1Romans-sur-Misère. Tel est le sobriquet donné à ce territoire par ses habitants, à la suite des difficultés économiques liées à l’effondrement du modèle de développement historiquement construit autour d’une croissance de l’activité et de l’emploi, fondée sur une mono-industrie, celle du cuir et de la chaussure (Pau (dir.), 2016 ; Chevalier, 2016 ; Jeune Chambre économique de Romans et Bourg-de-Péage, 2014 ; Gros-Balthazard, 2018a). Face au déclin économique, le renouveau du territoire s’est organisé à partir des années 1990 de manière originale, autour de deux projets, l’un porteur de valeurs économiques dominantes (liées aux enjeux d’attractivité économique), l’autre plutôt tourné vers des valeurs plurielles que l’on peut rattacher à diverses caractéristiques que nous expliciterons : des valeurs liées à l’économie sociale et solidaire (ESS), à l’emploi, mais aussi à l’entrepreneuriat et à la coopération (Chevalier, 2016 ; Gros-Balthazard, 2018a ; Fompérie, 2020 ; Martinez, 2021).
2La coexistence de deux projets territoriaux interroge sur leurs éléments constitutifs et leur compatibilité. Un des enjeux de notre travail, au-delà de la mise en lumière de ces projets, est de comprendre leur dynamique de construction et de diffusion. Nous proposons ainsi une double clé de lecture comparative de ces projets par des caractéristiques économiques d’une part (projets territoriaux), que nous mettrons en balance d’autre part avec les représentations associées (les régimes conventionnels territoriaux). Nous montrerons que ces deux projets portent une vision spécifique du développement territorial et sont fondés sur une interprétation contrastée du projet territorial historique autour du cuir et de la chaussure. Après avoir présenté les fondements théoriques et méthodologiques du travail, le projet historique de Romans sera étudié. Il sera ensuite comparé avec les deux projets contemporains dont les ressorts seront analysés du point de vue de leur contenu structurel et des représentations qu’ils portent.
3Ce travail s’inscrit dans une perspective institutionnaliste qui s’appuie à la fois sur les fondamentaux méthodologiques et théoriques des démarches institutionnalistes, notamment françaises (tenir compte de l’histoire, reconstruire des faits stylisés, partir des enjeux et des conflits productifs) (Boyer et Saillard, 1995 ; Labrousse et al., 2017), tout en cherchant à prendre en compte la spécificité des dimensions méso-économiques, c’est-à-dire ici du territoire concret (Lamarche et al. , 2021), par un appui sur l’analyse des acteurs et des projets de développement (Angeon et al.., 2006 ; Maillefert et Robert, 2017). Les enjeux de transition et de durabilité, même s’ils ne sont pas explicitement nommés comme tels, s’inscrivent comme des variables majeures pour la qualification, notamment ex post, du projet de développement à l’échelle du territoire analysé, en l’occurrence le territoire romanais.
- 1 La durabilité est un processus conditionné par des intentions explicites, des actions collectives (...)
4En complément des démarches historiques et holistes qui permettent de reconstruire des récits sur l’histoire des territoires (Labrousse et al., 2017), nous cherchons à comprendre pour le présent, les logiques d’acteurs et leurs modes d’action à l’échelle territoriale (Maillefert et Schalchli, 2010). Nous prenons comme point de départ la définition du territoire proposée par Laganier et al. (2002). Trois dimensions structurantes sont mises en avant : l’identité, l’organisation et la matérialité. Le développement territorial peut alors se définir par l’articulation entre des projets (des intentions), des actions collectives, et des coordinations entre des acteurs (Maillefert et Schalchli, 2010 ; Brullot et al.., 2014 ; Maillefert et Robert, 2020). Le moteur du développement est l’adhésion à un projet collectif conduit par un ou des acteurs clés (Brullot et al., 2014). La durabilité du développement est conditionnée par la posture des acteurs en matière de lien à l’environnement, au social et à l’économique. Une approche socio-systémique (intégrant ces différentes sphères à l’échelle des territoires) est une condition nécessaire (mais non suffisante) de durabilité (Maillefert et Robert, 2017)1. Ce travail n’aborde pas frontalement cet enjeu, mais se situe en amont, du côté de la comparaison de projets de développement à une échelle territoriale.
5Le développement est considéré comme un résultat qu’il convient de comprendre et de caractériser. Il s’appuie sur l’articulation, à différentes échelles, de projets d’acteurs, notamment productifs, mais aussi non productifs (les habitants, les collectivités, les associations, etc.). Ce sont ces projets qui sont interrogés.
6La prise en compte du territoire par les approches institutionnalistes peut se lire dans deux dimensions : celle des ressources (Pecqueur, 2005 ; Colletis et Pecqueur, 2005) dans le champ de la valeur, et celle de la gouvernance dans le champ des usages (Torre et Beuret, 2012). Ces approches, qu’on peut qualifier de productives ou territoriales du développement, se sont construites parallèlement, proposant des regards spécifiques sur ce que les économistes appellent les « enjeux de coordination », thème particulièrement travaillé par l’école conventionnaliste française (Eymard-Duvernay et al., 2006) que nous mobiliserons par la suite.
