le temps, soit que des qualités médiocres de chauffe l’ont insuffisamment cuit pour sa bonne conservation. L’état de meilleure conservation de ces ¨peintures¨ sur la partie basse des panses s’explique peut-être par la préservation dont elles ont fait l’objet dans les fosses d’implantations. Ces soins, à première vue d’ordre esthétique, expliquent l’absence de trace de peignage sur l’extérieur des cols peints, souvent estampillés et destinés à être vu comme l’indiquent les nombreux cas notés dans les unités domestiques et de stockage de Pech-Maho (Garcia 1987 ; Navarro 2002, 54). Des traitements comparables de surface sont à noter sur les fragments de pithoï découverts à Béziers. Les auteurs font référence à ce sujet à des pratiques crétoises qui consistaient à immerger après cuisson le récipient dans de l’eau chaulée, ayant pour but de renforcer l’étanchéité des parois (Olive et al. 2010, 47 ; Gouin, Vogt, 2002).

Fig. 15 : Traces conservées d’engobage extérieur sur panse.

Fig. 15 : Traces conservées d’engobage extérieur sur panse.

Clichés L. Savarese.

3. Quelques mots sur la cuisson

  • 16 Il est fréquent de noter sur nos exemplaires, une altération de surface entrainant des détachements (...)

23L’extrême fragmentation de la documentation et l’absence de données concernant les structures de four imposent la prudence quant à la détermination d’un type de cuisson pour ce groupe de production. Des pistes de recherche peuvent toutefois être proposées d’après l’ensemble des constats d’état de nos documents. Les trois formes complètes, les exemplaires observés de bords et de fonds résultent d’un mode de cuisson en ambiance oxydante. Ils présentent majoritairement des stades de sous cuisson, sans trace extérieure de ¨coup de flamme¨, offrant une pâte friable, de couleur brune à rougeâtre à cœur (fig. 12). D’autres fragments de panse, minoritaires, offrent des aspects mieux cuits provenant d’un mode de chauffe en réduction et post cuisson oxydante (fig. 17). Des degrés variables de température sur des céramiques aussi imposantes peuvent être évoqués pour expliquer ces diverses appréciations d’état. Les observations réalisées à Mailhac dans les niveaux du Cayla III (475-350) évoquent également des qualités médiocres de cuisson ou du moins de texture d’argile (Louis, Taffanel 1955 ; Garcia 1987, 50). A Ruscino comme à Elne, les cas extrêmes de sous cuisson présentent des altérations de surface de la pâte variant de la desquamation superficielle au délitement généralisé16 (fig. 16). En l’état actuel de notre documentation, tout ce que l’on peut dire est que ces impressions s’accordent mal avec des modes de chauffe effectués en four fermé, où la température est d’une part maîtrisée par le potier mais surtout maintenue en pallier pour garantir l’homogénéité de la cuisson sur l’ensemble de la pièce. Dans le cas de cuissons réalisées en four ouvert de type meule, des difficultés pour évacuer l’eau de constitution de ces grandes céramiques peuvent survenir. Un taux d’humidité trop élevé se maintenant sur l’enfournement aurait pour effet de nuire à la montée en température et à terme sur la qualité de la cuisson. Cet inconvénient est corrigé dans les cuissons en structures fermées par des phases de chauffe progressive, pouvant durer plusieurs jours si besoin, en fonction de la taille des pièces ou du volume du chargement. Elles permettent de dépasser le seuil des 550 degrés nécessaire à l’évaporation de l’eau moléculaire et d’atteindre des températures voisines des 850/950 degrés en fin de chauffe. Outre les protocoles de cuisson, la qualité de composition de la pâte utilisée rentre également en considération dans le manque de solidité constaté post cuisson. La forte charge en sable et gravier joue certainement un rôle afin d’éviter une trop grande absorption d’eau par l’argile et limite les fissurations lors du séchage mais, revers de la médaille, enlève de la plasticité et entraine rapidement un manque de cohésion en état de sous cuisson.

Fig. 16 : Altération avancée de la pâte due à un état de sous cuisson.

