Christophe Fourvel : Nous sommes nombreux, écrivains et artistes, à consacrer une part importante de notre temps à l’action culturelle. Notre présence dans des lieux d’enseignement, de soins ou à vocation sociale ne fait plus guère débat. De quoi sommes-nous ainsi porteurs qui légitime cette place dans la cité auprès d’enfants en échec scolaire, de personnes en situation de handicap ou mises en marge de la société ? C’est autour de cette question que je souhaite m’entretenir avec la danseuse/chorégraphe Geneviève Pernin : quelle est la place de notre « enseignement » dans notre quotidien mais aussi la place de notre vécu d’artiste dans cet « enseignement » ? En effet, à la différence de certains enseignants, « le contenu » que nous souhaitons transmettre ne constitue pas un ensemble de savoirs objectifs mais une matière hybride où se mêlent nos connaissances et notre expérience de créateur et de spectateur (lecteur), dont il nous appartient d’équilibrer empiriquement les composantes. Nous détaillerons avec Geneviève chacune des composantes qui ont ainsi tissé son parcours et qui l’ont peu à peu conduite vers une pédagogie innovante, indistinctement offerte à tous les publics, c’est-à-dire à la conception d’une danse compatible avec tous les corps.
Christophe Fourvel : Nous sommes en 2022 et ton curriculum vitae commence par : « Vit depuis cinquante-sept ans, marche depuis cinquante-six, danse depuis cinquante-deux ». J’en déduis que tu as commencé la danse à cinq ans… Est-ce que tu rêvais déjà à cet âge-là d’en faire ton métier ?
Geneviève Pernin : Non, je ne me rêvais pas du tout danseuse ! C’est venu plus tard, je dirais autour de l’adolescence. Aujourd’hui, quand j’y repense, je revois les murs de ma chambre placardés d’images de danseurs que je découpais dans la revue Pour la Danse à laquelle j’étais abonnée (j’ai encore tous les numéros !). Des photos de Merce Cunningham, de Jorge Donn, de Josette Baïz, de Malavika Sarukkai, de Tadeusz Kantor… Au final, je n’ai jamais arrêté de danser depuis mes cinq ans, en me nourrissant au fil des années d’autres pratiques : travail rythmique, dessin, danse traditionnelle, chant, mime, analyse du mouvement, improvisation… et escrime !
- 1 Centre de formation professionnelle de danse de Poitiers, fermé aujourd’hui
Parmi ces apports, que j’appellerais des satellites, je rangerais aussi bien sûr plusieurs spectacles auxquels j’ai assisté quand j’étais enfant, accompagnée de mes parents. Ce n’était pas que des spectacles de danse. Je citerais dans le désordre, Le Capitaine Fracasse au Festival d’Avignon avec ses « trompettes » qui annonçaient le début de chaque spectacle et qui me mettaient dans un état d’excitation et de trac que j’adorais ; Julien Clerc ; West Side Story à Châteauvallon ; des opérettes comme L’Auberge du Cheval Blanc ou La Belle de Cadix à l’Opéra de Toulon ; des pièces de Kantor, de Pina Bausch, bien sûr (en 1981 à Nice) ; puis Peter Brook, Bagouet… J’ai aussi en mémoire un concert de Pierre Boulez à la Carrière Boulbon (Festival d’Avignon), le son circulant partout… Tout cela a rendu plus évident mon désir d’être sur scène et de danser. Et c’est comme ça, très probablement, que je me suis dit dans les dernières années de lycée que je pouvais tenter d’en faire mon métier. J’ai auditionné auprès d’une école à Poitiers1 parce que j’avais fait plusieurs stages avec Walter Nicks qui en était le directeur et qui faisait du jazz, mais un jazz très sensible, organique et peu spectaculaire, ce qui me convenait très bien.
Christophe Fourvel : On a l’impression d’une attirance pour la scène avant tout…
- 2 Une reprise de rôle pour la chorégraphe Pascaline Richtarch-Castellani dans son spectacle Attention (...)
Geneviève Pernin : Pour la scène, oui, et le spectacle vivant en général ! Mais c’est quand même la danse que je n’ai pas lâchée durant toutes ces années. C’était incontestablement la colonne vertébrale, avec une ouverture vers d’autres pratiques, une curiosité et des envies… La danse contemporaine de ces années-là (1980/1990) avait accédé à sa belle autonomie et se nourrissait aussi de plein de pratiques artistiques : Philippe Decouflé venait du cirque ; il y avait la danse-escalade avec Laura de Nercy et Bruno Dizien ; Joseph Nadj, Georges Appaix et Maguy Marin faisaient parler les danseurs. Ma première expérience vraiment professionnelle, je l’ai eue à quinze ans, à Châteauvallon2. Après l’école de Poitiers, j’ai commencé à passer des auditions, comme tous les danseurs. Des auditions ratées mais qui ont été marquantes, extrêmement formatrices. La première, c’était en 1984 avec Anne Teresa de Keersmaeker, au Théâtre de la Ville. Des centaines de danseurs dans les couloirs, c’était très impressionnant. Une autre avec Régine Chopinot où j’ai été à deux doigts de réussir. Une proposition de Daniel Larrieu que je n’ai pas pu honorer et que j’ai toujours un peu regrettée. Une demande de bourse pour partir à New York mais qui m’a été refusée. C’est important, ces échecs, ça montre, d’une certaine façon, où on veut aller selon le poids des regrets.
