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Que font les solutions fondées sur la nature aux politiques de gestion des risques liés à l’eau ?

Que font les solutions fondées sur la nature aux politiques de gestion des risques liés à l’eau ?

Nature-based Solutions: Implications on Water-Related Risk Policies
Joana Guerrin, Sara Fernandez, Ludovic Drapier, Anna Serra-Llobet et Catherine Roche

Résumés

Français English

Le concept de « solutions fondées sur la Nature » (SfN) prend de l’ampleur depuis les années 2010 dans les arènes internationales, mais également dans de nombreux territoires nationaux et infranationaux. Dans le domaine des risques liés à l’eau (en particulier les sécheresses et les inondations), les SfN semblent aller de pair avec l’écologisation des politiques publiques. Elles sont présentées comme permettant des projets plus adaptatifs, moins onéreux, et définis de manière moins technocratique que les infrastructures dites « grises » comme les barrages, les retenues, ou les endiguements. Selon leurs promoteurs, ces solutions contribuent à la prévention des risques liés à l’eau, tout en étant bénéfiques à la biodiversité. Au-delà de la définition officielle proposée par l’IUCN, que sont en pratique, sur le terrain, les SfN? Que sont leurs effets sur les territoires, les populations, et les politiques publiques ? Incarnent-elles un réel changement d’action publique en matière de prévention des risques liés à l’eau ? Ce dossier propose sept contributions qui contribuent à répondre à ces questions, et offrent des analyses décentrées sur les SfN et leur mise en œuvre. L’introduction de ce dossier propose une revue de littérature sur les SfN et les risques liés à l’eau, présente les sept contributions du dossier, et propose des axes de recherche futurs sur ce concept.

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Texte intégral

Cette introduction et l'appel à contributions de ce numéro spécial sont le fruit de réflexions menées dans le cadre du projet PAF_11 (Post AgreenSkills Fund) (site internet du projet https://www6.inrae.fr/nbs-france-us)

The answer is in nature.
How can we reduce floods, droughts and water pollution?
By using the solutions we already find in nature’.
World Water Day 2018

Les Solutions fondées sur la Nature et la gestion des risques liés à l’eau

1« La solution est dans la nature ». Le thème de la journée mondiale de l’eau de 2018 et les discours produits à cette occasion illustrent l’enthousiasme, à première vue généralisé, autour des solutions fondées sur la nature (SfN) pour répondre aux enjeux posés par les risques liés à l’eau. Le concept de « solutions fondées sur la nature » (SfN) - ou « Nature-based Solutions » en anglais (NbS) – voit le jour à la fin de la décennies 2000, à une période caractérisée par des « mises en crise » (Angeli Aguiton et al., 2019) multiples, qu’elles soient économiques, financières ou environnementales liées au climat, à la biodiversité ou encore à l’énergie. Ce concept a été particulièrement porté par l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), organisation créée en 1948 qui s’est donné pour rôle de défendre et de promouvoir les politiques publiques favorables à l’environnement naturel, et en particulier en faveur de la diversité biologique incarnée par le concept de biodiversité depuis les années 1980. L’UICN a défini formellement les SfN en 2016 comme regroupant « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité » (Cohen-Shacham et al., 2016). Définies par l’UICN comme un concept “parapluie”, elles sont vues comme des solutions génériques englobant d’autres concepts existants comme la restauration écologique, l’ingénierie écologique, ou les infrastructures vertes, tant qu’elles permettent de produire des effets bénéfiques pour la biodiversité et la société.

2Pour l’UICN, les SfN répondent à deux enjeux majeurs : le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, construits comme des problèmes publics globaux et faisant l’objet de politiques publiques à des niveaux multiples, non seulement internationaux, européens mais aussi nationaux ou plus locaux (Aykut et Maertens 2021, Hrabanski et Pesche 2017, Mauz et Granjou 2010). L’urgence d’une atténuation du (et d’une adaptation au) changement climatique occupe aujourd’hui le devant des scènes politiques, scientifiques et médiatiques. Le déclin de la biodiversité, associé à des menaces d’extinction massive ou à une érosion de la diversité génétique provoquées par l’activité humaine avec des effets en cascades, s’est institué un peu dans l’ombre du changement climatique. La connexion de ces deux problèmes publics globaux est notamment illustrée par le rapport issu du workshop emblématique de quatre jours organisé en 2020 à l’initiative du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) : « Climate change impacts and biodiversity loss are two of the most important challenges and risks for human societies ; at the same time climate and biodiversity are intertwined through mechanistic links and feedbacks (…) Limiting global warming to ensure a habitable climate and protecting biodiversity are mutually supporting goals, and their achievement is essential for sustainably and equitably providing benefits to people. » (Portner et al., 2021 : 14). Dans les discours qui rendent ces deux problèmes indissociables, les SfN sont très souvent citées comme des solutions à privilégier. Le concept de SfN, d’abord promu dans les arènes internationales de conservation de la nature, a ensuite été repris par une diversité d’acteurs intervenant à différentes échelles, qu’il s’agisse d’agences onusiennes, de la Commission européenne ou de l’Office français de la biodiversité (OFB). Les SfN sont finalement entrées dans le giron des institutions internationales lorsque les membres de l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement (ANUE) à Nairobi en 2022 ont adopté une définition du concept, sur proposition et avec le soutien de l’Union Européenne. Cette même année, les SfN ont été intégrées dans les déclarations de la COP15 (15e Conférence des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique) et la COP27 (27e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques).