7Ces deux points de vue peuvent être rapprochés en mobilisant un des résultats majeurs des approches servicielles récentes de l’économie : la coconstruction de la valeur (Gadrey, 2003), hypothèse qui nous paraît pertinente à l’échelle territoriale (Talandier, 2020), dans le domaine qui nous intéresse ici. De plus, si la valeur est coconstruite à partir des usages (et non de la production), l’évaluation, ou « le jugement sur ce qui vaut » devient un élément endogène du système territorial : la construction de valeur va s’appuyer sur l’identité, l’organisation et la matérialité. La valeur doit être considérée comme une construction sociale qui repose sur les représentations des acteurs. Celles-ci fondent la légitimité de ces valeurs (Boltanski et Thévenot, 1991 ; Orléan, 2011). Il est donc nécessaire de comprendre ces représentations (à travers leur construction historique), leur inscription dans des figures légitimes, et l’évolution de ces figures.
8L’objectif plus lointain d’un tel travail, en complément des travaux d’économie territoriale déjà existants, est de comprendre ce qui fait valeur à l’échelle territoriale, et les voies de légitimation de ces valeurs (ascendantes ou descendantes) (Maillefert et Robert, 2017). Ce travail se centre sur une étape, en interrogeant la manière dont ces valeurs se sédimentent et se diffusent à travers des dispositifs conventionnels territoriaux.
9Si la littérature sur la dimension productive des conventions est plutôt abondante (Eymard-Duvernay et al., 2006 ; Favereau, 1986), leur dimension territoriale reste peu analysée. Salais (1989) et Salais et Storper (1993), à l’interface de la géographie et de l’économie, ont ouvert la voie, en identifiant des formes de passage entre entreprise et territoire à partir de trois types de conventions : de productivité (régulation de l’effort), de qualité (régulation de la qualité attendue par les consommateurs) et de chômage (régulation de l’incertitude de la demande). Hollard (2014), faisant un pas de côté, propose de construire la notion de « coordination territoriale » autour de trois dimensions : un principe de justification, l’analyse des liens entre les activités économiques, et l’existence d’institutions intermédiaires permettant de faire le lien entre les différents univers conventionnels. Il ajoute donc les dimensions de réseau et d’intermédiation. De son côté, Buclet (2011) est un des rares auteurs à aborder, dans une vision holiste, la dimension territorialisée de la convention. Il propose ainsi, à partir des modalités polanyiennes de l’échange (marché, redistribution et réciprocité) de définir un régime conventionnel comme « un moment dans le temps et l’espace pendant lequel une communauté humaine donnée se conforme à un certain nombre de principes qui orientent les comportements des individus inscrits dans cette communauté » (Buclet, 2011 : 914). Ce régime conventionnel va dépendre de principes d’action individuels (conciliant liberté et contrainte, intérêt et aimance) et collectif (principes de coordination proximistes). La stabilité du régime conventionnel provient de l’étendue de la conformité à la convention (selon les principes lewisiens) et du confort qu’elle procure aux acteurs qui la suivent, en fournissant des repères pour l’action. La définition de N. Buclet nous servira de point de départ pour discuter de cet enjeu de convention territoriale.
10Le travail qui va suivre interroge les dispositifs sociaux et territoriaux (notamment les éléments liés à la communication et aux imaginaires) susceptibles de participer à la diffusion de valeurs pouvant mener à la concrétisation (diffusion) d’un régime conventionnel territorial auquel s’ajouteraient des modalités de qualification de la durabilité.
- 2 Projet Mobex financé par l’Ademe, piloté par EVS UMR 5600 en partenariat avec le laboratoire Atemi (...)
11Ce travail s’inscrit dans un projet de recherche2 qui vise à analyser les nouveaux modèles économiques associés à l’économie de la fonctionnalité. Nous présentons ici des résultats issus du diagnostic territorial et de l’analyse historique du territoire.
12Le matériau empirique comprend plusieurs corpus associés à trois temps de la recherche.
13Un premier travail historique a été réalisé entre 2019 et 2020. L’objectif était de recueillir des informations sur la représentation du développement économique à Romans par les acteurs et d’analyser le territoire pour comprendre la dynamique de redéveloppement autour des initiatives pilotées par la municipalité et l’association Archer. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès d’acteurs impliqués dans la dimension économique du développement et des politiques publiques associées à ces opérations (voir le détail en annexe).
14Ces entretiens ont été complétés par un questionnaire diffusé sur les réseaux sociaux liés à la ville de Romans-sur-Isère entre février et mai 2020. Ce questionnaire interroge la diffusion des valeurs du développement durable auprès de la population romanaise, et de ses voies de diffusion. Il a permis de recueillir les réponses complètes de 58 personnes, appartenant essentiellement à une population jeune (voir annexe). Malgré sa faible représentativité, la réponse aux questions ouvertes fournit des informations qualitatives utiles pour la recherche.
15Une seconde vague d’entretiens semi-directifs a été réalisée aux printemps 2021 et 2022. Ils avaient comme objectif d’interroger les imaginaires d’habitants et de salariés à partir d’une analyse de discours basé sur des récits de vie. Ces récits, complétés par une série de questions sur les représentations territoriales, nous ont permis de tester la pertinence de nos hypothèses de différents régimes conventionnels territoriaux cohabitant sur le territoire, et leur ancrage dans les socio-systèmes associés. Des salariés de l’association Arcoop (dont on expliquera l’action par la suite) et de Marques Avenue ont été interrogés sur leurs usages du territoire pour identifier leurs représentations de la valeur et du développement durable. Ces entretiens ont été complétés par des entretiens de personnes-ressources habitant Romans-sur-Isère (voir annexe).
