1Certes, le climat a toujours été un facteur essentiel pour le développement des territoires mais il s’est imposé de manière massive au moment où l’alerte développée par les climatologues a été de plus en plus entendue. Elle a été écoutée par la communauté internationale, concernée au premier chef, puisque la crise climatique est par essence planétaire. Le Giec a été créé en 1985 lorsque les alertes des scientifiques sont devenues audibles par les instances politiques susceptibles de donner naissance à une organisation intergouvernementale. La conférence des Nations unies sur les changements climatiques est le fruit du sommet de Rio en 1992, elle regroupe 195 pays qui se réunissent régulièrement au sein des COP.

2Jusqu’en 2010, la notion de climat intervient dans la revue comme une composante incontournable du développement des territoires ; c’est pourquoi ce vocable se retrouve surtout dans les articles qui évoquent les pays tropicaux pour lesquels la contrainte climatique est forte. Ainsi, les articles traitant d’environnement, de développement durable ou de risques ne font guère allusion au changement climatique. Edwin Zaccaï et Alexandre Orban, en 2017, comparent les mobilisations écologiques des années 1970 avec celles de la période actuelle (2017). Le changement climatique est pratiquement absent des mobilisations mentionnées car, selon l’auteur, cette problématique est intégrée dans les grandes questions qui manquent de visibilité et effacent la prise en compte individuelle (et sans doute la motivation des auteurs !). Déjà, en 2007, dans un dossier consacré aux inégalités sociales et environnementales, les inégalités planétaires n’ont pas fait l’objet d’une contribution. Bruno Villalba et Edwin Zaccai dans l’introduction qu’ils ont rédigée pour introduire ce dossier justifient cette absence et renvoient aux travaux élaborés dans des instances internationales.

3La territorialisation du climat dans la revue est une tendance très forte qui efface la question climatique prise dans son évolution planétaire menaçante. L’analyse du risque est également très territorialisée. Il faut attendre 2014 pour qu’apparaisse la prise en compte du risque climatique (Quenault, 2014) dans un contexte d’incertitude et de résilience tandis qu’en 2015, Florence Rudolf pose la question de « L’essor de la résilience ou la promotion de nouvelles cultures du risque autour de l’adaptation aux changements climatiques ? » (Rudolf, 2015) mais c’est Lionel Charles et Bernard Kalaora en 2019 qui apporteront une conceptualisation du risque climatique et de la menace qu’il constitue.

4Le changement climatique en tant que question planétaire apparaît en 2010 dans la base de données à partir d’un pays africain avec un article portant sur une communauté de pasteurs kényans qui pose la question de l’adaptation et de la résilience (Cantoni et Lallau, 2010) en utilisant, pour la première fois dans la revue, ces termes qui caractérisent les interrogations sur le changement climatique.

5Peu d’articles s’interrogent sur les mécanismes de l’évolution du climat et seulement trois traitent des questions posées par la gestion internationale du climat : dès 2011, Loïc Aubrée et Antoine Bonduelle publient une mise en garde contre les inégalités qui seraient générées par le climat aussi bien au niveau international qu’à celui des groupes sociaux au sein des États. « Nous adoptons ce terme d’équité pour établir un parallèle entre les relations entre pays du Nord et pays du Sud d’une part, et les relations entre groupes sociaux des pays du Nord d’autre part. Cette notion d’équité irrigue à la fois les négociations relatives au climat et les propositions de solutions au niveau local pour remédier à la crise climatique » (Aubrée et Bonduelle, 2011). En particulier la question de la dissymétrie existante entre les États du Nord et ceux du Sud est une pierre d’achoppement de la plupart des COP car les pays du Sud sont plus exposés, plus vulnérables et moins responsables des émissions de GES. Pauline Lacour et Jean-Christophe Simon (2012) présentent l’intégration des pays en développement dans le régime climatique et sur le Mécanisme pour un développement propre en Asie. En 2017, Mylène Gaulard s’interroge sur : « La lutte contre le réchauffement climatique en Chine, une nouvelle remise en question du “Consensus de Pékin” ». Celui-ci ne serait donc pas, contrairement à son interprétation la plus courante, un modèle alternatif de politiques économiques que les pays en développement auraient l’opportunité de suivre pour se dégager de l’influence des grandes organisations internationales dont le seul mot d’ordre serait l’austérité, avec le libéralisme économique comme seul credo. Il s’agirait davantage d’une organisation mondiale alternative dans laquelle la Chine jouerait le rôle principal, en favorisant le multilatéralisme, la coopération sud-sud, afin de parvenir à terme à une autodétermination de tous ces pays.