  • 1 Aux États-Unis, c’est avec le programme national unifié pour la gestion des plaines inondables (Un (...)

3Concernant les risques liés à l’eau, les canicules, sécheresses et inondations, toujours plus présentes dans l’agenda médiatique et ce un peu partout dans le monde, sont aujourd’hui, de façon assez consensuelle, rapportées au problème du changement climatique. Ce dernier est en effet associé à une augmentation de la fréquence et de l’intensité de ces évènements extrêmes y compris dans des territoires considérés comme tempérés. En ce qui concerne le déclin de la biodiversité, les écosystèmes aquatiques apparaissent comme des milieux particulièrement dégradés et vulnérables, et considérés comme prioritaires. Dans les instances internationales, restaurer le bon état de ces milieux, et la biodiversité qu’ils hébergent, est présenté comme une manière d’améliorer la qualité des ressources en eau, leur disponibilité, ainsi que la gestion du ruissellement (Secretariat of the Convention on Biological Diversity, 2015). Les SfN constituent la dernière incarnation de la volonté de déplacer la focale d’une gestion « fluxiale » de l’eau (Narcy, 2004) vers une gestion des espaces et des milieux aquatiques. Ainsi, le concept de SfN vient équiper des actions qui cherchent à sortir d’une gestion privilégiant les équipements tels que les digues, les barrages-réservoirs pour aller vers des outils d’action publique qui s’inscrivent dans le paradigme qu’on peut qualifier de gestion durable des risques liés à l’eau (Guerrin, 2014). Dans le domaine de l’eau, les discours qui promeuvent les SfN se nourrissent en effet des critiques dont font l’objet, depuis maintenant plusieurs décennies, les infrastructures dites « grises » et les savoirs qui les accompagnent, pour répondre aux crises de l’eau (Swyngedouw, 1997). Ces critiques, associées à des arguments écologiques, hydro-géomorphologiques, économiques et sociaux, et en particulier en termes de risque résiduel associés (Serra-Llobet et al., 2022a), ont été mises à l’agenda politique dans plusieurs pays bien avant la définition et la diffusion des SfN : dès les années 1960 aux Etats-Unis1 (Galloway et Link 2012) et à partir des années 1990 en France ou aux Pays-Bas (Guerrin et Bouleau, 2014). Elles se sont en particulier cristallisées sur la remise en cause des endiguements comme la solution unique au problème d'inondation (Guerrin et Bouleau, 2014), ou sur l’impact néfaste des infrastructures telles que les barrages sur la biodiversité ou la continuité écologique (Barraud et Germaine 2017). En Europe, elles ont contribué à façonner la directive cadre sur l'eau (DCE) adoptée en 2000 et la directive relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation en 2007. Ces deux directives s’appuient sur des argumentaires à la fois économiques et écologiques pour promouvoir la préservation et la restauration des milieux aquatiques, selon des principes de planification concertée. À partir des années 1990, des politiques publiques ou solutions d’action publique voient le jour qu’elles concernent les ZEC (Guerrin 2015, Serra-Llobet et al., 2022b ; Serra-Llobet et al., 2021), l’effacement de barrages, ou la négociation de débits d’objectifs d’étiages (Fernandez 2014 ; Fernandez et Debril 2016). Localement, elles suscitent souvent tensions, conflits ou controverses, selon les territoires et les héritages hydro-sociaux (Drapier et al., 2023, Guerrin 2014).