16L’ensemble de ces éléments, associés à une revue bibliographique historique, ont permis de construire les faits stylisés présentés ci-dessous.
17Le territoire de Romans-sur-Isère a tout d’abord connu un développement considéré comme économiquement réussi, fondé sur une filière mono-industrielle, autour du cuir et de la chaussure. Une période de croissance euphorique a suivi la période post deuxième guerre mondiale, pour se terminer par une longue période de déclin à partir des années 1970, qui clôt ce « grand siècle de la chaussure » (Pau (dir.), 2016).
18Nous proposons de reconstruire dans un premier temps cette histoire territoriale, puis d’expliciter les deux visions qui émergent à partir des années 1990.
- 3 L’histoire de l’industrie s’est appuyée sur différentes sources dont les données publiques du musé (...)
19L’industrie romanaise se construit autour de la draperie dès le xve siècle3. La ville jouit rapidement d’une grande réputation. Il s’y construit dans le même temps des maisons de lavage et de séchage des peaux ainsi que des cordonneries, alimentées en cuir par les éleveurs bovins du Vercors et ovins du Diois. Le xviie siècle voit le secteur de la soie prendre de l’importance jusqu’à ce qu’en 1773 soit installée une manufacture royale de la soie (Perret, 2015). En 1850, une crise entraîne la fin de la production et du négoce de draps. Une reconversion autour des activités de la chaussure s’appuie sur des innovations techniques, comme la semelle cloutée inventée en 1854 par François Barthélémy Guillhaume (Perret, 2015). En 1864, la ville voit l’arrivée du chemin de fer, puis en 1894, l’ouverture de l’École pratique de commerce et d’industrie. À cette période, la production de chaussures est l’œuvre de petits ateliers domestiques, situés en milieu rural (Gros-Balthazard, 2018a), fabriquant essentiellement des galoches et des chaussures cloutées.
20La grande industrie s’installe suite à une demande liée aux besoins militaires, notamment pendant la première guerre mondiale. L’intensification de la production favorise la concentration de l’activité dans des manufactures plus grandes. Celles-ci entraînent en parallèle la fermeture de bon nombre de petits ateliers. Cette dynamique se voit renforcée par la crise de 1929 (Perret, 2015).
21C’est à cette période qu’émergent les grands industriels de la ville : Joseph Fenestrier, Charles Jourdan, Adolph Carraz et les frères Attuyer fondent des entreprises florissantes. Grâce notamment à de nouvelles innovations techniques comme le soudé ou la vulcanisation, des marques deviennent emblématiques (ex. : Kélian avec son modèle de chaussures tressées, ou Jourdan avec les escarpins déclinés dans des palettes de couleurs attractives). Les entreprises exportent leurs modèles, ce qui les place en tête du secteur à l’échelle mondiale au début de la décennie 1970. À l’échelle nationale, une clientèle parisienne fait régulièrement le déplacement pour son approvisionnement en chaussures de luxe accessibles à prix moins élevé qu’en boutique à Paris.
« J’ai accompagné Made In Romans au Salon du Made In France pendant cinq années, et alors moi j’ai toujours été épatée de rencontrer des gens, alors en général des gens d’un certain âge, plutôt entre 50 et 75 ans, qui expliquent que quand ils étaient plus jeunes ils s’arrêtaient sur l’autoroute du sud pour aller à Romans acheter une paire de chaussures. Quand on leur parle des trois grands noms, Jourdan, Kélian, Clergerie, c’est vraiment très connu à Paris » (extrait entretien 7).
22Des difficultés se manifestent dès les années 1960, et initient des vagues de délocalisation jusqu’au déclin total en 2000 avec les fermetures de Jourdan et Kélian (Gros-Balthazard, 2018b). La seule industrie qui subsiste à l’aube des années 2000 est la maroquinerie de luxe portée par Hermès et LVMH, qui sous-traitent toujours aux Tanneries Roux, situées à Romans, en réemployant les ouvriers de la chaussure.
23La liquidation judiciaire, en 2007, de l’entreprise Jourdan signe la fin définitive de ce qui a été le district industriel de Romans-sur-Isère. Il n’y a plus que 200 employés de la chaussure sur le bassin de population, principalement concentrés dans l’entreprise Clergerie (elle-même rachetée par un fonds d’investissement) qui fabrique ses chaussures depuis 1981 à Romans.
24Au-delà des questions économiques stricto sensu, l’histoire industrielle a fortement marqué la morphologie du territoire, notamment par l’omniprésence des manufactures ou des rues dédiées aux magasins de chaussures comme la Côte Jaquemart. Cette présence de la chaussure à Romans-sur-Isère a été renforcée dans les années 1970-1980 par le succès international des principales marques locales, faisant la fierté des habitants (pour beaucoup également travailleurs du secteur). Les témoignages des acteurs de l’époque, ainsi que ceux des habitants actuels que nous avons pu recueillir, montrent qu’une véritable identité de territoire, sociale (Fourny, 2008) et spatiale (Lévy et Lussault, 2013) s’est formée à travers la participation de la population à cette industrie, qui fait qu’encore aujourd’hui Romans-sur-Isère est associée à la chaussure.