Christophe Fourvel : Et au milieu de tout cela, une opportunité plutôt inattendue…
Geneviève Pernin : C’est vrai, il y a eu cette parenthèse de 1987 à 1988, une opportunité de partir en Chine pour donner des cours de danse contemporaine. Cette décision n’était pas mue par le seul élan pédagogique ; l’enseignement, je le pratiquais déjà mais ce n’était pas un but en soi, ce n’était pas le métier que je souhaitais faire. Je n’ai jamais voulu passer le diplôme d’État, ni à vingt ans ni à cinquante ans car je ne me voyais pas « finir » ma carrière de danseuse comme « prof dans une école de danse ». Mais nous reviendrons là-dessus. Alors la Chine, c’était ce voyage vers une autre civilisation, une autre façon de vivre et de ressentir les corps. J’avais une recommandation de Dominique Bagouet, alors directeur du Centre chorégraphique national (CCN) de Montpellier, pour développer un partenariat avec Chengdu (Montpellier est jumelée avec Chengdu). Me retrouver enseignante/danseuse pour faire découvrir la danse contemporaine en Chine en 1987 était assez incroyable ! Ce fut une aventure très compliquée… Mes premiers jours à Pékin, je les ai passés dans la chambre d’hôtel, sans pouvoir sortir tellement j’avais peur ! Il y avait du monde partout, des corps partout, sur les trottoirs, dans les bus, les magasins, les places, les temples… pas un endroit calme et vide ! Je vivais une expérience physique très particulière et nouvelle que je n’ai jamais retrouvée ailleurs. J’étais confrontée à un langage de corps que je ne connaissais pas, une langue parlée et une écriture totalement indéchiffrables, je me sentais handicapée. Il m’a fallu plusieurs semaines pour trouver ma place dans ce collectif tellement puissant. En plus, il était extrêmement difficile de pénétrer le milieu artistique chinois à cette époque malgré mes recommandations de l’Ambassade de France et de Dominique Bagouet. Comme dans toute transaction avec la Chine, il faut accepter d’être dans une durée de négociation inhabituelle pour nous. Cependant, j’ai tout de même fait de très belles rencontres, notamment avec de jeunes danseurs très curieux de ce qui pouvait se faire en France ; j’ai participé à des shows dans des boîtes de nuit et tenté de donner des cours de danse dans quatre villes mais confrontée à trop de difficultés pour finaliser mes projets dans des délais raisonnables, je suis rentrée en France.
- 3 Compagnie fondée en 1987 à Bordeaux par Valérie Rivière et Olivier Clémentz.
- 4 Compagnie fondée à Marseille (1985-2005).
- 5 Compagnie fondée à Saint-Etienne en 1994 par Florence Girardon.
- 6 Voir le site Odile Duboc, [en ligne], https://odileduboc.com/, page consultée le 22 novembre 2022.
Puis j’ai enchaîné les collaborations, les spectacles : Paul Les Oiseaux3, Odile Cazes4, Zelid5, notamment, jusqu’à Odile Duboc6. Même s’il y a eu des années difficiles, j’ai toujours refusé de cachetonner. Le seul autre travail que j’ai fait a été de poser comme modèle à l’école des Beaux-Arts de Marseille. Mais il s’avère que cette expérience sur l’immobilité m’a énormément nourrie. J’ai aussi choisi de ne pas aller vivre à Paris où, bien sûr, l’essentiel de la création se passait. Cela a été un choix un peu coûteux mais que j’ai toujours assumé. Je voulais garder une liberté de mouvement, me construire un parcours professionnel en conservant une très grande autonomie. Je me disais aussi que j’aimerais arriver à danser dans « une grande compagnie » et qu’ensuite je pourrais arrêter et faire autre chose.
Christophe Fourvel : Et donc, « la grande compagnie » ça a été Contre Jour et Odile Duboc au Centre chorégraphique national de Belfort en 1993.
