Cette recherche a reçu le soutien de deux partenaires. Effectuée pour partie dans le cadre de l’OHM littoral méditerranéen, elle bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du Labex DRIIHM, programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-11-LABX-0010. Elle a bénéficié également du soutien de la Fondation de France dans le cadre de son appel à projets « Quels littoraux pour demain ? ».

1La gestion locale de l’eau, prise depuis plusieurs décennies dans un mouvement de réforme perpétuelle (Barone et al., 2018), a encore récemment connu de nouvelles inflexions avec notamment la mise en place d’une compétence dite Gemapi (pour « gestion des milieux aquatiques et prévention contre les inondations », cf. encadré 1) exercée au niveau du « bloc communal ». Cette réforme, dont la mise en œuvre devait intervenir au plus tard en 2020, modifie le panorama de la gestion locale de l’eau. Elle reconfigure en partie les territoires et les institutions en charge de cette gestion. L’objectif de cet article est, à partir d’une étude de cas, de mieux saisir les modalités, la portée et le sens de ces reconfigurations.

Encadré 1. La réforme Gemapi La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles de 2014 définit la compétence Gemapi en référence à quatre alinéas de l’article L.211-7 du Code de l’environnement : 1°L’aménagement d’un bassin ou d’une fraction de bassin hydrographique ; 2°L’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau […] ; 5°La défense contre les inondations et la mer ; 8 La protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines. Elle confie cette compétence au bloc communal avec transfert aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI FP, cf. glossaire*) auxquels elles sont rattachées. Les EPCI FP peuvent exercer cette compétence soit en régie, soit par délégation ou transfert à des syndicats mixtes opérant généralement à l’échelle du bassin-versant (cf. glossaire). La délégation s’appuie sur une convention qui définit le service attendu du syndicat mixte sur une période donnée. Le transfert va plus loin : il a pour conséquence de dessaisir l’EPCI de la compétence. Le législateur a prévu une possibilité de sécabilité thématique et géographique de la compétence (Marc et al., 2021), certaines missions de la Gemapi pouvant être assurées totalement ou partiellement par différentes institutions. Les syndicats de gestion, structurés sur la base de périmètres fonctionnels, peuvent ainsi continuer à exercer tout ou partie de leurs missions si le ou les EPCI FP du territoire le souhaitent. En parallèle, un mouvement de suppression et de fusion de certains syndicats est engagé. Afin de financer cette nouvelle compétence obligatoire, le législateur a introduit une taxe facultative, votée par les EPCI FP et plafonnée à 40 euros par habitant. Cette taxe alimente un budget annexe spécial, mais elle est adossée à la fiscalité locale traditionnelle. Enfin, la loi crée des établissements publics d’aménagement et de gestion des eaux (Epage), 11 ans après avoir introduit le label d’établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), structures ayant désormais vocation à coordonner les futurs Epage qui seront maîtres d’ouvrage des études et/ou travaux. La compétence Gemapi est loin de couvrir l’ensemble de la gestion de l’eau. Des thématiques aussi importantes que l’eau potable et l’assainissement, la gestion de la ressource en eau ou la planification de la gestion de l’eau ne relèvent pas de la compétence Gemapi.

* L’univers de l’action publique locale et de la gestion de l’eau étant peuplé d’organisations et de dispositifs connus des spécialistes sous forme de sigles, nous proposons un glossaire en fin d’article afin d’aider les non-spécialistes à se repérer.

3La réforme place la maille intercommunale à fiscalité propre au cœur du dispositif. En matière de gestion de l’eau, l’échelle de bassin-versant a été privilégiée depuis la loi de 1992, qui a notamment instauré les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage, cf. glossaire) à ce niveau. Depuis cette loi, les Agences de l’eau (cf. glossaire) ont beaucoup appuyé la mise en place de syndicats pour porter ces dispositifs. Elles ont participé au financement de l’activité des chargés de mission Sage au sein de ces structures et ont accompagné la mise en place de contrats de rivière, de baie, de nappe (Le Bourhis, 2004 ; Ghiotti, 2007). Avec la Gemapi, le législateur a semblé vouloir donner toute leur place aux syndicats dans l’architecture de la gestion de l’eau avec le dispositif à deux étages Epage/EPTB. La réforme a d’ailleurs été accompagnée d’un discours omniprésent sur la volonté de ne pas fragiliser la gestion par bassins-versants lorsque celle-ci fonctionne bien.

4En même temps, elle a ouvert aux EPCI FP la possibilité d’exercer tout ou partie de la compétence Gemapi en régie, et donc de se substituer partiellement ou complètement aux syndicats de bassin-versant qui l’exerçaient jusque-là. Cette réforme a été suivie l’année suivante par une reconfiguration de la gestion de l’eau potable et de l’assainissement allant globalement dans le même sens. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015, assouplie en 2018, a en effet prévu le transfert au plus tard en 2026 des compétences eau potable et assainissement exercées par des communes et de petits syndicats intercommunaux (souvent des Sivu, voire des Sivom, cf. glossaire) aux communautés de communes et d’agglomération – les syndicats dont les communes n’appartiennent qu’à un seul EPCI FP étant dissous.

5Notre objectif n’est pas ici de revenir sur l’élaboration de la réforme Gemapi (à ce sujet, voir par exemple Heitz et al., 2018), mais d’analyser la mise en œuvre de cette réforme en l’inscrivant dans une trajectoire locale de gestion de l’eau. La ventilation géographique et thématique des missions et responsabilités juridiques et financières reconfigure les relations entre les différents acteurs, plus particulièrement entre les EPCI FP et les syndicats de gestion, possiblement confrontés à des situations de concurrence en termes de capacités d’action et de légitimité politique. Au-delà des réglages techniques et opérationnels, la Gemapi est de nature à modifier le champ de forces institutionnel. Cet article s’attache à comprendre comment la réforme Gemapi redistribue les cartes, dans un double sens figuré : en redessinant la cartographie des territoires, et en redistribuant des ressources et des contraintes parmi les différents acteurs concernés. Il étudie une évolution de la configuration hydrosociale, autrement dit de la situation d’interactions localisées entre des populations, des acteurs, des institutions, des projets de territoire, un environnement biophysique et une matérialité liée à l’eau (flux, équipements, etc.) (Bakker, 2003 ; Brochet, 2017 ; Boelens et al., 2016). De récents travaux sur le transfert des compétences eau potable et assainissement aux intercommunalités rappellent l’importance d’étudier ces processus de manière fine et in situ (NOTReau, 2020). Ces travaux montrent que cette réforme ne peut être interprétée comme une simple volonté de s’attaquer systématiquement aux structures syndicales, mais qu’elle exprime une forme d’ambivalence que l’on retrouve sans doute plus fortement encore dans le cas de la Gemapi avec l’existence de nombreux syndicats à l’échelle considérée comme particulièrement légitime du bassin-versant. Ils montrent également que les EPCI FP n’expriment pas nécessairement la volonté de gérer en propre les compétences eau potable et assainissement, pour différentes raisons. Il sera intéressant de tester cette idée sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations.