25La construction de cette identité territoriale à Romans se fonde sur des imaginaires collectifs (Grassi, 2005) entretenus par la dynamique économique présente sur le territoire, l’ensemble des discours (politiques et médiatiques) et de l’iconographie qui lui est associée (publicité, affichage public, urbanisme, etc.). Ce modèle territorial historique prend une dimension concrète à travers diverses représentations spatiales (Lussault, 1998).
26Ces représentations, vues comme des « systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres [qui] orientent et organisent les conduites et les communications sociales » (Jodelet, 1989 : 8) se manifestent à travers un discours d’attachement au modèle historique de la chaussure valorisant les chaussures fabriquées sur le territoire. Ce modèle correspond à l’âge d’or de la production de chaussures à Romans, que l’on situera des années 1960 à la fin des années 1980. Période durant laquelle le déclin s’amorça, mais qui vit le rayonnement international des marques romanaises à son apogée. Les savoir-faire mobilisés sur place sont valorisés, la fabrication romanaise est reconnue comme gage de qualité et de luxe permettant l’exportation. Consommer ces marques, c’est participer à la grandeur de la ville. Mais c’est également soutenir une activité qui fait vivre les habitants, ses amis, sa famille…
27Les propos suivants expriment un sentiment de fierté autour de l’activité de la chaussure. Ils montrent l’identification de l’enquêtée à l’activité de vente et sa reconnaissance nationale.
« Avant, c’était vraiment la clientèle shopping, les femmes, les commerciaux. Des gens assez riches et qui venaient vraiment pour les magasins d’usine. Une clientèle d’habitués de magasins d’usine.
Qui venaient de loin ?
De Paris. Nous on avait des femmes qui venaient exprès. Pourtant y’a du choix à Paris, mais non, Romans c’était la chaussure, donc on faisait l’effort de descendre de Paris pour faire les magasins de chaussures » (extrait entretien 23).
28Du point de vue de la production, il fait peu de doute que l’industrie de la chaussure, comme système productif local a opéré de la même manière en fédérant les acteurs autour de codes de production et d’un ensemble de savoir-faire, partagés par des ouvriers très mobiles d’un fabricant à l’autre (Perret et Gagnon, 2016 ; Gros-Balthazard, 2018b).
29Au total, salariés et producteurs, consommateurs et habitants semblent partager des représentations communes associées au modèle de développement autour de la chaussure. Ces représentations s’articulent autour de trois dimensions, la qualité romanaise, la vente à l’extérieur de la ville, et la solidarité territoriale que nous développerons par la suite.
30Notre hypothèse est que, à l’échelle territoriale, ces représentations communes sont structurées autour de dispositifs particuliers, des conventions, qui en organisent les différentes dimensions (Casteigts, 2003). À l’image du rôle joué par le « point focal » dans les organisations, le projet de territoire, commun aux différents acteurs du territoire, les fédère autour de l’élaboration de règles communes tacites qui permettent de consolider le collectif : ce projet joue le rôle d’un point focal au sens conventionnaliste du terme.
- 4 R. Salais propose une double convention, de qualité qui garantit l’incertitude « interne » entre l (...)
31Notre travail montre ainsi que, à Romans-sur-Isère, durant la période d’après-guerre et jusqu’à la crise économique de la chaussure romanaise, les différents fabricants ont organisé un système productif local structuré par des conventions constitutives d’un « régime industriel ». Nous identifions, à la suite des travaux de Salais et Storper (1993), et de Salais (1989), trois types de conventions4 :
- une convention de qualité relative à la qualité des produits. Les industriels romanais revendiquent une qualité supérieure aux produits réalisés localement. La qualité repose sur des éléments matériels comme les cuirs ou les différents éléments qui composent la chaussure. Elle s’incarne donc dans la chaussure en elle-même, élément central de la culture romanaise. Se tissent également des relations de proximité (organisationnelles et institutionnelles) entre les fabricants qui sont liées à la reconnaissance de savoir-faire locaux (par exemple autour du travail du cuir). Les acteurs leur accordent une grandeur, ou une valeur, supérieure à ce qui est réalisé à l’extérieur du territoire ;
- une convention de solidarité qui reconnaît des formes de solidarité, ou d’implication sociale des fabricants romanais. En employant une grande partie des travailleurs de la ville, l’industrie de la chaussure est reconnue et se reconnaît comme étant l’acteur qui fait vivre ses habitants, et permet qu’un ensemble de services et de prestations sociales, portés par des réseaux ouvriers, se développent. La grandeur est alors associée aux entreprises qui emploient beaucoup d’ouvriers et font ainsi vivre la ville. Cette convention est rattachée à une particularité historique de cette industrie : il n’était pas rare au xixe siècle que des ouvriers issus des fabriques créent leur propre entreprise. Le monde ouvrier et le monde patronal ont ainsi tissé des liens relationnels particuliers (Bouchardeau, 2006) ;
- une convention de vente. Cette troisième convention se réfère à la vente des chaussures romanaises et son caractère international. La grandeur est associée à la réussite nationale et internationale de cette industrie, qui met la ville et ses savoir-faire en valeur.