Geneviève Pernin : Cela n’a pas été si simple d’intégrer cette compagnie. Il est clair que je me sentais très proche de cette danse, je ressentais comme une évidence la façon de bouger d’Odile Duboc, son langage du corps, mais cela relevait encore d’une intuition, d’une promesse car je n’avais pas assez confiance en moi pour entrer entièrement dans cet univers et m’y épanouir. Pendant longtemps, cela a été difficile de répondre pleinement à ce qu’Odile souhaitait ; j’y arrivais par petites touches, par-ci par-là mais je n’osais pas assez et c’est pourtant ce qu’elle attendait ! J’ai compris vraiment son travail de création et de transmission, sa technique de danse dans les dernières années, d’ailleurs son regard sur moi avait changé aussi. C’est seulement après son décès, en 2010, que je me suis sentie porteuse de cette histoire et que j’ai réalisé comment ces quinze dernières années avaient façonné mon corps et lui avait permis de s’exprimer totalement.
- 7 Évènement in situ pour 20 danseurs et 300 amateurs, Odile Duboc, 2008.
L’expérience d’interprète dans cette compagnie a comblé beaucoup de mes désirs et questionnements : pouvoir faire des tournées en France et à l’étranger, danser durant plusieurs années la même pièce et ne pas s’ennuyer, retrouver sans arrêt les raisons de faire ce métier, explorer encore, tous les jours, sa technique, son corps, son imaginaire. Les liens avec les « anciens » danseurs et avec ceux qui arrivaient pour des reprises de rôles, comment les accueillir et leur transmettre mon vécu… Mais aussi ma place de danseuse, représentante de cette compagnie et qui doit transmettre la danse d’Odile, soit « un peu la mienne mais pas complètement », aux amateurs, lors d’ateliers. Ainsi, la création de La Pierre et les Songes7, pièce créée par Odile pour trois cents amateurs, fut pour moi très riche d’enseignement et source de grand plaisir. Je donnais des consignes venant d’Odile au groupe dont j’étais responsable, mais avec mes mots, mon rythme, mon phrasé. Je devais amener le groupe à réaliser certaines danses, à les faire s’intégrer à l’ensemble des trois cents amateurs, mais c’est mon chemin qu’ils empruntaient. C’est cette liberté-là que j’ai découverte.
Christophe Fourvel : On en arrive au début des années 2000 et à la création de ta compagnie BRRFTTTT. Pourquoi ce « grand saut » ?
Geneviève Pernin : Sans doute en partie par l’envie de conserver une autonomie professionnelle. Mais surtout de concrétiser un projet devenu essentiel. Pour cela, j’avais besoin d’une assise administrative, tout simplement. Mon premier spectacle intitulé Si vous avez cinq minutes, je viens danser rien que pour vous est né peu après la mort de mon père à l’hôpital, en janvier 2002. Je suis sortie de cette expérience douloureuse avec de la colère et l’idée qu’à l’hôpital le rapport au corps était complètement faussé. Le médecin qui s’est occupé de mon père manquait clairement de sensibilité et de l’autre côté, mon père avait des sensations, des envies, des besoins qu’il n’osait pas exprimer peut-être en tant qu’homme d’une certaine génération mais aussi, probablement, parce qu’il n’a pas senti qu’il y avait la place pour ce type de demande.
Je trouvais, à cette époque du moins, que le rapport soignants/soignés accordait une part trop faible au sensible. Face à cette insatisfaction, la seule chose que je pouvais faire en tant que danseuse, c’était de proposer des spectacles, de venir danser dans la chambre des patients, de nouer un dialogue intime, de corps à corps avec les patients, ouvrant sur un mode purement sensible. Je ne leur demandais rien, je ne savais pas où ça irait. Mais je pensais que danser devant ces personnes-là pouvait nous apporter quelque chose. J’avais une grande confiance dans mon corps pour me guider : je me disais qu’il me servait à gagner ma vie, à être au monde, à bâtir ma propre représentation du monde ; qu’il me donnerait l’énergie de le faire. J’ai donc envisagé un face à face entre un corps horizontal et mon corps vertical, entre un corps immobile et mon corps mobile, un corps souffrant et mon corps sain. C’était nécessairement dans un petit espace (celui de la chambre d’hôpital) et cette exiguïté crérait une intimité dont j’étais curieuse et que je n’anticipais pas complètement.
- 8 Avec des photographies de Lin Delpierre, Mediapop éditions, 2013.
Cela a commencé en janvier 2003. Je dansais six heures par mois (trois heures sur deux jours) dans six services de l’hôpital général de Lons-le-Saunier dans le Jura. C’est le premier établissement qui m’a ouvert ses portes et qui s’est engagé à m’accueillir durant quatre années, d'une à deux fois par mois selon les services. Ce fut une expérience bouleversante, vraiment très riche. Ce spectacle Si vous avez cinq minutes, je viens danser rien que pour vous, a été accueilli dans plusieurs hôpitaux français et à l’étranger durant quinze ans. En 2013, j’ai publié le livre Un même moment d’existence8, qui relate sous forme de journal cette expérience. Ce fut à la fois du spectacle, de la transmission et de l’enseignement, car à partir de cette expérience, j’ai eu envie et pu proposer des ateliers de danse sur « le toucher » à destination des personnels soignants et d’élèves de lycée professionnel filière ASSP (Accompagnement soins et services à la personne).
