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Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud) : la céramique indigène du premier âge du Fer

Jean-Louis MILANINI
p. 39-70

Résumés

Cozza Torta est un grand habitat de plein air situé dans l’arrière-pays du golfe de Porto-Vecchio, occupé au premier et au second âge du Fer. L’intérêt majeur de ce gisement est d’avoir livré une série de vestiges importés (amphores et vases fins) particulièrement bien datés de la seconde moitié du VIe s. av. J.-C. Les fouilles récentes ont permis de recueillir une abondante céramique non tournée (20 927 tessons, NMI = 1 985 vases) qui se présente comme une série de référence pour une période encore peu documentée pour la vaisselle domestique. L’étude typologique a montré l’existence de 14 types de vases totalisant 18 variantes. Ces formes sont pour partie héritées de celles du Bronze final. Les autres caractères morpho-stylistiques, notamment son ornementation, permettent cependant d’individualiser une production caractéristique de l’âge du Fer, et que nous désignons ici sous le nom de « faciès à grains de riz ». Ce faciès, recensé sur une trentaine de sites du sud de la Corse, se développe entre le VIIIe et le IVe s. ; replacée dans le contexte local, la série de Cozza Torta illustre une phase médiane de ce courant, tout en se rattachant par ses caractères aux productions de la phase ancienne.

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Texte intégral

1. Introduction

1L’âge du Fer de la Corse a longtemps figuré parmi les périodes les moins connues de l’archéologie insulaire. Essentiellement représenté par des sépultures dont les éléments étaient souvent récupérés hors-contexte, sa définition s’est focalisée en priorité sur les mobiliers métalliques. En contrepoint, la recherche s’est très peu préoccupée des contextes domestiques : les fouilles d’habitats spécifiques de l’âge du Fer sont demeurées quasi inexistantes jusqu’aux années 2000, induisant le discours vers la prégnance des phénomènes de perduration liée à la découverte habituelle de couches de réoccupation de cette période sur les sites de l’âge du Bronze.

2Dans ces conditions, il est peu surprenant que la reconnaissance des différents marqueurs matériels soit parallèlement restée lacunaire : la rareté des fouilles s’est logiquement accompagnée d’une réflexion insuffisante, sinon confuse, sur les faciès mobiliers, qui ne faisait que refléter l’anémie de la recherche.

3Parmi l’ensemble des témoignages matériels laissés par les populations du passé, la céramique occupe une place de premier ordre ; omniprésente contrairement à d’autres productions (métalliques notamment), fortement liée à l’identité du groupe producteur, elle apparaît comme l’élément le plus pertinent pour permettre de discerner sur le terrain l’expression culturelle des groupes indigènes.

4Les premières tentatives d’identification chronoculturelle de la céramique du premier âge du Fer ont été réalisées à la fin des années 1970 : dans l’Alta-Rocca, espace montagneux du centre-sud de l’île, F. de Lanfranchi publia plusieurs gisements rattachés à ces contextes, en parti- culier Capula et Nuciaresa à Levie (Lanfranchi 1978), puis Cumpulaghja à Sainte-Lucie-de-Tallano (Lanfranchi 1979b). Néanmoins, les vestiges issus des deux derniers sites, très originaux dans le cadre des connaissances d’alors, furent fautivement attribués à des périodes plus anciennes. Trop rapidement admis par l’archéologie, ces tâtonnements grevèrent ainsi pendant près de 20 ans la reconnaissance du principal faciès protohistorique du sud de la Corse.

5Les mises au point publiées depuis la fin des années 1990 (Tramoni 1998 et 2000 ; Milanini et al. 2008) ont permis de clarifier le débat sur l’âge de ces productions. Entre-temps étaient entreprises les premières fouilles sur de grands établissements protohistoriques, livrant, avec une documentation abondante, les ultimes preuves de l’in- congruité des premières datations. Enfin, les recherches récentes ont bénéficié des travaux de K. Peche-Quilichini sur les vaisselles indigènes protohistoriques, qui ont fourni le premier cadre chronologique étayé pour le Bronze final et le premier âge du Fer (Peche-Quilichini 2012a ; Peche-Quilichini 2014a).

6L’objet de cette note est la publication des séries de céramique indigène issues de la fouille de Cozza Torta à Porto-Vecchio : caractéristiques d’un faciès désormais bien identifié, dont elles illustrent l’extension géographique vers l’extrême-sud de l’île, ces séries présentent l’avantage sur bien d’autres d’une datation particulièrement fiable.

2. Le site de Cozza Torta

2.1. Présentation générale

7L’établissement de Cozza Torta à Porto-Vecchio est un grand habitat perché de type village ouvert qui s’étendait sur 8 ha au moins, établi sur l’une des premières crêtes rocheuses en arrière du golfe éponyme (Fig. 1) ; la surveillance du littoral depuis le site est probablement l’un des éléments déterminants du choix de son implantation. Le village occupe un vaste replat d’une altitude comprise entre 70 et 80 m, délimité à l’est et à l’ouest par deux pointements chaotiques culminant respectivement à 108 et 107 m (Fig. 2). Les niveaux dégagés à la fouille datent du premier âge du Fer mais les ramassages de surface montrent que le village reste habité jusqu’au second. Cet habitat est créé ex nihilo mais se superpose à des occupations plus anciennes (Néolithique moyen, récent et final), repérées en sondage et en surface sur l’ensemble du site ; celles-ci font pendant à l’existence sur le plateau d’un coffre mégalithique (ou dolmen ?) très dégradé, ceinturé d’un péristalithe et accompagné d’un menhir témoin (Tramoni et al. 2007). L’occupation du site s’étend donc sur plus de quatre millénaires.

8La compréhension globale de l’organisation du village est particulièrement gênée par la végétation ; la partie centrale du plateau, située entre les éperons rocheux, est sans doute la plus densément occupée, mais reste aussi fortement emmaquisée.

Fig. 1 : Localisation du site de Cozza Torta dans son contexte archéologique local.

Fig. 1 : Localisation du site de Cozza Torta dans son contexte archéologique local.

(fond de carte : P. Tramoni ; mise à jour J.-L. Milanini).

Fig. 2 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud).

Fig. 2 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud).

Emprise estimée de l’établissement de l’âge du Fer, localisation des différents locus, des habitations affleurantes () et de l’entrée monumentale (Image 100002010000000F0000000D6B1DBF3C3C7750C0.png ).

9Des aménagements de blocs métriques, parfois appuyés sur des boules affleurantes, compartimentent cet espace. De nombreuses substructions repérées dans ce secteur ainsi que sur les versants de l’éperon 108 sont actuellement interprétées comme des arases d’habitations sur la foi des analogies avec celle fouillée ces dernières années (infra) : leur nombre est estimé à près d’une vingtaine. La présence de vestiges superficiels est notée également sur les deux éperons rocheux.

10Toute la partie méridionale du site est circonscrite par un mur d’enceinte en gros blocs généralement disposés sur une seule assise, parfois deux, implanté sur la rupture de pente ; sa nature confine sans doute davantage à une délimitation de l’espace habité qu’à un ouvrage proprement défensif. Sur le versant septentrional, un accès monumental, sous la forme d’une porte à chicane de type « pinces de crabe », a été repéré mais les observations de surface demeurent pour l’heure partielles, et les limites de l’habitat, plus délicates à appréhender dans ce secteur.

2.2. Les fouilles : synthèse des principaux résultats

11Le site fut reconnu et sondé dans les années 1980 (Bonifay 1983), mais les résultats de ces recherches restèrent inédits jusqu’à récemment (Milanini et al. 2012). Il fait l’objet depuis 2008 de fouilles programmées sous la direction de l’auteur. Il a livré pour la fin du premier âge du Fer une documentation riche et particulièrement fiable grâce à sa connexion avec des céramiques importées, permettant un calage chronologique très fin. Le répertoire céramique se présente donc comme une série de référence pour une période où les assemblages issus de contextes domestiques restent encore peu nombreux.

12Les fouilles sont implantées sur une vaste terrasse dégagée et relativement plane, d’une superficie de 1400 m² (Fig. 3), qui se tient sur le rebord méridional du plateau, où deux secteurs distants d’une vingtaine de mètres sont actuellement à l’étude. Un peu plus de 300 m² y ont été explorés à ce jour.

13Le secteur 7 (Fig. 3), décapé sur 58,50 m², a vu la partie supérieure de sa stratigraphie remaniée par la mise en culture de la terrasse. Ce secteur a livré les restes d’un ensemble structuré qui comporte au moins deux états. Le niveau le plus récent est un sol relativement bien conservé (US 47), qui a livré une série de dix fosses de formes et de tailles variées, dont six sont réparties en arc de cercle autour d’un bloc à surface tabulaire (Fig. 4). Des élévations en matériaux périssables sont attestées par des calages massifs ou plus légers et des dalles affaissées. L’interprétation actuelle fait de ce secteur une zone d’activité domestique et/ou artisanale ; divers témoins d’un travail du métal y ont été enregistrés.

14Le deuxième niveau d’occupation (US 52) reste quant à lui d’interprétation délicate en raison d’une fenêtre d’exploration plus limitée. Les structures les plus caractéristiques sont deux plaques foyères associées à un (ou deux) murets de protection. Des calages matérialisant des trous de poteau indiquent également des élévations en matériaux périssables.

15Le secteur 8 (Fig. 3), exploré sur 207 m², se structure autour d’une habitation orientée est-ouest (« maison 1 »), matérialisée par un agencement quadrilatère de dalles et de blocs massifs affleurants, formant un « U », le petit côté ouest restant ouvert et étant donc naturellement interprété comme l’entrée (Fig. 5). Ces files emploient des blocs disposés en bout-à-bout avec une face plane en parement interne. Ce parement servait de solin à des élévations en matériaux périssables, dont témoigne l’existence de trous de poteaux à tous les niveaux d’occupation, situés pour la plupart soit dans l’axe médian, soit le long des parois ; la présence de bourrelets de terre effondrée le long des murs nord et sud ainsi qu’à l’extérieur, dans le prolongement de l’entrée, indique l’emploi de terre crue dans la construction.

16L’ensemble des structures révélées à la fouille, la continuité de l’occupation démontrée par le pincement des niveaux et l’entretien des sols, le mobilier découvert à l’intérieur et aux alentours en situation de rebut, témoignent de la vocation domestique de cette construction. Ces interprétations sont superposables à celles faites à Cuciurpula à Serra-di-Scopamene (Peche-Quilichini et al. 2012 ; Peche-Quilichini, Delvaux, Lachenal 2015) et à Nuciaresa à Levie (Lanfranchi, Peche-Quilichini 2012).

17La zone extérieure contiguë à l’habitation a livré à la fois des creusements en rapport avec les murs latéraux (trous de poteau) et un ensemble de huit fosses voisines situées dans le prolongement de l’entrée. Antérieurement à la construction de la maison, deux niveaux de sols ont été dégagés qui témoignent déjà d’une occupation bien structurée : treize fosses et deux foyers ont été repérés pour ces deux états.

