1. Présentation

1.1. Historique de la découverte

1À l’occasion de la mise en place d’un bassin écrêteur de crue en amont du village de Brézins, en Isère, au lieu-dit « Les Ardelières » (Fig. 1), un diagnostic archéologique réalisé en 2013 par l’Inrap a permis la mise au jour d’un dépôt de crémation en fosse (Isnard 2013).

2La découverte n’ayant pas donné lieu à une prescription de fouille, le dépôt en fosse a été coffré et déposé à l’initiative du SRA afin de libérer le terrain à construire. La tombe a ensuite été entreposée dans les réserves du Musée de Saint-Romain-en-Gal. Elle a finalement été fouillée en public dans le hall du Musée, à l’occasion de la Fête de la science en 2014 (Fig. 2). Cet événement était organisé conjointement par l’Inrap, le Musée et le Service Régional de l’Archéologie.

1.2. Contexte géomorphologique

3Cette découverte se situe au centre d’une vallée morte d’origine fluvio-glaciaire orientée d’est en ouest à environ 370 m NGF. Cette imposante vallée de la Bièvre-Valloire conserve le témoignage des écoulements puissants qui se sont produits au début du Quaternaire. Elle sépare les plateaux molassiques du Bas-Dauphiné au nord et celui de Chambaran au sud. La terrasse en place, attribuée au Würm récent, est datée d’environ 18 000 ans (Mandier 1988). L’emplacement du site est positionné en bordure du ruisseau du Rival qui s’écoule au pied des coteaux méridionaux, alimenté par le plateau de Chambaran. Malgré un faciès très perturbé par les débordements fréquents du Rival, le profil de cette parcelle était surtout marqué par une accumulation lente d’alluvions propice à la stagnation d’eau étant donné le faible dénivelé du secteur. C’est à l’intérieur de ces couches limoneuses piégées dans des dépressions plus ou moins profondes que l’on retrouve ce dépôt d’incinération épargné par les crues (Fig. 3).

1.3. Contexte historique et archéologique

4La plaine de la Bièvre et plus particulièrement les secteurs de la Côte-Saint-André, Brézins et Saint-Etienne-de-Saint- Geoirs, ont fait l’objet de nombreuses découvertes archéologiques depuis le XIX^e s. Durant plusieurs campagnes de prospections en 2010 et 2011, doublées d’une étude d’archives et de photos aériennes (Fig. 4), Denis Gonin (mandaté par le SRA) a pu mettre en évidence la potentialité de nombreux sites allant de la période néolithique à l’époque médiévale. Des opérations de diagnostics menées par l’Inrap ont confirmé la densité d’occupation de la zone, et notamment dans toute la ZAC du Rival sur la commune de la Côte-Saint-André où plusieurs fouilles ont été réalisées (Péquignot et al. 2012 ; Bocquet et al. 2015).

5Pour les périodes préhistoriques, en particulier le Néolithique, les découvertes isolées de pièces de silex taillées autour de la commune de Brézins sont assez rares mais néanmoins présentes.

6Ces découvertes se densifient pour l’âge du Bronze, notamment avec la présence dans le secteur du Rival, distant de quelques kilomètres, du fameux char processionnel en bronze retrouvé dans un tumulus à la fin du XIXe s. Cette découverte majeure, effectuée au « mas de Garchat », est actuellement exposée au Musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon. Elle a été faite en 1888, mais le lieu précis n’a pas été consigné lors de sa mise au jour. Ce char est composé de quatre roues à six rayons, d’une situle à deux anses et d’un bassin. Les deux derniers sont datés du VII^e s. av. n. è., les roues du Bronze final (VIII^e s. av. n. è. par dendrodatation).