Aucun danseur, à ma connaissance, n’avait jusque-là proposé des spectacles dans les chambres. Puis quelques années après, tout cela est devenu un peu une mode… Je ne sais pas dans quelle mesure – « j’ai ouvert une voie » mais je me réjouis de constater l’engouement de nombreux artistes pour de tels lieux.
De cette première création ont naturellement découlé d’autres spectacles portés par ma compagnie. De passer ainsi de l’un à l’autre était évident, ça venait de mon ressenti et de la réaction des spectateurs. Ainsi, je me souviens que beaucoup de personnes ont souhaité venir avec moi dans les chambres d’hôpitaux, ce qui n’était évidemment pas possible, mais cette demande m’a conduite à imaginer un spectacle, J’ose la pose, un parcours, à l’extérieur de l’hôpital qui, d’une part, donnerait à voir des images de mon travail dans les chambres et, d’autre part, en reprendrait le dispositif, reproduisant l’espace exigu de la chambre en proposant une danse derrière de grands draps cousus comme un rideau, pour trois personnes maximum. Cette création a été présentée à l’école d’art de Besançon en 2005 puis dans des musées, des galeries d’art, des médiathèques.
- 9 Création au théâtre de Morteau, 2006.
Autre exemple, Claire Stoullig, alors conservatrice du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, m’a suggéré de travailler à partir d’un tableau en restauration La Déploration de Bronzino, et le choc fut énorme. Quittant l’hôpital et ses corps en réparation, je me retrouvais face à un tableau malade, couvert de pansements ! Ce fut la création Sous les couches et les couches de peinture, le pigment de la peau9 pour les musées. S’en sont suivis des ateliers de danse en lien avec les arts plastiques, pour des enseignants de collège ou lycée.
- 10 SÉCHAUD Jacques, 300 mille litres, 2022.
Cette manière d’avancer, en partant de mes spectacles en chambres d’hôpital, m’a naturellement amenée vers d’autres lieux non-dédiés aux spectacles mais aussi vers de nouvelles collaborations interdisciplinaires. Ainsi, j’ai beaucoup travaillé avec des photographes, des réalisateurs, des écrivains, pas forcément sur un plateau. J’ai aussi fait appel à des amateurs pour ma dernière création qui est un film de danse10.
Christophe Fourvel : On en arrive peu à peu à l’émergence de ton travail de pédagogue… Est-ce que tu peux mieux cerner l’origine de cette envie de transmettre qui n’était pas acquise d’emblée, comme tu nous l’as expliqué, mais qui s’est construite au fil de l’expérience ?
Geneviève Pernin : Je crois que ce désir-là, ou plus exactement cette prise de conscience, est effectivement très lié à mon projet de compagnie, à mon âge et à mon expérience d’interprète, bien sûr. Un jour, une conseillère du ministère de la Culture m’a poussée vers ça : me tricoter un vêtement avec tous ces fils d’expériences, d’élève, d’interprète, de créatrice, de spectatrice, d’enseignante… Les choses alors se sont faites naturellement, il n’y a pas eu un moment mais je ne sais combien de moments qui ont fait que la place d’interprète a peu à peu cédé du terrain à la place de chorégraphe d’abord, de créatrice de spectacles, puis de pédagogue. Car depuis que j’interprète moins, je crée davantage et depuis que je crée davantage, je transmets plus. Mais ce que je transmets relève avant tout d’un resserrement autour de l’intime du corps, de la mémoire du corps. Car il est clair que cet acte originel, qui consista pour moi à « déplacer ma danse », a ouvert un champ d’explorations immense autant du côté de mon travail de création que de celui de mon travail de transmission. Plus précisément, il est certain que le fait de m’être confrontée aux contraintes physiques d’autres espaces que ceux de la scène (chambres d’hôpitaux, musées, terrasses, couloirs de lycées) et à d’autres publics (non demandeurs a priori, non-initiés et parfois même méfiants) a amené ma danse à se modifier. Et, en parallèle, mon travail de transmission s’est naturellement posé dans des lieux non-dédiés pour s’adresser plus spécifiquement à des publics distants des théâtres et des plateaux (élèves de lycées professionnels, enfants et adultes en situation de handicap, personnels soignants, étudiants d’écoles d’art, étudiants psychomotriciens).