Fig. 3 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Planimétrie générale du locus CT1 et situation des différents secteurs de fouille.

Fig. 3 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Planimétrie générale du locus CT1 et situation des différents secteurs de fouille.

(DAO S. Lahlou, R. Derkimba, J.-P. Montagono, P. Tramoni et A. Ferraz).

Fig. 4 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Secteur 7. Premier sol de l’âge du Fer (US47).

Fig. 4 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Secteur 7. Premier sol de l’âge du Fer (US47).

(DAO J.-L. Milanini).

Fig. 5 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Secteur 8. Premier état d’occupation de la maison 1 (US 691).

Fig. 5 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Secteur 8. Premier état d’occupation de la maison 1 (US 691).

(DAO J.-L. Milanini).

18Un troisième secteur a été sondé sur 16 m² (secteur 9) : il s’agit d’un espace chaotique en léger surplomb, structuré par une énorme masse granitique dont la face oblique forme un abri d’une quinzaine de mètres carrés. Largement remanié par une occupation d’époque moderne (XVe-XVIIIe s.), ce dernier secteur, bien qu’effectivement aménagé à l’âge du Fer, a livré majoritairement des éléments décontextualisés.

19Un abondant mobilier a été retrouvé à la fouille. Outre la vaisselle objet de cet article, et une panoplie lithique diversifiée, on peut signaler une centaine de vestiges métalliques, dont la plupart sont des résidus de fusion en alliage cuivreux, ainsi qu’une série de 154 fragments de moules de fusion en terre cuite (Milanini 2013b). Le travail du métal est plus particulièrement illustré par une grande fosse polylobée au fond rubéfié et à la paroi partiellement appareillée, située dans l’environnement immédiat de la maison 1 et interprétée comme un petit atelier de bronzier.

20D’autres découvertes se rapportent au domaine symbolique. Dans la continuité du parement sud de la maison, sous les restes d’un mur en terre arasé, une grande fosse polylobée a livré les restes d’un vase entier, placé dans une petite logette et calé par des dallettes : nous y verrions volontiers un dépôt de fondation en lien avec la construction de la maison. Une découverte semblable a été décrite récemment à Cuciurpula (Peche-Quilichini 2010). Dans l’état sous-jacent, une petite fosse à comblement cendreux et au fond rubéfié, en partie tronquée par le creusement de la fosse précédente, a livré une vingtaine de restes humains non brûlés.

  • 1 Cette identification a été réalisée sur de petits fragments lors de la campagne de 2008 et n’a pas (...)
  • 2 Cette chronologie recoupe deux datations C14 sur charbon obtenues dans ces niveaux :

21C’est la présence de céramique d’importation qui s’impose comme le fait archéologique majeur du gisement ; si l’on exclut Aleria, Cozza Torta est l’un des rares établissements indigènes à avoir livré ce genre de vestiges à date aussi haute. Cette catégorie est très minoritaire (moins de 1 % des vestiges céramiques). Il s’agit de fragments d’amphores massaliètes, corinthiennes « A » et « B », et étrusques archaïques, de tessons de coupes attiques, de bucchero nero, enfin d’olpés et de petites coupes en céramique grise monochrome et en pâte claire massaliète (Milanini et al. 2012 ; Milanini 2013a). La cohésion chronologique s’avère extrêmement serrée puisque, si l’on ne fait pas mention de six petits fragments pour lesquelles l’identification d’amphores de type A-ETR-1/2 a été envisagée1, tous les autres éléments sont synchrones, et datent précisément l’occupation de la seconde moitié du VIe s. av. J.-C., y compris pour les couches les plus profondes atteintes à ce jour, où ce type de vestige est déjà présent2.

3. La céramique indigène non tournée de Cozza Torta

  • 3 Les comptages et l’étude ont été établis sur l’état des séries de 2016.

22La série étudiée se compose de 20 927 tessons indigènes, toutes productions et tous contextes confondus3. Le NMI est de 1 985 vases mais, établi à partir de sous-ensembles artificiellement partitionnés d’année en année, n’a plus qu’une valeur toute relative.

23Comme précisé supra, les états successifs des niveaux fouillés dans les différents secteurs sont subcontemporains et les séries qu’ils livrent, constituées sur un laps de temps bref : la vaisselle, marquée par une forte homogénéité technique et morpho-stylistique, possède ainsi un fort potentiel diagnostique pour cette période de l’âge du Fer.

24Partant de ce constat, nous avons fait le choix d’une présentation globale : on admettra qu’un demi-siècle constitue une durée acceptable, minimisant les éventuelles variations, pour saisir un répertoire céramique de façon fiable à un instant t de sa diffusion.

25Les sous-ensembles analysés proviennent de contextes variés : sols d’occupation, niveaux de remblai/d’abandon, fosses, dépotoirs, dépôt de fondation. Si ces deux dernières catégories ont pu être constituées en un temps très court, les autres se sont formées sur une plus longue durée difficile à estimer.

26Nous avons donc privilégié les sous-ensembles les plus signifiants et les faits les mieux individualisés à la fouille ; nous avons néanmoins retenu des unités stratigraphiques a priori moins homogènes, comme celles issues de la principale couche de labours ou de l’abri du secteur 9, en raison de la quantité et de la qualité des vestiges renfermés, mais surtout de leur forte intégration techno-typologique à l’ensemble de la série. Les productions en céramique étrangères à la vaisselle (jetons, estèques, fusaïoles, moules de fusion) ne sont pas envisagées ici.

3.1. Aspects technologiques

27L’examen des pâtes est réalisé de façon macroscopique, éventuellement à l’aide d’une loupe à main à grossissement 8. La dégradation des épidermes, en relation avec des conditions de séjour dans le sol relativement défavorables (sol acide), tout comme la fragmentation, entravent l’observation des traitements de surface ainsi que des décors.

28La céramique indigène de Cozza Torta reste une vaisselle entièrement modelée, à l’exclusion de toute production tournée, radicalement différente à la fois techniquement et morphologiquement des vaisselles importées évoquées plus haut.

29Deux techniques de fabrication sont révélées à l’examen, la principale, largement prédominante, étant celle du montage au colombin : les traces laissées par les joints, en positif ou en négatif (Fig. 6-1), sont parfaitement nettes sur les tranches des fragments – de rares tessons offrent même une crénelure destinée à faciliter l’accroche du colombin suivant (Fig. 6-2). La fragmentation, lorsqu’elle n’est pas trop avancée, produit des tessons de forme parallélépipédique. Les panses des vases sont montées classiquement, à partir du fond, soit par superposition d’anneaux, soit de façon hélicoïdale.

30Une seconde technique, bien plus discrète, celle du montage à la motte, concerne un petit nombre de coupes et d’écuelles à cuisson réductrice (Fig. 9, no 15, 26, Fig. 12, no 26, 27). Ces vases de facture médiocre, à pâte charbonneuse et friable, présentent une paroi épaisse et irrégulière où les traces d’enfoncement des doigts sont bien visibles.

31Enfin, le recours à un montage à la plaque, caractérisé par une pâte feuilletée et une paroi souvent très mince, et produisant des fragments de forme géométrique à tranches non parallèles, est supposé pour deux catégories très minoritaires :

  • plusieurs vases à pâte micacée, friable, de couleur noire, simplement lissée sur la paroi externe, dont une production à paroi externe engobée très détériorée (Fig. 7, no 18) ;

  • 13 tessons à pâte amiantée, de couleur grise à beige orangé, sans lissage extérieur.

32La cuisson est majoritairement oxydante ou oxydo-ré ductrice. Elle est dans l’ensemble satisfaisante : les pâtes apparaissent dures et sonores, la texture serrée et homogène.

Fig. 6 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène : joints de colombinage.

Fig. 6 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène : joints de colombinage.

1, simple (positif). 2, avec crénelure (négatif) (clichés J.-L. Milanini).

33On doit souligner la rareté des « coups de feu », ce qui pourrait témoigner d’une cuisson en meule ouverte ou chapée. Au vu des différences de texture et de composition révélées à l’examen macroscopique, il paraît probable que plusieurs types d’argile ont été utilisés. Dans l’ensemble, les pâtes arborent, sur la paroi externe, une couleur beige, rouge orangé ou rouge brique, plus rarement noire ou brun sombre. La face interne est en revanche plus souvent de couleur brun foncé à noire. Ces observations recoupent l’examen des tranches, souvent bicolores avec une phase interne plus foncée : elles semblent indiquer un apport d’oxygène en cours de fournée.

34Lorsque la cuisson s’avère défectueuse, le fait reflète plus sûrement un choix technique qu’un défaut de maîtrise (confection de formes plus frustes comme les « socles » polypodes ou les coupes à cuisson réductrice). Certaines pâtes friables sont caractérisées par une couleur noire, d’autres par une trichromie (pâte « sandwich ») avec une phase interne plus sombre, ce qui indique un changement d’ambiance thermique en fin de fournée. Une catégorie de vases arbore souvent un lissage plus soigné, une finition plus rigoureuse et une cuisson très maîtrisée : les petites tasses hémisphériques, très fréquentes dans la série. Les parois sont moyennement épaisses, oscillant entre 7 et 10 mm ; cette épaisseur est relativement régulière sur un même profil.

35Le dégraissant est exclusivement d’origine locale, incluant en proportions variables des grains de quartz, de feldspath et de mica, d’origine arénique. L’emploi de chamotte est rare mais bien attesté. La fraction dégraissante est hétérométrique, comportant parfois des particules atteignant 5-6 mm, voire davantage ; par contre, en de rares cas, on a affaire à des pâtes épurées au dégraissant à peine visible.

36Le traitement de surface est succinct, la plupart du temps limité à un lissage assez soigneux, appliqué aussi bien sur la paroi interne qu’externe. L’emploi de végétaux est probable, mais l’opération devait le plus couramment se faire à la main ou à l’estèque. Le recours au polissage, démontré par le lustre des épidermes et le parfait nivellement des grains de dégraissant, semble plus rare ; en revanche, l’application de barbotine paraît courante (présence de bourrelets allongés et parallèles), mais rare- ment conservée.

37Les fonds observés permettent de restituer la technique de montage ; ceux-ci sont modelés à partir d’une motte d’argile ; la base se présentait sous deux formes : soit un simple disque, soit un fond équipé d’une amorce de paroi sur 1 ou 2 cm, servant de première assise au montage de la panse. Quant aux anses, elles sont fixées dans la paroi à l’aide d’un tenon, généralement sur l’attache inférieure, notamment pour les plus massives ; les autres sont simple- ment appliquées sur la paroi et collées à la barbotine.

3.2. Typologie des vases

38Le principal écueil dans l’établissement d’une typologie est la forte fragmentation, qui n’est que très partielle- ment corrigée par les remontages : il n’existe que deux profils complets sur l’ensemble de la série ; il y a fort peu de grands panneaux de vases en place ; la majorité des tessons sont de taille centimétrique.