4Dans le domaine des risques liés à l’eau, les SfN sont jugées particulièrement pertinentes par leurs promoteurs (Keesstra et al., 2018) pour leur capacité à prévenir et à limiter l’impact des crues (débordement des cours d’eau, remontée de nappe, ruissellement pluvial, …), des sécheresses (qu’elles soient édaphiques c’est-à-dire concernant la partie superficielle des sols ou hydrologiques lorsqu’elles affectent les lacs, rivières et nappes phréatiques) et de la pollution de l’eau. Les SfN concernent alors des actions de restauration de rivières et de leurs plaines alluviales (création de méandres, remise en thalweg, etc.), de dés-imperméabilisation des sols urbains pour favoriser à la fois leur capacité d’infiltration et leur végétalisation, associée par exemple à la mise en place de noues pour gérer les eaux pluviales. Pour s’adapter au changement climatique, les SfN deviennent alors un moyen de mettre à l’agenda d’autres manières de gérer le manque d’eau, en valorisant par exemple des pratiques agricoles qui favorisent la rétention d’eau dans les sols. Ainsi, depuis les années 2010, et en s’inscrivant dans l’héritage des promesses des services écosystémiques (de Sartre et al., 2014), des infrastructures vertes ou encore de celles des paiements pour services hydriques (Rouillé-Kielo, 2020), les SfN parent la nature d’attributs et de pouvoirs (Melanidis et al., 2022). En s’alliant à la nature avec les SfN, l’action publique deviendrait aussi plus participative, plus rapide, plus adaptative, plus efficiente et plus juste. Cependant, si ce type de solutions se développe, les infrastructures dites « grises » continuent à significativement occuper une place importante pour la gestion de l’eau. En effet, si près 8 000 ouvrages ont été supprimés en Europe et aux Etats-Unis au cours des dernières décennies, de nombreux programmes de constructions de barrages sont toujours prévus au 21e siècle en particulier dans les pays du Sud (Zarfl et al., 2015, Moran et al., 2018).

  • 2 C’est l’un des objets de la thèse en cours de Julien Pelet (UMR GESTE) sur la généalogie des SfN.

5Depuis quelques années, des chercheurs européens en biologie, sciences de l’environnement, géographie physique, économie ou qui s’inscrivent dans des logiques pluridisciplinaires à la croisée des sciences et des politiques, experts auprès de plusieurs instances internationales sur la biodiversité, travaillent au développement et à l’opérationnalisation du concept de SfN dans de multiples contextes supranationaux, nationaux ou plus locaux, en publiant des articles programmatiques (Cohen-Shacham et al., 2019 ; Eggermont et al., 2015 ; Kabisch et al., 2016 ; Keesstra et al., 2018 ; Maes et Jacobs, 2017 ; Nesshöver et al., 2017 ; Raymond et al., 2017). Depuis 2021, les SfN sont aussi l’objet d’une revue scientifique internationale spécifiquement dédiée, qui illustre leur institutionnalisation dans la sphère scientifique. L’Union Européenne (UE) finance, dans le cadre de ses programmes de recherche « Horizon 2020 » et « Horizon Europe », de nombreux projets qui visent à équiper le concept. L’UE soutient aussi la constitution du réseau pan-européen d’organismes nationaux et régionaux de programmation et de financement de la recherche BiodivERsA au sein duquel les SfN occupent une place centrale2. Les travaux menés viennent équiper le concept de SfN selon les logiques de l’innovation et de l’entreprenariat académique, avec des « success stories », qui sont des sortes de démonstrateurs « grandeur nature », qui se veulent à la fois ancrés et qui circulent grâce à des textes et une iconographie spécifique, et des évaluations économiques visant à justifier les propositions publicisées et ainsi inciter à les reproduire. Identifier des leviers facilitant la mise en œuvre des SfN pour les risques liés à l'eau est aussi l'objet de travaux portant sur des dispositifs participatifs intégrant des gestionnaires, des citoyens et des chercheurs (Koutsovili et al., 2023) et sur le rôle des « communautés de pratique » (King et al., 2023). Les travaux universitaires publiés autour des SfN pour les risques liés à l’eau en sciences humaines et sociales ont pour l’instant principalement tenté d’identifier les freins et leviers liés à leur mise en œuvre pour faciliter leur déploiement, en s’appuyant en particulier sur des analyses des représentations des acteurs impliqués (Tafel et al., 2022). C’est le cas dans une diversité de pays, tels que la Slovénie (Santoro et al., 2019), le Royaume-Uni (Short et al., 2019), l’Allemagne (Albert et al., 2019), la Grèce (Koutsovili et al., 2023), ou encore la Mauritanie (Senhoury et al., 2016). Beaucoup de travaux analysent les « freins » à la mise en œuvre de SfN telles que la restauration de ZEC ou la désimperméabilisation urbaine. Ils mettent en évidence des phénomènes de « dépendance au sentier » (Sarabi et al., 2019) ou des problèmes de coordination, qu’elle soit sectorielle (Keeley et al.) 2013 ; Waylen et al., 2017 ; Cossais 2021) ou spatiale (Moosavi et al.,2021). Les projets de SfN peuvent aussi faire l’objet de débats entre acteurs autour du niveau de sécurité pour lequel elles sont conçues. Certains projets en zone urbaine, tels que ceux développés en Chine autour du concept de « ville éponge » ne sont efficaces que pour des inondations de faible ampleur (Fu et al., 2022), mais pas pour des phénomènes dévastateurs tels que celui que Pékin a connu en 2023 (Stanway, 2023). Ces tensions résident notamment dans l’incertitude sur le niveau de sécurité permis par une SfN face aux inondations, face à des élus, ou des habitants qui attendent une maîtrise de l’efficacité des dispositifs déployés (Wells et al., 2019 ; Bark et al., 2021 ; Moreau et al., 2022). Cette incertitude est notamment renforcée par la difficulté à évaluer les multiples bénéfices de ce type d’opération (Short et al., 2019 ; Connelly et al., 2023). Appréhender les changements biophysiques induits par des projets de restauration écologique reste un défi (Rubin et al., 2017). Les impacts du changement climatique sur les régimes hydrologiques futurs sont par ailleurs encore peu intégrés dans les études (Thorne et al., 2015 ; Connelly et al., 2023). La littérature dominante sur ce sujet vise ainsi à informer les décideurs pour favoriser ou améliorer la mise en œuvre de ces solutions.