Je me souviens que, lycéenne, je donnais quelques cours de danse non pas dans l’idée d’enseigner une technique mais de communiquer le plaisir de danser ensemble. Autour de cette envie très ancienne s’est sans doute naturellement agrégé tout un ensemble de considérations sur le ressenti collectif, lié à l’endroit où l’on se trouve (j’insiste énormément sur le rapport à l’espace), à la musicalité, au public, à soi, à l’autre. Cette prise en compte globale, cette manière de mettre sur un même niveau le corps, l’espace, les interrelations entre les gens, a défini ce que j’appelle « l’Être danseur ». Ça touche les trois domaines que j’ai vraiment traversés : ceux de l’interprétation, de la création et de la transmission. Je donne aux gens la possibilité d’être à ces trois endroits-là. Mais il n’est pas toujours facile d’être bien accueilli lorsque l’on propose un enseignement différent. Face à la DRAC (direction régionale du ministère de la Culture) ou à l’inspection académique, il me faut argumenter, rassurer, justifier, encore et encore.
Christophe Fourvel : De quelle manière définirais-tu l’enjeu pour ce public que tu viens d’évoquer et que l’on sait éloigné d’une pratique et d’une éducation artistique ?
- 11 M1 Singapour Fringe Festival, 2006.
Geneviève Pernin : La question centrale ici est : « comment s’emparer de son corps ? », quel que soit le corps que l’on a, et quel que soit son engagement, c’est-à-dire dans la durée d’un seul atelier ou de plusieurs. Cela peut aussi aider à trouver sa place dans un groupe puis dans le groupe plus élargi qu’est le monde. C’est en quelque sorte une vision holistique de la danse, et aussi écologique, au sens scientifique du terme. On fait avec le milieu, ce qu’il y a autour de nous et en nous, presque indistinctement avec les oiseaux dans le ciel, la configuration spatiale de l’endroit où je suis, la fatigue. Et bien sûr, dans cette approche globale, se pose la question des corps différents. Comment peut-on faire avec des corps abimés (sans doute que les spectacles à l’hôpital m’en ont fait prendre conscience), avec des corps culturellement différents (bien après mon expérience chinoise, je suis aussi intervenue dans des hôpitaux à Singapour11, notamment) ou avec des corps d’adolescents, habités par des représentations de la danse diamétralement différentes des miennes ?
Christophe Fourvel : Cela sous-entend-il de définir un espace commun mais aussi d’élaborer une manière de construire la relation ?
- 12 BROOK Peter, L’Espace Vide, Paris, Seuil, « Points Essais », 2014.
- 13 BROOK Peter, Le Diable c’est l’ennui, Paris, Actes-Sud, « Actes-Sud-Papiers », 1991.
- 14 ANZIEU Didier, Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985.
- 15 SICARD Didier, La Médecine sans le corps (une nouvelle réflexion éthique), Paris, Plon, « Sciences (...)
Geneviève Pernin : L’espace commun dont nous avons besoin pour nous rencontrer et qui demeurera toujours extrêmement fragile est évidemment chaque fois à reconstruire. Si je devais expliciter un peu plus ce qui constitue les invariants de mes ateliers, je dirais d’abord que je nomme « danseur » chaque participant dès qu’il franchit la porte. Ensuite, concernant les échauffements que je propose, je choisis des échauffements qui me font du bien, qui me chauffent vraiment, qui me correspondent et j’explique pourquoi. Je suis aussi très active physiquement, je danse tout le temps avec eux. Je dialogue beaucoup, je convoque sans cesse des imaginaires en proposant des images différentes. Je leur dis aussi qu’eux-mêmes peuvent trouver leurs propres images. Certains préfèreront s’appuyer sur des pratiques quotidiennes, comme marcher dans la rue ou effectuer un geste professionnel. D’autres imagineront marcher dans l’eau, dans un champ, sur un tapis roulant, que sais-je encore ? Il faut vraiment respecter cela, les différences, les images mentales, le vécu, qui permettent à chacun d’aller chercher de quoi nourrir le mouvement. Il semblerait que j’arrive à créer un flux, comme une vague, entre eux et moi qui ouvrirait sur un sentiment de confiance. Je fais aussi toujours en sorte qu’il y ait dans l’atelier un moment où ils sont dans la position du spectateur et un moment où ils sont interprètes et créateurs. Je multiplie les allers-retours entre le corps du quotidien et le corps comme langage artistique, poétique, qui transmet une émotion et en cela, je les positionne en tant que danseurs. Très souvent, je prends comme exemple mon expérience d’interprète, le rapport à la scène, le plaisir que j’ai à danser sur un plateau. Je m’appuie aussi sur l’anatomie qui définit notre corps commun, je nomme des muscles, des os, une fonction… J’écris et décris tous mes ateliers dans des cahiers. Je relis énormément ce que j’ai noté. Puis il y a des livres qui m’accompagnent : L’Espace vide12 et Le Diable c’est l’ennui13 de Peter Brook, Le Moi-Peau14 de Didier Anzieu, La Médecine sans le corps15 de Didier Sicard.
