1. Présentation du site

1 Le site archéologique des Laurons est situé sur la commune des Arcs-sur-Argens (Var), à environ 1,3 km au nord du fleuve Argens et à 900 m au sud-ouest du vieux village (fig. 1). Jusqu'à une époque récente, le lieu était consacré à l'exploitation viticole, mais depuis quelques dizaines d'années il est largement investi par la construction d'habitations individuelles. Il occupe la partie nord d'une dépression permienne, zone déprimée qui constitue naturellement la limite septentrionale du massif des Maures.

2 En novembre 2010, une expertise menée par l'INRAP a permis la découverte de vestiges archéologiques (Dubesset, Sivan 2011). Il s'agissait en particulier de plusieurs structures de combustions protohistoriques. À la suite de ces remarquables découvertes, le Service Régional de l'Archéologie a prescrit une opération de fouille. L'exploration du site a été réalisée par l'INRAP entre décembre 2011 et février 2012. Elle a permis la mise au jour de deux ensembles de structures de combustion sur un terrain en légère pente vers le sud. Il s'agit d'un total de 19 foyers à pierres chauffantes similaires à ceux découverts lors du diagnostic. Ces vestiges, associés aux indices ténus d'un axe de circulation, se rapportent à la période protohistorique et constituent notre principal objet d'étude (fig. 2).

3 L'objet de l'article étant la présentation des ensembles de structure à combustion, nous n'exposerons pas les autres phases d'occupations (Néolithique moyen et période moderne). Le détail de ces découvertes est disponible dans le Document final de synthèse de l'opération (Dubesset et al. 2014). De manière succincte, nous pouvons néanmoins signaler que des artefacts caractéristiques de la période du Néolithique ont été découverts en position secondaire dans les unités sédimentaires ou dans le comblement d'abandon de quelques creusements. Aucune structure archéologique n'a formellement été attribuée à cette phase. L'industrie lithique est majoritairement représentée par des quartz (66,55 % de la série) associés à des silex en moindre proportion. Cet assemblage dominé par la production d'éclats est particulièrement singulier. Quelques outils caractéristiques ainsi qu'une production de petites lamelles sont attribuables au Néolithique moyen (Dubesset et al. 2014, 141-173). Les données issues de l'étude de la céramique, bien qu'indigentes, permettent de corroborer ces observations (Dubesset et al. 2014, 174-180). Ces objets hérités attestent vraisemblablement de la présence d'un établissement se rapportant à cette période dans un environnement proche, probablement en contre-haut du site. Des indices analogues avaient déjà été signalés dans le secteur (Hameau 2002).

4 Enfin des traces et des fosses de plantation sont à signaler. En raison du manque de mobilier archéologique associé, la chronologie de ces indices de mises en culture est délicate à restituer. Certaines structures pourraient néanmoins être attribuées à la période moderne comme le suggère la présence ponctuelle de petits fragments de céramiques vernissées.

2. Les étapes de la sédimentation

5 Sur l’emprise de fouille, le toit du substratum permien est drapé d’un petit édifice travertineux (fig. 3). Il se compose de concrétionnements vacuolaires organisés en petits massifs et de placages carbonatés à structure stromatolithique. L’ensemble permet de restituer un paysage dominé par une succession de petits barrages construits, en arrière desquels se développaient des vasques et des chenaux aux fonds et aux parois tapissés de dépôts carbonatés laminés. Les eaux de ruissellement qui ont permis la formation de ces édifices ont entretenu, dans la partie avale de l’emprise, une zone hydromorphe caractérisée par une sédimentation de mode calme. Des indices d’assèchement montrent toutefois que l’humidité du secteur a fluctué selon un rythme qui pouvait être saisonnier.

6 Les conditions de la sédimentation changent ensuite radicalement. Le secteur s'assèche et voit le développement de processus pédologiques. C’est dans ce contexte de stabilité relative que les communautés néolithiques et protohistoriques fréquentent les lieux. Ce sol anthropisé constitue une nette rupture dans le fonctionnement géomorphologique local. Il marque la fin du phénomène de travertinisation. Les causes de ce changement peuvent être locales, liées par exemple à une modification du réseau hydrographique, ou régionales, associées à un changement climatique majeur. Nous retiendrons cette dernière hypothèse dans la mesure où les grandes phases d’édification des édifices travertineux reconnues en Provence s’achèvent, comme sur notre site d’étude, avec la péjoration climatique contemporaine de la fin de l’Atlantique / début du Sub-Boréal et les premiers impacts anthropiques (déforestation, extension des espaces cultivés) du Néolithique et de l’Âge du Bronze (Nicod 2010).

7 L’abandon du site est directement suivi d’une phase de colluvionnement. Les argiles remaniées du substratum rocheux et les fragments de roches empruntés aux constructions travertineuses d’amont recouvrent les vestiges. Cette reprise de l’activité sédimentaire semble assez progressive et n'empêche pas le développement d'un sol pédologique. Les apports sédimentaires se font ensuite plus fréquents et grossiers. Différentes phases d'exploitations agricoles se succéderont de manière concomitante. Les labours, dont les plus anciens pourraient remonter à l'antiquité, ont largement perturbé l’organisation sédimentaire des dépôts initiaux.

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3. Les foyers en creux à pierres chauffantes

9 Suite au décapage de l'emprise de fouille, il a été possible de distinguer deux ensembles de structures de combustions. Bien que le mode opératoire qui a commandé à la construction de ces aménagements soit très analogue, des différences sont perceptibles. Elles s'appuient sur des critères morphologiques ainsi que sur les particularités des comblements. En outre, la répartition spatiale des foyers est un autre argument discriminant. Certains (ENS61) sont en effet alignés selon un axe nord-sud, tandis que les autres (ENS107) semblent moins organisés et sont majoritairement orientés est-ouest (fig. 2).

3.1. L'ensemble ENS61

10 Ce groupement de foyers à pierres chauffantes est composé de 11 structures alignées selon un axe nord-sud. Les fig. 4 à fig. 7 illustrent le premier décapage et la coupe de chaque aménagement. Seul FY161 n'est pas illustré en raison de son très mauvais état de conservation. L'alignement se développe sur l'intégralité de l'emprise et pourrait donc se prolonger hors emprise. D'une manière générale, les creusements sont souvent perturbés par un réseau de traces de plantation. De plus, le terrain étant en légère pente vers le sud, les structures de la partie septentrionale sont également plus érodées.