32Ces trois conventions recoupent les marqueurs sociaux qui ont été précédemment définis comme étant caractéristiques de l’identité territoriale romanaise. La part des habitants travaillant dans la chaussure ainsi que l’omniprésence symbolique de la chaussure dans la ville expliquent sans doute que les conventions issues de l’industrie se soient diffusées à la population, formant ainsi un régime conventionnel territorial industriel qui valorise les activités liées au travail du cuir et de la chaussure. Ce que l’on nomme ici Régime conventionnel territorial est un ensemble articulé de conventions propre à un espace, un lieu, un territoire et à ses habitants (ou à une partie significative de ces derniers). La disparition de cette industrie à Romans au cours des années 1990-2000 n’a pas dissipé les représentations valorisantes portées par ce régime industriel. Au contraire, à partir des années 1990, deux actions conjointes de remédiation portées par la mairie et par l’association Archer se sont appuyées sur certains éléments de ce régime conventionnel en les réinterprétant, pour tenter, chacune à sa manière, de redynamiser le système productif territorial.
- 5 Pau (2016) montre des éléments de diversification de l’industrie et la montée des emplois tertiair (...)
33Face au déclin industriel, le territoire suscite deux types de projets5, qui peuvent être rattachés au régime industriel ancien. Ces deux projets portent une vision complémentaire du développement, fondée sur un socle commun, l’entrepreneuriat et le patrimoine.
34Le premier projet, porté par l’équipe municipale, se manifeste par la recherche de nouveaux investissements industriels et commerciaux hors du territoire. Ceci se matérialise notamment par l’implantation d’un centre commercial spécialisé dans le déstockage, Marques Avenue, ouvert en 1999 et installé en centre-ville6. Cette activité commerciale de reconversion (Gros-Balthazard, 2018a ; Gros-Balthazard et Talandier, 2020), d’abord vue comme ambivalente, semble aujourd’hui intégrée dans le territoire.
« Quand Marques Avenue s’est installé, beaucoup ont cru que ça allait être un regroupement de magasins de chaussures […]. Et puis au bout de quelques années les restaurateurs, vu que c’est de la restauration rapide, se sont rendu compte que ça ne leur enlevait pas du monde, au contraire, et qu’effectivement, les chausseurs là-bas ce n’est pas des Romanais, donc les gens viennent toujours nous demander où les trouver, et Clergerie ils sont toujours là… » (extrait entretien 23).
- 7 Dans le cadre de ce contrat de site, l’État a contribué pour 27 millions d’euros à partir de 2006 (...)
35Ce projet active principalement la convention de vente et la convention de qualité. L’appui sur les ressources du territoire se centre sur la valorisation d’actifs anciennement supports du modèle économique (ici la chaussure) qui sont patrimonialisés dans une vision ressourcielle et économique (Barthélémy et al., 2004 ; Serra, 2018 ; Landel et Sénil, 2009). La gouvernance et la mise en œuvre des actions, bien que s’adaptant au territoire, sont descendantes. Le financement repose sur des programmes nationaux de grande envergure, comme celui obtenu dans le cadre des contrats de site dont a bénéficié Romans-sur-Isère en 20067.
36La seconde initiative s’appuie sur l’économie sociale et solidaire (ESS) autour d’un ensemble d’actions destinées dans un premier temps à aider au reclassement des chômeurs longue durée, puis qui prennent une ampleur plus large à l’échelle du territoire. Une association (l’association Archer)8, spécialisée dans la recherche de partenariats territoriaux et le développement de l’activité économique d’insertion, est fondée en 1987. Très vite, elle élargit son champ d’action dans le but de faciliter la création d’entreprises plutôt que la réinsertion, et multiplie la création de structures associées, y compris dans le domaine entrepreneurial marchand9.
37Le projet Archer devient progressivement dominant pour le territoire en s’intégrant dans des échelles plus larges, comme un PTCE (pôle territorial de coopération économique), label obtenu en 2014 (Perret et Gagnon, 2018).
38Forte de ce succès, l’association Archer se lance dès 2018 dans une autre échelle de labellisation rattachée à un appel à projets national dit « territoire d’innovation de grande ambition » (Tiga), qui promet une manne financière potentielle de 22 millions d’euros. L’équipe romanaise initiale, renforcée par la communauté de communes de Valence-Romans, se fédère autour de la dénomination de « start-up de territoire10 ». Apparaît à ce moment un nouveau discours fédérateur autour du développement durable, dans une version qui privilégie le regard entrepreneurial : les « entreprises de territoires » labellisées dans le projet doivent s’inscrire dans des projets productifs dont les qualités en matière de développement territorial durable sont « avérées » : responsabilité environnementale, engagement social, ancrage territorial (Gros-Balthazard et Talandier, 2020). Grâce aux fonds et aux supports (aussi bien techniques d’aide à la création et la gestion d’entreprise, que logistiques, avec une mutualisation des outils de travail au sein de la cité de la chaussure), apportés par ces labellisations et les structures qui les accompagnent, plusieurs nouvelles entreprises de chaussures romanaises voient le jour. Certes, la taille de ces dernières reste limitée, mais une vraie dynamique autour du textile et de la chaussure, dont la fabrication est de nouveau réalisée à Romans, se développe.