Christophe Fourvel : J’ai envie de revenir ici à Odile Duboc, à l’enseignement d’Odile Duboc, à son goût connu pour la pédagogie et le fait de faire danser des amateurs que tu as évoqué brièvement à travers le projet La Pierre et les songes.
- 16 Lire à ce propos le texte d’Odile Duboc : http://odileduboc.com/page/14, page consultée le 22 novem (...)
- 17 DUBOC Odile, Les Mots de la matière, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2013, p. 21.
Geneviève Pernin : J’ai l’impression, avec beaucoup de tristesse, qu’il faut que les gens meurent pour que je m’autorise à assumer ce qu’ils m’ont transmis. Odile Duboc, c’était une sensibilité, une écoute, un travail par rapport aux éléments16, une grande ouverture. Elle n’a jamais voulu que les danseurs soient permanents dans sa compagnie, elle voulait qu’ils aillent se nourrir ailleurs, auprès d’autres créateurs. Elle voulait que nous soyons porteurs d’autres univers pour intégrer le sien. Que nous ayons une idée de corps différents. Mon besoin aujourd’hui d’aller vers des corps et des imaginaires différents est peut-être issu de cette expérience auprès d’Odile. Elle avait un vrai plaisir à travailler avec des amateurs. Elle était très présente, très généreuse, même pour un seul atelier avec des participants qu’elle ne reverrait jamais. C’est pour ça que tant de gens disent avoir dansé avec Odile. J’ai remarqué ça et c’est très touchant. Au début, je trouvais que c’était un abus de langage mais j’ai ensuite compris que même si ce n’était pas pour un spectacle, le simple fait de partager un atelier avec Odile donnait l’impression de travailler avec elle ! Cette expérience qu’ils ont traversée, cette manière de rencontrer « des états de corps17 » comme elle disait, de ressentir « ces états de corps » devaient être très riches !
Christophe Fourvel : Ces « états de corps » dont parlait souvent Odile Duboc, est-ce l’équivalent de ce que tu nommes, toi, « l’Être danseur » ?
Geneviève Pernin : Non, ce qu’entendait Odile par ces termes était une expérience du corps sensible liée à sa technique à elle, à ce qui l’intéressait en tant que créatrice. « L’Être danseur », je ne le rattache pas à une technique : même si ça touche à des états de corps, j’évite d’employer cette expression qui pour moi est vraiment propre à Odile.
« L’Être danseur » pourrait concerner n’importe qui dans la rue ou sur une place publique et qui traverserait ainsi un espace géographique. Tous les gens présents le regardent, et lui a la conscience de son corps, de comment ses pieds touchent le sol, comment son corps traverse l’espace, comment ses sensations se transmettent aux gens qui l’observent car il sait que les gens le regardent, que cette marche-là, il l’offre au public.
Il habite pleinement son corps mais également sa présence et par-delà le tout qui surgit et qui compose la singularité de ce moment : la pluie, un cri d’enfant, un vélo qui passe. Dans ce déplacement-là, il est à l’écoute d’un autre possible qui peut aussi bien être un arrêt dans sa marche que la mise en chorégraphie de son déplacement. Il faut pour cela être aussi à l’écoute de son envie. Ce que je nomme « l’Être danseur » est quelque chose que j’imagine accessible à tous, quel que soit son corps. Bien entendu, accessible ne veut pas dire « immédiat ». Je dois être humble avec cette attente, cela ne va pas forcément se révéler avec mes propositions durant l’atelier. Parfois, je sens chez certains que ça viendra plus tard. Je sème une graine. Je n’ai aucune attente par rapport à un niveau ou à des connaissances que les danseurs doivent acquérir (et rien que ce point suffit à distinguer cette quête de « l’Être danseur » de l’enseignement d’une technique de danse) mais je veux absolument qu’ils soient embarqués. Que tous soient embarqués. Il y a ce chemin et je n’ai pas envie qu’il y en ait un seul qui lâche…
Cela amène donc à une conception de la danse compatible avec tous les corps. Une approche qui est patiente, bienveillante mais tout à fait exigeante et qui reste un tâtonnement pour moi au sens où il n’y a pas et où je ne veux pas qu’il y ait un modèle d’atelier (ou de cours) identique et reproductible. C’est sans doute, là-aussi, une deuxième différence avec un enseignement plus traditionnel.
Ainsi, j’ai continué à transmettre sans être « diplômée d’État ». Mais en 2018, une seconde conseillère DRAC m’a vivement encouragée à demander une dispense pour ce diplôme auprès du ministère de la Culture au regard de mon expérience professionnelle. Et là, je dois dire que cette formulation m’a faite réfléchir et prendre conscience que c’était exactement de cela qu’il s’agissait. Je n’étais pas une enseignante en danse contemporaine. Ce que j’aime transmettre, comment j’aime le transmettre, à qui et dans quel cadre, découlent directement de mon expérience professionnelle et de toutes mes expériences vécues de danseuse depuis mes cinq ans, et c’est pour cela que je l’appelle « l’Être danseur ». J’ai donc demandé cette validation auprès du ministère et l’ai obtenue. J’ai pris cela comme une forme de reconnaissance. J’avais trouvé une place qui me convenait dans le monde de l’enseignement.