11 L'espacement entre les aménagements est régulier, distants en moyenne de 2 m. En plan, les dimensions des creusements des structures de l'ensemble ENS61 sont assez homogènes (fig. 6). La profondeur conservée des dispositifs varie entre 0,12 m et 0,22 m. Pour toutes ces structures, un seul niveau de blocs surmonte la couche charbonneuse du niveau de combustion. Pour la plupart, le calcaire domine pour la confection du radier. Le grès est également représenté dans une moindre mesure.

12 Très peu de mobilier archéologique a été découvert dans le comblement des foyers de l'ensemble ENS61. Il s'agit majoritairement de fragments de panse de céramique modelée provenant des niveaux d'abandon des dispositifs. Le seul élément morphologique est un fond plat découvert dans FY161, qui constitue le foyer le moins bien conservé du site.

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14 Au sein de l'ensemble ENS61, un foyer contraste avec les autres (fig. 8). FY35 est localisé à l'ouest de FY31 dans la zone sud-est de l'emprise. Cette structure est tronquée en son centre par un creusement appartenant à un réseau de traces de plantation (RTP128) probablement lié à un processus de marcottage. Le foyer FY35 présente toutes les caractéristiques des structures des ensembles ENS61 et ENS107 en miniature. La faible profondeur ainsi que la proximité avec FY31 le rapprochent de l'ensemble ENS61 tandis que la présence presque exclusive de travertins dans son comblement renvoie à l'ENS107. La singularité de cette structure montre qu'il s'agit sans doute d'un dispositif marginal.

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3.2. L'ensemble ENS107

16 Cet ensemble est composé de sept foyers à pierres chauffantes. Six structures sont orientées est-ouest et une est orientée nord-sud (FY07) (fig. 2). Les dimensions des creusements sont assez homogènes. Leur profondeur est singulièrement élevée oscillant entre 0,4 m et 0,7 m. Les figures fig. 10 à fig. 12 présentent le premier décapage et la coupe de chaque aménagement composant l'ENS107.

17 Le niveau de combustion des foyers est généralement particulièrement bien préservé.

18Pour certaines structures, le bon état de conservation permet d'appréhender la manière dont le feu était confectionné.

19Il semblerait ainsi que le premier niveau de bûches soit orienté dans le sens de la longueur tandis que le second, dans les rares cas où il a pu être observé, est disposé dans la largeur (fig. 13 et 14).

20 Au cours de la fouille, nous avons constaté la présence de modules d'argile contre les parois de certains foyers surmontant directement le niveau de combustion. Cette caractéristique n'a pas toujours le même aspect au sein d'une même structure : il peut se présenter sous la forme d'une petite banquette de quelques dizaines de centimètres ou de « briques » de différents modules. L'hypothèse la plus plausible que l’on puisse proposer est que lors de l’allumage du feu, des pans de sédiments rubéfiés se soient effondrés dans le foyer et auraient donné des concentrations contre les parois. Cette proposition pose néanmoins plusieurs problèmes. En effet, nous avons du mal à envisager que les parois aient pu se dégrader en produisant des amas de terre de dimensions relativement importantes. Dans ce système, il faut également envisager des stigmates d'arrachement éventuellement perceptibles sur les parois des creusements. Or, l'observation de ces dernières, parfaitement fossilisées (rubéfaction) par l'action d'une intense chaleur, ne montre pas d'anomalies particulières. Une autre théorie serait que l'argile ait volontairement été disposée contre les bords du foyer, soit à crue avant l'allumage du foyer, soit après. Le « bon sens » voudrait que la première hypothèse soit retenue en raison de la difficulté de réaliser l'opération « à chaud ». Dans ce cadre, un espace de quelques centimètres aurait été laissé entre la paroi et l'argile afin, sans doute, de ne pas stopper complètement la combustion. Si l’on admet cette seconde hypothèse, il apparaît délicat d'interpréter la fonction de cet ajout qui a pour effet immédiat de réduire la surface de chauffe. L'idée d'un support a plusieurs fois été évoquée lors de la fouille, mais la présence systématique de blocs au-dessus et au contact de l'argile invalide ce genre d'explication.

21Les blocs constituant le radier sont exclusivement de nature travertineuse. Ces derniers sont disposés sur plusieurs couches contrairement aux structures de l'ENS61. Cet état de fait est probablement dû à l'emploi du travertin dont les propriétés calorifiques sont moins élevées que pour le calcaire.

3.3. Chronologie

22 Le mobilier archéologique récolté donne une vision confuse et lacunaire de l'attribution chronologique des foyers. La plupart des objets prélevés se rapportent vraisemblablement à la période du Néolithique moyen (Dubesset et al. 2014, 141-180). L'étude du mobilier céramique a cependant fait ressortir une phase chronologique se rapportant à la Protohistoire pour l'espace de circulation CHEM180 (cf. infra) dont la position stratigraphique n'exclut pas une contemporanéité avec l'un ou l'autre des ensembles de foyers.

23 Cet état de fait concernant l'indigence des informations issues de la culture matériel nous a incité à effectuer un nombre conséquent d'analyses au radiocarbone. Quatre ont été réalisées au laboratoire de Poznan en Pologne et trois au laboratoire de Beta Analytics à Miami en Floride. L'ensemble des échantillons datés a été sélectionné par un spécialiste (I. Figueiral) pour leur durée de vie courte afin d'éviter l'effet « vieux bois » (fig. 15). Les dates ont été calibrées puis modélisées à l’aide du logiciel OxCal v4.2.3. (Bronk Ramsey, 2009 ; Reimer et al. 2013). La modélisation chronologique bayésienne, dont les principes de base appliqués à l’archéologie sont développés par Lanos et Dufresne (2012), permet de préciser les datations individuelles calibrées et d’affiner les dates de début et de fin des ensembles de foyers (fig. 15). Ce gain de précision résulte essentiellement de la justesse de l’analyse archéologique. Concrètement, les datations ¹⁴C de différents foyers, considérés contemporains sur la base de critères stratigraphiques, morphologiques et sédimentologiques (cf. supra), sont donc confrontées les unes aux autres afin d’en améliorer la précision. Les conclusions de l’étude de terrain contraignent les densités de probabilité de chacune des dates.