6Un tel questionnement permettra, nous en faisons l’hypothèse, de mieux comprendre comment la réforme Gemapi prend forme à l’épreuve de sa territorialisation, de sa gouvernance aussi bien territoriale (Pasquier et al., 2007 ; Epstein, 2015) que multi-niveaux (Poupeau, 2017), et quels sont les facteurs qui structurent son appropriation locale. Cela paraît d’autant plus important que si nous disposons de quelques travaux sur les incertitudes juridiques et financières entourant la nouvelle compétence, ou sur le jeu ambigu du transfert de charges de l’État en direction de collectivités locales (Ghiotti et Marc, 2014 ; Barone et Dedieu, 2015 ; Marc et Charles, 2018), nous manquons aujourd’hui d’études de cas sur la manière dont la réforme Gemapi est mise en œuvre concrètement dans les territoires, et dont elle infléchit (ou non) les trajectoires locales, a minima de gestion de l’eau (déterritorialisation/reterritorialisation/reterritorialisation).

Cadrage spatial

7Notre étude de cas porte sur l’aire métropolitaine montpelliéraine, marquée à la fois par une forte urbanisation, la présence de lagunes et de petits fleuves côtiers comme le Lez et la Mosson, dont le régime hydrologique dépend fortement des précipitations, qui peuvent être particulièrement brutales dans la zone (voir figure 1).

8Cette aire ne correspond pas à une échelle territoriale administrative ou hydrographique établie, ni strictement à la définition que donne l’Insee des aires métropolitaines. Il serait de toute façon inutile de chercher à délimiter et donc à figer un espace précis dans la mesure où, du point de vue de la gestion de l’eau, les territoires évoluent. De plus, au-delà du territoire politique de Montpellier Méditerranée Métropole (3M), on ne comprendra rien à la gestion de l’eau dans cette zone si on ne s’intéresse pas dans le même mouvement au territoire politique connexe de Pays de l’Or Agglomération (POA), qui couvre une partie de l’aire urbaine montpelliéraine, et à celui des deux bassins-versants qui se superposent de manière plus ou moins importante à celui de la Métropole : le bassin du Lez (746 km²) et le bassin de l’Or (410 km²), hydrologiquement connectés par l’aval et disposant chacun d’un syndicat de gestion. Nos questionnements sur l’aire montpelliéraine partent ainsi d’un noyau constitué de la Métropole de Montpellier, de l’Agglomération du Pays de l’Or et des deux bassins-versants mentionnés, et s’étendent à une couronne constituée des communautés de communes du Grand Pic Saint-Loup et du Pays de Lunel (Figure 2 et tableau 1).

Tableau 1. Cartes d’identité des principaux EPCI FP et syndicats de bassin du territoire

	Nombre de communes	Nombre d’habitants	Superficie (en km²)
Métropole de Montpellier	31	491 417	423
Agglomération du Pays de l’Or	8	44 081	120
Communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup	36	49 251	570
Communauté de communes du Pays de Lunel	14	51 565	158
Syble	43	460 000	746
Symbo	39	185 000	410

Méthodologie

Tableau 2. Entretiens réalisés

	Nombre d’entretiens réalisés	Nombre de personnes rencontrées
Élus
Maire de Lattes, vice-président de Montpellier Méditerranée Métropole, conseiller départemental de l’Hérault, président du syndicat du bassin du Lez	2	1
Conseiller départemental de l’Hérault, président du syndicat du bassin de l’Or et du Vidourle (jusqu’en juin 2021)	1	1
Premier adjoint au maire de Saint-Nazaire-de-Pézan, vice-président du syndicat du bassin de l’Or	1	1
Responsables techniques d’EPCI FP
Directrice de service, chargés de mission et responsable de pôle de Montpellier Méditerranée Métropole	4	4
Directeur général adjoint de Pays de l’Or Agglomération	1	1
Chef de service du Pays de Lunel	4	1
Responsables techniques de syndicats
Directrice et chargée de mission du syndicat du bassin du Lez	2	2
Directeur et chargées de mission du syndicat du bassin de l’Or	3	3
Directeur du syndicat du Vidourle	1	1
Représentants de l’Agence de l’eau et des services de l’État
Chefs de service et chargés de mission de l’Agence de l’eau (Délégation de Montpellier)	1	4
Chargé de mission de la Dreal	1	1
Chargés de mission de la DDTM	2	2
Responsables techniques du Département et de la Région
Cheffe de direction et chargées de mission du conseil départemental de l’Hérault	3	4
Directeur adjoint et chef de service du conseil régional Occitanie	3	3
Total	26	29

10Nos données proviennent d’autre part et plus marginalement d’une étude de la littérature « grise », constituée d’éléments extrêmement variés : documents de planification territoriale, de gestion de l’eau, budgets et organigrammes des collectivités locales, revues spécialisées, articles de presse, etc.

11Nous ne reviendrons pas ici en détail sur l’histoire très riche de la gestion des milieux aquatiques et des inondations dans la zone de Montpellier. Nous nous bornerons à mentionner quelques éléments indispensables à la compréhension des grands enjeux en insistant sur le rôle central, localement, des syndicats de gestion de l’eau, notamment depuis les années 2000. Nous nous intéresserons ensuite au déploiement de la Gemapi. Nous verrons comment ce déploiement a conduit, d’une part, à une absence de clarification des rôles et, d’autre part, à l’affirmation tendancielle des EPCI FP et, jusqu’à un certain point, à une marginalisation (différentielle) des syndicats de bassin-versant. Nous terminerons par une discussion sur quelques-unes des implications de ces évolutions.

1. Des syndicats mixtes au cœur du dispositif de gestion de l’eau depuis les années 2000

12Dès le début des années 1990, sous l’impulsion de la loi sur l’eau de 1992, l’Agence de l’eau, les services régionaux déconcentrés de l’État (la direction régionale de l’Environnement, à l’époque) ainsi que le Département de l’Hérault ont joué un rôle clé dans le développement de syndicats mixtes dédiés à la gestion de l’eau dans les bassins du Lez et de l’Or.