Christophe Fourvel : On en vient à ton travail récent, davantage tourné vers des personnes en situation de handicap ou très affectées socialement. C’est venu quand, comment ?
Geneviève Pernin : Je me souviens d’avoir vécu un choc, un sentiment d’impossible et de grande tristesse à Béthune, en 2011 pendant une résidence. J’étais dans une école maternelle où je dansais avec des enfants qui avaient des corps éteints, qui étaient dans une absence totale de communication, de joie alors qu’ils avaient à peine quatre ans ! Je me souviens aussi, dans une autre école, d’un élève vivant dans une famille d’accueil. Un enfant à part, en difficulté. À la fin de mes interventions, lors de la restitution, il a dansé cinq minutes seul en improvisant sur une musique de Tartini devant l’école entière, assumant parfaitement. Il était magnifique ! Complètement à sa place, je dirais. Pendant cette même résidence, j’ai aussi eu un premier contact avec des enfants porteurs de troubles autistiques. J’ai senti cette acceptation en moi de ne pas savoir où j’allais mais d’être à l’écoute de cette sensation, et totalement présente pour les enfants. En 2013 au Touquet, j’ai travaillé avec une enfant autiste qui ne parlait pas du tout. Quand j’ai dansé avec elle on a réussi à vraiment danser ensemble, une vraie complicité des corps qui s’est imposée toute seule et de la joie partagée.
- 18 Établissements d’enseignement qui accueillent des collégiens ou lycéens en grande difficulté scolai (...)
Parfois, c’est ainsi, le lien se met en place très vite. Il y a comme une reconnaissance des corps, une confiance immédiate entre nous, on est dans une évidence de la compréhension, une simplicité de la transmission. Je me souviens parmi mes expériences en lycées, d’un travail avec douze garçons de bac professionnel agricole. Au début, ça semblait assez inimaginable, mais ce fut une de mes plus belles réalisations : les amener à m’accepter, à accepter mes propositions et en formuler eux-mêmes, à avoir envie de chercher, de répéter, de se tromper, de montrer leur production artistique devant tout le lycée, d’en être fiers, d’avoir eu du plaisir durant toutes ces séances et de le dire à haute voix. Ils étaient parvenus à ressentir et à comprendre qu’entre leur formation très physique du métier d’agriculteur et ma danse, il suffisait d’un petit pas de côté pour nous retrouver sur le même chemin. J’ai aussi travaillé à Berck-sur-mer dans un EREA18. Dans ces endroits, on peut sortir d’un atelier en se disant que ce que l’on a proposé n’était pas assez intéressant ou assez riche, avec le sentiment de n’avoir rien compris à ce qu’il vient de se passer. Mais lorsque l’on y retourne, les enfants et les adultes qui les entourent sont extrêmement contents alors on se dit : « faisons-leur confiance, laissons faire et, du coup, faisons-nous confiance ». Parfois, il faut que ça germe chez eux mais aussi chez moi. Il faut un deuxième atelier ou voir des photographies des séances précédentes, des dessins que les enfants ont faits, entendre des retours, des témoignages. Et l’on se dit que, quand même, il s’est passé quelque chose.
Christophe Fourvel : Mais tes ateliers ne se déclinent-ils pas différemment selon les publics ?
Geneviève Pernin : Le moins possible ! Dans les structures et les établissements où j’interviens, dès que j’ai deux groupes différents, je demande à les mélanger. Ce n’est pas toujours possible (à cause de questions sanitaires, d’emplois du temps, d’espace) mais pour moi c’est vraiment important : cela me questionne, je dois modifier et adapter mon approche, me re-situer.
- 19 Sections d’enseignement général et professionnel adapté.
C’est comme ça que j’ai pu associer des petits et des tout-petits, des élèves de sixième avec des plus grands de terminale, des danseurs confirmés et des non-danseurs, des personnes en situation de handicap et sans handicap, des danseurs et des musiciens, des enfants d’un conservatoire et des adultes en situation de handicap, des classes de la filière générale et des classes Segpa19. Ces collectifs inédits nous font rester vivants, un peu plus à l’écoute, et nous invitent à aller chercher notre place dans cette nouvelle distribution. C’est possible parce que, une fois encore, nous ne sommes pas dans la transmission d’une technique mais dans la recherche exigeante de « l’Être danseur » qui redistribue toutes les cartes ! Par exemple, certains enfants en situation de handicap ont un rapport plus simple avec leur corps et assument avec force leur différence. Ils sont dans une justesse évidente. Un enfant qui n’a pas de bras droit compose avec cette absence alors qu’un autre, qui possède tous ses membres ne va peut-être pas savoir quoi faire avec son bras droit. L’enfant sans bras ne fait pas semblant de bouger son bras manquant. Cela peut provoquer un questionnement sur la conscience de son bras droit chez celui qui en possède un. Cela permet à tout le monde de s’autoriser davantage, de prendre vraiment conscience de l’autre, de le rencontrer.