24Les résultats sont présentés en années BP (avant 1950 par convention), en années calibrées BCE (av. n. ère) et en années calibrées BCE modélisées. Pour ces 2 derniers résultats, le pourcentage de probabilité retenu est de 95,4 %.

L'ensemble ENS61

25 En ce qui concerne l'ensemble ENS61, 3 datations ont été commandées :

FY15 : (beta378970) 2760 +- 30 BP soit 992-830 CalBCE ou 971-827 CalBCE modélisé.

FY17 : (Poz52331) 2740 +- 30 BP soit 974-812 CalBCE ou 937-816 CalBCE modélisé.

FY35 : (Poz52362) 2465 +- 30 BP soit 765-430 CalBCE (date non modélisée).

26Les deux dates concernant les foyers de l'alignement (FY15 et FY17) sont cohérentes et homogènes. Le foyer FY35 n’a pas été intégré à la modélisation, car centré autour d’une période de fortes oscillations de la teneur de l’atmosphère en ¹⁴C. Sa très nette augmentation entre 850 et 760 cal. BCE explique que ces 90 ans correspondent à près de 300 années radiocarbone. À l’inverse, sa diminution entre 760 et 420 calBCE explique que ces 340 années correspondent à la même date radiocarbone d’environ 2450 BP. Ce phénomène de dilatation du temps radiocarbone est appelé « plateau de Hallstatt ». Il est bien visible sur la courbe de calibration (fig. 16). À l’image de la date issue du foyer FY 35, les résultats radiocarbone qui s’y trouvent positionnés sont donc particulièrement imprécis.

27Pour revenir au calage chronologique du début et de fin de l’ensemble ENS61 nous retiendrons, comme valeur repère, les médianes des densités de probabilités modélisées. Nous les préférons aux moyennes qui s’écartent mathématiquement des pics de probabilités principaux (fig. 17). Le choix d’une seule date, plus que d’une fourchette chronologique, est rendu possible par des distributions unimodales. Ceci a l’avantage de simplifier le propos sans empêcher de se référer, si besoin, aux fourchettes chronologiques détaillées dans la fig 15. Les dates proposées sont donc de 922 CalBCE (modélisé) pour le début de l’ensemble ENS61 et de 825 CalBCE (modélisé) pour la fin. Ces foyers à pierres chauffantes ont donc été construits au cours du Bronze final III.

L'ensemble ENS107

28Pour cet ensemble, quatre datations au radiocarbone ont été réalisées :

FY07 : (Poz52329) 2265 +- 30 BP soit 399-209 CalBCE ou 401-356 CalBCE modélisé.

FY10 : (Beta378972) 2320 +- 30 BP soit 429-234 CalBCE ou 407-368 CalBCE modélisé.

FY22 : (Beta378971) 2270 +- 30 BP soit 400-210 CalBCE ou 401-357 CalBCE modélisé.

FY25 : (Poz52330) 2335 +- 30BP soit 506-362 CalBCE ou 411-368 CalBCE modélisé.

29 Les structures rattachées à l'ensemble ENS107 sont donc clairement les plus récentes. Les datations sont particulièrement cohérentes (fig. 15 à 17) et leur modélisation place la construction de ces foyers à pierres chauffantes entre 402 et 371 CalBCE (modélisé) soit le premier quart du IV^e s. av. n.è.

3.4. Les analyses organiques

Méthodologie

30 Sur l'ensemble des blocs prélevés, quatre ont été sélectionnés pour être soumis à une analyse organique. Il s'agit de deux blocs (prélèvement n° 23 et 25), de l'US36 composant le niveau supérieur de blocs de FY22 (ENS107), ainsi que deux blocs (prélèvement n° 80 et 81), de l'US91 composant le niveau supérieur de blocs de FY67 (ENS61).

31Extraction de la matière organique : Les blocs de travertin FY22, très fragiles, ont directement été prélevés, alors que les deux blocs FY67 ont été délicatement lavés à l’eau, laissés sécher, puis prélevés par fraisage de leur surface à l’aide d’une mini-fraise électrique. La poudre recueillie a été extraite par un mélange dichlorométhane/méthanol, aux ultrasons (30 min). Après centrifugation pour séparer le surnageant de la fraction minérale insoluble, l’extrait organique a été filtré sur silice, évaporé à sec, puis dérivé. En effet, les molécules dites « polaires » (acides, alcools, amines) doivent être dérivées avant d’être injectées sur la colonne séparative de chromatographie, au risque de dégrader cette dernière irrémédiablement. Les groupements chimiques sont transformés en des groupes triméthylsilyles notés TMS, moins polaires, par réaction de triméthylsilylation. Pour ceci, l’extrait précédent évaporé à sec est dérivé par un mélange de pyridine (5 μL) et de BSTFA (N,O-bis(triméthylsilyl) trifluoroacétamide, 50 μL) à 80 °C pendant 30 min. Après évaporation sous courant d’azote à 40 °C, l’extrait organique triméthysilylé est repris dans 25 μL de dichlorométhane.

32Analyse en HRGC-EIMS : 1 μL de l’extrait dérivé est injecté dans le chromatographe pour l’analyse en HRGC, dont les caractéristiques sont : chromatographe Thermo GCTrace, colonne Zebron-5MSi 20 m × 0.18 mm diam. interne × 0.1 μm phase greffée, gaz vecteur hélium 120 kPa (8 min)  240 kPa (4 kPa·min^-1, 5.0 min) ; injecteur en mode splitless maintenu à 280 °C ; programmation en température : 50 °C (8 min)  350 °C (10 °C·min^-1, 5.0 min).

33Le chromatographe est couplé à un spectromètre de masse Thermo DSQII. La source est maintenue à 200 °C. Les analytes sont ionisés par impact électronique avec un faisceau d’électrons d’énergie 70 eV. L’analyseur quadripolaire balaie la gamme de masse 50-800 amu à 9300 amu/s, soit 7 spectres par seconde (fig. 18 à 21).

Résultats

34Les blocs de travertins de FY22 : Les deux blocs, très fragiles, ont directement été prélevés aux endroits indiqués par l’archéologue (face supérieure).