Fig. 16 : Altération avancée de la pâte due à un état de sous cuisson.

Cliché L. Savarese.

24Sans en tirer pour autant une conclusion sans débat, la piste de cuissons réalisées dans des fosses, ou des structures de four ouvertes, nous semble davantage correspondre à ces constats d’état (Tardieu 1976, 53-54). Rappelons qu’à Mailhac, l’étude d’Hugues Boisson sur deux structures de cuisson du premier âge du Fer laissait entrevoir, pour l’une d’elles, l’usage probable de cuisson en meule chapée sur sole ; des jarres de stockage faisaient partie des productions (Boisson 2002, 14-15) Pour l’heure aucune structure de four de potier comparable au modèle reconnu à Béziers pour des contextes antérieurs, n’a été mise au jour sur le site (Olive et al. 2010).

Fig. 17 : Exemple de sous cuisson post oxydante.

Cliché L. Savarese.

4. Vers l’identification d’une production doliaire du IIIe et du début du IIe s. av. n. è.

25L’hypothèse du développement à Ruscino, d’une production doliaire originale, standardisée et déclinée en divers modules est confortée par la découverte d’éléments non cuits, ainsi que par la mise en évidence de procédés de fabrication bien spécifiques. Les datations relatives des ensembles dans lesquels furent retrouvés ces objets s’accordent pour fixer l’apparition de cette technique de fond renforcé au plus tard dans le courant du IIIe s. av. n. è., période qui offre pour l’instant le maximum de données.

26Sans nier l’existence de constantes, toutes périodes confondues, dans les techniques de fabrication des grands récipients de stockage, la modélisation des phases de façonnage proposée ici définit un mode opératoire précis. Ce dernier ne saurait être transposé à la lettre pour illustrer les étapes de réalisation d’autres productions doliaires. L’usage de tournettes aménagées est fortement supposé, pour expliquer les nombreux cas de cordons imprimés sur le fond. L’apparition de cette technique peut être considérée comme novatrice et découle directement des techniques du tournage. Il en va de même des bords formés par repli de la pâte et non rapportés. Le bord du demi module de dolium découvert en 1992 ou plus récemment celui provenant de la fosse fouillée en 2014 (US 2034) paraissent, quant à eux, tournés directement (Rébé et al. 2014a). Le fait que Ruscino affiche un dynamisme artisanal tout particulier en matière de productions potières depuis le VIe siècle av. n. è., notamment pour ses séries de qualité de céramiques grises roussillonnaises (Rébé 2007), n’est peut-être pas anodin dans l’émergence de nouvelles techniques développées spécialement pour la fabrication de ces vaisseaux.

  • 17 La réduction de ce modèle et la porosité de la pâte nous font penser qu’il s’agit là d’un exemplair (...)

27En rapport indirect avec notre propos, nous ne pouvons pas passer sous silence, l’exemplaire d’une petite céramique modelée, haute de seulement 7,2 cm, découverte par Georges Claustres dans le comblement du silo 100 ; silo qui contenait, rappelons le, des éléments de dolium crus et dont le comblement est daté de la première moitié du IIe s. av. n. è. L’objet en question, qui reprend assez fidèlement le galbe des doliums roussillonnais, se définirait à nos yeux comme un modèle réduit de ces productions, une « mignonette » en quelque sorte (fig. 18)17. L’objet a certes pu être importé, mais l’analogie avec les formes de doliums attestées sur le site et la composition de la pâte à petits dégraissant de mica et de quartzite, nous pousse à l’identifier, si ce n’est comme une production de Ruscino, du moins de la plaine roussillonnaise.

Fig. 18 : Un cas de « mignonette » issu du comblement du silo 100.

Fig. 18 : Un cas de « mignonette » issu du comblement du silo 100.

Dessin, DAO et cliché L. Savarese.

  • 18 Signalons ici, à titre de comparaison, le cas de remploi in situ d’un dolium d’époque césarienne (d (...)