39Le classement typologique a été effectué sur examen visuel, en privilégiant les bords. La présence, au sein de plusieurs catégories, de profils plus ou moins complets, et les confrontations extérieures à la série, ont malgré tout optimisé la discrimination des types. Les limites entre grandes catégories restent néanmoins parfois délicates à fixer, et donc en partie arbitraires.

40Les formes ont été numérotées de 1 à 14, et au sein de chaque catégorie, subdivisées en autant de variantes quand celles-ci étaient objectivées ; les moyennes des diamètres obtenus à l’intérieur de chaque catégorie sont établies sur les valeurs centrales de l’intervalle estimé sur chaque vase (en général une fourchette comprise entre 2 et 4 cm).

41Forme 1 : les assiettes restent exceptionnelles : on ne peut faire état que d’un seul exemplaire, de facture fruste et de 15-20 cm de diamètre (Fig. 7, n° 1). En outre, ce vase n’est pas local : fabriqué dans une pâte amiantée, son origine est à chercher vers la Haute-Corse.

42Forme 2 : les bouteilles à col droit ou divergent sont elles aussi des formes rares : huit exemplaires sont répertoriés (Fig. 7, n° 2-9). Un de ces exemplaires est modelé dans une pâte amiantée (n° 7). Leur recensement est sans doute sous-estimé en raison de leur confusion possible avec les tasses de type 4 et 5. Mal connue dans le détail, la panse était probablement sphérique/ovoïde avec un rétreint important au niveau du col. Le diamètre d’ouverture varie entre 6 et 15 cm ; le col est plus ou moins bien démarqué, de hauteur variable, la lèvre arrondie ou amincie.

43Forme 3 : une forme tout aussi rare est une petite tasse qui n’est représentée que par cinq individus (Fig. 7, n° 10-14). Ce type est supposé avoir été pourvu d’une préhension, conservée actuellement sur deux exemplaires : l’une est une petite anse en boudin, et l’autre, une petite anse en ruban décorée de cannelures horizontales (Fig. 7, n° 13, 14). Ces petits récipients offrent un diamètre à l’embouchure variant entre 6 et 12 cm. La panse, hémisphérique ou sphérique (n° 13), est surmontée par un col bref concave ou droit ; la carène, quand elle existe, est très adoucie (n° 10). La lèvre, parfois éversée (n° 11, 12), est arrondie ou aplatie.

44Forme 4 : les tasses à panse sphérique/ovoïde, à paroi galbée et à col court, sont une forme très courante sur le site et probablement l’une des plus fréquentes de l’âge du Fer. Cette catégorie se subdivise entre une variante 4a (Fig. 7, n° 15-18), qui comporte un col divergent, et ne compte que trois ou quatre individus, et une variante 4b (Fig. 7, n° 19-47), à col droit, majoritaire (23 à 28 vases). Le col est souvent très bref, la lèvre, amincie ou arrondie, plus rarement aplatie.

Fig. 7 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 1 à 4.

Fig. 7 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 1 à 4.

(DAO J.-L. Milanini).

45Il s’agit de productions de petit module (diam. = de 8 à 21 cm, moyenne = 13,1 cm, n = 26). Leur facture est soignée. Bien que leur présence soit supposée habituelle sur cette catégorie, seules cinq préhensions sont connues : il s’agit de mamelons à perforation verticale (n° 45) ou horizontale (n° 30, 46), d’une anse en ruban (n° 15) et d’une languette à perforation verticale (n° 42). Elles sont placées préférentiellement sur la panse, et dans un cas, au départ de la lèvre. Les décors sont plus fréquents que sur les autres formes ; on repère des impressions en grains de riz (no 35, 37, 43, 45, 47), des lignes pointil lées (n° 32) et des incisions (n° 33), privilégiant le col et la partie supérieure de la panse. Une lèvre présente des impressions transversales parallèles (n° 28).

46Forme 5 : les bols à panse hémisphérique sont une forme voisine des tasses, avec une vasque moins haute et un profil moins globulaire (Fig. 8, n° 1-14). La distinction entre les formes 4 et 5 reste d’ailleurs aléatoire. Le col, droit ou très peu divergent, est à peine ébauché, la lèvre éversée, le diamètre à l’orifice compris entre 8 et 21 cm (moyenne = 15,5 cm, n = 13). La lèvre est arrondie ou amincie, exceptionnellement aplatie. Ce sont des récipients de facture soignée ; des décors d’impressions en grains de riz sont connus sur deux exemplaires, dans la région du col (n° 8, 10). L’un de ces deux vases arbore la seule anse connue, de type indéterminé (n° 8). Ces bols renvoient aux coupes de type « IA1 » de Tappa 2 (Milanini et al. 2008, 136) ou à des productions de Cuciurpula (US 134, Peche-Quilichini, Lachenal, Milletti 2010, 37-38, n° 2049 ; US 114, Ibid., n° 4624, 5128). Elles sont également connues dans le nord de l’île, dans la sépulture du Monte Lucciana (Magdeleine, Milleliri, Ottaviani 2003).

47Forme 6 : la coupelle/jatte à panse surbaissée est une forme très rare, figurée par deux ou trois vases (Fig. 8, n° 15-16), de petit et moyen module (entre 13 et 25 cm de diam.). Le col est largement évasé, la lèvre éversée, et la partie basse, séparée par une carène adoucie, très ouverte. Cette forme apparaît sporadiquement à Cuciurpula (US 135, Peche-Quilichini, Lachenal, Milletti 2012, 131, Fig. 117, n° 4803), à Acciola (Peche-Quilichini 2014a, 77) et à Tappa 2 (Milanini et al. 2008, 137, Fig. 9, n° 28).

48Forme 7a : les coupes/jattes à flancs tronconiques sont l’une des catégories les mieux représentées à Cozza Torta (Fig. 9, n° 1-28). Il s’agit d’une production fruste de petit à moyen module (diam. = de 9 à 33 cm, moyenne = 20,5 cm, n = 28), jamais décorée. Certains exemplaires sont façonnés à partir d’une motte d’argile, dans une pâte noirâtre et friable (n° 15, 26). La panse semble relative- ment haute. Les parois arborent un profil plus ou moins rectiligne ; le bord est parfois redressé, sans être jamais convergent. Dans un seul cas, il est légèrement ourlé (n° 20). La lèvre est le plus souvent arrondie, plus rare- ment amincie ou aplatie. Dans ce dernier cas, le rebord peut être épaissi en parement par rabat d’un bandeau de pâte (n° 8, 9). Les prises sont rares : une anse en ruban ensellée à nervure médiane (n° 20), un téton (n° 18) et un petit mamelon (n° 28) ; elles sont situées à 2-3 cm sous l’embouchure. La forme 7a est bien connue au second âge du Fer, notamment dans les sépultures de Tappa 2 (Milanini et al. 2008), de Lugo (Lanfranchi 1971), du Monte Lucciana (Magdeleine, Milleliri, Ottaviani 2003), de la nécropole d’Aleria (Jehasse 1974) ou dans l’abri 3 de Cuciurpula (Peche-Quilichini 2014b) ; on les a identifiées aussi à Cuciurpula 1 (US 105, Peche-Quilichini et al. 2012, 48, pl. 3, n° 404 ; US 114, Ibid., pl. 6, n° 1432) ou à Curachiaghju à Levie (abri n° 1-c.2, Lanfranchi 1976, 29, Fig. 9, n° 2) pour le premier âge du Fer.

49Forme 7b : une variante de la forme précédente, de profil plus ouvert et probablement moins profond au vu de l’in- flexion de la paroi, est individualisée (Fig. 9, n° 29-36). La forme générale et la profondeur restent mal appréciées, les fragments pas toujours bien distincts du type 7a. Par rapport à ce dernier, le type 7b comprend des modules plus larges (diam. = de 15 à 50 cm, moyenne = 27,2 cm, n = 8) et présente des lèvres en ogive ou en ourlet arrondi. La finition est également plus soignée.

50Forme 8 : les « marmites » à panse ovoïde et bord convergent, sans col, forment une catégorie peu courante (Fig. 10, n° 1-12). Le gabarit est petit à moyen et comprend toute la gamme des formats intermédiaires (diam. = de 8 à 35 cm, moyenne = 20,5 cm, n = 12). Il s’agit d’une forme sommairement finie, sans aucun décor. La lèvre est arrondie ou aplatie. Le bord est parfois renforcé par un bandeau rabattu (n° 3, 4) ou épaissi en parement (n° 5). Aucune prise n’est répertoriée. Ces vases sont connus à San Petru (Milanini 2015b), à Santa Catalina (Lanfranchi 1968), à Nuciaresa (Lanfranchi 1978), à Cuciurpula (US 105, Peche-Quilichini et al. 2012, pl. 2-4, n° 439, 545, 905, 1050, 1260) ou dans le village de Cucuruzzu (Lanfranchi 1979a).

51Forme 9 : les « marmites » à panse hémisphérique carénée et à petit col rétreint, sont des formes rares (Fig. 10, n° 13-15) ; il s’agit de productions frustes de moyen module (16 à 26 cm de diam. à l’ouverture). L’épaulement offre une carène adoucie. Le col, bien dégagé, est toujours court, la lèvre arrondie. Le bord peut être simple ou épaissi par un rabat de pâte. Dans un cas, la lèvre est ornée par des évidements allongés (n° 15), qui évoquent des impressions au doigt. Une forme assez proche a été identifiée à Cuciurpula (US G108, Peche-Quilichini, Delvaux, Lachenal 2015, 160, Fig. 186, n° 1).

Fig. 8 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 5 et 6.

Fig. 8 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 5 et 6.

(DAO J.-L. Milanini).

52Forme 10 : la « marmite » à panse biconique/subsphérique et petit col divergent est l’une des formes les plus courantes de la vaisselle (Fig. 10, n° 16-34). Il s’agit d’un vase à paroi épaisse de moyen module (diam. = de 9 à 31 cm, moyenne = 17,9 cm, n = 19).

Fig. 9 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 7a et 7b.

Fig. 9 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 7a et 7b.

(DAO J.-L. Milanini)

53Le col est bien dégagé, souvent segmenté, la plupart du temps court. Une variante au bord rabattu en bandeau, donnant un col à concavité interne, est connue (n° 16-18). L’un de ces vases porte une ornementation sous forme de cordons à impressions verticales (n° 18), articulés obliquement sur une anse disparue (mamelon ?). Ces dernières, à supposer qu’elles aient été placées régulièrement sur la panse, échappent à notre connaissance. Cette catégorie est fréquente à l’âge du Fer, désignée « IIC1 » dans la sépulture de Tappa 2 (Milanini et al. 2008, 136), ou « F60A » à Aleria (Jehasse 1974, 143). Elle est connue à Cuciurpula (US 105, Peche-Quilichini et al. 2012, pl. 3, n° 1603 ; US 114, Ibid., pl. 6, n° 1401).