35Les deux échantillons montrent des traces de matière organique conservée par imprégnation de la roche quelque peu poreuse, et de ses anfractuosités. Les fig. 18 et 19 montrent les chromatogrammes respectifs des échantillons n° 23 et n° 25. Les deux profils sont quasiment identiques, tout au moins qualitativement par la présence des mêmes marqueurs.

36Les acides gras sont les marqueurs organiques les plus abondants, dominés par l’acide palmitique (16:0) et de distribution assez étroite (14:0 - 18:0) avec des traces d’acide laurique (12:0). La présence d’acides gras pairs ramifiés (isomères iso notés i des acides myristique 14:0 et palmitique 16:0) et des acides gras impairs linéaires et ramifiés (isomères iso et anteiso), témoignent d’une graisse d’animal ruminant (bovin, ovin, caprin). Ce matériau d’origine animale et riche en graisse peut être du gras comme de la viande. L’origine animale est confirmée par le cholestérol.

37Les pierres ont aussi été en contact avec des matériaux végétaux. La série de n-alcools à longue chaîne (22-ol au 32-ol) indique une pollution par la végétation environnante ; ces marqueurs proviennent de la dégradation des cires épicuticulaires recouvrant toutes les feuilles des végétaux. En revanche, parmi les marqueurs de plantes, on trouve les phytostérols comme le -sitostérol, associés au campestérol et au stigmastérol, des amyrines, et du lupéol présent sous forme libre et acétylé (formes naturelles). Aussi, les stigmast[adi]ènones détectées sont des marqueurs de dégradation thermique des phytostérols. De ce fait, les phytostérols natifs (-sitostérol, campestérol et stigmastérol) ne sont donc pas des pollutions, mais proviennent bien de matériaux végétaux en contact avec les pierres qui, par chauffage, ont conduit aux deux stigmast[adi]ènones identifiées.

38Bien qu’il soit habituellement attribué au bouleau, le lupéol détecté ici ne peut provenir de cette source, car il serait associé à la bétuline qui n’est pas détectée. Dans la littérature de phytochimie, les sources de lupéol sont nombreuses : les euphorbes (Euphorbia maculata par exemple), le paspale dilaté (Paspalum dilatatum), le chaux châtaignier (Castanopsis spp.), mais toutes des espèces originaires d’Amérique ou du Sud-est asiatique. Le Thuidium tamariscinum, mousse des forêts tempérées, pourrait être un candidat plus probable. De même pour l’acétate de lupéol identifié, la plupart des articles de phytochimie ne provenant que d’équipes de Chine ou d’Inde ne mentionnent que des plantes de ces pays. On peut néanmoins affirmer que le lupéol provient d’une espèce feuillue et non d’un résineux.

39Les deux pierres ont donc probablement eu un rôle culinaire et auraient servi au chauffage de produits alimentaires, autant d’origines animales (graisse ou viande d’animaux ruminants) que végétales (espèces feuillues). Les marqueurs de dégradation thermique des phytostérols démontrent que les espèces végétales ont été chauffées.

40Blocs de grès de FY67 : contrairement aux blocs de travertin de la structure FY22, les deux blocs de grès sont beaucoup moins poreux et n’ont donc pas absorbé autant de matière organique. Les chromatogrammes montrent donc des extraits lipidiques très peu concentrés en matière organique, avec un bruit de fond important (fig. 20 et 21). En revanche, on peut identifier quelques marqueurs :

• des acides gras dans le bloc n° 81, de profil similaire à celui des blocs n° 23 et n° 25 du FY 22, traduisant un matériau animal à forte teneur grasse, probablement de ruminant. Ces acides gras sont absents du bloc n° 80, et ont pu être perdus par simple lessivage.

• un profil de stérols caractéristique de matériaux d’origine principalement animale. En effet, le cholestérol domine très largement le profil des stérols (à m/z 129).

• le squalène, marqueur des peaux sébacées et de l’olive, se retrouve que dans le bloc n° 80. L’hypothèse de graisses cutanées ou de peaux sébacées est préférée, appuyée par la forte présence de cholestérol. L’hypothèse de l’olive est peu probable du fait de l’absence de ses autres marqueurs triterpéniques.

• le lupéol et son marqueur d’oxydation la lupénone, provenant d’espèces feuillues, dont sont aussi issus le sitostérol et le stigmastérol identifiés.

41Les chromatogrammes montrent que :

• les deux blocs n’ont été que très peu imprégnés des matériaux avec lesquels ils ont été en contact,

• le bloc n° 81 a principalement été en contact avec des matières grasses (ou viande) d’origine animale, vraisemblablement de ruminants, sans autre utilisation visible chimiquement,

• le bloc n° 80 a une utilisation plus complexe, mais toujours dans le domaine culinaire. Squalène et cholestérol traduiraient des graisses cutanées (chauffe de couenne par exemple) ; sitostérol, stigmastérol, lupéol et lupénone traduisent l’utilisation de végétaux d’espèces feuillues (les résineux sont écartés).

3.5. Analyse fonctionnelle des foyers à pierres chauffantes

42 Les caractéristiques des comblements des 19 foyers observés à la fouille nous ont permis de restituer les modalités générales de construction et d'utilisation pour les 19 foyers à pierres chauffantes (fig. 22 pour l'ENS61 et fig. 23 pour l'ENS107) :

• Dans un premier temps, une fosse quadrangulaire est creusée. En plan, la forme générale est rectangulaire aux angles arrondis. Le profil, bien fossilisé grâce à la rubéfaction des parois, est caractérisé par des bords verticaux, parfois légèrement rentrants. Le fond est plat ou peu concave ;

• La fosse est chargée en bois. Dans certains foyers, une quantité importante de charbons de bois a été retrouvée. Cette conservation s'explique par le recouvrement du feu par des blocs ce qui a eu pour effet de rendre la combustion du bois incomplète. L’identification anatomique des restes conservés in situ (Dubesset et al. 2014, 129-135) semble témoigner d’une distinction entre bois d’allumage (brindilles / petites branches de bruyères, arbousier, genévrier, alaterne / filaire) et le bois qu’assure la continuité de la combustion (bûches de chêne à feuillage caduc et de chêne à feuillage persistant) ;

• La phase ultérieure consiste à disposer plusieurs couches de blocs sur le feu. Selon les structures, ils peuvent être répartis sur un à trois niveaux ;

• Ensuite un ou plusieurs objets sont déposés sur les pierres chaudes. Le dispositif est refermé avec de la terre pour que la cuisson opère ;

• Une fois la cuisson effectuée, la structure est rouverte pour récupérer l'objet cuit. Puis, le dispositif est abandonné ;

• Enfin, le creusement est comblé volontairement ou de manière naturelle par une couche de sédiment plus ou moins épaisse. Ce niveau représente la phase d'abandon du foyer. Le peu d'artefacts retrouvés à l'intérieur des structures en provient très majoritairement.