28L’absence actuelle de fouille d’habitat pour ces horizons, hormis le cas du sondage stratigraphique de 1980, ne permet pas de dater plus précisément l’introduction ou l’innovation de ces procédés. Nous observons toutefois que la documentation provenant des comblements des structures d’ensilage tend à dater les modèles dotés d'un bord de type Bd8b associé à des renforts de fond d’horizons lâches du IIIe s. av. n. è. La destruction brutale de Pech-Maho, scellant entrepôts et unités domestiques de la phase A d’occupation du site, offre par là même un terminus précis de la fin du IIIe s. (Belarte 1999, 47 ; Gailledrat et al. 2009, 12). A défaut de pouvoir observer d’autres exemplaires complets, l’étude des estampilles apporte de précieux renseignements. La fréquence de la marque à la palmette remarquée sur les deux sites par Marc Navarro est tout à fait intéressante pour resserrer la date de fabrication de ces séries dans le courant de la seconde moitié du IIIe s. (Navarro 2002, 50-49, 84). La marque au cheval, attestée sur les deux oppidums ainsi qu’à Thuir et à Elne (Pyrénées-Orientales), sous-entendrait une utilisation de ces conteneurs à échelle micro régionale, englobant la plaine du Roussillon et s’étendant au sud aux marges du Narbonnais (Navarro 2002, 76). Il reste maintenant à apprécier si ces procédés étaient déjà utilisés au IVe s. et si des survivances de ces techniques ont perduré au IIe s. Les rares exemplaires de doliums observés à Ruscino dans des niveaux d’occupation d’époque césarienne (dolium 1988 115 et fragments erratiques) ne constituent pas, loin s’en faut, de preuve suffisante pour parler du maintien des techniques de fabrication indigène lors des contextes tardo républicains. Il s’agit de vaisseaux, installés à demeure dans les sols des unités d’habitation préromaine, qui ont été préservés de la destruction comme en témoigne le cas du dolium RUS 1988 115 et parfois réemployé à l’image du dolium RUS 1990 007 (Marichal, Rébé 1992, 279-292)18. Les récentes données livrées par la fouille de la rue des Corbières à Elne (Bénézet et al. 2012) permettent au mieux de proposer, avec prudence, pour les doliums équipés de bord de type 8b, une fourchette de datation de la fin du IIIe s. mais également engagée dans le début du IIe s. av. n. è. En effet, le fossé (FO 1015) qui succède immédiatement à celui comblé par le rempart effondré et dont le comblement semble s'être effectué dans le premier quart ou tiers du IIe s. av. n. è., présente encore quelques éléments de dolium dont plusieurs bords (de type 5c, 7a et 8b) et une estampille (marque quadrangulaire barrée de quatre stries horizontales parallèles et en relief) déjà recensée par ailleurs à Elne mais aussi à Pech-Maho dans la fouille 42B (Navarro 2002, pl. LXII fig. 123 et pl. XC fig. 173). Les fonds ne sont malheureusement représentés que par de petits fragments sans trace de cordon. Cette dernière technique est attestée par ailleurs sur le site : en effet, lors de sondages réalisés par Roger Grau en 1964 à proximité immédiate de la cathédrale, dans la cour du Patronage, un silo probablement médiéval contenait à sa base de nombreux fragments appartenant à priori à un seul conteneur (fig. 7, n° 12-13). Le fond possède deux cordons en reliefs perpendiculaires à un seul autre cordon. Le bord qui pourrait lui être associé est du type bd 8b, il présente les habituelles traces de doigts juste dessous et un engobe crème sur la paroi externe. Il est aussi estampillé d'une rosette à huit ou neuf pétales (non recensée dans Navarro 2002) et présente sur le rebord douze entailles verticales faites avant cuisson. Toujours à Elne, lors de travaux d'édilité rue du Château en 1981, Louis Bassèdes a récolté de nombreux fragments de dolium appartenant à deux individus, dont un paraissait assez complet. Ce mobilier n'a été que partiellement retrouvé dans les collections du dépôt archéologique d'Elne. L'un des deux fonds, dont il ne reste que des fragments, présentait sous la base deux paires de cordons parallèles en positif se croisant à angle droit (fig. 7, n° 14). Le mobilier retrouvé au même emplacement (amphores ibériques, céramique grise roussillonnaise et campanienne A) indique une chronologie d'ensemble antérieure au milieu du IIe s. av. n. è. De même, les silos de l'Enclos Albert (place du Canigou), fouillés en 1951, présentent encore de nombreux doliums (bords 8b surtout, un exemplaire de type Bd 5c) dans la première moitié du IIe s. mais aussi associés à une part non négligeable de mobilier antérieur. Ajoutons au dossier, qu’à ce jour, aucun timbre en caractère latin, à l’inverse des cas d’inscriptions en ibères (estampilles et graffiti), n’est recensé sur ces conteneurs. Il faut donc écarter sans aucun doute la possibilité d'étendre cette production au Ier s. av. n. è., au moment ou apparaît et se développe l'usage de l'écriture latine dans la plaine roussillonnaise, éclipsant progressivement l'ibérique. Deux sites ruraux de la périphérie de Ruscino récemment fouillés apportent des données intéressantes de ce point de vue. Au moins un individu est encore présent dans la fosse du début/première moitié du IIe s. de l'Estanyol à Pia (Bénézet, Jandot 2013, 65 fig. 6, n° 26) tandis qu'ils semblent déjà avoir disparu au milieu du siècle dans le silo 66 du Puig del Baja I à Canet (Kotarba 2013, 94-97). On peut donc supposer que cette fabrication a cessé, ou s'est fortement contractée, lors de la première moitié du IIe s. av. n. è.