1.1. Le syndicat du Lez et la gestion des risques d’inondation

13Les risques liés à l’eau représentent un groupe d’enjeux structurant sur le territoire montpelliérain (Tramblay et al., 2021). Ces risques sont multiples et ont pour particularité de souvent se cumuler, notamment à l’aval, du fait d’une topographie quasiment plane. Il y a ceux dus au ruissellement des eaux de pluie, aux crues (débordement de cours d’eau), à la montée des eaux des étangs et des nappes, et enfin ceux liés à la mer (submersions marines). Pour le fleuve Lez, la soudaineté et l’intensité des précipitations peuvent entraîner une augmentation des débits passant de 0,05 m³/s à près de 900. En cas de vent venant du large et de basses pressions atmosphériques, les étangs jouent un rôle de « bouchon », empêchant les eaux de s’évacuer et occasionnant des phénomènes de sur-inondation. En raison de cette configuration particulière, les politiques de lutte contre les inondations sont plus anciennes et plus importantes dans le bassin du Lez que dans celui de l’Or.

16Concernant les risques liés à la mer, le développement urbain et touristique a renforcé les phénomènes d’érosion, qui accroissent les risques de submersion marine. Entre 1895 et 2012, l’érosion a généré un recul du trait de côte entre 103 et 158 mètres entre Frontignan et Palavas, autrement dit un recul annuel moyen d’environ 1 mètre (EID, CdL, 2020). Dans certaines communes de la zone, ce sont plusieurs milliers d’habitants qui sont exposés aux submersions marines, comme à Palavas. Le changement climatique vient renforcer ces risques en augmentant l’importance des tempêtes et en provoquant une élévation générale du niveau de la mer (IPCC 2019). Or, le littoral montpelliérain est relativement plat et donc sensible à cette élévation. La prise en charge politique, par les collectivités, des enjeux liés aux risques littoraux au sens large est récente, y compris sur le territoire d’étude. Ces enjeux ne font pas partie des préoccupations des syndicats. Si « la défense contre les inondations et contre la mer » constitue l’un des items de la compétence Gemapi, l’ensemble des intercommunalités commencent tout juste à s’approprier le sujet. Les élections municipales et communautaires de 2020 semblent cependant avoir accéléré la mise à l’agenda de ce problème au sein de la Métropole de Montpellier, où vient d’être créée une fonction de vice-présidence au littoral, à la prévention des risques majeurs et à la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Barone et Michel, 2022).

1.2. Les syndicats de l’Or et la gestion des étangs

18Sur le territoire de l’Or, la lutte contre la remontée du sel et les inondations ainsi que le drainage hydraulique de la plaine (« l’assainissement ») pour assurer sa vocation agricole ont été réalisés à partir des années 1950. Un syndicat de travaux, le syndicat mixte intercommunal d’assainissement des terres de l’étang de l’Or (Siateo), créé en 1959, assumait cette mission associant progressivement l’essentiel des communes du pourtour de l’étang. Il est ainsi intervenu dans l’entretien des cours d’eau, la construction de barrages anti-sel et d’autres infrastructures hydrauliques devant à la fois réguler la circulation de l’eau dans les marais (pour la chasse) et l’évacuer (ainsi que les pollutions) le plus rapidement possible depuis la plaine agricole jusqu’à l’étang. Malgré son ancrage et sa forte légitimité locale, le Siateo a été supprimé en 2019 dans le cadre de la mise en œuvre de la Gemapi.

19La restauration de la qualité de l’étang et sa zone humide sont aujourd’hui gérées par le syndicat mixte du bassin de l’Or (Symbo) (figure 2), qui a une compétence en matière d’étude, de coordination (portage d’un contrat de baie puis de bassin-versant) et de suivi des milieux et des zones humides. Créé en 2009, celui-ci prend la suite du syndicat mixte de gestion de l’étang de l’Or (SMGEO), créé en 1991 et composé initialement des 13 communes riveraines de l’étang et du conseil général (devenu conseil départemental) de l’Hérault. Le Symbo est composé de quatre EPCI FP regroupant 39 communes ainsi que du conseil départemental de l’Hérault. Il a aujourd’hui pour priorité la qualité de l’eau, les milieux aquatiques et la biodiversité en tant qu’opérateur Natura 2000. La gestion des inondations est également devenue après 2014 une mission du syndicat à travers le portage et l’animation d’un programme d’actions de prévention des inondations. La distinction entre les missions du Siateo et du Symbo a toujours été soutenue par une très large majorité d’élus communaux du territoire. Ces derniers disposaient avec le premier d’un outil opérationnel d’intervention directe sur cette problématique sensible qu’est l’entretien des cours d’eau dans une plaine où l’agriculture et la chasse constituent des activités importantes. Le Symbo a été présidé par un conseiller départemental, l’ancien maire de Lunel Claude Barral (majorité départementale, gauche) depuis sa création jusqu’en 2021. Il est aujourd’hui présidé par Patricia Moullin-Traffort (majorité départementale, divers gauche), conseillère municipale de Mauguio et conseillère départementale de ce canton.

20Sur le bassin, l’agglomération du Pays de l’Or (POA) est un acteur incontournable. Créée en 2012, elle est la dernière étape d’une structuration intercommunale débutée en 1947 avec un Sivu, puis un Sivom (1971) centré sur l’eau potable et l’assainissement, avant la mise en place d’une communauté de communes (1993). Le Sivom et la communauté de communes restent distincts jusqu’en 2010, date à laquelle les deux entités fusionnent et donnent naissance à une communauté d’agglomération. POA, historiquement compétente sur le petit et le grand cycle de l’eau (entretien des cours d’eau, zones humides…), a réaffirmé fortement ses ambitions dans ses domaines sur son territoire dans le cadre de la Gemapi.

21Il faut enfin mentionner l’existence pendant une vingtaine d’années d’un autre syndicat de gestion de milieux littoraux spécifiques que sont les lagunes, situé pour l’essentiel de son périmètre à l’extérieur du bassin de l’Or : le syndicat mixte intercommunal des étangs littoraux (Siel) (cf. figure 4). À cheval sur trois EPCI FP depuis sa création en 1999, ce syndicat s’était vu confier la gestion des étangs situés entre l’étang de Thau et l’étang de l’Or tout en étant opérateur de biodiversité (Natura 2000, réserves naturelles sur le chapelet des étangs palavasiens). Comme le Siateo, le Siel a été dissous dans le cadre de la réforme Gemapi

1.3. Des relations politico-institutionnelles structurellement conflictuelles

22La dimension liée aux relations politiques entre collectivités locales est essentielle à la compréhension de la trajectoire locale de gestion de l’eau jusqu’à aujourd’hui. Elle apporte également des clés indispensables pour comprendre la mise en œuvre de la Gemapi.