54Forme 11 : les « marmites » à panse ovoïde peu galbée (Fig. 11) sont une forme très courante, relativement proche de la forme 10 mais sans doute plus haute que cette dernière, et dont le diamètre maximal est situé plus près de l’encolure tandis que sur la forme 10, celui-ci est à mi-panse. Il s’agit de vases de moyen à grand module (diam. = de 15 à 41 cm, moyenne = 25,8 cm, n = 37), d’une facture ordinaire (même si plusieurs sont très soignés), sans aucun décor.

Fig. 10 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 8 à 10.

Fig. 10 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 8 à 10.

(DAO J.-L. Milanini).

Fig. 11 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 11a, 11b et 11c.

Fig. 11 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 11a, 11b et 11c.

(DAO J.-L. Milanini).

  • 4 Un vase entier, l’exemplaire US 696 (Fig. 11, n° 9), correspond sans doute à un dépôt de fondation.

55L’expansion de la panse est plus ou moins prononcée. Le profil de sa partie inférieure est tronconique. La lèvre est en général arrondie, plus rarement aplatie. Une catégorie à col droit définit la variante 11a, de loin la plus courante (Fig. 11, n° 1-28)4. Une variante à col divergent, désignée 11b, est individualisée mais reste plus rare (n° 29-36). Un de ces individus présente un col haut original pour ces productions (n° 35). Ces vases devaient être porteurs de deux ou plusieurs anses sur la partie proéminente, qui restent mal appréciées : une languette à perforation verticale est répertoriée (n° 9), et un mamelon massif à perforation horizontale (n° 29). Une troisième variante, désignée 11c, à panse carénée ornée de tétons et à petit col droit, n’est représentée qu’à raison d’un seul exemplaire (n° 37), de petit format pour cette catégorie (16 cm de diam.). La forme 11 correspond à des formes connues dans les sépultures de Tappa 2 (Milanini et al. 2008), de Lugo (Lanfranchi 1971), de San Simeone à Ajaccio (Doazan 1967) et de celles de la nécropole d’Aleria (Jehasse 1974), ou sur l’habitat de Cuciurpula (US 105, Peche-Quilichini et al. 2012, pl. 2, n° 621).

56Forme 12 : les « socles » polypodes sont des formes peu répandues (Fig. 12, n° 1-16, 50), formées d’un disque circulaire muni de plusieurs pieds d’après la présence, sur deux fragments, d’un tenon traversant le disque (n° 5, 13), et de plusieurs pieds isolés massifs, de section allongée (n° 7, 8). Ce sont des productions très frustes, avec un disque souvent très épais, lissé seulement sur la face supérieure, de module très variable (diam. = de 13 à 40 cm, moyenne = 22 cm, n = 13). À titre d’hypothèse, certains fragments peuvent provenir également de couvercles, tels ce fragment (central ?) porteur d’une perforation (Fig. 12, n° 6). Ces formes sont signalées, sporadiquement, à San Petru (Milanini 2015b, 49) et à Cuciurpula (US G106, Peche-Quilichini, Delvaux, Lachenal 2015, 159, Fig. 185, n° 15).

57Forme 13 : les grandes jarres de stockage sont largement moins bien connues, non pas tant du fait de la fragmentation mais surtout de leur rareté effective. Il s’agirait d’une variante des « marmites » de forme 11 donnant des vases massifs, hauts, à col démarqué et à bord simple ou épaissi (Fig. 12, n° 17-22). Le diamètre à l’ouverture varie de 31 à 55 cm. Les parois sont généralement épaisses. Cette catégorie était probablement biansée : deux individus portent une anse en ruban massive sous l’épaulement (n° 17, 21), dont l’une sert d’appui à des cordons imprimés disposés obliquement (n° 17). On distinguera une variante à bord droit, désignée 13a (n° 17, 18), et une à bord divergent, désignée 13b (n° 19, 20, 22). De façon hypothétique, on pourra provisoirement placer dans cette catégorie les quelques tessons à paroi d’une épaisseur supérieure à 1,8 cm.

58Forme 14 : les coupelles hémisphériques à vasque peu profonde forment une catégorie hétéroclite, rassemblant des vases à paroi épaisse, montés à la motte d’argile, cuits en milieu réducteur et de facture médiocre (Fig. 12, n° 26, 27), et de petits récipients plus élaborés et plus fins (n° 23-25). Cette forme est peu répandue mais certains tessons ont pu être confondus avec des coupes de forme 7. Le diamètre à l’embouchure va de 6 à 19 cm. L’un d’eux porte une anse en ruban fixée sur la lèvre (n° 23). Les modules les plus petits évoquent certains vases de Tappa 2 (Milanini et al. 2008, Fig. 8, n° 13, 14).

3.3. Autres aspects morphologiques et stylistiques

59Le paragraphe suivant complète l’approche morphologique, établie à partir des seuls tessons de bords, et touche aux fonds, aux anses et aux décors.

60Les fonds observés sont tous plats (Fig. 12, n° 40-49, Fig. 13, n° 55-64). Les pieds isolés sont tous rapportés à des « socles » circulaires (Fig. 12, n° 7, 8). Les rares fonds légèrement creux sont plus probablement liés à des irrégularités de confection (Fig. 12, n° 47, 49). Aucune corrélation n’est possible entre les bases et leurs formes respectives, mais celles-ci offrent pour la plupart un diamètre entre 8 et 15 cm, les fonds plus larges étant nettement plus rares (Fig. 13, n° 57) – ce qui renvoie à la faible représentation des grands modules. D’autres sont très épais, dénotant d’un usage particulier (Fig. 12, n° 46, Fig. 13, n° 60). Deux exemplaires sont façonnés dans une pâte amiantée, probablement selon un montage à la plaque, lequel donne des parois très fines et irrégulières (Fig. 13, n° 55, 56).

61Les anses sont relativement variées, les plus fréquentes étant les mamelons et les anses en boudin. La caractéristique la plus frappante est la massivité des gabarits, les formes graciles étant presque ignorées. Les mamelons en sont l’illustration la plus flagrante ; ils sont de forme grossièrement circulaire ou allongée verticalement (Fig. 12, n° 28-38). Les plus gros portent souvent un méplat sur la face supérieure (n° 36, 37). Ils peuvent être forés, le plus souvent horizontalement, ou non. La perforation, d’un diamètre entre 6 et 10 mm, ne laisse le passage qu’à une cordelette. Certains présentent des bords à ensellement (n° 32). On retrouve le même dispositif sur les anses en boudin (Fig. 13, n° 40, 51) et en ruban (Fig. 9, n° 20), ainsi que sur les oreilles (Fig. 13, n° 41, 43). Ces dernières sont toujours de grande taille ; toutes sont amincies de haut en bas ; certaines sont forées horizontalement.

Fig. 12 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 12 à 14, échantillons d’anses et de fonds.

Fig. 12 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 12 à 14, échantillons d’anses et de fonds.

(DAO J.-L. Milanini).

62D’autres formes apparaissent moins répandues, ainsi des tétons de différentes tailles (Fig. 13, n° 45, 46, 53, 54), et des languettes, simples (Fig. 13, n° 48) ou à perforation verticale (Fig. 11, n° 9, Fig. 13, n° 47, 49). L’une d’elles porte deux impressions au doigt sur le bord, de part et d’autre de la perforation (n° 47).

63On relève le peu de soin consenti à la fabrication des anses, plusieurs portant encore des traces de mise en forme ou d’écrasement au doigt, non régularisées. Beaucoup sont asymétriques ou gauchies. Malgré cela, on en connaît plusieurs porteuses de décors, situés sur la partie supérieure (Fig. 13, n° 19-22, 38), ou servant de point d’appui à des cordons imprimés (Fig. 10, n° 18, Fig. 12, n° 17).

64Les décors, bien que variés, sont très rares dans la série de Cozza Torta : environ 0,4 % des tessons, et sans doute moins de 1 % des vases. Même si l’érosion postdéposition nelle et la fragmentation sont certainement des facteurs réducteurs, il est assuré que la série correspond majoritai rement à une vaisselle inornée.

65L’état fragmentaire des vestiges nous interdit le plus souvent de saisir le rythme et l’organisation des registres décoratifs. La technique la plus fréquente est celle de l’impression en grains de riz. Les formes concernées sont les tasses de type 4 et 5. Ces impressions sont disposées en lignes horizontales et/ou verticales, isolées ou en combinaison, et en champ désordonné, et localisées préférentiellement sur le col et la partie supérieure du vase (Fig. 7, n° 35, 37, 43, 45, 47, Fig. 8, n° 8, 10, Fig. 13, n° 14-30, 38). Les anses sont parfois intégrées dans l’ornementation (Fig. 13, n° 19-22, 38).

66Les lignes incisées sont présentes (Fig. 13, n° 6-12) mais leur organisation n’est pas restituable, pas plus que les formes concernées, hormis une petite tasse décorée sur l’épaulement (Fig. 7, n° 33). Ces incisions apparaissent sous forme rectiligne ou curviligne ; dans un cas, la ligne forme un angle droit déterminant peut-être un rectangle (Fig. 13, n° 6). Les lignes incisées sont parfois doublées (Fig. 13, n° 9), voire triplées (Fig. 7, n° 33).

67Des ornementations de lignes poinçonnées superposées ou obliques sont connues (Fig. 13, n° 31-37) ; sur un vase, elles occupent la région du col et de l’épaulement (Fig. 7, n° 32). Certaines impressions sont réalisées à l’aide d’une matrice creuse, d’autres d’une matrice pleine à bout effilé, d’autres encore au moyen probable d’un peigne, appliqué perpendiculairement à la surface.

68Les cordons lisses ou imprimés sont une autre technique assez fréquente (Fig. 13, n° 1-5, 13). Des cordons ornés d’impressions sécantes existent sur un certain nombre de vases, y compris sur les formes les plus massives (Fig. 12, n° 17). Ils s’articulent, comme on l’a dit, à partir des anses, en agencement oblique et symétrique par rapport à ces dernières. Un cordon lisse horizontal est repéré sur l’épaulement d’un vase de petite taille (Fig. 13, n° 13). D’autres, décorés d’impressions au doigt, apparaissent à l’état isolé (n° 1, 2).

69Les cannelures restent une formule peu courante ; elles sont présentes sur les anses, au niveau du corps (Fig. 7, n° 14) ou de la zone d’attache, en séries radiantes (Fig. 13, n° 14), ou sur la panse en séries parallèles (n° 32) ; elles n’ornent que des vases de petite taille.

70Enfin, plusieurs décors géométriques laissent subsister un doute quant à leur datation : c’est le cas d’un champ poinçonné inscrit dans un rectangle incisé (Fig. 13, n° 34), et d’un second délimité par une ligne pointillée (n° 35). Il pourrait s’agir de documents néolithiques décontextualisés.

3.4. Signification fonctionnelle des formes de la vaisselle

  • 5 Dont l’appellation, révélant déjà une interprétation fonctionnelle, est sans doute peu appropriée s (...)