6Les SfN font néanmoins l’objet de critiques et de controverses dans les arènes de politiques publiques internationales relatives à l’environnement ou au développement et dans les milieux scientifiques. Ces dix dernières années, les SfN sont critiquées par des membres ou porte-paroles d’Organisations non-gouvernementales (ONG) internationales et de porte-paroles des populations autochtones, notamment dans les COP Climat (Melanidis et al., 2022). Pour Qi et Dauvergne (2022), les traductions nationales du concept tendent aussi à le vider de son sens, en justifiant des approches conventionnelles de gestion de l’environnement. Des scientifiques dénoncent un flou autour des enjeux distributifs, en termes de justice sociale et environnementale, liés à la mise en œuvre des SfN sur le terrain et le caractère très européo-centré du concept (Bridgewater, 2018 ; Escobedo et al., 2019). Ils plaident pour une repolitisation des SfN, en clarifiant les gagnants et les perdants (Kotsila et al., 2020). En réaction, d’autres chercheurs intègrent ces critiques via de nouveaux articles programmatiques qui retravaillent les frontières du concept, l’associent à des méthodes d’évaluation qui se prévalent toujours d’une forme de généricité tout en s’appuyant davantage sur des « données d’entrée » plus locales. Ils resituent les SfN dans le cadre d’actions plus large en faveur de transitions vers des sociétés décarbonées (Seddon, 2022).

  • 3 Ainsi que les approches qui visent à renouveler les angles morts de celles-ci, voir Dumoulin et Sa (...)

7La littérature distanciée et critique en sciences sociales est encore assez peu développée autour des SfN. Par ailleurs, au-delà d’études de cas isolées, il existe peu d’efforts analytiques plus larges sur la territorialisation de ces solutions dans différents contextes. Or, on connait l’importance de considérer les spécificités locales lors de la mise en œuvre d’instruments ou de solutions définies à des niveaux supranationaux, comme l’ont montré les travaux sur les policy transfer studies3. Dans le domaine de l’eau, les travaux sur la mise en œuvre de la DCE montrent aussi combien le contexte institutionnel et politique influence sa territorialisation dans les différents pays européens (Liefferink et al., 2011) et la manière dont les territoires institutionnels et hydro-sociaux adoptent, traduisent/transcodent, adaptent, et redéfinissent ces concepts ou catégories. Sur des objets proches des SfN, on se rapporte aussi aux travaux d’Yves Meinard (2023) sur la catégorie de zones humides, notion règlementairement définie, mais qui autorise aussi des « degrés de liberté » pour les qualifier en situation, localement. Les acteurs impliqués dans ces processus retravaillent en effet les instruments, selon des représentations, intérêts, valeurs et objectifs, qui peuvent être concurrents, conflictuels et produire des compromis plous ou moins transparents. Ces instruments ont aussi parfois des effets non anticipés en termes d'exclusion sociale, tels que la gentrification.