39La figure 1 propose une représentation des acteurs et des deux projets de développement récemment promus à Romans-sur-Isère.
Figure 1. Acteurs et projets de développement à Romans-sur-Isère
Source : auteurs
40Ces projets présentent chacun des continuités et des ruptures avec le projet historique. Une comparaison est proposée dans le tableau 1. Au-delà de caractéristiques classiques sur les objectifs du développement, les deux projets contemporains permettent d’identifier des visions différentes du territoire et de son futur. Le projet municipal est davantage fondé sur des valeurs associées au modèle économique conventionnel (attractivité, création de richesse par les entreprises ou attractivité touristique), alors que le projet porté par l’association Archer vise, dans son essence, à promouvoir des initiatives ancrées localement, non totalement marchandes (la viabilité étant considérée comme une condition de survie et non un but) (Chevalier, 2016). La dimension de durabilité reste cependant assez faiblement affichée : elle s’exprime à travers des initiatives promouvant la fabrication locale (association Romans cuir) ou la relocalisation de l’alimentation (conserverie mobile). Les deux porteurs de projets sont d’ailleurs associés à la réalisation d’initiatives à l’échelle du projet Tiga, dans le cadre, par exemple, des soirées d’idéation dans lesquelles sont présentés des projets entrepreneuriaux candidats au soutien des fonds Tiga.
Tableau 1. Comparaison du projet historique de développement et des deux projets récents de développement à Romans-sur-Isère
|
Projet de développement historique de la chaussure à Romans-sur-Isère |
Projet porté par la municipalité de Romans-sur-Isère |
Projet porté par l’association Archer |
| Objectif général du projet de développement |
Développement économique au sens traditionnel, mais appuyé sur les ressources patrimoniales autour de l’industrie du cuir et de la chaussure du territoire. |
Développement économique au sens traditionnel axé sur les enjeux territoriaux (redéveloppement, renouvellement urbain chômage).
Appui sur des filières jugées attractives liées à des compétences territoriales. |
Développement territorial appuyé sur des ressources patrimonialisées (savoir-faire, liens sociaux) du territoire. Ouverture aux enjeux environnementaux. |
| Représentation des moteurs du développement territorial |
Les entreprises tirent le développement territorial dans une logique de vente aux échelles nationale et internationale et de création de richesse monétaire. |
Les entreprises tirent le développement territorial dans une logique d’attractivité et de création de richesse monétaire. |
La dynamique entrepreneuriale s’hybride autour d’initiatives portées par des populations exclues comme les chômeurs, puis les habitants qui deviennent des « entrepreneurs de territoire » dans une logique de valorisation patrimoniale locale. |
| Formes de coordination dominante |
Plutôt marchande. Logique d’attractivité concurrentielle avec construction de coopérations organisationnelles (coopétition). |
Plutôt marchande. Logique d’attractivité concurrentielle avec construction de coopérations organisationnelles (coopétition). |
Plutôt non marchande. Logique de coopération et d’essaimage. Mise en commun des outils, espaces de travail, etc. |
| Vision du territoire |
Espace productif, le territoire est tourné entièrement vers la fabrication de chaussures. |
Espace d’accueil d’initiatives économiques qui vont se diffuser et relancer le modèle productif, en l’élargissant au tourisme.
Patrimonialisation et rénovation du centre-ville autour de commerces. |
Espace d’émergence de pratiques innovantes de type plutôt coopératif. Appui sur les discours ou attentes de territorialisation.
Patrimonialisation et revitalisation des savoir-faire autour du secteur du cuir et de la chaussure. |
| Vision des leviers de la transition |
Maintien du modèle productif. |
Des projets entrepreneuriaux ayant réussi à se distinguer qui tirent le développement. |
Un ensemble de projets collectifs appuyés sur des ressources patrimonialisées qui vont relancer une dynamique locale. |
| Forme de valeur |
Valeur marchande et monétaire. Entraide associative ouvrière. |
Valeur marchande et monétaire. Unification des actions autour d’un discours entrepreneurial. |
Valeur territoriale, hybride (marchand/non marchand), compatible avec des initiatives entrepreneuriales. |
Source : auteurs
41Les deux projets contemporains sont issus de l’histoire économique et sociale du territoire, et de ce point de vue s’appuient sur un régime conventionnel identique, qu’on peut nommer « régime conventionnel historique », qui est patrimonialisé et mobilisé comme une ressource par chaque projet (Landel et Senil, 2009). Néanmoins, l’appropriation ressourcielle n’est pas identique dans les deux cas, en ce qu’elle est adaptée aux projets et aux modèles de développement souhaités. Nous allons maintenant interpréter ces projets du point de vue des conventions mobilisées.
42Commençons par le projet porté par la mairie. Comme nous l’avons vu, il repose sur un modèle dit conventionnel de développement, y compris sur la dimension urbaine. Des signes le montrent : implantation du centre commercial Marques Avenue, promotion touristique de la chaussure dans un registre de marketing territorial, rénovation et gentrification du centre-ville ancien. La chaussure est un support d’image pour le territoire comme le montre la dissémination dans la ville de chaussures emblématiques de la tradition industrielle locale (figure 2).
