2La structuration de ce champ de recherches reste difficile. Les études sur les catastrophes forment une compréhension en temps réel de l’évènement vécu, mais la cumulation des connaissances reste incertaine, comme en témoignent les interruptions fréquentes du soutien institutionnel à ce domaine de recherche transdisciplinaire. L’ANR a par exemple réalisé des appels spéciaux uniquement certaines années : 2010 (Haïti), 2011 (Sendai), 2018 (cyclones) et 2020 (Covid). La revue DD & T joue un rôle positif pour cette structuration des savoirs dans un champ de recherches par ailleurs fortement marqué par l’intermittence. Un relevé bibliométrique dans la revue (figure 1) indique que les grands thèmes de ce champ d’études, comme celui de l’effondrement, sont présents dès les débuts de la revue. L’actualité amène une augmentation temporaire des références à ce domaine ; c’est le cas, comme on peut le voir sur le graphique, après Katrina, après Fukushima-Sendai et dès le début de la pandémie de Covid-19.

Figure 1. Références dans la revue par année de publication

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3Autour de ces grands thèmes se dessinent des consensus et s’affirment des discussions ouvertes dans l’ensemble des contributions de la revue pendant cette période de 20 années. Un cadre général d’analyse, présent dès les premiers numéros parus, celui de l’analyse des vulnérabilités et résiliences s’est vu confirmé par la suite et a été de nouveau le plus sollicité lors de la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, le débat sur les effondrements n’a cessé de s’enrichir à partir de la recension, en 2006, de la parution de la traduction française d’Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, de Jared Diamond. Les 39 ouvrages sur les catastrophes qui ont fait l’objet d’une recension dans DD & T proviennent à 41 % d’auteurs appartenant au domaine des sciences dures (principalement la biologie et les sciences de l’ingénieur). Les sciences sociales les plus représentées sont les sciences politiques, l’économie, l’histoire des catastrophes, la philosophie, l’aménagement du territoire, sans pour autant qu’aucune discipline ne dépasse cinq recensions.

4Les auteurs les plus cités ayant traité la question des catastrophes dans la revue sont l’économiste Amartya Sen (672) et les philosophes Günther Anders (565) et Jean-Pierre Dupuy (380). Les items les plus discutés ayant trait aux catastrophes sont le changement climatique (735), l’accident industriel (470) et l’inondation (165). La catastrophe la plus citée est celle du Nevado Del Ruiz (50). En revanche, des catastrophes marquantes ou des catégories de catastrophes reçoivent peu de citations : les submersions (38), les famines (27), les canicules (23), les cyclones (23), Fukushima (16), les tsunamis (15), les pandémies (15), Tchernobyl (13), Haïti (9).

5La tragédie d’Armero (13 novembre 1985), causée par un lahar du volcan Nevado Del Ruiz, répète par son ampleur celle de la disparition de la ville martiniquaise de Saint-Pierre en 1902, dont la conséquence avait été la mise en place de systèmes de surveillance et d’alerte scientifique des éruptions volcaniques. Déjà en 1902, l’alerte avait été donnée, publiée dans la presse locale, cependant l’évacuation n’avait pas été correctement organisée. Quatre-vingts ans plus tard, La tragédie d’Armero a de nouveau souligné l’insuffisance dans la gestion de la catastrophe en termes de persuasion et d’opérationnalité. Les systèmes d’information ont dû se contenter de filmer en direct l’agonie des habitants.

6Les 85 articles faisant référence aux catastrophes portent sur trois grands ensembles de questionnements. D’abord, la relation au temps long, autour du contenu à donner à la notion de développement durable et, dans le domaine des questions empiriques, celle par exemple de savoir comment instituer une mémoire des crues. Le deuxième grand ensemble de questionnements est celui de l’adaptation aux menaces et l’appropriation locale des risques, comme le délicat problème de la relocalisation des habitants et des activités de toutes sortes face aux risques de submersion. Le troisième ensemble est celui de la résilience et de la vulnérabilité des populations et des territoires, avec une discussion sur les inégalités économiques.

7Le contexte général des contributions à la revue est celui d’un idéal d’une action collective diligente, pertinente et proportionnée, qui contraste fortement avec deux régimes anciens de l’action publique, le déni ou la réponse bureaucratique ex-post sous-dimensionnée. L’interrogation centrale est celle de la persuasion : les habitants d’Armero avaient pu prendre connaissance dans la presse locale des cartes prévisionnelles des géologues annonçant la disparition de la ville. Cela n’avait pas suffi ; il faut donc persuader, et pas seulement informer. Cette interrogation est centrale en regard des années perdues par la procrastination de l’action publique devant le changement climatique.