7Gabriel Chapotat est le premier à effectuer des recherches sur le lieu et sur les conditions de la découverte (Chapotat 1962). Plus récemment, Benoît Helly (SRA) a travaillé sur les cadastres anciens et récents ainsi que des séries de photographies aériennes (IGN 1975), afin de localiser précisément cette découverte. Un travail de recherche a été réalisé en 2008 (D. Gonin, documentation SRA Rhône- Alpes), afin de compiler ces informations. D’autres découvertes de type enclos ou cercles de pierres concernant l’âge des métaux ont été mises en évidence dans l’axe est-ouest le long du cours du Rival, dans une bande d’occupation correspondant au fond du vallon. Cet axe de passage très ancien est repris à l’époque gallo-romaine par la grande voie romaine qui reliait Vienne à l’Italie, via Grenoble. Cet axe principal de circulation, qui traversait la plaine de la Bièvre, était déjà répertorié sur la Table de Peutinger.

8

(F. Isnard).

2. Les données archéologiques

2.1. La fosse

9La structure fossoyée F10.1 est de forme légèrement ovale en plan, d’environ 0,47 m sur 0,4 m, et d’une profondeur conservée de 0,22 m avec un profil en cuvette, fond concave, parois assez verticales (Fig. 5). Initiale- ment, elle s’ouvre dans une couche de limons argileux à graviers, à 0,6 m de la surface, à 369,63 m d’altitude NGF et elle est creusée dans le substrat fluvio-glaciaire (Isnard 2013).

2.2. Le comblement de la fosse et la répartition des os et du mobilier1 (Fig. 6)

11Un gobelet décoré à l’étain, posé droit au sommet du comblement conservé et au centre de la fosse, n’est représenté que par le fond, d’un diamètre de 5,5 cm, le vase et la fosse ayant été arasés au décapage mécanique, lors du diagnostic de 2013. Il a livré 4,2 g de fragments d’os indéterminés (diaphyses, os plats). Sous celui-ci la terre était brun clair sur 1 cm environ d’épaisseur. Des petits fragments de ce vase ont été retrouvés dans ce décapage. Ils étaient accompagnés d’un fragment de manche de rasoir en alliage cuivreux, découvert en surface du comblement et prélevé lors du diagnostic.

12En résumé, l’étude de la répartition verticale des os dans la fosse montre que les os des membres dominent à tous les niveaux de profondeur avec un maximum dans les trois derniers décapages, les plus profonds (42,2 %), et principalement dans le quatrième (17,1 % du poids total). La tête et le tronc sont mieux représentés dans le troisième décapage. Cette distribution des os semble aléatoire. Un probable vase ossuaire, un gobelet décoré à l’étain, très mal conservé, est placé dans la partie sommitale de la fosse alors que deux fragments d’un vase accessoire (grande urne), placés en symétrie contre les parois inférieures de la fosse, sont recouverts par les résidus de la crémation.

13Des petits fragments de macro-restes carbonisés indéterminés (1,5 g) ont été retrouvés au tamisage dans chaque décapage (cf.§ 5).

3. Les données ostéologiques

3.1. Estimation de la température

14La détermination du degré de température du bûcher est basée sur l’observation macroscopique de l’os (couleur, fissures, déformation). Cependant, il n’y a pas systématiquement correspondance entre les deux. Ainsi on préfère parler de combustion complète (calcination) quand l’os est blanc ou incomplète (carbonisation) quand il est noir (Gatto 2003). Un stade de couleurs intermédiaires, gris-bleu à gris, représente la combustion de la matière organique. Il faut être prudent avec l’emploi du taux de conservation osseuse comme critère de détermination de la température, car la fragmentation est due pour une part à la température (Doklàdal 1963, 32), mais également aux manipulations d’ossements très fragiles pendant et après la crémation, puis à leur conservation dans la terre (activités taphonomiques), et enfin à la fouille elle-même (McKinley 1994 ; Warren, Maples 1997, 419).