23On aura en particulier bien du mal à saisir les tenants et aboutissants des recompositions institutionnelles et territoriales dans le domaine de l’eau sans rappeler comment s’est structurée l’intercommunalité autour de Montpellier depuis les années 1990. Le District de Montpellier, créé en 1965, est passé progressivement de 12 communes en 1965 à 15 en 1995. Après la loi de réforme de l’intercommunalité de 1999, le maire de Montpellier et président du District Georges Frêche (membre du parti socialiste) annonce un projet consistant à transformer le District en communauté urbaine englobant les villes de Nîmes, Sète et Béziers. Cette annonce, jugée mégalomaniaque pour ses détracteurs, permettra stratégiquement de mieux négocier une communauté d’agglomération au périmètre plus acceptable. Ce deuxième projet de communauté d’agglomération avancera grâce au ralliement de communes des deuxième et troisième couronnes périurbaines. Certaines communes littorales et du nord de l’aire urbaine bénéficiant de ressources fiscales plus importantes que les autres ou d’une dotation globale de fonctionnement majorée en raison de leur surclassement démographique disposent de moyens relativement importants pour assurer elles-mêmes leur développement et ne souhaitent pas nécessairement partager ces ressources ou les fondre dans un ensemble territorial large. Ces deux zones correspondent à des communes où domine électoralement la droite. Celles-ci résisteront fortement à leur intégration au sein de la future agglomération. Certaines d’entre elles seront pourtant intégrées dans le périmètre de la communauté d’agglomération créée en 2001, qui compte alors 38 communes. Mais en 2004, plusieurs communes font sécession. Certaines rejoignent la communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup, d’autres (comme Mauguio, La Grande-Motte, puis Palavas) la communauté de communes du Pays de l’Or, devenue communauté d’agglomération en 2012. Cet épisode entérine des relations de défiance réciproque entre Montpellier et les EPCI FP voisins, qui ont renforcé leur propre intégration intercommunale, en partie contre la volonté jugée hégémonique de Montpellier. La transformation de l’Agglomération de Montpellier en Métropole en 2015 ne changera rien au périmètre de l’intercommunalité.

24Le Département de l’Hérault, bien qu’acquis au parti socialiste, constitue un autre foyer historique d’opposition à Montpellier, tant politique (interne au parti socialiste) qu’institutionnelle (Négrier, 2001). Les tensions entre le Département et l’Agglomération de Montpellier atteindront des sommets dans les années 1990, à travers des oppositions très frontales entre Georges Frêche et le président du conseil général Gérard Saumade, par ailleurs maire de Saint-Mathieu-de-Tréviers, commune située dans le bassin du Lez. Elles ne s’éteindront pas avec le changement de président du conseil général en 1998. Les successeurs de Georges Frêche à Montpellier après son décès en 2004 entretiendront des relations diverses avec le Département, toujours présidé par des élus socialistes : particulièrement délétères sous l’ère Philippe Saurel (divers gauche, 2014-2020), elles s’apaiseront à la suite de l’élection de Michaël Delafosse (parti socialiste) après 2020.

25Le territoire du bassin du Lez constitue un terrain de lutte historique entre les deux institutions. La mise en place du Syble sera un moment de réactivation de ces tensions. Contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture trop rapide du fonctionnement de ce syndicat, dont la gouvernance est partagée entre Montpellier et le Département, la création de cette structure a fait l’objet de débats. L’Agglomération ne souhaitait pas dans un premier temps l’instauration d’une telle structure, perçue comme pouvant favoriser une dilution de son pouvoir dans un ensemble regroupant des institutions traditionnellement hostiles. L’Agence de l’eau et le Département exerceront des pressions importantes pour que soit mis en place un programme d’actions de prévention des inondations devant être porté par un syndicat pour coordonner notamment les opérations sur la commune de Lattes. La création du Syble suivra de quelques années l’approbation d’un Sage plutôt pensé en lien avec des problématiques de pollution du Lez et des étangs palavasiens par les rejets de la principale station d’épuration de Montpellier. Ce Sage sera particulièrement long à aboutir : neuf ans se sont écoulés entre la mise en place de la commission locale de l’eau et l’approbation du Sage. Les difficultés évoquées dans les relations intercollectivités n’y sont évidemment pas pour rien.

2. Une absence de clarification des rôles

26Ces éléments de contexte et de trajectoire étant posés, venons-en à présent à la mise en œuvre de la Gemapi. Un premier axe de discussion concerne la clarification des rôles de chacun dans la gestion de l’eau, objectif explicitement recherché par les artisans de la réforme. Il ressort de l’analyse que, si la Gemapi s’est traduite par une réduction du nombre d’organisations en charge de la gestion de l’eau, elle a surtout débouché sur un système de gestion au moins aussi complexe que dans la période précédente.

2.1. Une simplification de la structuration syndicale

27La réforme Gemapi s’est accompagnée d’un mouvement de suppression de syndicats considérés comme trop spécialisés ou situés à une échelle jugée non pertinente. Le syndicat intercommunal des étangs littoraux (Siel) et le syndicat intercommunal d’assainissement des terres de l’étang de l’Or (Siateo) en ont fait les frais en 2018-2019. Le sort du Siel a été assez rapidement scellé. Il faut dire que, ne relevant ni d’un EPCI FP ni d’une échelle de bassin-versant, il n’entrait dans aucune case de la Gemapi. Son maintien éventuel aurait nécessité de fortes mobilisations en sa faveur. Un consensus a été trouvé sur sa dissolution et la reprise de ses personnels par la Métropole de Montpellier (deux agents), le syndicat du bassin du Lez (un agent) et Sète Agglopôle Méditerranée (deux agents). Le technicien du Siateo a de son côté rejoint le Symbo sur un poste de chargé d’opérations Gemapi. Deux structures couvrant des fractions de bassin-versant ont ainsi disparu de la carte. Une telle évolution alimente plutôt l’idée de simplification de l’organisation, les missions assurées jusque-là par ces organismes ayant été reprises par d’autres. La simplification aurait selon certains acteurs pu être poussée plus loin. Un temps évoqué dans les discussions autour de Gemapi, la fusion Syble/Symbo (voire syndicat du Vidourle) ne s’est cependant pas concrétisée en raison, d’une part, de la complexité des relations politiques et institutionnelles locales (construction des périmètres de la Métropole et des communautés d’agglomération et de communes, conflits entre grands élus, etc.), et d’une volonté assez largement partagée, d’autre part, de ne pas ajouter une question délicate aux nombreux points à gérer dans le cadre du transfert de compétence (notamment les relations entre syndicats de bassin et EPCI FP).