  • 19 Seul le dolium RUS 1988 115 complet et restauré a pu servir à une modélisation de sa contenance d’a (...)
  • 20 Nous avons pesé l’ensemble des fragments du grand dolium complet découvert en 1992 dans la tranchée (...)
  • 21 L’argile brute étant plus commode et plus rentable à transporter en volume que des doliums.
  • 22 A ce jour, seule la petite jarre provenant du comblement du silo 123 peut prétendre avoir contenu u (...)

29Dans l’approche des techniques mises en œuvre, il est difficile, sans fouille archéologique d’un espace de travail consacré à la fabrication, si tant est que l’on puisse en retrouver des témoignages tangibles, d’aller plus avant dans l’étude des protocoles de façonnage et dans l’organisation des tâches. La finalité des méthodes visait à obtenir des conteurs de grande capacité, supérieure à 600 litres19 et d’un poids léger une fois cuit, avoisinant les 200 kilos20 et facilement manipulable par quatre personnes. Leur réalisation se relève d’un grand savoir faire, d’un travail organisé et séquencé que nous supposons, sous notre climat, exercé en atelier et en saison favorable. Sans que cela remette en cause les hypothèses anciennement émises d’itinérance de potiers spécialisés, nous entendons par atelier un lieu fermé permettant d’installer ponctuellement la ou les tournettes, de gérer aux mieux les variations atmosphériques nécessaires aux phases de séchage et au stockage de proximité de l’argile prête à être utilisée (Amouretti 1979 ; Garcia 1987, 59). Les traces conservées de façonnage posent de nombreuses questions quant aux outils spécifiques mis au point par les potiers (utilisation de grande tournette, de gabarits de mesure et de correction de contour, de peigne, d’estèque, de batte…) mais également sur ces nombreux cas de ruptures notés au niveau d’un plan de joint que nous qualifierions, dans notre souci moderne de perfection, de défauts de fabrication liés à des paramètres de séchage. Destinés au stockage sous abri ou dans les unités domestiques, ces conteneurs n’auront peut-être simplement pas bénéficié d’un ¨cahier des charges¨ de réalisation très poussé ce qui est paradoxal devant la prouesse technologique d’artisans potiers capables de fabriquer des céramiques de plus d’un mètre de hauteur sur des épaisseurs de panse n’atteignant pas 3 cm d’épaisseur. L’impression laissée est celle d’un ressenti de pièces exécutées rapidement, pour ne pas dire  à ¨la va-vite¨, ce qui ne remet pas en cause l’habileté des potiers, bien au contraire, mais irait peut-être justement dans le sens d’activités saisonnières d’artisans itinérants. La relative fragilité de ces récipients soulève quant à elle la difficulté de leur exportation vers les centres voisins et nous laisserait envisager, là aussi, davantage une mobilité des compétences, voire de la matière première21, que celle des productions (Gorgues 2010, 163). Dans un même ordre d’idées, l’ambiance générale de sous cuisson peut se comprendre davantage comme un souci d’économie de gestes et de combustibles, en adéquation avec la finalité de l’objet, qu’un manque de savoir faire. La porosité de la pâte, son manque de dureté, les nombreuses amorces de rupture présentes dès l’origine au niveau des collages de la panse, l’absence de poix, s’accordent mal avec le conditionnement de liquides 22tel que le vin, et confortent l’idée d’un procédé domestique de conservation des céréales. Pour conclure, nous serions tentés de dire que si ces doliums étaient mal ¨cuits¨ voire ¨imparfaitement réalisés¨ c’est qu’ils n’avaient pas besoin de l’être davantage pour l’usage qui leur était réservé.