43

Fig. 23 : Relevés des étapes de fouille de FY25 représentatif de l'ENS107.

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45Par analogie ethnologique, les chercheurs ont longtemps comparé les foyers à pierres chauffantes retrouvés sur les sites pré- et protohistoriques avec une méthode de cuisson d'aliments encore en usage en Polynésie communément appelée « Four Polynésien » (Orliac 1980). Bien que la fonction culinaire (cuisson à l'étouffée) de ces dispositifs fut dans un premier temps communément admise en contexte archéologique, elle a depuis été fréquemment remise en question (cf. infra). Cela tient certainement au fait que l'interprétation fonctionnelle des foyers à pierres chauffantes repose presque uniquement sur leur ressemblance avec les modèles ethnologiques (polynésiens, canaques...). Le même type d’aménagement a en effet pu être utilisé pour réaliser des opérations différentes sans que leur morphologie ne varie. Outre l'usage strictement culinaire, plusieurs grandes idées dominent pour définir la fonction de ces aménagements : séchage et fumage de viande ou de poisson destinés à la conservation (Vaquer 1990) , séchage ou torréfaction de céréales (ibid., Hénon, Jacquet 2003) , obtention de vapeur pour effectuer des bains curatifs tel que cela a été observé chez les Indiens d'Amérique du Nord (Gilabert 1997), charbonnière pour les exemplaires protohistoriques liée à la pratique naissante de la métallurgie (Hasler et al. 2003), four de potier (Weiss, Frey 1980) , simple brasero (Gilabert 1997).

46 En ce qui concerne les structures découvertes sur le site des Laurons, il est possible, grâce aux informations récoltées lors de notre étude, d'affiner considérablement le champ des possibles. Dans un premier temps, nous pouvons sans doute éliminer d'emblée l'hypothèse d'un fonctionnement en tant que charbonnière. Cette interprétation avait été proposée pour les exemplaires retrouvés sur les sites de Château Blanc et du Puech d'Auzet (Hasler et al. 2003). Pour les auteurs, la sélection des brandons (taxons et taille) ainsi que le phénomène de combustion incomplète seraient des arguments en faveur de ce type d'utilisation. Pour les exemplaires des Laurons, il nous semble improbable que les opérateurs, voulant réaliser cette tâche, aient laissé le fruit de leur travail au fond de la structure. En outre, les observations archéologiques montrent que le comblement des foyers n'a pas été perturbé, ce qui aurait été le cas si on avait voulu récupérer le charbon. Le tamisage des sédiments prélevés n'a fourni aucun reste carpologique (Dubesset et al. 2014, 129-135). Cela nous semble être un argument suffisant pour nous permettre d'écarter l'hypothèse d'une fonction destinée au séchage de graines ou à la torréfaction des céréales. De la même manière l'interprétation de ces structures en tant que four de potier est sans doute erronée. Cette hypothèse qui avait été proposée à Möriken en Suisse (Weiss, Frey 1980) puis expérimentée par I. Bauer (1992) n'a pas lieu d'être pour notre site. En effet, aucun raté de cuisson n'a pu être retrouvé dans le comblement des foyers ou en périphérie. De plus, l'indigence du corpus céramique retrouvé sur le site (Dubesset et al. 2014, 174-180) interdit certainement d'envisager une utilisation dans ce sens. D'un point de vue strictement archéologique, les autres hypothèses d'interprétation précédemment énoncées sont difficiles à discriminer. Les informations issues des analyses organiques menées par N. Garnier nous apportent cependant des données précieuses. Cette étude montre le contact des blocs des foyers avec des matériaux d’origine animale à forte teneur grasse, probablement des animaux ruminants, mais aussi de végétaux d’espèces feuillus, chauffés.

47 Le faisceau des hypothèses d'utilisation se réduit donc considérablement. Nous pouvons écarter l'emploi de ces dispositifs pour effectuer des bains de vapeur ou en tant que simple brasero. L'idée d'un aménagement destiné au fumage des viandes est plus probable. De la graisse animale a en effet pu « couler » sur les blocs prélevés. Dans ce cadre, il faut sans doute considérer un dispositif destiné à surélever les aliments qui cuiraient s’ils étaient posés sur les blocs brûlants. Cette fonction serait cependant en contradiction avec certains résultats des analyses organiques qui montrent un contact prolongé des blocs avec des graisses cutanées (peau) ainsi que des feuilles. L'hypothèse du fumage de viandes, sans être à écarter totalement, n'est donc pas entièrement satisfaisante pour nos exemplaires des Laurons. La théorie d'un usage strictement culinaire, comparable au fonctionnement du « four polynésien » est certainement la plus recevable. Au sein de ce dispositif, l'utilisation de feuilles permet d'éviter le contact direct avec les blocs ou les sédiments. Ce procédé est d'ailleurs connu pour les structures actuelles (Orliac 1980, 2003) par l'utilisation de feuilles de bananier pour emballer les aliments. Dans nos régions, la salade sauvage, le châtaignier ou les orties, utilisés sous forme de tapis, ont pu remplacer cette essence exotique (Gasco, Muller-Pelletier 2007) . Les caractéristiques morphologiques du plan des creusements, rectangulaires aux coins arrondis, ont certainement pour but d'obtenir la plus grande surface de chauffe possible, doublée d'un aspect pratique évident. Pour un foyer circulaire de grande taille, les objets déposés au centre de la structure seraient en effet plus difficilement accessible.

