- 1 Programme collectif de recherches « Fossae Marianae. Le système portuaire antique du golfe de Fos e (...)
1La reprise des recherches sous-marines et terrestres dans le golfe de Fos grâce au PCR Fossae Marianae auquel nous sommes associées1, nous a permis de revenir sur les dossiers archéologiques concernant plus particulièrement la partie orientale du golfe, située sur la commune de Port-de-Bouc.
2Parallèlement aux travaux de topographie menés dans ce cadre, nous avons affiné la carte archéologique de ce secteur en y intégrant des découvertes anciennes inédites, issues de communications orales ou d’archives privées, ainsi que de nouvelles données issues de fouilles plus récentes.
3C’est un secteur qui présente la triple difficulté d’avoir été industrialisé très tôt, bouleversant le paysage alentour, d’être fortement soumis aux érosions (lessivage des sols, remontées du niveau marin, …) et d’avoir été peu exploré, au contraire de la partie occidentale du golfe de Fos ou de la zone des étangs de Saint-Blaise.
4C’est pourtant une zone occupée depuis les temps préhistoriques (Trément 1999). La présence d’une source d’eau douce, au lieu-dit les Aigues-Douces, signalée sur les cartes les plus anciennes connues de cette côte, a dû également jouer un rôle non négligeable dans l’histoire de son occupation. C’est surtout un territoire stratégique pour le commerce, aux époques protohistoriques et dans l’Antiquité, entre Méditerranée, Rhône et arrière-pays, offrant un mouillage abrité lors des tempêtes d’automne. Ainsi, dès l’installation de l’oppidum de Saint-Blaise, dont le terroir s’étend jusqu’à la côte méditerranéenne, le secteur de la pointe Baumasse, à moins de deux heures de marche du site, a sans doute été l’un des principaux point d’échanges commerciaux entre Gaulois et navigateurs grecs et étrusques. Constituée du banc de calcaire coquillier du Miocène (Burdigalien supérieur) le plus à l’ouest de la Côte Bleue avec celui de Saint-Gervais, à Fos-sur-Mer, c’est également une zone d’extraction de pierre de taille, comme en témoignent les carrières aujourd’hui en partie immergées (Vella 1999 et 2002). Les traces d’une occupation grecque, datées du début du IIe s. av. n. è., trouvées à la pointe Vella, à quelques dizaines de mètres de là, sont sans doute à mettre en relation avec cette exploitation (Marino, Rigeade 2005).
- 2 La production de sel à partir de salines installées dans les étangs autour de Saint-Blaise - et qui (...)
5Dès le siècle suivant, l’installation d’une villa dite « villa de la pointe Baumasse » et la présence d’une série de petits habitats ruraux dans l’arrière-pays immédiat confirment l’intérêt économique de ce secteur durant toute l’Antiquité romaine et même au-delà2.
6Lorsque nous avions publié notre article en 2005 sur les découvertes de la pointe Vella, nous présentions une petite nécropole de douze inhumations, sans mobilier caractéristique à l’intérieur des tombes permettant de dater leur installation, mais recouvertes et environnées d’une couche contenant des céramiques, en particulier de la vaisselle de cuisine massaliète, datées autour de 200 av. n. è. La stratigraphie étant évidente (un seul niveau repéré au-dessus du substrat rocheux), nous avions attribué ces inhumations à cette période et avions, de là, supposé qu’il pouvait s’agir de tombes de Grecs de Marseille, venus exploiter les carrières du golfe de Fos.
- 3 Sur les onze inhumations, quatre ne contenaient plus du tout d’ossements ou dans un tel état de con (...)
- 4 Nous renvoyons à la bibliographie fournie à l’époque dans Marino, Rigeade 2005.
7Si tous les individus avaient été inhumés la tête à l’ouest, la position des bras et des mains présentait une grande variabilité3. Certaines tombes contenaient des éléments interprétés comme offrandes (un dépôt brun-noir, conte- nant coquillages et oursins, localisé sur le thorax ou l’abdomen, une lentille d’ocre entre les genoux, un galet de schiste incisé d’un décor de losange sur les pieds...). Enfin, l’architecture funéraire ne nous avait pas semblé en contradiction avec celles décrites dans les publications d’alors concernant les nécropoles grecques, qu’elles soient régionales, comme celle de Marseille (Moliner 1994 ; Moliner et al. 2003), ou plus lointaines4. De plus, l’une des tombes présentait un dispositif de couverture constitué de fragments de dolium. Plus généralement, l’inventaire des sites connus dans le secteur compris entre le port de Saint-Gervais, à Fos-sur-Mer, la pointe Vella, à Port-de-Bouc, et le site de Saint-Blaise, à Saint-Mitre, recensait une majorité de sites protohistoriques, antiques ou tardo-antiques. Les signes d’occupations plus récentes étaient plus éloignés, et essentiellement concentrés autour du village de l’Hauture, à Fos-sur-Mer (Gateau 1996 ; Trément 1999).
- 5 Au moment de la découverte et de la fouille de la pointe Vella, nos collègues et voisins archéologu (...)