8Ce numéro spécial propose d'analyser, au-delà des promesses d'innovation et d'efficacité des SfN, leur définition et leur mise en œuvre dans des contextes variés, en situation. L’ambition du présent dossier thématique n’est pas de couvrir l’ensemble du large spectre des travaux sur les SfN qui se développent de manière incrémentale, mais de donner à voir une diversité de travaux sur le sujet en sciences humaines et sociales critiques. Fruit d’une section thématique lors de la Conférence Internationale des Politiques Publiques (ICPP) en 2021 (Guerrin et al., 2021), l’appel à contributions visait à questionner l’effet des SfN pour les risques liés à l’eau en termes de : i) changement : la mise en œuvre des SfN illustre-t-elle une nouvelle manière d’appréhender les risques liés à l’eau ou les relations Homme/Nature ? Comment sont cadrés les problèmes que ces nouvelles solutions cherchent à résoudre ? Ces cadrages proposent-ils un changement de définition des problèmes, ou les SfN sont-elles plutôt une nouvelle solution à des problèmes préexistants ? Comment les SfN s’articulent-elles avec les politiques publiques de gestion des risques liés à l’eau ? ; ii) de territorialisation : quels sont les modèles de gouvernance déployés dans la mise en œuvre des projets sur les territoires ? Les SfN permettent-elles une approche plus participative, décentralisée et transsectorielle de la fabrique des politiques de gestion des risques ? Le cas échéant, quels sont les effets et les enjeux de ces évolutions au sein des institutions, et dans les relations entre les acteurs ? Au contraire, la définition et la mise en œuvre des SfN sont-elles empreintes d’une approche classique, technocratique et verticale, de l’action publique ? Comment les SfN sont-elles gérées localement et quelles sont les valeurs associées aux SfN par les gestionnaires et les habitants ? ; iii) enfin du point de vue de la capacité des SfN à concilier biodiversité et risque : les SfN tiennent-elles leurs promesses ? Le cas échéant, dans quelle mesure la capacité des SfN à concilier prévention du risque et préservation de la biodiversité dépend-elle des caractéristiques et des cultures politiques des territoires ? La dimension transectorielle des SfN est-elle incarnée par les politiques publiques nationales ou locales ? Cette dimension participe-t-elle de freins ou de leviers à la mise en œuvre ou à l’acceptation de ces solutions ? Les sept articles proposent des éclairages sur un certain nombre de ces questions, dont certaines pourraient encore constituer de nouvelles perspectives de recherche en sciences humaines et sociales.

1. Les SfN comme « objets chevelus » : présentation des articles du numéro spécial

9Les sept articles de ce numéro spécial nous donnent à voir les SfN selon des angles multiples. En cela ils nous appellent à les considérer comme des « objets chevelus », pour reprendre l’expression de Bruno Latour (1995). Concept présenté comme innovant au cœur de sommets internationaux, discuté, requalifié et générateur de tensions à des niveaux globaux ou très locaux, les SfN sont des imbroglios mêlant sciences et politiques, humains et non-humains. Dans ce numéro spécial, les SfN sont mobilisées de manière différente selon les auteurs. Les contributions éclairent les SfN par le prisme de l’économie, la sociologie, la géographie, l’aménagement de l’espace-urbanisme et par celui de la science politique, afin d’en proposer différentes lectures.

10Les deux premiers articles nous mènent dans les arcanes de la construction définitionnelle des SfN et de concepts associés dans les sphères de politiques publiques et scientifiques. L’article de Drapier et al. nous fait entrer dans les arènes (relativement) discrètes de promotion et de définition du concept dans les politiques internationales de la conservation où le concept est promu et défini, en s'intéressant à l'UICN. À travers une analyse de type ethnographique d’un méga-événement comme le Congrès mondial de la Nature de 2022, au cœur duquel les SfN étaient promues, Drapier et al. proposent une reconstruction de l’histoire internationale du concept, en mettant en avant les coalitions d'acteurs qui se structurent autour de lui ainsi que les tensions qu'il provoque. Leur analyse rejoint celle de Hrabanski et Lecoq (2022), selon lesquels l’élaboration et la promotion de ce concept relèverait d’une stratégie déployée par des communautés du champ de la conservation de la nature pour mieux connecter les enjeux de la biodiversité à ceux du climat, ces derniers bénéficiant d’une institutionnalisation et de financements relativement plus développés. Drapier et al. montrent comment différentes communautés portent ce concept et articulent avec lui les politiques de la biodiversité et du climat. Ils explicitent comment l'UICN promeut ce concept, avec une tension entre diffusion large d'un côté et maintien de distinction et de contrôle. Ils montrent aussi comment ce concept s'inscrit dans la continuité des politiques de biodiversité à l'échelle internationale, valorisant notamment le recours au secteur privé pour les financer et relativisent ainsi la dimension novatrice des SfN.

11En étudiant l’histoire des concepts dans la sphère scientifique, l’article de Fustec et Levain analyse la littérature en sciences sociales critiques autour du concept d’Infrastructure Verte (GI), à partir d’une analyse qualitative et bibliométrique. Les autrices montrent que le concept de GI a des filiations diverses. Certains travaux expliquent la rapide performativité du concept de GI par sa capacité à intégrer de manière effective les dimensions écologiques dans l’aménagement du territoire. Néanmoins, elles identifient d’autres travaux qui discutent justement cette capacité et critiquent la vision techniciste de la nature et de l’action publique que contiennent les GI, nourrie par son caractère flou, dans un contexte de renouvellement effréné des concepts dans le domaine des politiques environnementales. On retrouve ces débats et inquiétudes autour des concepts de Services écosystémiques, et de SfN (Escobedo et al., 2019 ; Bridgewater 2018). Le travail généalogique des autrices sur le concept de GI contribue à mieux comprendre l’épistémologie des SfN. En effet, le concept de SfN, postérieur à celui d'infrastructure verte, l'a englobé.