6Trois articles seulement s’inscrivent dans la logique internationale des accords de Paris, signés en 2015 parce que la revue, dédiée aux sciences humaines et sociales, s’est plutôt inscrite, comme son nom l’indique, dans l’analyse des conséquences territoriales du changement climatique. En outre, le climat a braqué l’objectif sur la question énergétique qui, jusqu’à 2010, à l’exception des chocs pétroliers, n’avait pas suscité l’intérêt des chercheurs puisque l’énergie, abondante et à bas prix, ne représentait pas un objectif de planification territoriale. Or, le changement climatique impose une réflexion sur la maîtrise de l’énergie car, pour honorer les engagements pris au niveau international afin de limiter les émissions de GES, il faut examiner quelles sont les réductions possibles au niveau local. Or, l’énergie qui était un objet d’étude très technique, est devenue, grâce au climat, un sujet d’investigation porté par les sciences sociales (Zelem, 2015).

7Ainsi, dès 2011, Olivier Petit et Bruno Villalba pilotent un dossier consacré aux questions énergétiques et intitulé « facteur 4 » ; ils l’introduisent de la manière suivante : « Le présent dossier a pour vocation de traiter de ces questions sociales et politiques impliquées par la lutte contre le changement climatique, en particulier la référence au “facteur 4” ». En rupture avec une vision globalisante du sujet, ils souhaitent mettre l’accent sur certains acteurs – notamment les collectivités locales – ou sur certains domaines d’activités – par exemple le bâtiment – afin de montrer, de façon plus précise, les tenants et aboutissants de cet objectif (Petit et Villalba, 2011). Dans ce dossier, Sylvain Godinot aborde la question des plans climat territoriaux (PCET) et Sandrine Rousseau et ses collègues évoquent la carte carbone et l’évaluation individuelle des émissions carbonées (Rousseau et al., 2011). Même dans le numéro de juillet 2017, consacré à « la lutte contre le changement climatique et à la maîtrise de la demande d’énergie » (Aubrée et Calvo-Mendieta, 2017), la plupart des contributions insistent sur les difficultés rencontrées au niveau local pour réduire la consommation énergétique. Ce dossier permet d’entrer dans la complexité des dispositifs publics contribuant à l’atténuation du changement climatique en considérant le volet énergétique des projets d’aménagement urbain, des sources d’énergie (énergies renouvelables, énergie fatale), différents postes de consommation énergétique (habitat, déplacements) et enfin les enjeux en matière de concertation.

8Une autre entrée climatique est privilégiée par la revue, c’est celle de l’adaptation dans le sillage de la loi Grenelle II (2010) qui a inscrit l’obligation d’inclure un volet adaptation dans les divers outils de planification territoriale.