15Dans la fosse, la couleur majoritairement blanche des os révèle une forte calcination. Leur fissuration, leur déformation, leur état très fragmenté ; des tables crâniennes souvent séparées, éclatées témoignent d’une combustion intense. La fissuration parfois en lunules indique qu’il s’agit d’une crémation d’os frais (Guillon 1987 ; Buikstra, Swegle 1989). Le taux important d’os indéterminés (59,1 %) est la conséquence de l’état majoritairement très fragmentaire des os brûlés, et 23,8 % des os sont des esquilles de 1 à 5 mm de longueur. Cette fragmentation peut résulter d’une température élevée qui fragilise les os, cassant alors comme du verre à la moindre manipulation. Néanmoins certains fragments osseux (crâne, mandibule, cervicale, diaphyses des membres, inférieurs surtout) sont de dimensions relativement importantes, de 3,5 à 4,5 cm, et quelques-uns de couleur bleu foncé ou noire (une diaphyse fémorale), mais il s’agit surtout de la partie interne de la corticale épaisse des os longs des membres inférieurs, de l’os spongieux des épiphyses, de l’os coxal ou d’une racine dentaire, et quelques fragments de voûte crânienne brun rougeâtre.

3.2. Le défunt

16Un seul individu est présent dans la fosse en l’absence de doublons ou de différence de maturation osseuse.

17La synostose crânienne est avancée car un fragment de voûte présente une suture endocrânienne complètement fermée. Un fragment de vertèbre cervicale (C3-C7), dont la surface articulaire inférieure droite est déformée en périphérie par des excroissances osseuses (ostéophytose), indique que le sujet est un adulte souffrant d’arthrose cervicale. Le format de certains os est important (os coxal, première vertèbre cervicale, crâne avec épaisseur voûte crânienne : 4,70-5,13 mm, diaphyses avec épaisseur corti- cale fémur : 4,73-8,4 mm). Ces caractéristiques osseuses plaident en faveur d’un sujet adulte d’âge mûr (au moins 30 ans) en raison de l’arthrose cervicale.

3.3. Estimation du sexe

18Rien ne permet d’estimer anatomiquement le sexe de cet individu, le fragment d’os coxal conservé étant insuffisant pour la diagnose. Cependant, la présence d’un accessoire de soin corporel (un rasoir) évoque la sphère masculine (cf.§ 4.2.).

3.4. Poids osseux

19662,9 g d’os ont été recueillis à la fouille alors qu’une quantité indéterminée d’ossements a dû être détruite avec la partie supérieure de la fosse lors de sa découverte à la pelle mécanique.

Fig. 6 : Tableau de répartition pondérale osseuse de la tombe dans le dépôt F10.1.

OS	d1	d2	d3	d4	d5	Vase	Total	%
crâne	5	11,8	15,6	13,9	7,2		53,5	8,1
mandibule	2,4		3,2				5,6	0,8
dents sup.							0	0
dents inf.							0	0
dents indt.	0,4			0,3	0,3		1	0,2
os hyoïde							0	0
osselets oreille							0	0
cartilage calcif.							0	0
Total tête	7,8	11,8	18,8	14,2	7,5	0	60,1	9,1
atlas			3,4				3,4	0,5
axis							0	0
vert. C3-C7	3	0,6					3,6	0,5
vert. thoraciques							0	0
vert. lombaires							0	0
vert. indt.	1,4	0,7	5	4,3	3,5		14,9	2,2
sacrum							0	0
coccyx							0	0
côtes	1,9	4,8	5,7	4,7	2,5		19,6	3
sternum							0	0
Total tronc	6,3	6,1	14,1	9	6	0	41,5	6,3
clavicule			0,4		0,5		0,9	0,1
scapula							0	0
humérus			5,8	7,4			13,2	2
radius			3,8	4,4			8,2	1,2
ulna			3,6	4,2			7,8	1,2
carpe							0	0
métacarpe							0	0
phalanges main	1						1	0,2
Total membres sup.	1	0	13,6	16	0,5	0	31,1	4,7
coxal					3		3	0,5
fémur			19,1	24,5	23,4		67	10
patella							0	0
tibia				15,8	7,3		23,1	3,5
fibula					3,8		3,8	0,6
tarse							0	0
métatarse							0	0
phalanges pieds			0,4		0,1		0,5	0,1
sésamoïdes							0	0
Total membres inf.	0	0	19,5	40,3	37,6	0	97,4	15
Total déterminés	15,1	17,9	66	79,5	51,6	0	230,1	35
os plat	0,9	1,7	7,5	5,2	4,2	1,1	20,6	3,1
os court ou épiphyse	0,8	1,8	4,6	2,2	9,6		19	2,9
diaphyse indt.	16,3	21	33,6	49,7	35,4	3,1	159,1	24
esquilles	25	29,8	58,1	56,7	64,5		234,1	35
Total indéterminés	43	54,3	103,8	113,8	113,7	4,2	432,8	65
TOTAL GENERAL	58,1	72,2	169,8	193,3	165,3	4,2	662,9	100