12Les cinq articles suivants, plus empiriques, apportent des éclairages sur la mise en œuvre de projets de type SfN dans différents contextes. Selon les terrains étudiés par les articles, le concept de SfN est mobilisé différemment. Dans certains cas, les gestionnaires qualifient leurs projets de SfN, et le concept apparaît alors comme une ressource politique pour définir et mettre en œuvre des actions d’aménagement du territoire. Dans d’autres cas, ce sont les chercheurs/auteurs qui utilisent le concept de SfN comme cadre d’analyse pour désigner des projets dont les caractéristiques s’intègrent dans la définition de l’UICN ou de la Commission Européenne. Les domaines d’action publique abordés relèvent pour la majorité de la gestion du risque d’inondation continental, et un des articles du risque de submersion marine (Pelet et Rieu). Les contributions s’inscrivent dans une diversité de milieux : urbain (Cardinal), littoral (Pelet et Rieu), agricole (Hérivaux et Le Coent), à l’interface entre espaces urbains et ruraux (Hérivaux et Le Coent) ou selon des logiques hydrologiques fluviales ou de bassin versant plus affirmées (Fournier et Gralepois ; Metzger et Véron).

13L’article de Fournier et Gralepois, en aménagement de l’espace-urbanisme, nous montre que, sur le bassin ligérien, des projets de type SfN étaient déjà mis en œuvre il y a plus de vingt ans. En effet, des projets d’aménagements de ZEC, conciliant gestion du risque inondation avec d’autres fonctionnalités comme offre de loisirs, éducation, ou préservation de la biodiversité sont déjà anciens. Ces actions offraient donc déjà une formalisation des grands principes de SfN, avant que le concept ne soit défini et promu. Or, l’ambition de participation, lorsque les projets visent en premier lieu à gérer le risque inondation, a été difficile à atteindre. Ainsi, pour les autrices, le concept de SfN pourrait contribuer à remettre à l'agenda de ces projets la dimension participative.

14Dans le champ de l’économie, l’article de Hérivaux et Le Coent nous invite à penser les SfN sous l’angle des inégalités environnementales, d’accès aux services urbains ou encore sous l’angle des relations urbain-rural. Leur enquête réalisée dans le bassin du Lez, autour de la Métropole de Montpellier, révèle en effet que les SfN en milieu urbain sont plus acceptables pour les urbains avec peu d’accès à la nature et exposés aux îlots de chaleur. À l’inverse, les habitants en milieu périurbain, plus dépendants de leur voiture et avec un accès plus facile à la nature périurbaine ou rurale, paraissent moins enclins à soutenir des SfN ambitieuses.

  • 4 Nous reprenons les termes de l’auteur, pour qui le terme « Voyageurs » vise à s’éloigner de l’appe (...)

15L’article de Cardinal discute aussi ces questions d’inégalités autour de projets de type SfN, du point de vue de l’aménagement-urbanisme. Dans le quartier de La Bouillie, à Blois, l’auteur montre que ces projets peuvent constituer des manières de requalifier des espaces urbains en espaces de nature, de loisirs et de protection contre les risques inondations. Ce faisant, le projet de La Bouillie, fortement porté par l’agglomération de Blois, invisibilise certaines catégories de population, plutôt défavorisées, comme les voyageurs4, ainsi que les anciens habitants de cette zone sinistrée par une catastrophe et laissée depuis à l’abandon par les politiques publiques. Justifiés en tant que projets d’aménagement urbain des villes, multifonctionnels et écologiques, les SfN laissent peu de prises à la critique. Or, l’auteur montre qu’ils peuvent s’apparenter à des projets au bénéfice de certains urbains, sans considérer les intérêts et représentations des habitants de ces espaces, formels et informels.

16L’article de Pelet et Rieu présente coment l’action publique territoriale de l’ouest Atlantique se saisit des SfN, dans le cadre de politiques d’atténuation du changement climatique. Ancrés en sociologie de l’action publique, les auteurs questionnent le changement apporté par ces solutions, avec l’exemple du « carbone bleu » sur le territoire rochelais. Ils interrogent la manière dont les Sfn ont été saisies comme une opportunité après un évènement catastrophique tel que la tempête Xynthia. Pour autant, les auteurs montrent que, dans la mise en œuvre, la dépendance au sentier, la sectorialisation des politiques publiques, ainsi que la manière dont les élus se représentent l’acceptabilité des habitants, sont autant d’entraves fortes au changement. Malgré des discours de changements qui valorisent les projets SfN, ce sont finalement encore les politiques structurelles de protection qui dominent. Même après une catastrophe qui a montré les limites des protections structurelles, les projets de SfN restent limités à des solutions expérimentales qui ne remettent pas profondément en cause les modes d’occupation des territoires.