48 Quelques études équivalentes ont déjà été réalisées sur des échantillons issus de ce type de structure sur d’autres sites. Les analyses effectuées ont permis la mise en évidence de triglycérides (graisse animale et végétale). Ce procédé a par exemple été effectué sur les sites du Champ de Brach à Eyrein (Beausoleil et al. 2006-2007) et à la Bastide Neuve III à Velaux (Ropiot, Lachenal 2011). Dans ces deux cas, il a permis de montrer que les blocs ont été en contact avec des quantités importantes de graisses (probablement animales). Ces études sont récentes, et devront être, à notre sens, fréquemment renouvelées afin de multiplier les exemples et d’avoir un corpus représentatif. Grâce à la fouille fine de ces structures associée à ce type d'analyse, nous pourrons peut-être confirmer l’utilisation culinaire des foyers à pierres chauffantes pour un nombre de sites plus important.

4. L'espace de circulation CHEM180

49 Lors de la phase de décapage, des anomalies sédimentaires ténues ont pu être individualisées (fig. 2). Il s'agit d'amas lenticulaires formant des lanières discontinues et irrégulières de sédiments compacts de faibles épaisseurs (3 à 6cm) (fig. 24). La plupart de ces éléments ont un aspect allongé et sont sensiblement orientés nord-sud. Les sédiments composant ces amas montrent des caractéristiques analogues. Il s'agit d'une matrice limono-sableuse compacte brune rougeâtre comprenant de nombreuses inclusions de cailloutis. Il peut s'agir de fragments de calcaire ou de grès, mais le travertin domine d'une manière générale. Ces derniers sont parfois brûlés.

50 Les amas contiennent également une quantité importante de mobilier archéologique qu'on ne retrouve pas par ailleurs dans le niveau sédimentaire sur lequel ils reposent. Il s'agit de tessons de céramique modelée et d'éclats de silex et de quartz (salin ou hyalin). Ces éléments sont fragmentés et ont été retrouvés dans des positions aléatoires. Les tessons présentent des arêtes émoussées et des surfaces érodées de manière plus ou moins intense (Dubesset et al. 2014, 174-180).

51 En l'absence d'analyses ¹⁴C, la datation des ensembles décrits ci-dessous repose sur l'étude critique du mobilier recueilli, ainsi que sur les observations chronostratigraphiques. Les données issues des études relatives au mobilier archéologique sont lacunaires en raison du taux de fragmentation élevé ainsi que du faible nombre d'individus. Les observations permettent cependant d'isoler deux phases chronoculturelles. L'une se rapporterait au néolithique moyen (probablement à une phase récente) tandis que l'autre fait référence à la période protohistorique (Dubesset et al. 2014, 174-180). Si les artefacts lithiques se rapportant à la Préhistoire sont largement mieux représentés, il semble que la céramique fait principalement écho à la Protohistoire au sens large.

4.1. Interprétation

52 L'étude fine des éléments composant l'ensemble archéologique sus-décrit a permis d'appréhender efficacement une structure linéaire couvrant une grande partie de l'emprise de fouille, orientée selon un axe nord-sud. Les caractéristiques des amas lenticulaires compacts associés à des cailloux et du mobilier archéologique émoussé retrouvé dans diverses positions permettent d'interpréter ces éléments comme les restes d'un dispositif dont quelques reliquats plus indurés ont été épargnés par l'érosion. Les indices récoltés nous incitent à proposer d'interpréter ces ethnofaciès sédimentaires comme les vestiges d'un espace de circulation. La morphologie de l'ensemble décrit ce qu'il convient de considérer comme un chemin d'environ 3,3m de largeur maximale (CHEM180). La présence d'objets se rapportant au Néolithique moyen pourrait signifier que cet axe ait fonctionné depuis cette période. Cette hypothèse étant difficile à étayer, la raison nous pousse à interpréter la présence d'objets du Néolithique moyen comme étant en position secondaire. Les éléments sus-décrits nous permettent d'envisager un fonctionnement du chemin durant la Protohistoire. Une contemporanéité (au moins partielle) avec les ensembles de foyers à pierres chauffantes (cf. le chapitre suivant) est également probable. À titre hypothétique, nous proposons que son profil ait eu à l'origine une forme lenticulaire. Bien que nous n'ayons que peu d'arguments en faveur de cette théorie, cette morphologie expliquerait la conservation des lambeaux observés alors que le niveau d'ouverture des structures de combustion (dont le fonctionnement pourrait être contemporain) a vraisemblablement disparu.

5. Structuration de l'espace

53 Au regard de la répartition spatiale des vestiges découvert lors de fouille des Laurons, il apparaît évident que la disposition des structures suit un aménagement progressif. Le dispositif le plus ancien pourrait être l'axe de circulation (CHEM180). Comme nous l'avons déjà évoqué, cette théorie demeure hypothétique, mais les données issues de l'étude du mobilier archéologique ne la contredisent pas (Cf supra). L'argument principal est le lien géométrique qu'entretient CHEM180 avec l'ensemble de foyers ENS61 et la frontière qu'il représente avec l'ENS107. Ce chemin semble être l'armature sur laquelle s'articulent les différents types de foyers à pierres chauffantes.

54 Sans la possibilité de recourir aux datations ¹⁴C, il nous aurait été impossible d'appréhender la période de fonctionnement des structures de combustion. Les données récoltées par cette méthode dans deux laboratoires d'analyses différents (Poznan et Beta Analytics) montrent des résultats homogènes et cohérents difficiles à remettre en question. Ainsi, si l'on excepte la date obtenue pour la structure FY35 en raison d'un phénomène de plateau, il apparaît que l'implantation des foyers à pierres chauffantes a été effectuée en deux phases bien distinctes : Bronze final III (992-812 CalBCE affiné à 922-825 CalBCE modélisé) pour l'ENS61 ; transition premier/second âge du Fer pour l'ENS107 (507-209 CalBCE affiné à 402-371 CalBCE modélisé).

55 Bien que le mode opératoire des aménagements des deux ensembles soit analogue, il est intéressant de noter des changements entre la mise en œuvre des foyers selon leur chronologie. Ces modifications se manifestent principalement dans les dimensions, l'orientation des structures ainsi que la nature des blocs employés pour emmagasiner et restituer la chaleur. L'utilisation du travertin est en effet préférée au grès et au calcaire pour les structures de l'ENS107. Cette modification qui est soit due à une mode, soit à un manque de matière première, entraîne vraisemblablement une mise en œuvre in situ plus importante. Les propriétés calorifères du travertin étant moindres, l'emploi de cette roche a nécessité l'acheminement de beaucoup plus de blocs et a, par conséquent, engendré des excavations plus importantes.