20En effet, le fond du gobelet ossuaire, au sommet du comblement, ne contient plus que 4,2 g d’os. Le poids total d’un squelette complet brûlé adulte, retrouvé en contexte archéologique, varie selon les auteurs de 970 à 3 247 g, 970 à 2 630 g selon Herrmann (Herrmann 1976), de 1 001,5 à 2 422,5 g selon McKinley (McKinley 1993), de 2 517 à 3 247 g. selon Lowrance et Latimer (in Krogman 1978) et de 1 à 2 kg pour une femme gracile à 3-4 kg pour un homme robuste (Depierre 2014). Un poids osseux minimum de 1 000 g est donc nécessaire pour considérer que la totalité du squelette est présente dans la structure, dans le cas d’une crémation de sujet adulte (Blaizot et al. 2009). Un poids de 662,9 g d’os ne peut donc concerner la totalité de ce squelette adulte car une partie a été détruite par la pelle.

3.5. Etude de la répartition pondérale osseuse

21L’étude comparative de la répartition des os et de la repré sentativité du squelette ne peut se faire correctement en raison de la conservation partielle du dépôt. On observe simplement que la fosse a livré en l’état 9,07 % d’os de la tête, 6,26 % d’os du tronc et entre 48,7 % et 84 % d’os des membres avec ou sans les esquilles (35,3 %).

4. Le mobilier et la chronologie

4.1. La céramique

22Le lot céramique se compose de deux individus. Il s’agit d’un vase de petit volume, fin, quasiment complet ainsi que d’un fond de vase de gros volume à la forme mal définie.

Le grand vase (Fig. 7, n° 1)

23Ce gros individu à dégraissant fin possède une base de 7 cm de diamètre. Le matériel est extrêmement fractionné. L’intérieur est brûlé, surcuit, suggérant un passage au feu sur le bûcher. Sa forme est impossible à identifier car la panse conservée est cassée sous la rupture. Ces éléments ressemblent fortement à la partie inférieure d’une grande urne à col fermé.

Le gobelet décoré à l’étain (Fig. 7, n° 2)

24Le second lot de fragments appartient à une petite forme fermée, basse, décorée de cannelures sous le col. Ce dernier est évasé avec une lèvre éversée. La base est plate et mesure 6 cm. L’ouverture fait 12 cm. À la différence de l’urne, ce gobelet n’est pas passé par le bûcher crématoire. La finition de la pâte est très avancée, l’investissement artisanal est très poussé. Des enlèvements de pâte et un lustrage fin montrent une parfaite maîtrise technique. Les éléments de décor sont nombreux. Tout d’abord, sous le col, au départ de la panse, se trouvent deux cannelures larges. En dessous, plusieurs éléments de pâte blanche, parfois brillante, se retrouvent sur la panse. Ils forment un bandeau décoré de trois registres : des pseudo-grecques, des lignes sur lesquelles sont rattachées, à la rupture de panse, des guirlandes entrecroisées. Le décor blanchâtre est typique d’une altération d’étain. À l’origine, le décor devait avoir un aspect gris métallisé, argenté. Classiquement, ce type de décor de pseudo-grecques associé à cette forme se retrouve dans le Bronze final IIIb. Les plus importants lots de céramique identifiés de cette région proviennent du lac du Bourget. Par exemple, à Conjux III ou au Saut de Châtillon, on retrouve quasiment le même décor à l’étain (Kerouanton 2002). Quant aux formes, les gobelets du lac du Bourget, de manière générale, ressemblent à cet individu. À Grésine, il existe un vase quasiment similaire à notre individu de Brezins (Kerouanton 2002, Fig. 9, n° 6). Plus près, à quelques kilomètres seulement, un site offre le même genre de gobelets, il s’agit de la série fouillée récemment à Anneyron dans la Drôme (Réthoré 2013) avec une dizaine de gobelets de forme et taille similaires (Fig. 7, n° 3).