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Notes

1 Une vision d’ensemble, livrée par les typo-chronologies céramiques des principaux oppidums languedociens, montre que c’est durant le IVe s. av. n. è que semble s’opérer les changements de modes accordant une part de plus en plus importante aux doliums, au détriment des grandes urnes.

2 Ce silo fait partie des nombreuses structures d’ensilage d’époque préromaine comblées en dépotoir et fouillées par Georges Claustres entre 1947 et 1969. La datation relative du comblement du silo 100, d’après l’observation de la céramique grise roussillonnaise, serait à situer dans le courant de la première moitié du IIe s. av. n. è. (information orale I. Rébé).

3 L’étude réalisée par Marc Navarro, a notamment mis en évidence des similitudes dans les argiles présentes à Ruscino et à Pech-Maho ainsi qu’au niveau des motifs estampés « 88,5% des dolia estampillés répertoriés sur Pech-Maho ont une pâte rouge-brun finement micacée qui désigne une production roussillonnaise ».

4 Nous préférons utiliser le terme de tournette qui nous semble plus précis que la notion de tour lent, il est vrai souvent reprise en publication. Un tour de potier proprement dit se définit par une adéquation entre la vitesse de rotation d’un volant d’inertie (tour à pied, tour à bâton) et la masse d’argile à mettre en œuvre. Actionné trop lentement le volume de terre ne peut ni se centrer ni s’élever sur un tour. La tournette, ou « tour lent » simple plateau monté sur axe, actionné à la main, permet au potier de corriger certains défauts de modelage mais en aucun cas de tourner une céramique par sa seule inertie. Dans le cas de céramiques imposantes comme les doliums, une vitesse peut toutefois être atteinte par la masse en rotation et permettre au potier de se mettre en condition de tournage pour certaines étapes de la fabrication.

5 Plateaux amovibles maintenus à l’aide d’argile sur les girelles des tours ou des tournettes ; ils sont généralement réalisés en bois.

6 La datation du comblement du silo 6, précisée par l’association de céramique attique, de céramique à vernis noir de l’atelier des petites estampilles, se situe dans la première moitié du IIIe s. av. n. è.

7 Bien que le comblement de cette structure n’ait pas encore fait l’objet d’une étude spécifique, la vision d’ensemble du mobilier céramique renverrait à des horizons de courant du IIIe s. av. n. è.

8 Pour rappel, ces travaux, non publiés, ont révélé un dolium entier mais très fragmenté, contenant à l’intérieur un demi module et des fragments en argile crue (fig. 2 et 3). La présence d’un vestige de four non loin du secteur (information orale de Rémy Marichal) laisse supposer la présence proche d’une zone artisanale potière. L’urgence des travaux et l’étroitesse de la tranchée n’ont malheureusement pas permis de mieux caractériser ces dépôts. La présence d’un bord d’amphore gréco-italique autorise toutefois d’envisager un contexte lâche du IIIe ou du début du IIe s. av. n. è.