Figure 2. Chaussure monumentale devant l’entrée de Marques Avenue (en arrière-plan)
Source : auteurs
43Ce projet joue ainsi la carte patrimoniale dans un registre marketing. Le régime conventionnel territorial est invoqué et évoqué partout : outre ces chaussures monumentales disséminées à travers la ville (figure 2), on trouve un musée de la Chaussure modernisé. Dans le centre ancien rénové, des boutiques de produits artisanaux, dont certaines autour du cuir, ont ouvert. Mais les boutiques peinent à se maintenir. Par contraste, le centre Marques avenue, central dans ce projet, ne propose pas principalement à la vente des chaussures de marque romanaise (Clergerie y a ouvert très récemment une boutique), présentes dans la cité de la chaussure, mais une abondance d’enseignes multinationales que l’on retrouve dans n’importe quel lieu commercial urbain ou périurbain standardisé.
44Ces éléments montrent la façon dont ce projet s’approprie le régime conventionnel territorial historique, et l’hybride avec ses valeurs. Si la chaussure est invoquée comme marqueur intemporel du territoire romanais, c’est principalement à travers la convention de vente qui perdure dans le modèle de développement que propose ce projet. La recherche d’investisseurs internationaux, le prestige qu’apporterait leur arrivée sur le territoire, à l’image de Marques Avenue qui se vante d’accueillir les plus grandes marques, visent un rayonnement à l’international. La ville veut attirer les touristes dans son centre outlet, comme le faisaient à l’époque les magasins d’usine des chausseurs romanais.
45De fait, la convention de qualité, qui accordait l’importance aux productions locales, prend une place plus effacée. Contrairement à ce que peut laisser penser la communication appuyée sur « Romans, capitale mondiale de la chaussure de luxe », la production textile et de chaussures par des acteurs locaux n’a pas une place centrale dans le projet. On attire des industriels venus d’ailleurs.
« La mairie soutient un certain modèle économique et ne soutient pas forcément le modèle basé sur les start-up et les dynamiques de coopération. La mairie soutient le modèle économique d’une mise en capital et retour sur investissement. Et c’est un modèle économique de droite, alors que le modèle économique basé sur la coopération avec de la levée en capital basée sur la coopération, ce n’est pas la même chose » (extrait entretien 26).
46L’interprétation de la convention de solidarité est nuancée. Certes, ce projet apporte une manne financière et des emplois sur le territoire. Mais il s’appuie peu sur les réseaux de solidarité historiquement constitués, et procure peu d’occasions d’emploi ou de mobilisation des compétences aux anciens ouvriers de la chaussure. À l’échelle de la ville, les clivages socio-spatiaux perdurent. Par exemple, le quartier de la monnaie, cité HLM construite pour accueillir les ouvriers de la chaussure, reste aujourd’hui le quartier le plus pauvre de la ville en marge des rénovations urbaines. Il affiche un taux de chômage de 17,7 % et un revenu moyen de 6 486 euros par an et par habitant (moyenne nationale : 20 590 euros)11.
47L’approche du chômage et de son traitement différencie clairement les deux projets. À l’origine, association de réinsertion sociale, Archer construit son action dans l’objectif de créer de l’emploi. La chaussure est à la fois un moyen pour y parvenir, mais aussi un levier de mobilisation des acteurs. Elle sert de point focal (intermédiaire) pour médiatiser le projet et créer une dynamique de relance. De ce fait, la mobilisation du régime conventionnel territorial historique de Romans repose dans ce cas sur le développement de partenariats entre une grande diversité d’acteurs locaux (proximité relationnelle), institutionnels, productifs, associatifs fondés sur la confiance et la coopération (Beaurain et De Rocher Chembessi, 2019 ; Vuidel et Du Tertre, 2020). La convention de vente est également modifiée au profit de débouchés dans des magasins de proximité (cité de la chaussure) ou de villes proches (Valence). S’ajoutent ainsi à nos trois conventions deux autres dimensions (la proximité), et dans une moindre mesure la durabilité (dont les formes sont émergentes) qui se rapprochent de ce que Casteigts (2003) identifie comme des « conventions constitutives de la territorialité ».
48Nos entretiens auprès des différents producteurs de chaussures, ainsi que d’acteurs au sein du « sociosystème » Archer montrent que ces quatre conventions (proximité, solidarité, qualité et durabilité) y sont présentes, à différents degrés. La primauté est donnée aux productions locales, l’insertion sociale est au cœur du projet et les acteurs s’attachent à employer les demandeurs d’emploi en réinsertion. Une forte coopération se construit entre ces acteurs, tant dans les processus de production, par le partage d’ateliers et d’espaces de vente, que par une réflexion globale sur le projet territorial et le sens du bien commun qui s’y rattache. La convention de qualité, qui reconnaît la grandeur des savoir-faire territoriaux, se maintient. La dernière convention identifiée par M. Casteigts, soit la convention de durabilité peut être considérée comme émergente, sous une forme particulière, celle de la patrimonialisation des savoir-faire locaux et la relocalisation de certains flux comme l’alimentation ou les filières autour du cuir.