4.2. Le rasoir en alliage cuivreux (Fig. 8)

25Il s’agit d’un fragment de petit objet long avec un départ circulaire d’un côté et un départ droit de l’autre. Au centre, on aperçoit une partie évidée en croix de saint-André. C’est un petit fragment de manche de rasoir comme on en trouve sur le site de Grésine, dans le lac du Bourget (Haute-Savoie), là encore, et daté pour bonne partie du BF IIIb mais également du BF IIIa. Cependant, la zone évidée est un peu plus droite que les éléments du Bourget. On peut le rapprocher également des exemplaires décou- verts dans des tombes du BF IIIa de la nécropole de Vidy à Lausanne (Moinat, David-Elbiali 2003). Cependant, la forme pourrait être assez archaïque et potentiellement plus ancienne, peut-être du BF IIa.

26Cet accessoire de soin corporel évoque la sphère mascu- line, attribution sexuelle attestée au premier âge du Fer (en lien avec une arme) et au second âge du Fer (Blaizot et al. 2014, 329).

4.3. La perle et les autres éléments cuivreux

27La petite perle de quelques millimètres de diamètre a été très altérée par la chauffe et il est impossible de reconnaître sa forme exacte ni de voir si elle contenait des éléments de décors. C’est la même chose pour les fragments de tige et les autres fragments. S’agissait-il d’épingles ou encore d’autres objets ? Rien ne permet de les reconnaître tant la chauffe les a altérés.

4.4. Les éléments de datation

28La concordance des éléments typologiques laisse entendre que le matériel appartient à une petite crémation datée du BF IIIb, au IX^e s. av. n. è., si on se fie aux datations de Grésine. Le rapprochement chrono-culturel avec le lac du Bourget est le plus évident, les deux sites ne se trouvent qu’à 80 km de distance. Plus prêt, citons également l’oppidum de Moras-en-Valloire, à environ 30 km à l’est. Connu pour ses séries d’assiettes décorées (Nicolas, Martin 1972), de nombreux gobelets de mêmes formes y ont été observés et le motif de pseudo-grecques est un des thèmes récurrents des centaines de vases décorés, retrouvés dans ces découvertes anciennes.

5. Étude des macro-restes végétaux carbonisés

5.1. Les offrandes alimentaires

29Soixante-deux fragments de petite taille (largeur maxi- male inférieure à 10 mm) de matière organique carbonisée de type galettes avec un alvéolage typique (bulles de mie) permettant de caractériser ces préparations ont été découverts dans la structure fossoyée F10 (Fig. 9). D’après la répartition de ces préparations alimentaires dans cette fosse, les cinq décapages et les deux moitiés de la fosse A et B en ont tous livré (Fig. 10). Une préparation alimentaire est considérée comme un acte visant à transformer les végétaux par broyage, de manière plus ou moins élaborée, pour les rendre consommables. La masse visiblement élastique forme une pâte plutôt fine et probablement pétrie mais sans graines visibles, où aucun composant n’est identifiable. L’observation microscopique ne nous permet pas de déterminer la composition de la pâte de ces préparations alimentaires.

30De la matière organique carbonisée de type préparation alimentaire est observée dans différents sites de Rhône-Alpes et plutôt en contexte domestique. De la bouillie de millet commun et un reste de cuisson de glands de chêne ont été identifiés sur le site du Bronze final d’Haute- rive-Champréveyres (Jacquat 1989). Deux fragments de galette ont été découverts dans un vase du Bronze final IIb et dans un foyer à pierres chauffées du premier âge du Fer sur le site de Chens-sur-Léman Véreître en Haute Savoie (Cabanis dans Néré, publication en cours).