9 Le collage de boules d’argiles, pour réaliser un fond de grand diamètre, conserve souvent sur le revers des traces de liaisons des différents ajouts de pâte. L’absence de ces témoignages sur tous les exemplaires observés nous inviterait pour l’heure à privilégier des fonds constitués par une seule plaque.

10 Il serait par ailleurs impossible de lier entre elles les boules d’argile au contact du rondeau. Ce procédé fragiliserait le fond du dolium et, après séchage et cuisson, des nodules d’argile mal liés serait sans doute conservés sous le fond du récipient.

11 Les procédés traditionnels, lorsque cela est nécessaire, consistent à un saupoudrage de sable fin ou de cendres de végétaux/bois tamisées sur la surface de travail de la tournette ; cela permet d’éviter, lors de phases de séchage, les points d’accroche de l’argile sur le plateau qui engendreraient des fissures. Absorbés par l’humidité de la pâte, ces sables ne laissent que peu de trace sur l’épiderme du fond, le surplus non adhérent disparaît naturellement une fois la céramique décollée du tour. Dans le cas du fragment du dolium découvert en 1991 dans le Silo 009 5, l’excédant de sable semblait concentré sur le bord externe du fond et a occulté le départ de l’empreinte de cordons (fig. 6, n° 1).

12 Ce dolium fut découvert dans la même tranchée de fondation du musée.

13 Un montage en deux étapes, fond/milieu de panse d’un côté et col/haut de panse de l’autre, nécessiterait de débuter le façonnage du col par la lèvre en premier tête à l’envers, ce qui ne semble pas ici être le cas compte tenu du sens de montage indiqué par les replis observés. D’autres paramètres, comme la difficulté de la gestion du séchage des deux parties avant assemblage ou le risque de fissuration par l’ajout de poids sur la panse, rentrent également en ligne de compte pour parler d’une fabrication progressive.

14 Soulignons, de façon générale, la fréquence des réparations de cols de doliums à l’aide d’attelles en plomb (fig. 3, n° 1).

15 Les dépôts blanchâtres présents sur les panses des doliums n’ayant pas fait l’objet d’analyse dans la cadre de cette étude, nous préférons employer le terme neutre de « couverte » que celui d’engobe qui déterminerait, sans preuve formelle, la nature argileuse du produit.

16 Il est fréquent de noter sur nos exemplaires, une altération de surface entrainant des détachements de plaques de quelques millimètres d’épaisseur. Cette pellicule extérieure, mieux cuite, n’offre plus de liaison avec le cœur de la pâte qui est resté friable.

17 La réduction de ce modèle et la porosité de la pâte nous font penser qu’il s’agit là d’un exemplaire n’ayant pas d’usage fonctionnel domestique. Devons-nous entrevoir une fonction cultuelle, bien souvent évoquée par facilité en littérature lorsqu’on est en mal de définir un usage ? Une excentricité de la part du potier ? Un rôle de jouet ? Nous ne pouvons honnêtement répondre à la question.

18 Signalons ici, à titre de comparaison, le cas de remploi in situ d’un dolium d’époque césarienne (dolium RUS 1980 I 20) lors de la réoccupation du plateau lors des VII/VIIIe s. de notre ère, soit 600 ans après son abandon (Rébé et al. 2014, 113). L’exemple inédit du dolium RUS 1990 007 témoigne d’un second usage en unité de stockage. Le vaisseau, visiblement en place dans sa fosse d’implantation, a été tronqué sur sa partie supérieure et a servi à caler quatre panses d’amphore italique qui permettent d’avancer une date d’utilisation de la structure lors de la seconde moitié du IIe s., voire de la première moitié du Ier s. av. n. è.

19 Seul le dolium RUS 1988 115 complet et restauré a pu servir à une modélisation de sa contenance d’après les méthodes de calcul de volume mise au point par le Centre Alexandrin d’Etude des Amphores et des travaux d’Yves Rigoir (Rigoir 1981). La somme des volumes des troncs de cône équivaut pour cet exemplaire à un peu plus de 690 litres, soit un volume dépassant les 690 000 cm3.