56 À notre connaissance, c'est la première fois qu'il est possible de mettre en évidence, sur un même site, deux phases distinctes d'aménagements de foyers à pierres chauffantes séparés de plusieurs siècles. À cet égard, il nous semble judicieux de considérer que lorsque les foyers les plus récents (ENS107) ont été confectionnés, le chemin (CHEM180) ainsi que l'alignement (ENS61) pouvaient être encore visibles. Si ce n'était pas le cas, la structuration de l'espace ne serait probablement pas aussi marquée, et des recoupements entre structures auraient sans doute eu lieu.

6. Du site au territoire

57 L'étude archéologique des foyers en creux à pierres chauffantes du site des Laurons nous a permis de trancher en ce qui concerne la fonction précise de ces aménagements. Cette conviction, acquise à la faveur des données archéologiques couplées aux analyses organiques, est assez rare pour être soulignée. En effet, jusqu'à présent les études concernant ce type d'occupation restaient généralement centrées sur ces considérations d'ordre pratique. La fonction culinaire ainsi établie nous permet d'aller plus loin dans le raisonnement.

58 Les problèmes récurrents rencontrés pour interpréter les sites à concentration de foyers à pierres chauffantes sont majoritairement liés au manque d'indice matériel. Le site des Laurons ne déroge pas à cette règle. Très peu de mobilier archéologique a pu être retrouvé à l'intérieur des foyers et dans les niveaux sédimentaires. Ce qui pose le plus de problèmes, c'est le manque de faune. En effet, les analyses chimiques ont montré un contact avéré avec de la graisse animale et de la peau de ruminant. Dans ce contexte, pourquoi n'a-t-on retrouvé aucun reste dans le comblement d'abandon des foyers, ni à la fouille ni après tamisage des sédiments ? On ne retrouve pas non plus ce type de vestige dans des fosses dépotoirs comme c'est habituellement le cas pour les habitats de cette période. Notons que ce problème est régulièrement rencontré pour interpréter ce type d'établissement. Dans ces conditions, il faut admettre que la nourriture cuite dans les foyers ne devait pas être consommée sur place, dans l'environnement immédiat de l'aire de cuisson. En l'absence de structures caractéristiques, nous ne pouvons pas considérer les aménagements découverts comme faisant partie d'un habitat. Il pourrait alors s'agir d'une aire périphérique spécialisée dans l'activité de cuisson des aliments. Cette tâche relativement polluante aurait ainsi pu se faire à l'écart de la zone habitée. Bien que cette hypothèse soit séduisante, le contexte archéologique proche du site vient alimenter notre réflexion et nous invite à considérer les choses sous un autre angle.

59 En raison de la présence d'une Villa au lieu-dit (Saint-Pierre), le secteur a particulièrement été surveillé au cours de l'aménagement résidentiel du secteur. Ainsi, de nombreuses explorations archéologiques ont été effectuées dans les environs de notre zone de fouille (principalement au sud). Ces investigations, majoritairement réalisées en contexte préventif, nous permettent d'appréhender différemment le gisement des Laurons (fig. 25). À quelques mètres à l'ouest de notre emprise d'étude, un diagnostic a été réalisé sous la direction de F. Conche (Conche, Bracco 2006). La structure FY1501, non fouillée lors de l'expertise, montre des caractéristiques morphologiques analogues à celles du site des Laurons (rectangulaire aux coins arrondis et parois rubéfiées). Quelques fragments de céramique permettent d'attribuer cette structure au premier âge du Fer. Quelques centaines de mètres au sud, de l'autre côté de la voie ferrée, J.-.M. Michel (2010) a également mis au jour des « excavations à bords rubéfiés de l'âge du Fer » lors d'une évaluation. Au moins trois structures FS436, FS437 (orientées est-ouest) et FO545 (orienté nord-sud) montrent des analogies avec les foyers à pierres chauffantes. Elles sont rectangulaires aux angles arrondis, et leur comblement est composé de fragments de charbons, calcites et travertins « rubéfiés ». La parcelle mitoyenne au sud avait été testée par le même archéologue (Michel 2002). Parmi les vestiges découverts, le Fait 46.43 est un foyer comportant quelques blocs rubéfiés. Son rapprochement morphologique avec nos ensembles de structures est incertain, mais il méritait d'être signalé en raison de son attribution à l'âge du Fer. En revanche, un dernier diagnostic localisé dans le même secteur au lieu-dit le Gros-Ped, montre des ressemblances spectaculaires avec notre site (Reynaud, Chapon 2012). Lors de cette opération, les archéologues ont découvert de nombreux foyers à pierres chauffantes. En tout, il s'agit de 14 structures comparables à celles fouillées sur le site des Laurons. Un point important à noter est que ces éléments semblent également disposés en « rangées », faisant écho aux structures alignées de l'ENS61. De la même manière que sur le site des Laurons, les diagnostics n'ont pas permis de mettre en évidence d'éventuels restes de repas.

60 Ces vestiges ont tous été découverts dans le cadre d'expertises archéologiques. Nous ne pouvons donc les appréhender qu'à travers la connaissance incomplète que nous en avons. De la même manière, très peu ont été testés. Ces données permettent néanmoins de percevoir le site des Laurons sous un nouveau jour. Malgré notre vision morcelée, ces informations montrent que durant la Protohistoire, de nombreux foyers à pierres chauffantes ont été implantés dans ce secteur. Leurs orientations sont variables et certains étaient organisés en alignements. En l'état, nous ne pouvons pas savoir s’il s'agit d'un seul grand site ou de plusieurs « petites » concentrations de foyers à pierres chauffantes. Néanmoins, ces occurrences montrent une zone très dense pour ce type d'aménagement sur environ 10 ha. Les vestiges étudiés sur le site des Laurons font donc vraisemblablement partie d'un ensemble beaucoup plus vaste. D'après les données chronologiques dont nous disposons (incomplètes par définition), le secteur aurait hypothétiquement servi à cette activité entre le début du X^e s. av. n. è. et la fin du III^e s. av. n. è, soit pendant près de sept siècles.