17Enfin, l’article de Metzger et Véron nous propose un cas hors de l’hexagone (bien que proche puisque transfrontalier), celui du Rhône valaisan, en Suisse. Là-bas comme ici, les discours d’action publique qui valorisent le changement grâce à l’écologisation des politiques de gestion des inondations sont décevantes en pratique. Ainsi, le Rhône valaisan a connu plusieurs opérations de « correction », et la troisième et dernière en date vise à offrir aux habitants une « sécurité durable » grâce à la création d’espace pour le fleuve, la restauration des berges et la végétalisation. Or, dans sa mise en œuvre, cette solution donne en fait plus de place à la sécurité qu’au fleuve et à la durabilité. Derrière des ambitions de transformation écologique du Rhône et de l’action publique, les auteurs voient plutôt une difficile hybridation de l’ambition de sécurité vis-à-vis de la biodiversité. C’est la protection contre les inondations qui prime, ainsi que la valeur économique des territoires à protéger, avec ce que cela implique de technicisation et de technocratie dans la prise de décision.

2. Les SfN entre ambiguité productive, institutionnalisation par le flou et consensus mou

  • 5 C’est notamment les résultats en cours du projet PAF 11 « Nature-based Solutions from Theory to Pr (...)

18On peut voir dans les SfN le dernier « concept parapluie » qui, après (et avec) celui des services écosystémiques, ou des infrastructures vertes analysées dans ce numéro par Fustec et Levain en tant qu’ « objets frontières » (Star et Griesemer, 1989), cherche à renouveler ou à renforcer la restauration ou la protection des écosystèmes au nom de sa capacité à répondre à une diversité d’enjeux sociaux et économiques (Hrabanski et Bidaud, 2014 ; Méral et Pesche, 2016 ; Pesche et al., 2013). Comme les services écosystémiques, les SfN sont des hybrides entre catégories d’action publique et catégories académiques, travaillées par des communautés épistémiques (Haas, 1992) dont les productions scientifiques sont convoquées, « transcodées » (Lascoumes, 1996) pour façonner des politiques publiques sur les ressources naturelles, la biodiversité et le climat, à différentes échelles. L’article de Drapier et al. montre bien que les SfN font l’objet d’une « institutionnalisation par le flou », selon la proposition de V. Dubois (1998) qui a travaillé sur le cas des politiques culturelles. En effet, les agents sociaux embarqués ou les observateurs ont le plus souvent des difficultés à en définir les limites. Pour autant, ils y accordent un certain crédit, le considèrent donc comme une ressource, et des institutions investissent dans son objectivation. Mais le « flou » génère aussi des épreuves que les promoteurs des SfN cherchent à surmonter. Or, la généalogie des infrastructures vertes que nous proposent Fustec et Levain dans ce numéro montre bien les formes de « trahisons » et les controverses qu’implique le transcodage de concepts issus des sciences écologiques vers des enjeux de gestion et de planification des espaces au nom d’une connectivité à restaurer. Sur les SfN on observe aussi des luttes définitionnelles à différentes échelles. En effet, comme le montrent Drapier et al., si la définition des SfN par l’UICN semble dominante et partagée dans certains espaces (notamment les politiques environnementales internationales), elle est néanmoins débattue (Melanidis et Hagerman 2022). Dans beaucoup d'arènes, les SfN tout comme les GI sont définies de manières différentes selon les acteurs5. Par ailleurs, l’UICN, dans sa stratégie de diffusion du concept, suit bien une perspective de diffusion massive, profitant de cette ambiguïté productive ou de ce consensus mou (Palier 2005), et en même temps d’une stratégie de distinction afin de ne pas voir le concept vidé de son sens. Comme le notent Drapier et al., cela n'empêche pas de grands groupes pétroliers de se saisir de la notion pour produire du carburant ou des lubrifiants « neutres en carbone » afin de montrer leur engagement à la fois dans la lutte contre le changement climatique et également contre l’érosion de la biodiversité. On voit donc bien ici les dimensions politiques du travail de définition, de traduction ou de réinterprétation du concept.

19Plutôt que d’évaluer la mise en œuvre du concept de SfN, nous souscrivons à l’appel d’étudier les usages sociaux et politiques de cette ambiguïté qui, parfois, peut s’avérer productive. La dimension parapluie et ambiguë des SfN peut constituer une ressource pour l’appropriation et la diffusion du concept, la réinterprétation et ainsi le consensus. Néanmoins, en suivant la thèse de Hirsch et Levin de 1999, la dimension parapluie, ambiguë ou molle peut aussi transformer les SfN en coquille vide et précipiter alors sa disparition. La succession de nouveaux concepts peut également générer autant d'espoirs que de frustrations, voire des phénomènes de greenwashing. Les observations de Drapier et al. au Congrès mondial de la Nature illustrent bien ce dernier risque avec de (très) grandes entreprises privées, parfois issues des industries les plus émettrices de GES, se saisissant pleinement des SfN afin de montrer leur engagement à la fois dans la lutte contre le changement climatique et également contre l’érosion de la biodiversité. Focaliser sur la nature, son « capital » ou les « solutions » qu’elle offre, s’avère aussi être un moyen de déplacer le regard et d’invisibiliser tout le « capital », les « solutions » ou encore les « infrastructures » carbonés, sur lesquels l’économie continue à largement s’appuyer.