71La série céramique de Cozza Torta a été interprétée comme une vaisselle exclusivement domestique, c’est- à-dire vouée à des fonctions telles que stocker, préparer, servir, boire et manger ; pour autant, il ne doit pas être exclu qu’au sein de celle-ci, certains vases aient pu être utilisés à d’autres fins (lampes à huile, pots à parfum ou à onguent…). On partira de l’idée que l’ensemble de ces fonctions sont théoriquement retranscrites dans les différentes formes du répertoire si l’on admet que celui-ci est saisi dans son intégralité. Il est néanmoins hasardeux de prétendre discriminer les différents usages des vases observés en ne se fondant que sur la typologie. Lorsque le répertoire comporte des formes diverses, qui plus est de types peu différenciés, la pertinence de ce genre d’approche se réduit : ainsi, les caractères fonctionnels des formes que nous désignons comme des « marmites »5 (formes 8, 9, 10 et 11) justifient aussi bien de vases culinaires que de vases de stockage – la chose étant d’autant plus vraisemblable que la fonction de stockage ne peut avoir été dévolue aux seules grandes jarres, compte tenu de leur rareté.

Fig. 13 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, échantillons de décors, d’anses et de fonds.

Fig. 13 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, échantillons de décors, d’anses et de fonds.

(DAO J.-L. Milanini).

72Nous avons tenté de pallier ces incertitudes en intégrant les grandes tendances évolutives de la vaisselle depuis la fin de l’âge du Bronze, et en distinguant les formes de petit module (moins de 20 cm de diamètre) de celles de plus grande taille, les premières ayant davantage de chances de relever de la panoplie individuelle, centrée sur le boire et le manger, quand les secondes seront préférentiellement à usage collectif.

  • 6 L’hypothèse n’est applicable qu’aux modules de petite taille ; certains exem plaires, de plus de 30 (...)
  • 7 Ou tout au moins en considérant que les assiettes, qui disparaissent au premier âge du Fer, apparti (...)

73L’interprétation des coupes tronconiques (forme 7a) comme des vases à manger relève ainsi à la fois de leur taille6, de leur fréquence, de l’éclipse des formes basses – très courantes au Bronze final – et du peu de soin consenti à leur fabrication7, s’agissant de vases peu investis et jamais décorés. Mais de telles formes ont aussi pu servir de couvercles aux « marmites » de grande taille.

74En contrepoint, le constat d’une fabrication mieux finie pour les petites tasses (formes 4 et 5), leur fréquence contrastant avec celle d’autres formes de petit module (coupes et coupelles), le caractère stéréotypé des orifices (le plus souvent à col concave très bref et lèvre éversée), nous les montrent comme des vases à boire. Le soin accordé à leur fabrication renvoie possiblement à un choix culturel : couplé à la consommation de vin importé, voire de celle d’autres boissons alcoolisées (?) locales si l’on admet que ce dernier reste peu accessible au vu des quantités de mobiliers importées (Milanini 2013a), cet effort esthétique pourrait traduire l’importance accordée, au moins sur un plan symbolique, à l’acte de boire en lui-même.

75Le caractère presque exclusif des formes hautes dans le répertoire, dont il n’est pas douteux qu’un certain nombre ait servi à la préparation culinaire, suggère par ailleurs la mise en œuvre de cuissons prolongées, donc des plats de type ragoûts et bouillies. La présence de résidus carbonisés sur la paroi interne de nombreux fonds en fournit un indice convaincant. Les différentes catégories de « marmites » sont parfaitement adaptées à cet usage, qu’elles aient été posées directement sur le foyer ou sur des chauffe-plats. C’est précisément l’interprétation attribuée aux « socles » polypodes, voués à un contact prolongé avec le feu de par leur robustesse, leur épaisseur et leur rusticité. L’érosion thermique observée sur la base d’un pied isolé de San Petru (Milanini 2015b, 49) semble assez suggestive sur ce point. Ces « socles » sont plus fréquents dans le secteur 8, au voisinage de l’unité domestique.

76D’autres formes ont une fonctionnalité moins évidente : ainsi des petites coupelles (forme 14) ou des grandes jattes de plus de 30 cm de diamètre (forme 7b). Les premières sont représentées par plusieurs catégories arborant à la fois des différences de taille et de finition : la multiplicité de leurs usages est donc probable. Les secondes pourraient être des plats destinés à la présentation des mets, mais leur rareté semble peu compatible avec cette hypothèse. Un aspect notable est toutefois leur présence quasi-exclusive, à une exception près, dans le secteur 8.

77La grande rareté des jarres de grandes dimensions est un autre phénomène notable : s’agit-il d’un révélateur absolu de la modestie des capacités de production locale ? On peut tout à fait envisager le regroupement des réserves dans un autre lieu non fouillé, voire le recours à des conteneurs en matériaux périssables tels que paniers en osier, outres en peau animale ou même silos en terre crue. Le stockage des denrées périssables a par ailleurs toutes les chances d’avoir concerné une partie des « marmites » de moyen module (de 20 à 40 cm à l’ouverture).

78Il est remarquable qu’aucune des formes observées ne puisse être identifiée à une copie de vase importé, alors même que les indigènes étaient en contact avec un répertoire étranger, qu’ils ont même été poussés à acquérir pour leur propre usage. Ce répertoire restreint livre essentielle- ment des coupes et des olpés, en majorité de production massaliète. Quel qu’ait été l’usage que leur ont réservé les populations locales, ces pièces n’ont jamais détrôné les vases non tournés fabriqués sur place. L’utilisation traditionnelle, les us culinaires, le conservatisme, constituent autant de raisons qui ont pu amener cette sorte de syncrétisme matérialisée par le maintien des formes indigènes traditionnelles et l’acquisition de nouvelles formes étrangères utilisées en complément.

79Enfin, de rares vases pétris à l’amiante, un dégraissant minéral dont les gîtes se trouvent en Haute-Corse, dans la région du Cap, du Nebbiu et de Castagniccia (Istria 2007, 40), dénotent d’une technologie différente ; ces récipients auraient été fabriqués ailleurs, et acquis dans le cadre des relations avec d’autres communautés indigènes du nord de l’île. Pour justifier leur présence, on pourra formuler plusieurs hypothèses : d’abord celle d’une acquisition marchande au même titre que les vaisselles tournées importées, celle de dons intercommunautaires, voire celle d’échanges matrimoniaux. La rareté de ces productions indiquerait dans tous les cas une pratique peu courante.

4. Caractérisation chronoculturelle : le faciès à grains de riz en Corse-du-Sud

80Les vestiges de Cozza Torta s’inscrivent dans un faciès céramique désormais bien identifié, que nous désignons, à la suite d’A. Pasquet et P. Tramoni, sous l’expression de « faciès à grains de riz » (Pasquet, Tramoni 1992, 25). Celui-ci caractérise l’expression céramique des cultures indigènes du sud de la Corse au cours du 1er millénaire av. J.-C., et se définit prioritairement par sa décoration en impressions graniformes, qui comporte également d’autres techniques telles que l’incision, la cannelure, les ponctuations ou les cordons plastiques.

4.1. Fondements historiographiques

81Les plus anciens éléments à décors en grains de riz furent publiés à notre connaissance par F. de Lanfranchi au IXe Congrès de l’U.I.S.P.P., mais sans attribution chronologique précise (Lanfranchi 1976, 39, Fig. 14) ; ils proviennent du castellu de Cucuruzzu (Levie) dans des conditions de gisement obscures – bien que nous sachions aujourd’hui que les couches supérieures du castellu appartiennent effectivement à l’âge du Fer (Grosjean 1970 ; Lanfranchi, Weiss 1975, 55-58).

82Plusieurs assemblages s’inscrivant dans le même faciès ont été publiés depuis cette date – en particulier Nuciaresa, Capula-abris n° 1 et 3 et Cucuruzzu-cabane n° 1 (resp. Lanfranchi 1978 ; Lanfranchi 1979a) – ; mais au lieu de contribuer à éclaircir la position chronoculturelle exacte de ce dernier, ils l’ont fourvoyée. La confusion s’est installée à la suite de la publication de la petite série de Nuciaresa, la première à être étudiée dans une perspective chronologique, et attribuée par l’inventeur au Chalcolithique-Bronze ancien (Lanfranchi 1978, 314-319). Ses conclusions se sont fondées sur des comparaisons stylistiques avec les cultures sardes de Monte Claro et de Bonnanaro, ainsi que sur certains décors dérivant des productions du Campaniforme récent, à l’exclusion de tout rapprochement à l’échelle régionale. L’erreur initiale s’est étendue ensuite à la série de Cumpulaghja, étudiée par le même auteur et datée dans un premier temps du Néolithique (Lanfranchi 1979b, 51), puis de l’âge du Fer (Lanfranchi 1981, 22), et enfin du Campaniforme (Lanfranchi, Weiss 1997, 239). En l’absence de contrepoids archéologique pertinent, la série de Nuciaresa a malgré tout rapidement fait figure de série de référence, et cela pendant plus de 20 ans après sa première publication. Pour preuve, la répercussion de ces errements chronologiques sur l’étude des séries de Bufua 1 (Pasquet, Tramoni 1992) et de Tassarellu (Marcangeli, Tramoni 1993), datées initialement du Chalcolithique mais ultérieurement corrigées (Tramoni 1998, 163-164), et encore plus récemment sur les épandages superficiels de Cuciurpula, placés au Bronze ancien (Peche-Quilichini 2007) avant d’être ramenés à l’âge du Fer (Peche-Quili- chini, Lachenal 2008). Entre-temps, P. Tramoni, dans ses travaux sur la fin du Néolithique, avait souligné le caractère anachronique de ces datations et précisé la position chronoculturelle de ce faciès (Tramoni 1998, 163-164 ; 2000, 18), position confirmée ensuite par l’étude du mobilier de la sépulture de Tappa 2 (Milanini et al. 2008, 143-144).

83Le développement récent de fouilles sur des habitats de l’âge du Fer, en particulier à Cuciurpula et à Cozza Torta où ces vestiges sont désormais retrouvés en stratigraphie associés à des éléments datants et/ou des datations C14, a conforté sans ambiguïté l’âge protohistorique de ce faciès, comme l’ont montré les contributions des rencontres de Serra-di-Scopamene en 2009 (Peche-Quilichini 2012b).

84Dorénavant correctement daté, c’est sa désignation qui pose actuellement question. À l’origine baptisé « faciès de Nuciaresa » en référence au site éponyme, son inventeur l’a conçu comme un courant « épicampaniforme » (Lanfranchi, Weiss 1997, 239). Continuer à employer l’intitulé de « faciès de Nuciaresa », alors qu’il est établi que son contenu et son âge sont erronés, comme le font plusieurs auteurs (Peche-Quilichini 2012a ; Peche-Quilichini 2014a ; Lanfranchi, Peche-Quilichini 2012, entre autres), n’est sans doute pas de nature à clarifier sa définition. Il nous semblerait pertinent et nécessaire d’abandonner cette appellation pour lui substituer un intitulé plus consensuel.