62 Cette situation nous invite à considérer hypothétiquement le groupement de structures de combustion des Laurons/Saint-Pierre/Gros Ped comme étant en rapport avec plusieurs autres établissements. En effet la mise en perspective de toutes ces données (grandeur et spécialisation du site, chronologie longue, densité d'habitats à proximité et dans un espace différent), nous incite à interpréter ce site comme fédérateur et commun à plusieurs habitats. Il va de soi que cette théorie reste conjecturale, mais constitue une piste de recherche plausible. Si l'on autorise cette possibilité, nous pouvons également admettre le caractère exceptionnel de ce type d'aménagement vraisemblablement construit pour de grandes occasions.

63 Les données issues de l'ethnologie nous permettent d'étayer ces hypothèses de manière pertinente. Au Proche-Orient, ces structures sont « aménagées (…) dans des circonstances exceptionnelles (…) et sociales importantes : réception d'un hôte de qualité, cérémonies familiales et collectives » (Bromberger 1974). Dans les Highlands de Nouvelle-Guinée P. Lemonnier (1990) a observé que lorsque ces « fours » sont isolés ; il s'agit d'un aménagement familial à plurifamilial lié à la consommation, prenant parfois un caractère cérémoniel. En groupe, ils sont toujours liés à de grands échanges cérémoniels intertribaux dans les sociétés stratifiées à « leaders » et dans les « chefferies » (ibid.). En Polynésie et en Mélanésie, des aménagements comparables sont utilisés pour les activités culinaires des classes aisées, lors des fêtes publiques, d'activités cérémonielles ou religieuses ou lors de la réception d'un hôte d'importance (Orliac 1982). Au regard de ces exemples actuels, il semblerait que les concentrations de ce type de structure soient susceptibles d'être liées à la sphère sociale et au lien que peuvent entretenir entre eux plusieurs groupes. C'est également ce qu'ont conclu les fouilleurs du site du Champ de Brach à Eyrein où 31 foyers à pierres chauffantes datés du premier âge du Fer sont alignés sur un axe nord-sud (Beausoleil et al. 2006-2007). Ces « fours » témoigneraient d'un événement en relation avec un « fait social » (banquet) ou cultuel (espace sacré) (ibid.). Pour J. Vital (1992), les foyers à pierres chauffantes durant la Protohistoire sont « un marqueur intéressant par la place qu'ils tiennent dans les manifestations sociales et notamment dans les stratégies de compétition et dans l'économie de prestige ». Ainsi, « les fours à pierres chauffantes ne sont pas considérés comme biens de prestiges. Mais ils interviennent au cœur des processus d'acquisition du prestige » (ibid.).

64 Bien que les comparaisons ethnoarchéologiques soient souvent pertinentes, les raisons précises qui ont conduit à la construction de groupements de foyers à pierres chauffantes nous échappent encore. Pour les ensembles des Arcs-sur-Argens, nous devons néanmoins nous interroger sur la présence d'un espace funéraire (Bérato, Dugas, Dutour 1991) attribué au VI^e siècle av. n. è. fouillé dans une parcelle mitoyenne des alignements découverts au Gros Ped. Sur ce site, deux tombes à incinération et un ustrinum ont pu être étudiés. Pour la tombe 1, une urne en céramique modelée décorée y a été découverte. Elle contenait les restes d'un homme et une dent de cheval, des fibules en bronze et en fer, des fragments de couteau et d'un bracelet en fer. À côté de l'ossuaire se trouvaient un vase en céramique modelée et un coutelas de fer à pommeau en bronze décoré au repoussé. La tombe 2 contenait une armille en bronze et deux coupes modelées peintes. L'ustrinum correspond à une surface modelée quadrangulaire de 3m de côté recouvrant les deux tombes.

65 Un synchronisme entre ces tombes remarquables et les ensembles de foyers à pierres chauffantes découverts lors des expertises et de notre fouille archéologique est légitimement envisageable. Cette potentielle association nous permet de considérer le phénomène de groupement de ce type de structure de combustion sous un autre angle, vraisemblablement en rapport avec le sacré.

7. Conclusion

66L'étude rigoureuse des données issues des investigations de terrain menées sur le site archéologique des Laurons a permis d'analyser le développement d'un site protohistorique à concentration de foyers en creux à pierres chauffantes. Deux ensembles différents de structures de combustions s'articulent autour d'un espace de circulation qu'il convient d'interpréter comme un chemin. Selon les données issues des datations au radiocarbone, l'implantation des foyers à pierres chauffantes s'effectue en deux temps. Un alignement de onze structures se rapporte au Bronze final III (X^e-IX^e s. av. n. è), tandis qu'une seconde phase de construction de sept foyers a lieu entre le V^e et le III^e s. av. n. è. Des analyses organiques réalisées sur les blocs issus de deux foyers (1 de chaque ensemble) nous ont permis d'établir la fonction culinaire des dispositifs.

67Certaines caractéristiques mises en évidence dans cette étude montrent l'importance accordée à ce type de structure pour les groupes de la Protohistoire de cette région du Var :

• Malgré l'investissement considérable pour creuser et rapporter les blocs du radier, chaque foyer semble n'avoir servi qu'une fois ;

• Un soin particulier a, de toute évidence, été apporté à l'agencement et l'orientation des foyers à pierres chauffantes ;

• Les aliments cuits étaient vraisemblablement emmenés ailleurs. Le manque de vestiges témoignant de la consommation des repas l'indique ;

• La zone semble avoir été dédiée à ce type d'activité pendant plusieurs siècles ;

• La découverte lors d'expertises archéologiques d'autres structures comparables dans le secteur, élargie potentiellement l'espace dédié à l'implantation de foyers à pierres chauffantes à environ 10 ha ;

• La présence à proximité de la zone de foyers d'un espace sépulcral, comprenant deux tombes à incinération et un ustrinum, permet d'envisager une activité d'ordre cérémonielle.

68 L'ensemble de ces éléments montre que la construction des ensembles de foyers découverts sur la commune des Arcs-sur-Argens traduit des préoccupations qui dépassent le simple cadre culinaire. Ils devaient probablement revêtir une symbolique propre dont le détail nous échappe à ce jour. Les exemples retrouvés en contextes archéologiques peuvent être comparés à ce titre à des modèles ethnologiques connus pour lesquels les concentrations de foyers sont disposées en dehors des villages. Les activités culinaires qui y sont pratiquées sont à rapprocher du domaine social et sont souvent réalisées par les classes aisées, lors de fêtes publiques ou d'activités cérémonielles.