20 Nous avons pesé l’ensemble des fragments du grand dolium complet découvert en 1992 dans la tranchée diagnostic du musée. Le cumul des poids des tessons restitue une masse totale avoisinant les 186 kg. Le dolium est de même typologie que celui de 1988 et livre à ce titre, une approche du poids moyen de ces vaisseaux.

21 L’argile brute étant plus commode et plus rentable à transporter en volume que des doliums.

22 A ce jour, seule la petite jarre provenant du comblement du silo 123 peut prétendre avoir contenu un liquide compte tenu de la présence d’un trou de vidange réalisé avant cuisson et situé sur le bas de panse. Du reste, si l’aspect extérieur de la pâte, de couleur rouge brique à dégraissant sableux, est proche de celle utilisée pour les grands modules, elle affiche une texture épurée et une cuisson poussée tendant vers une coloration grisâtre à cœur.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Localisation de l’oppidum de Ruscino et attestations de la diffusion de la production doliaire roussillonnaise.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 39k
Titre Fig. 2 : Exemples conservés de fragments de doliums crus.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 25k
Titre Fig. 3 : Exemple caractéristique de la texture de la pâte d’un dolium roussillonnais.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 33k
Titre Fig. 4 : Cordons conservés sous les fonds de divers modules de doliums.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 56k
Titre Fig. 5 : Exemple de cordon simple.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 19k
Titre Fig. 6 : Comptage des éléments caractéristiques des productions doliaires du Roussillon.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 120k
Titre Fig. 7 : Exemples de dolium découverts dans les Pyrénées-Orientales.
Légende Dessins et DAO J. Bénézet.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 79k
Titre Fig. 8 : Etapes de réalisation du fond et du départ de panse.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 73k
Titre Fig. 9 : Procédés de collage de la panse.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 52k
Titre Fig. 10 : Forme conservée d’un boudin sur un plan de joint.
Légende Cliché L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 46k
Titre Fig. 11 : Principales techniques de réalisation de bords de doliums produits à Ruscino à la fin du deuxième âge du Fer.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 58k
Titre Fig. 12 : Exemple de lèvre (forme Bd 8b) repliée de mauvaise facture.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 35k
Titre Fig. 13 : Le renfort de la jonction lèvre/col.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 42k
Titre Fig. 14 : Traces conservées de peignage.
Légende DAO et clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 35k
Titre Fig. 15 : Traces conservées d’engobage extérieur sur panse.
Légende Clichés L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 39k
Titre Fig. 16 : Altération avancée de la pâte due à un état de sous cuisson.
Légende Cliché L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 21k
Légende Cliché L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 27k
Titre Fig. 18 : Un cas de « mignonette » issu du comblement du silo 100.
Légende Dessin, DAO et cliché L. Savarese.
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/5949/img-18.jpg
Fichier image/jpeg, 19k
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Pour citer cet article

Référence papier

LAURENT SAVARESE et Jérôme BÉNÉZET, « Observations sur les techniques de production des doliums préromains de Ruscino, (Perpignan, Pyrénées-Orientales) et leur diffusion régionale (IIIe s. et début du IIe s. av. n. è.). »Documents d’archéologie méridionale, 38 | 2015, 227-248.

Référence électronique

LAURENT SAVARESE et Jérôme BÉNÉZET, « Observations sur les techniques de production des doliums préromains de Ruscino, (Perpignan, Pyrénées-Orientales) et leur diffusion régionale (IIIe s. et début du IIe s. av. n. è.). »Documents d’archéologie méridionale [En ligne], 38 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/dam/5949 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dam.5949

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Auteurs

LAURENT SAVARESE

Centre archéologique Rémy Marichal, Ruscino (Ville de Perpignan), UMR 5140

Jérôme BÉNÉZET

Pôle Archéologique du Département des Pyrénées-Orientales, UMR 5140

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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