Fig. 14 : Carte de répartition des sites du faciès à “grains de riz” et des autres sites mentionnés dans le texte. En grisé, reliefs supérieurs à 600 m d’altitude.

Fig. 14 : Carte de répartition des sites du faciès à “grains de riz” et des autres sites mentionnés dans le texte. En grisé, reliefs supérieurs à 600 m d’altitude.

1 : Cozza Torta (Porto-Vecchio). 2 : Chiosella (Porto-Vecchio). 3 : Tappa 2 (Porto-Vecchio). 4 : Monte Tucchesi (Porto-Vecchio). 5 : San Petru (Sotta). 6 : Nota 3 (Porto-Vecchio). 7 : Bufua 1 (Figari). 8 : Ventilegne (Figari). 9 : Punta di u Grecu (Sartène). 10 : Castidacciu (Sartène). 11 : Castellu di a Viccia (Sartène). 12 : Acciola (Sartène). 13 : Punta di a Cotta (Sartène). 14 : Santa Barbara (Sartène). 15 : Capula (Levie). 16 : Nuciaresa (Levie). 17 : Cucuruzzu (Levie). 18 : Tassarellu (Levie). 19 : Cumpulaghja (Sainte-Lucie-de-Tallano). 20 : Cuciurpula (Sorbollano/Sainte-Lucie-de-Tallano). 21 : Punta Campana (Sotta). 22 : Magazene (Sartène). 23 : Lugo (Zonza). 24 : Santa Catalina (Levie). 25 : San Simeone (Ajaccio). 26 : Aleria. 27 : Monte Lucciana (Vallecalle). 28 : Carco (Catteri).

4.2. Développement géographique du faciès à grains de riz

85Le faciès à grains de riz est actuellement recensé dans de nombreux sites du sud de la Corse ; K. Peche-Quilichini (2014a, 207, Fig. 462) en a répertorié une trentaine. Sa définition s’appuie sur des éléments morphologiques (28 types de formes), ou techniques et stylistiques (28 « éléments- guides »). La valeur de ces séries s’avère néanmoins très inégale : pour caractériser le faciès, cet auteur (Ibid., 209) n’a retenu que six ensembles fiables. Reprenant les résultats d’une synthèse récente (Milanini 2015b), l’inventaire présenté ci-dessous, fondé sur la conjonction des thèmes décoratifs et des grandes familles de vases, est établi sur 22 sites (Fig. 14).

86La dépression Porto-Vecchio – Figari (Pian’ d’Avretu) :

  • Cozza Torta, habitat de hauteur, fouilles Pasquet. Biblio. : Bonifay 1983. Fouilles Milanini. Biblio. : Milanini 2012 ; Milanini et al. 2012.

  • San Petru, habitat de hauteur fortifié. Ramassage de surface. Biblio. : Milanini 2015b.

  • Tappa 2, abri funéraire. Fouilles Nebbia, Cesari, Pasquet. Biblio. : Milanini et al. 2008.

  • Chiosella, abri sous roche. Ramassage de surface. Biblio. : Milanini et al. 2008.

  • Nota 3, abri funéraire. Ramassage de surface. Biblio. : Tramoni, Pasquet, Milanini 1997.

  • Monte Tucchesi, abri funéraire (?). Ramassage de surface. Biblio. : Tramoni, Pasquet, Milanini 1997.

  • Punta Campana, habitat de hauteur et de bas de pente. Ramassage de surface. Biblio. : Milanini 2015a.

  • Bufua 1, abri sous roche. Fouilles Pasquet et Tramoni. Biblio. : Pasquet, Tramoni 1992.

  • Ventilegne, remplissage de faille. Ramassage de surface. Biblio. : Peche-Quilichini 2014a.

  • La région de Sartène – Tizzano :

  • Castidacciu, habitat de hauteur fortifié. Fouilles Nebbia et Ottaviani. Biblio. : Nebbia, Ottaviani 1989.

  • Punta di u Grecu, habitat de hauteur. Fouilles Tramoni et Chessa. Biblio. : Tramoni, Chessa 1999 ; Tramoni, Chessa 2000.

  • Acciola, abri funéraire. Fouilles Nebbia. Biblio. : Peche-Quilichini 2007 ; Peche-Quilichini 2010 ; Peche-Quilichini 2014a.

  • Castellu di a Viccia, habitat (?) de hauteur. Ramassage de surface. Biblio. : Peche-Quilichini 2014a.

  • Santa Barbara ; habitat (?) de replat. Ramassage de surface. Biblio. : Peche-Quilichini 2014a.

  • Magazene, abri sous roche. Sondages Grosjean. Biblio. : Peche-Quilichini 2014a.

  • Punta di a Cotta, habitat de hauteur. Sondages Grosjean. Biblio. : Peche-Quilichini 2014a.

87La région de Levie – Sainte-Lucie-de-Tallano :

  • Cuciurpula, habitat de hauteur. Fouilles Peche-Quilichini et Lachenal. Biblio. : Peche-Quilichini, Lachenal 2009 ; Peche-Quilichini 2010 ; Peche-Quilichini 2014a ; Peche-Quilichini et al. 2012.

  • Cucuruzzu, village, fouilles Lanfranchi et castellu, fouilles Grosjean. Biblio. : Grosjean 1964 ; Grosjean 1970 ; Lanfranchi 1976 ; Lanfranchi 1979a.

  • Cumpulaghja, habitat de hauteur. Fouilles Lanfranchi. Biblio. : Lanfranchi 1979b ; Lanfranchi 1981.

  • Capula, habitat de hauteur fortifié. Fouilles Lanfranchi. Biblio. : Lanfranchi 1978.

  • Nuciaresa, habitat de replat. Ramassage de surface. Biblio. : Lanfranchi 1978 ; Lanfranchi, Weiss 1997. Fouilles : Lanfranchi et Peche-Quilichini 2012. Biblio. : Lanfranchi, Peche-Quilichini 2012.

  • Tassarellu, abri sous roche. Ramassage de surface. Biblio. : Marcangeli, Tramoni 1993.

88L’aire géographique ainsi délimitée englobe le Sartenais, l’Alta-Rocca et le Pian’ d’Avretu. L’extension méridionale du faciès inclurait le massif d’Arapa mais délaisserait le causse bonifacien. L’extension vers le nord de la Corse paraît exclue, avec toutefois des limites géographiques imprécises liées à l’état des connaissances : les vaisselles septentrionales, largement moins connues, semblent en effet caractérisées par des formes et des décors en grande partie différents de ceux recensés dans le sud (Peche-Quilichini 2014a, 81-83 ; 210-211). Le développement spatial du faciès à grains de riz est donc relativement exigu, et il serait peut-être plus juste de parler à son sujet d’un « micro-faciès ».

4.3. Développement chronologique : les séries céramiques signifiantes

89Le faciès à grains de riz est une culture caractéristique de l’âge du Fer qui se développe dès les tout premiers temps de la période. Les assemblages céramiques marquant le passage du Bronze final au premier âge du Fer sont en effet caractérisés par un certain nombre de nouveautés (Peche-Quilichini 2012a, 215-217 ; Peche-Quilichini 2014a, 207-208) : la production de vases fins bucchéroïdes disparaît ; les fonds aplatis sur vannerie se raréfient puis disparaissent, tout comme les assiettes, qui constituaient l’une des formes les plus courantes du Bronze final. Le profil des vases segmentés s’adoucit sur tous les modules ultérieurs, et adopte un dessin en « S », abandonnant la carène typique de la période précédente. L’ornementation, véritable innovation de la céramique de l’âge du Fer, se diversifie : impressions, ponctuations, incisions, cannelures se répandent aux côtés des cordons ornés ou non.

90Les séries les plus anciennes attribuables au faciès à grains de riz sont documentées par les découvertes de Cuciurpula, notamment l’horizon US 114 antérieur à l’habitation « Cuciurpula 1 », qui ignore ces décors caractéristiques (Peche-Quilichini et al. 2012, 51-52) : il livre des formes de tradition Bronze final, notamment des gobelets biconiques et des fonds à impressions de vannerie mais également, déjà, des cordons à impressions verticales. Cette couche daterait de la transition Bronze-Fer, repérée également dans l’habitation « Cuciurpula 6 » où elle succède à des niveaux du plein Bronze final (Peche-Quilichini 2014a, 237), et dans l’abri 2 du même site (Ibid., 184).

91L’abri d’Acciola (Giuncheto) a livré un ensemble clos probablement sépulcral dont les formes (Peche-Quilichini 2014a, 76-77) laissent entrevoir une céramique d’affinités archaïques, qui ne connaît comme décor que les cordons lisses ou imprimés et la ligne imprimée verticale. Les formes sont des tasses carénées à profil surbaissé, des « marmites » à petit col droit ou légèrement rentrant, des tasses hémisphériques à petit col droit ou évasé, des coupes hémisphériques en calotte de sphère, un bol globulaire à bord convergent et une assiette. Les prises font apparaître des languettes, des mamelons à perforation verticale, des anses en ruban et des tétons. Cet ensemble daterait de la transition Bronze-Fer ou du début de l’âge du Fer.

92Les niveaux de fonctionnement de l’habitation « Cuciurpula 1 » appartiennent à une séquence postérieure : ils sont datés au C14 du VIIIe-VIe s. (US 105 : Poz-26553 = 2495 ± 35 BP, soit 787-507 en Cal BC, Peche-Quilichini 2010, 373, 380, n. 5). Ils livrent un assemblage typique du faciès à grains de riz (Peche-Quilichini et al. 2012, 44-50), avec une céramique dominée par les formes fermées, du type jarres ou « marmites » biconiques à petit col droit ou divergent, « marmites » ovoïdes à bord convergent, tasses subsphériques. Le décor en grains de riz est relativement structuré, au moyen de lignes géométriques, le champ désordonné étant également connu. Les cordons à impressions verticales, bien représentés, sont disposés obliquement à partir des anses (Ibid., 56) selon le même schéma qu’à Cozza Torta. Les incisions sous forme de séries de lignes parallèles sont plus rares. Les préhensions consistent en anses en ruban, dont plusieurs à ensellement médian, en mamelons massifs, en languettes et en tétons.

93Les niveaux d’occupation de l’habitation « Cuciurpula 3 » sont contemporains des précédents (Peche-Quilichini et al. 2013, 43) : la datation au C14 y est parfaitement superposable (US 402b : Poz-57989 = 2495 ± 35 BP soit 787-507 en Cal BC). Les formes, peu nombreuses, se limitent à des vases fermés : petites tasses subsphériques à col divergent, « marmites » ovoïdes/subsphériques à petit col droit, coupes et bols à paroi peu galbée et à bord droit ou rentrant (Ibid., 32-33, Fig. 26-27). Les anses restent rares (languettes massives à perforation horizontale). Les décors montrent des cordons lisses ou imprimés et des registres d’impressions courtes horizontales parfois couplées à des incisions verticales, situés sur la partie proéminente ou sur le col.