29Cependant, le sentiment qui domine à l’issue de la mise en œuvre locale de la Gemapi est plutôt celui d’une complexité maintenue, voire accrue, en raison principalement de la ventilation des compétences entre les différentes institutions concernées.

2.2. Une ventilation illisible des compétences

31Le bassin de l’Or se distingue lui aussi par une absence totale de recours à la modalité du transfert. La délégation au Symbo est généralisée et toutes les missions sont au moins pour partie exercées par les EPCI FP, ce qui témoigne ici aussi de leur volonté de s’approprier globalement l’exercice de la compétence. Seule la communauté de communes du Pays de Lunel a décidé de tout déléguer au syndicat. L’item 1 fait l’objet de délégations sur la partie études de la part de tous les EPCI sauf celui de Lunel, qui lui délègue également les travaux et l’acquisition foncière. L’item 2 est délégué au Symbo, mais en limitant spatialement son action à certaines parties du territoire des EPCI FP (zones d’intervention de l’ancien Siateo pour Pays de l’Or agglomération) et en modulant sa capacité d’action (maîtrise d’ouvrage déléguée ou assistance à maîtrise d’ouvrage). L’item 5 est géré en propre par les EPCI FP, sauf Lunel qui, à nouveau, a fait le choix d’une délégation au Symbo avec maîtrise d’ouvrage déléguée. Quant à l’item 8, chaque EPCI FP l’exerce en partie en propre et/ou en délègue une partie au Symbo, accentuant dans ce dernier cas la sensation d’illisibilité, à l’exception de Lunel, qui le délègue entièrement.

32Le constat qui est fait par l’ensemble des acteurs est celui d’une illisibilité du système de gestion de l’eau :

« C’est très bien que la compétence Gemapi ait pu faire intervenir un maître d’ouvrage [l’EPCI FP] et lui donner des compétences. Mais pour autant, la façon dont les compétences ont été déléguées entre les différentes collectivités et les choix qui ont été faits selon les intercommunalités font qu’il n’y a pas eu un schéma d’organisation des compétences. Or c’est ça qui permet d’avoir un exercice de la compétence qui soit lisible. C’est un peu plus lisible sur le Lez, mais sur l’étang de l’Or, notamment parce qu’il y a la gestion des lagunes, vu de l’extérieur, ce n’est pas simple, même pour quelqu’un qui s’y connaît. » Entretien avec un responsable de service, Département de l’Hérault (juin 2020).

33Le choix des EPCI FP de s’investir pleinement dans l’exercice de leurs nouvelles missions a contribué à questionner l’organisation jusqu’alors en place. Si le nombre d’acteurs gestionnaires a diminué du fait de la suppression de deux syndicats, la répartition des missions permise par la sécabilité thématique et géographique de la compétence Gemapi a donné lieu à une (re)distribution de rôles bien difficile à suivre. Cette situation est pour partie liée à des incertitudes quant au contenu opérationnel des différents items, mais elle témoigne aussi du contexte fortement conflictuel des débats entre les différents acteurs. Ces derniers se montrent dans l’ensemble insatisfaits du résultat final, tout en reconnaissant qu’un compromis différent, dans le sens d’une plus grande clarification des rôles, était hors de portée.

« [Dans le bassin Rhône-Méditerranée], dans 3 % des cas, on a un exercice de la Gemapi qui est acté et qui est fonctionnellement dispersé, avec un éclatement de la compétence entre plusieurs entités. Ces 3 %, c’est l’Hérault dans la région Occitanie. […] L’Hérault est vraiment un cas très particulier à l’échelle du bassin Rhône-Méditerranée, dans lequel les EPCI ont choisi de garder les compétences tout en déléguant une partie de cette compétence aux syndicats de bassin-versant. » Entretien responsable Dreal (juin 2020).

35On ne peut donc pas imputer cette situation à l’action de l’Agence de l’eau ou des services régionaux de l’État. Celle-ci résulte bien de négociations entre acteurs locaux au moment de la mise en œuvre de la réforme sur le territoire. En cas de transfert, en effet, tout retour en arrière est compliqué. Il faut alors dissoudre le ou les syndicats bénéficiaires du transfert. Le mécanisme de la délégation est moins engageant. Dans ce processus, si certains services de l’État (Dreal notamment) et l’Agence de l’eau auraient souhaité que les syndicats de bassin-versant bénéficient de davantage de responsabilités, ils ont veillé à laisser les collectivités faire leurs propres choix. Les élus métropolitains, des agglomérations et des communautés de communes du territoire ont clairement exprimé cette volonté de pleinement assumer cette compétence, qui plus est bien en amont des discussions sur sa mise en œuvre opérationnelle par le biais de délibérations, ce qui ne laissait in fine que très peu de marge de manœuvre. À la méfiance ou la défiance envers les syndicats de bassin s’ajoute une volonté des élus de garder un contrôle politique sur une compétence où leurs responsabilités juridiques et financières sont engagées. De manière plus subsidiaire, ces mêmes élus apparaissent soucieux de ne pas se voir contraints sur les politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisation. Il est possible de mesurer ici toute la difficulté à opérationnaliser les principes d’une gestion voulue globale et intégrée.

Selon l’Association des communautés de France, « la délégation à un Epage ou un EPTB […] permet de se laisser le temps de construire une ingénierie ou au contraire de réfléchir, voire de tester l’organisation mise en place avant d’envisager un transfert de compétences. Néanmoins, elle est parfois perçue comme un désengagement, lorsque les autres intercommunalités du bassin-versant ont opté pour le transfert » (AdCF, 2020).

36Il est trop tôt pour conclure définitivement dans le cas de notre territoire d’étude. Les responsables de syndicats de bassins-versants veulent croire à une possibilité ultérieure de transfert de compétences, alimentant l’hypothèse de la délégation comme façon de temporiser. En même temps, le recours à la délégation signale clairement une volonté des EPCI FP de garder la main sur l’exercice de la Gemapi et fait apparaître, en creux, des difficultés de la part des syndicats pour affirmer leur rôle.