31Plus de 200 fragments de préparation alimentaire de type galette ont également été identifiés à l’emplacement des vases du Bronze moyen sur le site d’Andrézieux-Bouthéon dans le département de la Loire (Cabanis inédit). Des préparations alimentaires, plus de quarante fragments de galettes carbonisés à l’alvéolage serré, ont été trouvés sur le site du Bronze final de Quincieux dans le départe- ment du Rhône. Des fragments de bouillie sont présents dans un silo du même site où les graines concassées issues d’un taxon indéterminable sont bien visibles sur la surface de la préparation. Un troisième type de préparation alimentaire a été identifié dans un silo du Bronze final sur Quincieux. Il semble être un petit biscuit ou gâteau plus ou moins circulaire à l’alvéolage serré et fragmenté en sept morceaux (Ramponi et al. 2017).

32Pour le Bronze final, en Seine-et-Marne sur le site fortifié de Villiers-sur-Seine, de nombreux fragments de matière organique carbonisée (blocs de millet, blé germé, orge concassée, gruau d’orge, déchets de décorticage) ont été découverts dans différentes structures (Toulemonde 2014). Les mentions de préparation alimentaire durant l’âge du Bronze sont rares sur le territoire français contrai- rement aux périodes suivantes du deuxième âge du Fer et de la période gallo-romaine (Marinval 1992, 1993). Les préparations alimentaires au Néolithique ont également fait l’objet de publications (Bocquet et al. 1986 ; Duplaix- Rata 1997).

5.2. Le combustible

34D. Marguerie (1993) constate que « le chêne est l’essence privilégiée pour les combustibles des bûchers funéraires depuis l’âge du Fer jusqu’à l’époque médiévale ». D’après Chabal (1995), les espèces qui dominent dans la nécropole gallo-romaine de la Vayssière (Aveyron), dans une nécro- pole du deuxième âge du Fer (Ambrussum dans l’Hérault) et dans les tombes à incinération d’Ensérune (Hérault), sont « de bons bois de chauffage et sont majoritaires dans leur environnement […] le combustible a fait l’objet d’une exploitation sélective des essences ». L’auteur y voit une essence majoritaire tout comme pour le chêne à feuillage caduc de la structure fossoyée F10 de Brézins.

6. Interprétation et geste

35Deux fragments de la partie inférieure d’une grande urne à col fermé (vase à liquide), ont été ramassés sur le bûcher et déposés, avant le versement des résidus, en symétrie contre les parois inférieures de la fosse. Il est possible que la partie inférieure de l’urne, si elle a bien été découpée, ait pu servir de coupe lors de la cérémonie funéraire, puis déposée sur le bûcher, comme au second âge du Fer et durant l’Antiquité (Blaizot et al. 2009). Un gobelet non brûlé décoré de bandes d’étain, contenant des os calcinés (vase ossuaire), a été déposé au sommet du comblement de la fosse. Le bord du gobelet, dont le col était d’ailleurs absent lors de la découverte en 2013, a été brisé volontai rement lors de la cérémonie car un fragment a été rejeté au fond de la fosse lors de son comblement, ainsi que d’autres petits fragments. L’état incomplet des deux vases laisse envisager un geste équivalent de « condamnation » de ces vases ayant servi lors des funérailles.

7. Conclusion

36Le dépôt secondaire de crémation en fosse découvert sur la commune de Brézins représente les vestiges d’une tombe incomplète d’un sujet adulte souffrant d’arthrose cervicale, probablement d’âge mûr. Le mobilier associé (vase décoré à l’étain, fragment de rasoir en métal) permet de le dater du Bronze final IIIb. Le rasoir, bien que fragmentaire, laisse envisager une sépulture masculine. La recons titution de quelques gestes de la cérémonie funéraire peut être tentée à partir des résultats de l’étude.