94La maison « Cuciurpula 23 » a livré une série qui s’inscrit dans la même ambiance. La datation C14 d’un niveau d’oc cupation (Peche-Quilichini, Delvaux, Lachenal 2015, 82) procure un âge aux alentours des VIIe-VIe s. (US 2316b : Poz-67421 = 2535 ± 30 soit 649-546 en Cal BC à 42,5 % de probabilité). Les rares formes, les préhensions et les décors d’impressions en grains de riz et au poinçon (Ibid., 75-77, Fig. 65, 67, 69, 73) entrent dans le schéma du faciès à grains de riz classique. C’est encore le cas du niveau de fonctionnement US 2605 de l’habitation « Cuciurpula 26 » (Peche-Quilichini, Delvaux, Lachenal 2015, 100), qui livre une gamme assez stéréotypée de « marmites » ovoïdes à col droit ou légèrement divergent, des décors en grains de riz couvrant la partie proéminente du vase, des champs ponctués, des cordons imprimés ou digités et des prises en mamelon monoforées, en ruban, et en languette massive perforée verticalement (Peche-Quilichini, Delvaux, Lachenal 2015, 101-102, Fig. 110 et 111).

95On retrouve des parallèles notables entre les séries de Cozza Torta et de Nuciaresa (Lanfranchi 1978), en particulier dans les formes des vases, essentiellement des coupes à flancs galbés, des « marmites » ovoïdes à bord convergent, et des « marmites » ovoïdes/biconiques à col droit, et des préhensions, notamment les gros mamelons (Ibid., 322, Fig. 92, n° 1 et 3), les anses à ensellement médian (Ibid., 323, Fig. 93, n° 2, 3, 6) et les languettes en « fer à cheval » imprimées (Ibid., 321, Fig. 91). Les décors en grains de riz en champ désordonné, les incisions, les impressions punctiformes et les cordons imprimés sont communs aux deux séries. La reprise récente des recherches sur ce site a confirmé cette homogénéité (Lanfranchi, Peche-Quilichini 2012, 66-67), mais a surtout livré un petit lot de vestiges importés contemporains de ceux de Cozza Torta (Ibid., 70 ; Peche-Quilichini et al. 2015, 273).

96La céramique trouvée dans la sépulture de Tappa 2 (Porto- Vecchio) renvoie quant à elle à un échantillon constitué à l’origine d’un nombre limité de formes de petit et moyen module, à l’exception d’une grande jarre à col droit (Milanini et al. 2008). Il s’agit de coupes et de coupelles tronconiques, et d’une gamme stéréotypée de tasses à panse ovoïde/hémisphérique et petit col droit/divergent. Les prises consistent en mamelons massifs et en petites anses en boudin ou en ruban. Les décors d’impressions en grains de riz sont bien représentés, aux côtés de cordons lisses, d’incisions et de cannelures. La présence de décors au peigne indique un âge plus récent, entre la fin du VIe et le IVe s. av. J.-C. (Ibid., 147).

97La série de San Petru (Sotta) a livré, pour une période égale- ment plus récente (IVe-IIIe s.), un vaste échantillonnage de formes qui révèle à la fois une grande stabilité des types morphologiques et une évolution perceptible pour certains détails (Milanini 2015b) : ainsi la réapparition des assiettes, la composition des décors ou la disparition de certains types de préhensions (gros mamelons et anses à enselle- ment médian). Les « marmites » ovoïdes sans col ou à col droit très court, les « marmites » à col divergent, les coupes tronconiques à flancs peu galbés, les tasses hémisphériques/ subsphériques à petit col, les « socles » polypodes, restent semblables aux formes antérieures et témoignent ainsi de la permanence du répertoire.

98Dans la petite série issue des fouilles de la Punta di u Grecu (Sartène), datée de la fin du IVe-début IIIe s., l’évolution perçue à San Petru se fait encore plus sensible ; le décor peigné devient très fréquent et s’organise en registres verticaux, horizontaux et obliques, « se chevauchant, en constituant des registres plus élaborés de triangles ou de losanges laissant une zone réservée au centre du motif » (Tramoni, Chessa 2000, 53). Par sa complexité mais aussi par la présence/réapparition des formes basses, la disparition des mamelons massifs, des anses ensellées, des cordons imprimés ou l’identité des anses en mamelon allongé surmontées de traits incisés, la série de Punta di u Grecu renvoie directement au mobilier issu de la cabane 1 de Cucuruzzu (Lanfranchi 1979a, Fig. 3-4). Les formes, limitées, sont dominées par les modules simples, à col droit ou légèrement rentrant, plus rarement divergent. La complexité des décors peignés avait justement amené le fouilleur à dater ce mobilier des IVe-IIIe s. av. J.-C. (Ibid., 80).

99La confrontation avec des assemblages plus récents met en avant, en même temps qu’un développement chrono- logique jusqu’au IVe s. au moins, une remarquable stabilité morphotypologique d’ensemble. Une évolution se fait néanmoins jour dans le détail, avec la multiplication des petites tasses et le retour des formes basses (assiettes, écuelles), l’apparition et le développement des décors au peigne, et l’évolution des registres imprimés vers des compositions géométriques plus structurées ; les cordons imprimés se raréfient puis disparaissent. Enfin, d’autres éléments n’ont plus du tout cours : décors poinçonnés, gros mamelons, anses en ruban à ensellement médian, oreilles massives, languettes en « fer à cheval ».

100À l’autre extrémité de la période considérée, le répertoire établi pour le Bronze final (faciès « Apazzu-Castidetta-Cucuruzzu ») présente déjà des formes qui annoncent celles du faciès à grains de riz (Peche-Quilichini 2014a, 216-218). On citera ainsi les coupes tronconiques ou à flancs peu galbés et les « marmites » ovoïdes sans col et à bord convergent, deux formes qui perdurent sans changement notable à la période suivante ; on peut évoquer de même les grandes jarres à épaulement et col vertical, ou les petits vases biconiques à col évasé, plus typiques du faciès Apazzu-Castidetta-Cucuruzzu mais qui se maintiendront au premier âge du Fer, au prix de modifications mineures, sous la forme des « marmites » et des tasses. Les parentés morphologiques recensées par K. Peche-Quilichini (Ibid., 208, Fig. 463a) indiquent que, sur 28 profils de vases reconnus à l’âge du Fer, 23 existent déjà au Bronze final. Le faciès à grains de riz trouve donc largement sa genèse dans le répertoire du Bronze final (Ibid., 210, 226).

101Les influences extérieures sont parallèlement rarissimes tant sur le plan morphologique que stylistique : les copies de vases tournés semblent inconnues dans le domaine pris en considération, à l’exception possible d’une coupe de la sépulture de Tappa 2 (Milanini et al. 2008, 145). Dans ses recherches, K. Peche-Quilichini (2014a, 226) n’a pu recenser que des éléments accessoires, tels que les anses en protomé zoomorphe ou les petits décors circulaires (décors « a cerchielli »), qui rapprocheraient les productions corses de celles de Gallura en Sardaigne. On connaît pourtant de décors identiques aux impressions en grains de riz corses en Ligurie, ainsi à Montaldo di Mondovi (Gambari, Venturino Gambari 1987, Fig. 20, n° 2), sur des « marmites » à bord convergent semblables à nos formes 8, mais dans un contexte très récent (IVe-IIIe s.) : si influence il y a eu, cela n’a pu être dans ce cas que depuis la Corse vers l’Italie.

4.4. La place de Cozza Torta au sein du faciès à grains de riz

102L’identification du faciès à grains de riz permet de caractériser un ensemble de productions céramiques propres au sud de la Corse, qui se développe entre le VIIIe et le IVe s. av. J.-C.

103Ce faciès se définit à l’échelle régionale par l’utilisation d’une vaisselle non tournée, à fond plat, arborant un lissage le plus souvent sommaire. La cuisson est réalisée en atmosphère oxydante ou oxydo-réductrice. La céramique est de facture assez soignée, mais l’existence de plusieurs niveaux de finition a parfois été évoquée. Les vases correspondent essentiellement à des formes fermées : pots à profil en « S », jarres et « marmites » à panse ovoïde/sphérique, « marmites » à col convergent, tasses à panse hémisphérique, bouteilles à col droit ; des vases ouverts existent en bien moindres proportions : coupes et coupelles hémisphériques et tronconiques. Les formes sont rarement segmentées et exclusivement dans la phase ancienne. Les vases de stockage de type grandes jarres restent anecdotiques, de même que certaines formes comme les « socles » ou les vases polypodes. Les préhensions recourent aux anses en ruban ensellées, aux anses en boudin, aux gros mamelons monoforés, aux languettes simples, en « fer à cheval » et aux tétons. Elles sont souvent mises à profit pour la struc turation des décors. Ceux-ci associent des techniques variées, au sein desquelles l’impression, l’incision, la cannelure et les cordons ornés ou non trouvent une large expression.

104Cette vaisselle est fortement empreinte par les formes du Bronze final mais ne doit pas pour autant se laisser enfermer dans une image d’immobilisme absolu ; une évolution discrète se fait sentir sur une série comme Cozza Torta par rapport à d’autres plus anciennes comme Acciola ou Cuciurpula 1-US 114 : les formes segmentées, les prises plus graciles, les décors limités à des cordons plastiques, les fonds imprimés sur vannerie, marqueurs caractéristiques de cette phase de transition avec le Bronze final, sont autant de traits auxquels la céramique de Cozza Torta ne souscrit plus.

105Les analogies sont par contre plus affirmées avec Cuciurpula 1-US 105, série qui comporte en plus des formes classiques (« marmites » à col droit ou convergent, tasses, coupes tronconiques), des décors d’impressions punctiformes ou en grains de riz, des cordons plastiques imprimés, et des types d’anses (languettes, gros mamelons, anses à enselle- ment médian) présents également à Cozza Torta. Elles sont également fortes avec les séries de Cuciurpula 26-US 2603 et 2605. C’est par ailleurs avec Nuciaresa ou Tappa 2, que l’on trouvera d’autres comparaisons évidentes : Nuciaresa n’a livré qu’un éventail restreint de formes et de décors, quoique parfaitement superposable à celui de Cozza Torta ; les vases de Tappa 2, un peu plus récents, s’ils n’offrent pas non plus une gamme étendue de formes, sont presque tous recensés à Cozza Torta, bien que l’apparition des décors peignés et l’absence d’éléments archaïques (cordons imprimés, languettes en fer à cheval), trahissent déjà une certaine évolution.

106Si la céramique est relativement hermétique aux influences extérieures, ce n’est pas le cas pourtant de tous les marqueurs de la culture matérielle. Les analyses de mobilier métallique indiquent des relations privilégiées avec l’Italie villanovienne, notamment à travers une large série de fibules archaïques (Jehasse 1985-1986 ; Lechenault 2011). D’autres catégories renvoient à une aire continentale encore plus vaste : les pendeloques olivaires, les tubes spiralés, les boutons hémisphériques, offrent de nombreux parallèles avec des productions du VIe s. du Jura, de Suisse et d’Allemagne du Sud (Lechenault 2011). Le mobilier de verre pourrait quant à lui traduire des contacts avec le monde phénico-punique (Peche-Quilichini et al., à paraître).