8Nos hypothèses semblaient concorder avec le contexte archéologique d’alors. Ces inhumations étaient l’indice d’une occupation saisonnière ou occasionnelle des Grecs, sur la frange littorale, à l’image de celle découverte peu de temps auparavant à Martigues, dans la carrière de Baou Tailla, à Carro, et placée sous la protection de la tour grecque de la Roque d’Odor, située juste en face, à Fos-sur-Mer (Chausserie-Laprée 2003 ; Chausserie-Laprée 2005, 52). Les tombes de la pointe Vella semblaient d’au- tant moins isolées, dans ce contexte archéologique local, que la Roque d’Odor était également un lieu de nécro- pole, mentionné depuis la fin du XIXe s. (Gilles 1884, 247-248) et fouillé dans les années 1960, par un archéologue amateur, Charles Massard, peu de temps avant l’installation du complexe portuaire de Fos-sur-Mer5.
- 6 Le fragment osseux de la tombe 2 a un âge calibré compris entre 672 et 853 de n. è. (Ly-4135, date (...)
- 7 La tombe 2 a un âge calibré de 877±57 de n. è. (Poz-24038, date C14 : 1155±30 BP) et la tombe 10 un (...)
9Toutefois, à la demande du Service Régional de l’Archéologie de PACA, deux échantillons de la pointe Vella, l’un prélevé sur une femme mature âgée (tombe 2) et l’autre sur un homme mature âgé (tombe 10), ont été envoyés à la fin de l’année 2006 au centre de datation par le radio- carbone de Lyon. Les datations C14 obtenues ont complètement infirmé nos hypothèses et ont placé la mort des individus au cours du premier Moyen Âge6. En 2008, les datations réalisées cette fois par le laboratoire de Poznan en Pologne sur des échantillons extraits des mêmes individus ont confirmé cette attribution7.
- 8 Je remercie ici les chercheurs et collègues qui ont bien voulu, durant toutes ces années, relayer c (...)
10Ces nouvelles données, si elles ont été transmises orale- ment à l’époque à la communauté scientifique régionale8, n’ont malheureusement pas pu faire l’objet d’une publication.
11Si les dates C14 placent, maintenant, les sépultures de la pointe Vella entre les VIIe et IXe s. de n. è., l’orientation systématique tête à l’ouest et l’alignement des sépultures ne suffisent pas à caractériser ce cimetière. L’architecture funéraire, variable d’une tombe à l’autre, ne permet pas de reconnaître sans difficulté un des groupes de la typo-chronologie définie en 1996 et toujours en vigueur (Démians, Raynaud, Colardelle 1996).
12Toutes les sépultures de la pointe Vella ont été creusées dans le substrat rocheux évoquant ainsi le type 15 des tombes rupestres. Elles présentent toutes cependant des aménagements supplémentaires qui les excluent de ce groupe. Sept sépultures présentent un dispositif de coffrage et couverture de dalles de pierre horizontales que l’on peut rapprocher des « tombes à coffrage mixte ou composite » datées des VIIIe-IXe s. de n. è. et décrites sous le type 11. Les deux dates obtenues proviennent d’ossements trouvés dans ce type de dispositif. Trois tombes, sans coffrage contre les parois de la fosse, possèdent une couverture en bâtière qui pourrait évoquer le type 8.2, daté entre les Ve et IXe s. de n. è. (tombe à « coffrage de section triangulaire en lauzes »), mais aucun exemple attribué à ce type ne présente plusieurs épaisseurs de dalles comme c’est le cas ici. Enfin l’usage de grands fragments de dolium et/ou de matériau périssable pour couvrir les deux dernières tombes à coffrage de la pointe Vella n’est décrit dans aucun des types.
13Seule l’une d’entre elles, la tombe 7, présentait tous les caractères d’une tombe chrétienne de cette période : tête à l’ouest, mains croisées sur la poitrine, pierre plate en guise de coussinet céphalique, tombe en coffrage de dalles et couverture horizontale.
14Les datations de la nécropole de la pointe Vella nous obligent en parallèle à nous interroger sur l’attribution à l’époque romaine de plusieurs autres sites d’inhumations en coffrage de dalles, trouvés anciennement à proximité du site : les tombes en coffrage mentionnées par Alfred Saurel dans le secteur tout proche de la Mérindole (Saurel 1865) ou celles trouvées au lieu-dit les « Baux-Rouges », sur la côte port-de-boucaine, par Émile Franck au début du XXe s. (Franck 1905). Bien que réduit à un compte- rendu dans le Bulletin de la Société Archéologique de Provence, le manuscrit envoyé comportait, à l’origine, un croquis (Fig. 1) et un plan de localisation (Fig. 2).
15La chronologie du site de la pointe Vella doit donc être révisée et subdivisée en deux phases : une occupation grecque datée vers 200 av. n. è., perturbée par l’installation d’une petite nécropole du premier Moyen Âge.
Fig. 1 : Croquis des tombes à coffrage fouillées par Émile Franck en 1901 aux Baux-Rouges.
Ce croquis accompagnait son manuscrit lors de la présentation à la Société Archéologique de Provence le 7 décembre 1905 (archives Service Archéologie de Martigues).