3. Une affirmation des EPCI FP au détriment des syndicats de bassin

37L’appropriation de la compétence Gemapi a réactivé des enjeux politiques, institutionnels et financiers liés à une gestion de l’eau que l’on croyait confortablement installée dans une logique de bassin-versant. Par rapport aux contours dessinés par la loi sur l’eau de 1992, la Gemapi, en prévoyant en première intention un transfert de compétence aux EPCI FP, contient en effet en germe la possibilité d’un déplacement du centre de gravité de la gestion locale de l’eau. D’autant que cette modalité s’accompagne d’une capacité à prélever une taxe pour financer l’exercice de la nouvelle compétence. Le complexe détricotage/retricotage des missions liées à la gestion de l’eau a été l’objet de fortes tensions sur le territoire, à la fois entre techniciens et entre élus. Le transfert de compétences s’est accompagné localement d’une étude pour définir les contours de son exercice. Cette étude, à l’initiative de l’Agence de l’eau, a été menée en commun par le Syble et le Symbo et animée par un bureau d’études. Les syndicats se sont placés plutôt en retrait dans l’animation. Ils n’ont pas clairement exprimé de volonté de convaincre les EPCI FP sur la base de propositions globales qui auraient permis d’asseoir leur position, cela d’autant plus fortement que certaines d’entre elles avaient déjà délibéré dans le sens d’un positionnement affirmant clairement leur volonté d’exercer la compétence Gemapi. Les EPCI ont de fait estimé qu’ils avaient le champ libre pour élaborer leur propre scénario. Cette étude a révélé un défaut de leadership des syndicats, en tout cas une incapacité à enrôler les EPCI FP, qui avaient pour certains des attentes fortes vis-à-vis du transfert de compétences, dans une interprétation partagée. Déjà potentiellement affaiblis par l’économie même de la réforme, les syndicats n’ont guère réussi à tirer leur épingle du jeu au moment de sa mise en œuvre, même si le Symbo s’en sort in fine mieux que le Syble.

3.1. Une affirmation tendancielle des EPCI FP

39Si l’on ajoute à cela la possibilité pour les EPCI FP de lever la taxe Gemapi et donc de bénéficier de moyens supplémentaires, on comprend assez facilement la volonté de la plupart d’entre eux de rester décisionnaires. L’aire montpelliéraine est constituée de bassins-versants d’une taille comparable à celle d’un EPCI FP, accentuant les enjeux de concurrence de légitimité entre ces deux types d’acteurs. D’autre part, l’action des syndicats ne s’était déployée jusqu’à la Gemapi que de manière incomplète à l’échelle des bassins-versants : les étangs palavasiens relevaient jusqu’en 2018 du syndicat intercommunal des étangs littoraux et le Symbo a concentré l’essentiel de son action sur l’étang de l’Or, investissant moins le nord du bassin-versant. Dans ce contexte, les syndicats ne sont pas parvenus à convaincre les EPCI de leur capacité à jouer un rôle plus important, sauf de mutualisation/animation à l’échelle du bassin-versant. La feuille de route actée en 2022 pour la mise en place d’un Sage sur le bassin de l’Or à l’horizon 2027 tend à accréditer cette orientation.

40Il faut enfin insister sur l’importance politique accordée à la prévention des inondations dans un territoire particulièrement exposé à ce risque. Le positionnement de la Métropole de Montpellier est extrêmement clair à ce sujet, et reflète un état d’esprit assez largement partagé au sein des collectivités :

« Le postulat de base qui avait été arrêté était de dire, de toute façon, sur notre territoire, c’est vraiment le PI de Gemapi qui est très pesant financièrement et en termes d’enjeux sur l’aménagement du territoire. » Entretien avec un chef de service, Métropole de Montpellier (mai 2020).

3.2. Une fragilisation différentielle des syndicats

42Dans ce jeu de redistribution des rôles, le Syble s’est trouvé davantage affaibli que le Symbo. À tel point que certains acteurs de l’eau ont cru un temps à sa disparition pure et simple. La gouvernance du Syble repose essentiellement sur le duo Métropole de Montpellier-Département (les autres EPCI FP ne contribuant financièrement que très marginalement au syndicat). Dès lors, il est évident que si la Métropole souhaite garder ou reprendre la main sur tel ou tel aspect de la gestion de l’eau, il n’est pas évident pour le Syble de s’y opposer.

43De manière plus conjoncturelle, la mise en œuvre de la réforme a été télescopée par un épisode important dans la vie politique locale : l’éviction du maire de Lattes, également président du Syble, de l’exécutif de la Métropole de Montpellier. À l’issue des élections municipales et communautaires de 2014, un « pacte de confiance » avait été passé entre le président de la Métropole Philippe Saurel et des maires issus de différents horizons politiques et partisans ayant intégré l’exécutif métropolitain. En rupture avec cette ligne initiale, Philippe Saurel a exigé en juin 2017 que les vice-président·e·s rejoignent le groupe politique « La République en marche et apparentés », même si Philippe Saurel, divers gauche, ancien membre du parti socialiste, n’était pas membre lui-même de LREM. En cas de refus, leur délégation leur serait retirée. Par ce choix, le président de la Métropole entendait reprendre la main sur un exécutif en qui il n’avait plus confiance avec, en ligne de mire, les élections municipales et communautaires de 2020 – qu’il perdra en raison notamment de son isolement politique (Négrier, 2021). Sur les 20 vice-président·e·s, sept refusèrent d’adhérer au nouveau groupe, dont le maire de Grabels (France Insoumise), artisan du retour de Montpellier en régie publique de l’eau, et le maire de Lattes et président du Syble, Cyril Meunier. Ce dernier était pourtant assez proche politiquement de Philippe Saurel, sur une ligne oscillant entre celle de Manuel Valls et celle d’Emmanuel Macron. Or, Cyril Meunier présidait le Syble en tant que vice-président de la Métropole. Le maire de Lattes est cependant parvenu à conserver la présidence du syndicat en se faisant désigner au conseil syndical du Syble en tant qu’élu départemental et en remportant l’élection à la présidence malgré l’opposition de la Métropole.

44Cet épisode a évidemment généré de nouveaux rapports conflictuels entre la Métropole, d’un côté, le Département et le Syble de l’autre. Il était dès lors encore moins question, pour la Métropole, de confier des responsabilités au Syble. La construction d’un compromis politique a cédé la place à des échanges d’ordre essentiellement technico-juridique sur la mise en œuvre de la réforme.

45En fin de compte, le Syble a vu ses compétences fortement bornées et son fonctionnement largement orienté vers la rédaction de conventions avec ses membres. Le syndicat se trouve dans une situation de faiblesse structurelle, corseté par un cofinancement statutaire le privant d’une possibilité d’élaborer une véritable stratégie et de programmer des budgets à moyen terme. En effet, les EPCI FP auront le choix de commander ou non des prestations au syndicat, qui devra de son côté continuer à payer son fonctionnement. Or, le syndicat doit gérer de nombreux dossiers, à la fois dans et hors Gemapi :

« Il y aurait tellement à faire. On le voit bien en termes de biodiversité, il y a beaucoup d’actions dans le SAGE, il y a le changement climatique qui arrive maintenant, donc il y a un choix qui est fait, parce qu’effectivement en termes de cotisations, on nous demande de ne pas augmenter les cotisations, donc c’est très compliqué de boucler les budgets et ça se tend de plus en plus. Et puis manque de moyens parce qu’on est sur tous les fronts. C’est très difficile et c’est vrai que le fait que la taxe soit donnée à l’EPCI, nous, on n’a pas de transfert, donc il y a quand même des jeux en termes de budgets qui ne sont pas évidents. » Entretien avec un responsable du Syble (juin 2020).