107Les séries métalliques n’obéissent pas à la partition géographique de la céramique, et connaissent une évolution plus prononcée au cours de la période envisagée. À l’inverse, les pratiques funéraires semblent davantage figées avec la prédominance du dépôt collectif en abri sous roche, qui perdure jusqu’aux premiers siècles de l’ère chrétienne (Milanini 2015a). Le cas des formes de l’habitat, bien qu’il transcende vers le haut les limites chronologiques du faciès céramique, est analogue (Peche-Quilichini et al. 2015).

108Les cadres temporels des différents référentiels divergent donc nettement. Même si tous ne suivent pas le rythme d’évolution de la céramique, s’impose le constat que le mode de vie des populations du premier âge du Fer reste très proche de celui du Bronze final. Cela expliquerait l’intégration incomplète de la Corse aux réseaux du commerce vinaire, les amphores et les vases à boire importés demeurant fort rares sur les sites indigènes. Le caractère sommaire des échanges même après la fondation d’Alalia, au milieu du VIe s., est vraisemblablement révélateur d’un état de structuration économique inachevé : les économies indigènes ne seraient pas encore en mesure de dégager de véritables surplus mobilisables pour l’échange. Cet aspect conforte du même coup l’idée du faible impact sur le monde indigène de la présence des Grecs, puis des Etrusques, à Alalia.

5. Conclusions et perspectives

109La production céramique désignée par l’expression de faciès à grains de riz correspond à un faciès bien individualisé dans le sud de la Corse entre le VIIIe et le IVe s. av. J.-C. Si les vaisselles traduisent une évolution par rapport à celles du Bronze final, notamment pour ce qui est des styles décoratifs, elles n’en constituent pas moins les héritières directes. Plusieurs grandes familles de vases – « marmites » à col droit, « marmites » sans col à bord convergent, jattes en calotte, coupes à flancs peu galbés, tasses – qui caractérisent les productions de l’âge du Fer, existent en effet à l’origine au Bronze final. Elles se maintiennent avec peu, voire pas, de changements morphologiques. Par ailleurs, elles ignorent à peu près toute influence extérieure.

110À l’autre extrémité de la période, vers le IVe s. av. J.-C., le répertoire va évoluer avec la multiplication des petites tasses et le retour des formes basses, la disparition des types d’anses archaïques, et la forte mutation des styles décoratifs, mue par l’apparition et le développement des traitements au peigne. Cette phase possiblement interprétable comme une phase terminale ou de transition reste difficile à saisir, faute de contextes bien datés. Force est donc d’ad- mettre que nous ne savons pas comment ni précisément quand prend fin la production de ce faciès.

111La série de Cozza Torta, dont la datation s’établit dans la seconde moitié du VIe s. av. J.-C., illustre une phase médiane dans la chronologie de ce courant. Elle reste même la mieux datée et donc l’une des plus fiables du corpus disponible. Son étude montre une très nette affiliation avec les assemblages de la phase ancienne de l’âge du Fer. Ses caractères morpho-stylistiques sont connus dans la plupart des ensembles contemporains. Un certain nombre tomberont en désuétude dans les séries plus tardives.

112Le seul élément inédit à signaler serait la présence de tessons à pâte amiantée, productions considérées comme étant originaires du nord de l’île. Leur date précise d’apparition reste sujette à caution bien qu’on les considère plutôt caractéristiques de la fin de l’âge du Fer (Paoli-ni-Saez 2012). Exploitant une documentation exhaustive,

  • 8 L’auteur indique d’ailleurs que ce matériel pourrait illustrer une transgression vers le début du s (...)

113K. Peche-Quilichini (2014a, 79-80) n’a recensé qu’un seul ensemble à céramique amiantée pour le premier âge du Fer, celui d’E Mizane à Calacuccia, où trois tessons sont recensés au sein d’une stratigraphie nettement moins fiable8. Les découvertes de Cozza Torta pourraient donc se classer parmi les plus anciennes clairement datées à ce jour.

114L’absence de toute copie de vase importé est également un phénomène à noter, d’autant que les habitants de Cozza Torta étaient alors confrontés à des répertoires étrangers. La présence discrète de vaisselle importée démontre surtout l’accès de ces derniers à des réseaux de commerce vinaire en provenance de Méditerranée – que ce soit par l’intermédiaire des Grecs ou des Etrusques. Les sites indigènes contemporains, hormis Nuciaresa, ne livrent pas cette catégorie de biens à date aussi haute. Les contacts avec l’extérieur restent donc sporadiques au vu des connaissances actuelles.

115À l’échelle du sud de l’île, les autres aspects de la culture matérielle n’offrent pas la même sensibilité que la céramique, que ce soit sur le plan chronologique ou spatial. Bien qu’une évolution discrète semble toucher l’habitat de l’âge du Fer, dont les installations abandonnent progressivement les murailles fortifiées (Peche-Quilichini et al. 2015), cette communauté de la région portovecchiaise demeure en fin de compte très proche dans ses modes de production et ses composantes socioculturelles de celles du Bronze final, au moment où elle entre en contact avec des populations plus avancées avec lesquelles elle va tenter d’échanger. Mais même alors, ces échanges, bien modestes, paraissent demeurer insuffisants pour modifier en profondeur les structures socio-économiques indigènes : sur les habitats ou dans les sépultures de cette époque, l’archéologie est pour l’heure bien en peine pour déceler un changement net ; aucun surplus matériel évident, motivé par une volonté de surproduction incontestable, ne peut non plus y être invoqué. Rien ne dit toutefois que cette situation n’ait pas une simple valeur locale : seule la fouille de nouveaux contextes stratifiés bien datés de cette période viendrait clarifier ces derniers points.

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Notes

1 Cette identification a été réalisée sur de petits fragments lors de la campagne de 2008 et n’a pas été confirmée par les découvertes ultérieures.

2 Cette chronologie recoupe deux datations C14 sur charbon obtenues dans ces niveaux :

- Us 52 (foyer) : LY-15049 = 2480 ± 30 BP, soit 770-415 en Cal BC.

- Us 330 (sol) : Ly-7675 [GrA] = 2475 ± 35 BP, soit 770-410 en Cal BC.

3 Les comptages et l’étude ont été établis sur l’état des séries de 2016.

4 Un vase entier, l’exemplaire US 696 (Fig. 11, n° 9), correspond sans doute à un dépôt de fondation.

5 Dont l’appellation, révélant déjà une interprétation fonctionnelle, est sans doute peu appropriée si l’on vise une typologie morphologique, plus objective qu’une typologie fonctionnelle.

6 L’hypothèse n’est applicable qu’aux modules de petite taille ; certains exem plaires, de plus de 30 cm de diamètre, doivent avoir possédé une autre destination.

7 Ou tout au moins en considérant que les assiettes, qui disparaissent au premier âge du Fer, appartiennent traditionnellement à la céramique commune et ne sont jamais présentes dans les formes de la vaisselle fine dite « bucchéroïde » (Peche-Quilichini 2014a, 164-165, Fig. 357).

8 L’auteur indique d’ailleurs que ce matériel pourrait illustrer une transgression vers le début du second âge du Fer (Peche-Quilichini 2014a, 188).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Localisation du site de Cozza Torta dans son contexte archéologique local.
Légende (fond de carte : P. Tramoni ; mise à jour J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 327k
Titre Fig. 2 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud).
Légende Emprise estimée de l’établissement de l’âge du Fer, localisation des différents locus, des habitations affleurantes () et de l’entrée monumentale ( ).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 250k
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-3.png
Fichier image/png, 680 octets
Titre Fig. 3 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Planimétrie générale du locus CT1 et situation des différents secteurs de fouille.
Légende (DAO S. Lahlou, R. Derkimba, J.-P. Montagono, P. Tramoni et A. Ferraz).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 127k
Titre Fig. 4 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Secteur 7. Premier sol de l’âge du Fer (US47).
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 308k
Titre Fig. 5 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Secteur 8. Premier état d’occupation de la maison 1 (US 691).
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 338k
Titre Fig. 6 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène : joints de colombinage.
Légende 1, simple (positif). 2, avec crénelure (négatif) (clichés J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre Fig. 7 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 1 à 4.
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 199k
Titre Fig. 8 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 5 et 6.
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 123k
Titre Fig. 9 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 7a et 7b.
Légende (DAO J.-L. Milanini)
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 160k
Titre Fig. 10 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 8 à 10.
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 155k
Titre Fig. 11 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 11a, 11b et 11c.
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 202k
Titre Fig. 12 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, formes 12 à 14, échantillons d’anses et de fonds.
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 255k
Titre Fig. 13 : Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud). Céramique indigène, échantillons de décors, d’anses et de fonds.
Légende (DAO J.-L. Milanini).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 285k
Titre Fig. 14 : Carte de répartition des sites du faciès à “grains de riz” et des autres sites mentionnés dans le texte. En grisé, reliefs supérieurs à 600 m d’altitude.
Légende 1 : Cozza Torta (Porto-Vecchio). 2 : Chiosella (Porto-Vecchio). 3 : Tappa 2 (Porto-Vecchio). 4 : Monte Tucchesi (Porto-Vecchio). 5 : San Petru (Sotta). 6 : Nota 3 (Porto-Vecchio). 7 : Bufua 1 (Figari). 8 : Ventilegne (Figari). 9 : Punta di u Grecu (Sartène). 10 : Castidacciu (Sartène). 11 : Castellu di a Viccia (Sartène). 12 : Acciola (Sartène). 13 : Punta di a Cotta (Sartène). 14 : Santa Barbara (Sartène). 15 : Capula (Levie). 16 : Nuciaresa (Levie). 17 : Cucuruzzu (Levie). 18 : Tassarellu (Levie). 19 : Cumpulaghja (Sainte-Lucie-de-Tallano). 20 : Cuciurpula (Sorbollano/Sainte-Lucie-de-Tallano). 21 : Punta Campana (Sotta). 22 : Magazene (Sartène). 23 : Lugo (Zonza). 24 : Santa Catalina (Levie). 25 : San Simeone (Ajaccio). 26 : Aleria. 27 : Monte Lucciana (Vallecalle). 28 : Carco (Catteri).
URL http://journals.openedition.org/dam/docannexe/image/6825/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 142k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis MILANINI, « Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud) : la céramique indigène du premier âge du Fer »Documents d’archéologie méridionale, 41 | 2018, 39-70.

Référence électronique

Jean-Louis MILANINI, « Cozza Torta (Porto-Vecchio, Corse-du-Sud) : la céramique indigène du premier âge du Fer »Documents d’archéologie méridionale [En ligne], 41 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/dam/6825 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dam.6825

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Auteur

Jean-Louis MILANINI

10 petite rue - 69870 Poule-les-Écharmeaux Jean-Louis.Milanini@ac-lyon.fr

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