49Cette convention de durabilité distingue les deux projets. Dans le cas du projet porté par la mairie, la mobilisation patrimoniale est orientée vers la création de valeur économique, en développant un imaginaire principalement tourné vers la valeur commerciale de la chaussure et sa mise en marché, dans une logique de « panier de biens » (Pecqueur, 2001). Concernant l’autre projet, les éléments patrimoniaux mobilisés par Archer sont considérés comme un ensemble d’éléments fondateurs de la vie du groupe et indispensables à sa perpétuation. Ce sont des éléments qu’il faut maintenir et développer dans le long terme (Vivien, 2009). Le projet porté par la mairie n’emprunte qu’une face de l’identité territoriale romanaise, le prestige associé à la chaussure de luxe, sans assumer ses conséquences sociales. Archer souhaite s’occuper directement des stigmates laissés par la crise, en cherchant à requalifier les chômeurs dans diverses branches d’activité, en redéveloppant la chaussure, sous une autre forme. La durabilité s’exprime principalement à travers cette volonté de préserver, de transmettre et de réactiver un patrimoine territorial.
50L’initiative menée autour d’Archer se réapproprie donc le régime conventionnel territorial ancien et l’hybride avec des valeurs propres à l’ESS, et à la durabilité. Ce régime conventionnel, partagé par les acteurs économiques de ce réseau, peut alors se diffuser dans la population.
51Le tableau 2 compare les cinq éléments conventionnels constitutifs des projets romanais.
Tableau 2. Les conventions en vigueur dans chacun des projets de développement romanais
|
Projet de développement historique de la chaussure à Romans-sur-Isère |
Projet porté par la municipalité de Romans-sur-Isère |
Projet porté par l’association Archer |
| Convention de proximité |
La grandeur est associée au fait d’appartenir à la même communauté territoriale. |
N’existe pas comme vision communautaire, mais comme élément de coordination |
La grandeur est associée au fait d’appartenir à la même communauté territoriale. |
| Convention de qualité |
La grandeur est associée aux savoir-faire locaux et donc à la qualité de la fabrication romanaise. |
La grandeur est associée aux produits issus de grandes marques internationales, portant des signes de prestige social. |
La grandeur est associée aux savoir-faire locaux et identifie la qualité à la fabrication romanaise et à la perpétuation de ces savoir-faire locaux. |
| Convention de solidarité |
La grandeur est associée aux entreprises qui emploient beaucoup de main-d’œuvre ouvrière et font vivre la ville. |
La grandeur est associée aux entreprises qui créent des richesses monétaires et de l’emploi sur le territoire. |
La grandeur est associée à la capacité de permettre la réinsertion des populations exclues comme les chômeurs. |
| Convention de vente |
La grandeur est associée à la réussite nationale et internationale, qui met la ville et ses savoir-faire en valeur. |
La grandeur est associée au fait de vendre localement des produits fabriqués ailleurs (marques internationales). |
La grandeur est associée au fait de vendre localement des productions locales. |
| Convention de durabilité |
N’est pas un élément pertinent du projet. |
N’existe pas en tant que telle. La durabilité est pensée à travers l’attractivité économique et la qualité des produits (au sens de l’économie de la qualité). |
La grandeur est associée à la capacité de maintenir et de développer les ressources territoriales et le patrimoine dans le temps long. Elle s’inscrit plutôt dans une vision autour des investissements immatériels et des compétences du territoire. |
Source : auteurs
52L’étude historique de Romans-sur-Isère a permis de montrer la construction du modèle industriel et la diffusion/transformation des conventions établies successivement dans l’industrie de la chaussure et sur le territoire. Au cours de l’âge d’or de la chaussure à Romans, la diffusion s’est réalisée à travers une emprise spatiale, sociale et économique dans la ville de ces représentations, impliquant de fait une grande partie de la population.
53Ce régime conventionnel territorial construit au cours de l’histoire a perduré au-delà de la crise récente du modèle industriel qui a fait disparaître la quasi-totalité des industries anciennement implantées sur le territoire. Il s’est maintenu grâce notamment à une communication politique qui a entretenu ce mythe, à travers un imaginaire territorial vivace. Deux projets en sont issus aujourd’hui, activant de manière différente la convention historique et l’associant à de nouvelles dimensions : la proximité et la durabilité. L’analyse des projets a ainsi permis d’affiner la lecture des conventions, qui s’est enrichie d’une vision des enjeux de durabilité. Néanmoins, la composante environnementale de la durabilité ne paraît pas complètement activée dans aucun des deux projets. D’un côté, elle est associée à une dynamique d’entreprise assez traditionnelle (fondée sur la qualité des produits et la dimension sociale de la production), et accompagnée d’une composante locale et d’une mise en valeur du centre urbain ancien. De l’autre, elle est référée à une dynamique sociale fondée sur la redynamisation des productions et des filières locales (avec une attention parfois exprimée sur la dimension biosourcée des composants des produits), des compétences territoriales, et d’un patrimoine culturel. Les figures de durabilité restent dominées par une vision anthropique des liens homme-nature, et semblent se référer finalement assez classiquement à la figure de l’entreprise d’un côté (RSE) et à celle du monde social de l’autre (ESS). Toutefois, ces réinterprétations cachent un ancrage fort aux dimensions transversales liées aux nouvelles spatialités de la création de valeur : autour non plus seulement de projets productifs, mais de projets territoriaux.
Flux RSS