46Tout l’enjeu pour le Syble consiste à s’appuyer sur sa légitimité d’intervenant à l’échelle du bassin-versant. Cependant, cette légitimité apparaît bien fragile au regard des capacités d’action et du poids politique de la Métropole, encore renforcés par la réforme Gemapi :

« Le Syble, c’est un syndicat qui est très fragile parce que son territoire est quasiment identique à celui d’une grande métropole. Donc, en termes de moyens, le Syble, comme le Symbo, ça doit être cinq-six personnes, et politiquement, il ne pèse rien par rapport à la Métropole. Ça veut dire que sa légitimité, si la Métropole décide de tout conserver – en l’occurrence sur la mise en œuvre de la Gemapi, c’est ce qu’elle a décidé –, de retirer toutes ses billes du Syble, le Syble il n’existe plus. Le Syble, ce qui lui donne une légitimité, c’est qu’il a été reconnu EPTB, donc cette reconnaissance EPBT, ça veut dire que l’État le considère comme le chef de file de la gestion équilibrée de l’eau à l’échelle du bassin-versant. » Entretien avec un chargé de mission de la Dreal Occitanie (juin 2020).

47Le Syble apparaît plus que jamais placé sous la dépendance de la Métropole, même si cette dépendance est tout sauf nouvelle. La place de la Métropole dans les instances de décision du syndicat de bassin était déjà forte avant la réforme, et le bon fonctionnement du Syble a toujours dépendu de l’état des rapports entre ses élus et ceux de la Métropole.

48Il faut insister enfin sur le rôle que continue de jouer le Syble en matière de gestion de l’eau en dehors de la compétence Gemapi. En particulier, le syndicat pilote toujours des outils extrêmement importants (schéma d’aménagement et de gestion des eaux, programme d’action de prévention des inondations). Il anime les travaux de la commission locale de l’eau qui est informée des projets ayant de potentiels impacts sur l’eau et les milieux aquatiques, formule des avis, etc. Ce portage et cette animation s’appuient sur une expertise reconnue (et renforcée par le recrutement d’une ancienne salariée du syndicat intercommunal des étangs littoraux), ainsi que sur des relations privilégiées avec l’Agence de l’eau et les services de l’État.

49La gouvernance du Symbo repose sur d’autres équilibres politiques. Le Département est également fortement présent dans ce syndicat, traditionnellement présidé par un·e élu·e départemental·e. Toutefois, si Pays de l’Or Agglomération apparaît comme l’intercommunalité forte de la zone, il faut aussi compter ici avec la Métropole de Montpellier, avec la communauté de communes du Pays de Lunel (le deuxième président du Symbo entre 1996 et 2021, Claude Barral, était d’ailleurs à la fois conseiller départemental et élu de Lunel), et enfin à l’amont avec la communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup. Par ailleurs, le Symbo était au départ un syndicat intercommunal et il continue d’une certaine manière à fonctionner de la sorte, avec une implication d’élu·e·s qui rendent peu compte des travaux du syndicat à leur EPCI FP. Enfin, il a longtemps existé une difficulté dans la conduite politique de ce syndicat, dont le président au moment de la mise en œuvre de Gemapi était plus investi dans la présidence du syndicat du Vidourle, avec ses grosses problématiques d’inondations, que dans celui de l’Or et ses questions de zones humides. Le président du Symbo s’est d’ailleurs très peu investi dans l’étude de définition de la Gemapi.

50Comme dans le bassin du Lez, la mise en œuvre de la réforme s’est révélée conflictuelle dans le bassin de l’Or. Le Symbo souhaitait reprendre la compétence du Siateo après sa dissolution en l’étendant à l’ensemble du territoire du bassin de l’Or, et exercer des responsabilités sur tous les items de la Gemapi, à l’exception de l’item 5 (défense contre les inondations et la mer), qu’il estimait devoir relever des EPCI FP :

« Des interventions qui concernent le problème de débordement des cours d’eau, c’est des questions très localisées. Par exemple, on doit protéger sur 100 mètres une vingtaine ou une trentaine de maisons. Donc on est à l’échelle de la commune, du quartier, et là globalement ce n’est pas très important qu’il y ait une vitesse d’avancement qui ne soit pas la même d’un EPCI à l’autre, d’une commune à une autre. Ensuite, il y a des montants très conséquents sur lesquels il aurait fallu que le syndicat s’organise de façon beaucoup plus structurée. Et le dernier point, il est politique. Il est plus dans le rôle des EPCI d’avoir ce dialogue avec les communes sur ces travaux que notre syndicat. Les EPCI étaient volontaires pour prendre cette compétence, et ça nous va très bien parce qu’on n’est pas un syndicat de travaux. » Entretien avec un responsable du Symbo (juin 2020).

51En revanche, les discussions sur d’autres items ont cristallisé des tensions. Le Symbo aurait souhaité bénéficier de transferts sur certains d’entre eux. Sur l’item 2 (entretien et aménagement de cours d’eau), le Symbo aurait voulu être l’interlocuteur et la cheville ouvrière pour l’ensemble des EPCI FP, pour différentes raisons :

« D’une part, le bassin-versant de l’Or est un petit bassin-versant côtier avec une faible profondeur par rapport à la Méditerranée. Il y a, à vol d’oiseau, 15 à 20 kilomètres entre le point le plus loin de la façade maritime et la bordure littorale. Ensuite, on voit que les cours d’eau ont un axe du nord vers le sud et que les EPCI se sont structurés dans le sens perpendiculaire à ces cours d’eau. Donc la majorité des cours d’eau traversent les EPCI sur une bande très courte. On a des cordons qui vont de haut en bas et qui sont coupés en trois ou quatre morceaux. Ça aurait été plus intéressant de faire de la mutualisation et de dire : “sur ces cours d’eau, qui ne sont pas énormément non plus, on va avoir un opérateur unique qui va intervenir”. » Entretien avec un responsable du Symbo (juin 2020).