Fig. 2 : Plan de localisation des vestiges archéologiques du golfe de Fos dressé par Émile Franck.
(archives Service Archéologie de Martigues)
16L’intégration de ces nouvelles données dans la carte archéologique de ce secteur montre aujourd’hui un tout autre contexte qu’en 2005 et une continuité dans l’occupation, entre le port de Fos et les collines de Saint-Blaise. En outre, plusieurs fouilles ont permis la mise au jour d’ensembles funéraires de la même période que celui de la pointe Vella : la nécropole de l’abbaye de Saint-Gervais avec ses 103 tombes repérées mais non fouillées et datées entre l’époque paléochrétienne et l’époque romane (Lagrue, Prades 2008) ; les trois sépultures de Pichotty, datées par C14 entre la fin du Ve s. et le VIIe s. de n. è. (Paone, Vacca-Goutoulli, Lisfranc 2010) ; la nécropole de la chapelle de Notre-Dame-de-la-Mer dont la fouille a permis de reconnaître, parmi les 516 inhumations, une vingtaine de tombes de la fin du VIIe s. de n. è. (Rigeade 2013).
Fig. 3 : Carte de répartition des tombes et des sites entre Saint-Blaise, Fos et la pointe Vella
1. nécropole de la Roque d’Odor, IVe - IIe s. av. n. è.
2. stèles funéraires, tombes sous tuiles et sarcophages antiques de Saint-Gervais ouest
3. nécropole tardo-antique à haut Moyen Âge de l’abbaye de Saint-Gervais
4. nécropole de Notre-Dame de la mer, VIIe- XIXe s. de n. è.
5. château et nécropole rupestre de l’Hauture, XIe-XIIe s. de n. è.
6. nécropole rupestre tardo-antique ou du haut Moyen Âge de Lavalduc
7. inhumation de Rassuen, VIe s. av. n. è.
8. oppidum et agglomération de Saint-Blaise, VIe s. av. - XIVe s. de n. è.
9. nécropole rupestre tardo-antique de Saint- Blaise
10. tombe rupestre isolée tardo-antique des Enconques
11. oppidum de Castillon, VIe - IVe s. av. n. è.
12. nécropole de Pichotty
13. nécropole rupestre tardo-antique de Valentoulin
14. tombe rupestre isolée tardo-antique des Enconques
15. habitat de la fin du Ier s. av. n. è. et des IVe-Ve s. de n. è.
16. sarcophages et tombes sous tuiles du quartier des Arcades, datation incertaine
17. habitat antique
18. tombes sous tuiles et sarcophages en plomb, Ier-IIe s. de n. è.
19. carrière immergée de Bottaï
20. tombe à coffrage de dalles et couverture de tuiles de la Baumasse (datation incertaine)
21. villa de la Baumasse, Ier s. av. - IIIe s. de n. è.
22. tombe à coffrage de pierre de la Baumasse (datation incertaine)
23. carrière immergée de la Baumasse nord
24. carrière immergée de la Baumasse sud
25. nécropole de la pointe Vella, VIIe-IXe s. de n. è.
26. habitat de la pointe Vella, IIIe s. av. n. è.
27. tombes à coffrage des Baux-Rouges, datation incertaine
28. carrière immergée du Fort de Bouc
- 9 Non loin du site de Saint-Blaise, à Rassuen (Istres), a été découverte une inhumation datée du VIe (...)
17Se dessine désormais une carte de répartition des sépultures de ce secteur depuis le VIe s. av. n. è.9 jusqu’au premier Moyen Âge autour des deux pôles que sont les sites de Saint-Blaise et de Saint-Gervais (Fig. 3).
Fig. 4 : Tombe à coffrage de dalles et couverture de tuiles mise au jour sur le site de la Baumasse dans les années 1950.
(archives privées)
18Cependant, les tombes de la côte port-de-boucaine, qui semblent au premier abord bien éloignées de ces deux agglomérations, indiquent par leur seule présence la proximité d’un habitat secondaire (ou d’un lieu de culte) encore mal caractérisé aujourd’hui. Bien que l’existence de tombes éloignées d’un contexte ecclésial ou d’habitat soit un phénomène fréquent dans la topographie funéraire de la fin de l’Antiquité, il est tentant dans leur cas de les mettre en relation avec le site de la Baumasse, parfois identifiée dans la littérature ancienne comme la Stomalimné de Strabon, et qui fonctionne probablement, dès l’Antiquité, avec celui de Fos. S’y installe d’abord une villa maritime, liée sans doute au port romain de Saint-Gervais (Pui 2016), et à laquelle on peut associer les tombes antiques trouvées lors du creusement d’Arles à Bouc (Gorsse 1803) et celles, inédites, photographiées par un amateur local avant leur destruction dans les années 1950 (Fig. 4). Il faut ensuite supposer la présence d’un établissement secondaire du haut Moyen Âge, qu’il reste encore à identifier et localiser, en lien peut-être avec le tonlieu de Fos (Gay et al. 1977, 53-57), et à qui on pourrait associer alors les tombes de la pointe Vella mais également celles, toutes proches, trouvées au sud et à l’ouest de l’étang de l’Engrenier.
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