- 20 Filière de l’enseignement secondaire : sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la da (...)
Mais on peut aller plus loin. Je pense ici à une lycéenne non-voyante qui joue du violon et que j’ai invitée à intervenir auprès d’élèves S2TMD20 lors d’un atelier consacré à la peau et au toucher. J’ai souhaité que cette élève nous parle de la qualité de son toucher, de son expertise sur ce sens. Et là, bien sûr, on renverse le rapport de savoir et l’on place celui qui est considéré en situation de handicap dans la position de guider les autres. Cet exemple est une parfaite métaphore de ce que doit être selon moi la pédagogie et une belle illustration de l’avantage de mélanger les publics.
Christophe Fourvel : Cela nous conduit tout naturellement à évoquer CREADAPT. Tu interviens régulièrement depuis 2015 dans un Conservatoire qui est, par excellence, le « temple » de l’enseignement traditionnel. N’est-ce pas un peu étrange pour quelqu’un qui situe sa pédagogie en dehors d’un cadre ?
Geneviève Pernin : Je suis moi-même surprise d’y être encore ! Je suis entrée au Conservatoire de Besançon en effectuant le remplacement d’une enseignante dans le cursus d’études. La confiance que m’a donnée le directeur de l’époque et l’excitation d’intervenir dans un lieu où se croisaient musique, danse, théâtre et chant ont fait que j’ai eu envie d’y rester. Les projets se sont construits petit à petit. J’ai quitté « la place de remplaçante » et je porte désormais des propositions que je pense innovantes. Je m’y suis fait ma place même si, bien sûr, je mène toujours d’autres projets avec d’autres partenaires. Je suis devenue référente handicap il y a de cela trois ans, ce qui me permet aussi de travailler à des solutions adaptées pour des élèves qui ne rentrent pas tout à fait dans les cases établies par l’enseignement traditionnel. Et puis, il me faut aussi dire une chose importante concernant le lieu. Le Conservatoire du Grand Besançon Métropole est un bâtiment magnifique, un outil de travail extraordinaire dont peuvent bénéficier tous ces groupes éloignés des pratiques artistiques que nous avons évoqués. Ce n’est pas, à mes yeux, simplement un « plus » comme on dit, mais un élément essentiel de ma pédagogie. En effet, il est mille fois plus facile « de se sentir danseur », d’habiter une danse, de se fondre dans une proposition dansée dans un vrai studio de danse que dans une salle d’activités dans laquelle vous aurez poussé les chaises et les tables pour donner votre atelier ! Et puis, il y a l’opportunité de travailler avec des musiciens.
Et c’est donc dans le cadre du Conservatoire du Grand Besançon Métropole que j’ai mis en place un atelier intitulé CREADAPT (création adaptée). Cet atelier est ouvert à des enfants entre sept et dix-huit ans, en situation de handicap ou pas. Il comporte trente séances sur l’année dont dix séances de travail sur le corps avec moi, dix séances avec un enseignant de percussions et dix séances avec une professeure de chant. Un « objet artistique » est produit et montré à la fin de chaque session.
Cette réalisation favorise le mélange des publics, des compétences, des connaissances. Elle mêle également les pratiques artistiques (danse/musique/voix). Elle développe une pratique régulière, la connaissance de son corps, le rapport à l’espace, à l’autre et au groupe, le travail de recherche, de composition, de présentation. Elle fait goûter à « l’Être danseur ».
Christophe Fourvel : À t’écouter, on est tenté d’emprunter un terme que l’on réserve habituellement à la politique : celui de « la troisième voie ». Une manière plus souple, moins formatée qui s’immiscerait entre les deux grands blocs qui seraient « création » et « enseignement », pour envisager autrement l’idée d’une transmission ?
Geneviève Pernin : Il me semble tout à fait important aujourd’hui de rendre possible ces expériences qui n’obéissent pas à un programme pré-défini. Ce désir de transmettre mon « Être danseur », je le cajole, le protège et en prends soin. Je crois fermement à un enseignement né d’une pratique. À une transmission qui mêle apprentissage technique et création et ce, quel que soit le public, ses capacités et ses buts. Cela implique, bien sûr, d’accepter de ne pas tout savoir, de se tromper, de chercher, de faire des pas de côtés, d’être perdu. Hominem te esse (Toi aussi, tu n'es qu’un homme). C’est une place inconfortable mais il faut la défendre. L’enseignement doit conserver des contours indéfinis et mobiles.
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