9Au moment de l’accord de Paris, alors que les sondages montrent un regain d’intérêt pour le climat, la revue initie deux volumes consacrés aux « Impacts, adaptation et vulnérabilité » (Rebotier et Audouit, 2015 ; Rebotier et Audouit, 2016). Le rapport du Giec de 2014 consacre quatre chapitres à l’adaptation (contre un seul en 2007), mais surtout il élargit le sens de l’adaptation, réservée jusque-là à une sorte d’ajustement après une catastrophe pour introduire une adaptation transformationnelle qui, selon Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran (2020), « apparaît capable de redonner un souffle aux idées initiales véhiculées par un “développement durable” englué dans sa malheureuse terminologie ». Plusieurs articles s’interrogent sur cette nouvelle sémantique et sur le sens de l’adaptation, de la transformation, de l’atténuation, etc. (Simonet, 2020 ; Bertrand et Richard, 2015 ; Rudolf, 2015 ; Reghezza-Zitt et Samuel Rufat, 2015, entre autres). Plusieurs articles décrivent des exemples d’adaptation en milieu littoral (Noblet et al., 2016), ou à la pénurie d’eau à Tucson (Vergote et Petit, 2016). Le paysage peut aussi être considéré comme un élément d’adaptation (Gustave Huteau, 2019). Comment s’adapter à cette réalité mouvante et chaotique qu’est le climat ? Dans ce contexte d’incertitude, la notion de résilience a fait aussi l’objet de plusieurs investigations, puisque la réponse territoriale peut être fournie indépendamment des prévisions climatiques issues des modèles réalisés à une échelle plus large. Béatrice Quenault (2014) souligne le fort engouement actuel pour la « résilience », vocable en pleine effervescence, car ce concept est perçu comme capable de répondre au défi de la complexité, tout en bénéficiant d’une terminologie à connotation positive (contrairement à celui de « vulnérabilité »). « Or, la manière dont la résilience est actuellement mobilisée dans la planification urbaine, loin de rompre avec [cette] vision technologiste et ingénieuriale de l’adaptation au changement climatique, la conforte au contraire au détriment d’une adaptation plus sociétale fondée sur les principes de solidarité et d’éthique, condition critique d’un développement urbain durable. » La résilience équivaut au principe de solidarité et de coopération dont les Modernes sont désespérément en quête depuis que la raison et le logos ont fait voler en éclat l’illusion de la communauté et de la fusion (Rudolf, 2015). D’où l’importance de la concertation dans l’élaboration des politiques locales (Bertrand et Richard, 2015). En effet, face à une faible appropriation sociale du problème du climat, et à une connaissance partielle des effets des changements climatiques sur les territoires, les chercheurs comme les commanditaires de ces politiques publiques sont en mesure de se demander si la concertation permet d’appréhender localement un enjeu global, et comment la recherche-action présentée dans le présent article répond à ce double questionnement.

10Adaptation et résilience sont les deux aspects qui cristallisent les politiques climatiques mais, dans les années récentes, il est possible de penser que les contraintes climatiques sont considérées comme la partie émergée de l’iceberg environnemental et que les recherches présentées dans un numéro nommé, en 2020, « Écologisation des pratiques et territorialisation des activités » (Ginelli et al., 2020) intègrent sous le vocable « écologisation » la prise en compte de toutes les normes ou pratiques nécessaires pour la transition écologique qui doit toucher, au premier chef, la maîtrise des GES et l’adaptation au climat. De même, en 2021, le numéro intitulé : « Modes d’habiter et sensibilités environnementales émergentes : quels enjeux pour la qualité de vie ? » (Depeau et al., 2021).

11L’examen de la base de données de la revue permet de décrypter, à travers les différents dossiers réalisés, l’évolution du mot climat dans toute son ambivalence. Au moment des premières négociations climatiques et des premiers rapports du Giec, les sciences sociales se sentaient peu concernées par les engagements internationaux, très techniques, sur les réductions de GES. Le développement durable et les territoires qui constituaient le filtre climatique présentaient le climat comme une composante de l’écosystème, comme un risque et non pas comme une menace pesant sur l’humanité. Lorsque cette menace s’est précisée, la revue s’en est fait l’écho en s’interrogeant sur la manière dont, localement, la consommation d’énergies fossiles pouvait baisser pour diminuer les émissions de GES. La question du facteur 4 a ouvert les yeux sur l’intégration de l’énergie dans le champ social. Alors qu’à partir du protocole de Paris en 2015, la question climatique a percolé au sein des opinions publiques, la revue a délibérément ouvert ses colonnes aux questions d’adaptation et de résilience. Ces notions, définies par les climatologues du Giec, se devaient d’être discutées, analysées et vérifiées à l’aune de l’analyse des contextes locaux. Puis, ces dernières années, la question du climat a été intégrée dans d’autres préoccupations environnementales tout aussi essentielles et vitales. La climatisation du monde constatée par Stefan Aykut (2020) est devenu écologisation des pratiques, mais aussi interrogation sur les modes d’habiter la planète.