37La fosse creusée durant la cérémonie est de forme légère- ment ovale, de 0,4 à 0,5 m, d’une profondeur supérieure à 0,2 m, au fond concave et aux parois assez verticales. Après la crémation sur le bûcher (non localisé) du défunt, accompagné de galettes de pain (plus de soixante fragments identifiés), d’une grande urne en céramique incom plète (absence de col) et peut-être d’un rasoir en alliage cuivreux, au moins 658,7 g de fragments osseux, fortement calcinés en majorité, sont ramassés avec un peu de sédiment cendreux et des charbons de bois, résidus du combus tible (chêne) de la crémation, et déposés dans la fosse. La partie inférieure de l’urne est brisée en deux moitiés placées à l’envers, fond vers le haut, en vis-à-vis contre les parois inférieures de la fosse, avant son comblement par les résidus. D’autres fragments du gobelet non brûlé, dont un du col, résultent également d’un bris partiel du vase ossuaire avant son dépôt (Fig. 5). Le gobelet à décor de bandes d’étain (guirlandes et grecques sur la panse, indé- terminé sur le col), servant de réceptacle à l’amas osseux trié (vase ossuaire), est placé dans la partie sommitale du comblement de la fosse, accompagné du rasoir en alliage cuivreux dont seul le manche a été retrouvé à côté (le reste ayant probablement été détruit par la chaleur du bûcher ou disséminé par les labours). La situation du fragment de rasoir est incertaine car il a pu être déplacé par la pelle mécanique lors de la destruction de la partie supérieure de la fosse et du vase ossuaire dans lequel il ne reste au fond que 4,2 g d’os. Le poids total conservé (662,9 g) ne peut donc correspondre à la totalité d’un squelette adulte brûlé, la tombe étant incomplète.

38La répartition des os dans la fosse est aléatoire, confirmant un versement en vrac des résidus : les os des membres sont majoritaires à tous les niveaux alors que ceux de la tête et du tronc sont plus représentés dans la partie médiane de la fosse. On ne peut savoir si un choix anatomique a été fait dans la constitution du dépôt osseux en fosse, en raison de son caractère incomplet, en particulier de l’ossuaire. L’identification même de l’ossuaire, très mal conservé, reste difficile à argumenter et ne repose au final que sur la nature prestigieuse du gobelet décoré à l’étain, son contenu limité à une poignée d’os calcinés, reposant sur le fond, et sa position, droit au sommet et au centre de la fosse.

39La destruction des deux vases, interprétée ici comme le résultat probable de gestes volontaires de condamnation d’objets utilisés lors des funérailles, peut être comparée à ceux de périodes plus tardives où le bris volontaire de vasenon brûlés dans le Midi ou brûlés plus au nord, comme à Pulvérières, Puy-de-Dôme, est pratiqué, lors des cérémonies funéraires, au second âge du Fer (Bel et al. 2008 ; Blaizot et al. 2014) et à l’Antiquité (Blaizot et al. 2009).

40L’absence de couverture sur le vase ossuaire ou d’indices de signalisation, comme un tertre, peut être imputable à la mauvaise conservation de la partie sommitale de la fosse, érodée et endommagée, compte tenu d’un contexte favorable aux débordements du cours d’eau voisin et d’une parcelle agricole érodée par les labours successifs. Un autre exemple de dépôt secondaire de crémation en fosse, mixte (avec ossuaire et résidus), daté du Bronze final III, apparemment isolé, a été retrouvé à l’extrême ouest de la vallée de la Bièvre, à Salaise-sur-Sanne (Isère), rue Louis Saillant. Le gobelet servant de vase ossuaire, était fermé par une coupelle, et accompagné d’un grand vase, peut-être à liquide, passé sur le bûcher (Néré 2011). Le dépôt de créma tion de Brézins pouvait, quant à lui, faire partie d’un petit ensemble funéraire car les dépôts de cette période sont rarement isolés mais, en l’absence de fouille, il reste le témoin précieux d’un type de tombe peu connu dans le secteur.