52Au cours du processus de mise en œuvre, la communauté de communes du Pays de Lunel a exprimé sa volonté de transférer l’ensemble de la compétence au Symbo, alors que les autres EPCI FP ne le souhaitaient pas. Ce positionnement particulier de Lunel a renforcé le Symbo dans sa posture revendicatrice, puisque ce dernier, bien qu’en délégation, interviendra en tant que maître d’ouvrage délégué. En fin de compte, sur l’item 2, le syndicat interviendra, par délégation, sur Pays de l’Or Agglomération et sur la communauté de Lunel, mais uniquement sur le linéaire d’intervention du Siateo. Sur la Métropole de Montpellier et le Grand Pic Saint-Loup, il n’interviendra qu’en tant qu’assistance à maîtrise d’ouvrage, dans le cadre de la délégation, en utilisant donc les outils mis à disposition par les EPCI, sur le linéaire des cours d’eau hors ouvrages de protection contre les inondations pour la Métropole et uniquement sur le Salaison pour le second. Globalement, le Symbo a ainsi réussi à obtenir quelques missions supplémentaires par rapport au scénario de sortie d’étude, et de vraies délégations de compétences là où le fonctionnement par conventions dans le bassin du Lez place clairement la Métropole en position de portage des opérations.

Conclusion

53Neuf ans après le vote de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la gouvernance des milieux aquatiques et du risque inondation a en partie évolué, même si la redistribution des rôles et des cartes ne semble pas à ce jour entièrement stabilisée. L’évolution de la gouvernance et, au-delà, de la configuration hydrosociale montpelliéraine rappelle toutefois à quel point la territorialisation de la compétence Gemapi ne peut s’envisager comme l’application d’un modèle unique et uniforme.

54Cette évolution contribue ici à l’affirmation d’institutions (les EPCI FP) bénéficiant de capacités d’action beaucoup plus importantes que les syndicats de bassin, y compris potentiellement pour mener des actions dans le domaine de l’eau. Une dynamique qui pourrait permettre une meilleure articulation entre gestion de toutes les eaux (eau potable, eau usée, eau des rivières et des étangs, eau de pluie, eau de la mer), et entre gestion de l’eau et d’autres secteurs d’intervention des EPCI FP : aménagement du territoire, urbanisme, transport, tourisme, etc. Cette possibilité n’est cependant jamais acquise dans la mesure où, d’une part, une telle articulation demeure possible entre des politiques ne relevant pas des mêmes institutions et niveaux d’action publique, et où, d’autre part, le fait que ces différentes missions relèvent d’une même institution n’est réciproquement pas gage en soi de bonne articulation (fonctionnement en silos, conflits internes entre directions sectorielles, etc.).

55Trente ans après le vote de la loi sur l’eau de 1992, le cas montpelliérain illustre une certaine tendance à l’éloignement vis-à-vis de la norme de gestion par bassin-versant, qui constitue une vraie coupure dans la trajectoire historique des politiques de l’eau en France. Désormais, de manière beaucoup plus affirmée que par le passé, deux modèles de solidarité territoriale s’affrontent. Cette mise en tension des relations entre les EPCI FP et les syndicats de bassin s’observe également dans d’autres contextes géographiques, comme le bassin Seine-Normandie (Normand, 2018). Cette tendance pourrait avoir un certain nombre d’effets : études de connaissances absentes ou partielles à l’échelle des bassins-versants, préoccupations centrées sur l’amont ou sur l’aval, difficultés à mettre en place des actions communes parce que bénéficiant plutôt à un EPCI FP, risque de creusement d’inégalités urbain-rural par une concentration des efforts sur les zones urbaines les plus exposées aux risques… Une perte de proximité et de réactivité pourrait également se manifester avec le remplacement de structures syndicales légères par des structures plus lourdes, avec des mécanismes administratifs plus formels et de nombreuses priorités en dehors du domaine de l’eau. Enfin, une relégation des milieux aquatiques dans l’agenda politique et une hiérarchisation des enjeux plus favorable à la prévention des inondations pourraient avoir lieu.

56La réforme Gemapi se trouve fortement mise à l’épreuve dans l’aire montpelliéraine, qui fait figure de « cas limite » : territoire littoral urbanisé, de fleuves côtiers et de lagunes, sujet aux inondations, caractérisé par des relations intercollectivités traditionnellement conflictuelles, une gestion de l’eau fractionnée (aire urbaine éclatée en multiples intercommunalités, superposition de plusieurs syndicats de gestion de l’eau avant la Gemapi, petits établissements publics territoriaux de bassin) et des acteurs supralocaux (en particulier l’Agence de l’eau et le Département) historiquement très investis à l’appui d’une gestion par bassin-versant. Les artisans de la Gemapi n’avaient sans doute pas ce cas en tête lorsqu’ils ont imaginé la réforme. Cette particularité est intéressante puisqu’elle informe sur les limites de cette réforme, en amplifiant certains de ses effets ; dans la mesure où il rappelle également que si beaucoup de réformes sont pensées à partir de cas locaux, leurs contours réels ne se dessinent qu’au moment de la mise en œuvre opérationnelle, au contact de contextes géographiques, hydrologiques, socio-économiques, politiques et institutionnels spécifiques, qui contribuent à des appropriations diverses. In fine, l’hypothèse, en forme de paradoxe, que fait émerger le cas de Montpellier est que cette réforme apparaît plutôt défavorable aux syndicats et à l’échelle des bassins-versants dans les territoires où ces syndicats et cette échelle avaient été les plus valorisés et soutenus. En même temps, si la volonté de maîtriser politiquement une territorialisation de Gemapi impliquant leurs responsabilités juridiques et financières conduit les EPCI FP à vouloir assurer un leadership, il semble peu probable qu’ils puissent, et même veuillent, assumer ce rôle seuls. Un des enjeux réside dès lors dans la construction et la stabilisation de coopérations renouvelées entre ces différentes structures, à l’instauration d’une forme d’interterritorialité (Vanier, 2010) conduisant à envisager les limites entre territoires comme des membranes et comme l’enjeu même de ces coopérations plutôt que comme des frontières étanches.

57Il s’agit à présent de confronter le cas montpelliérain à d’autres expériences et trajectoires locales. Sur quels changements, quelles permanences, quelles tensions, quels compromis la mise en œuvre locale de la Gemapi a-t-elle débouché ? Comment expliquer les choix réalisés par les acteurs en présence ? Quels sont les effets politiques de ces processus, les principaux gagnants et perdants de la réforme ? Dans quelles directions les appropriations locales de la Gemapi orientent-elles la gestion de l’eau ? Voici le type de questions qu’une comparaison permettrait utilement d’éclairer.