3. Quel(s) atterrissage(s) pour les SfN ?

  • 6 Réduction des émissions dues à la déforestation et dégradation forestière.

20Sur le terrain, il semble qu’une grande diversité d’actions puisse être qualifiée de SfN. Ces actions peuvent relever de la reforestation pour accroître les puits de carbone, reproduisant avec un autre terme les pratiques REDD+6 largement critiquées par les ONG pour leur impact délétère sur la gouvernance des forêts, l’écologie et les peuples autochtones dépendants de la forêt (Drapier et al., ce numéro), mais également des projets de dépoldérisation (dans un but notamment de protection des submersion marines) comme étudié par Pelet et Rieu sur la côte atlantique française, ou encore de végétalisation des toitures et des murs en ville pour lutter contre la pollution atmosphérique et les îlots de chaleurs. Comme le rappellent Fustec et Levain dans ce numéro (ou par Kotsila et al., 2021), la mise en œuvre de ces projets a pu produire des effets non planifiés tels que des inégalités sociales et une gentrification sur certains territoires. Ce dernier type de SfN semble d’ailleurs constituer une re-labellisation des infrastructure vertes.

  • 7 Les travaux en Political Ecology sont nombreux et variés, mais on peut citer la présentation en fr (...)
  • 8 Aux États-Unis, les services de la Maison Blanche ont récemment publié une stratégie fédérale de d (...)

21Finalement, qu’est la « nature » des SfN ? Les travaux en Political Ecology ont depuis longtemps discuté de la notion de nature, de son caractère situé et construit socialement et politiquement7. Elle est très polysémique, contestée et changeante, selon les lieux et les époques et les groupes sociaux qui s’en saisissent. De quelle(s) nature(s) parle-t-on alors avec les SfN ? Les SfN reviennent à établir des frontières entre ce dont elles relèvent, qui serait naturel et donc souhaitable, et ce qu’elles excluent en creux, c’est-à-dire des solutions ou approches « non-naturelles », et qui risquent d’être marginalisées (Osaka et al., 2020). Or, les SfN, selon l’interprétation qu’en ont les acteurs qui s’en saisissent, peuvent correspondre à un large spectre d’actions, du projet de préservation écologique d’un milieu dans des perspectives de protection contre les inondations, à la construction de nouveaux milieux (tels que les « oyster reefs », installations sous-marines construites pour accueillir la faune aquatique et protéger des risques de submersions marines8), ou d’infrastructures classiques végétalisées, comme des endiguements ou les toitures végétalisées. Finalement, l'analyse de ce qu'est la nature pour des solutions qui se fondent sur elle est encore un champ ouvert, qui n'est pas traité dans les articles de ce numéro. Pour les promoteurs, le fait que les SfN soient fondées sur la nature leur donne des attributs, comme leur caractère supposé « sans-regret », la production de co-bénéfices, leur dimension faiblement technique, la capacité à mettre en œuvre ces solutions de manière décentralisée, participative et donc démocratique, et leur coût faible (low-costs). Ces qualités ne sont pourtant pas vraiment objectivées. Plusieurs travaux ont en effet bien montré, en particulier en France, que si le monde des politiques environnementales est bien discursivement submergé par du vocabulaire apparenté à la science économique, dans les pratiques concrètes de l’action publique, les concepts et instruments de la science économique y sont faiblement ancrés (Laurans et al., 2013 ; Meinard et Rouchier, 2019). Les SfN sont présentées comme étant peu onéreuses car le travail d’ingénierie serait principalement pris en charge par la nature, selon l’expression souvent associée aux SfN : « let nature do the job ». Or, les coûts de maintenance et d’entretien de ces solutions sont le plus souvent ignorés dans les analyses coûts-avantages qui les comparent aux solutions grises. La facilitation de la participation des habitants/résidents revendiquée par les promoteurs des SfN est également nuancée par les articles de ce numéro. Les SfN aussi peuvent être mises en œuvre de manière experte et technocratique. Ainsi, dans le cas de Blois, seuls certains groupes sociaux sont représentés dans les instances participatives : les bénéficiaires de la solution, et non pas les habitants du lieu concerné (Cardinal). Dans le cas de la troisième correction du Rhône (Metzger et Véron), la consultation locale s’est limitée à des négociations entre certains intérêts bien établis. Sur une temporalité plus longue, Fournier et Gralepois nous rappellent que les SfN sont des projets d’aménagement comme les autres, qui font l’objet de conflits et de négociations (Subra, 2014), dans le sens où ils transforment les usages et les activités du territoire. Par ailleurs, les autrices montrent que, lorsque l’enjeu de sécurité des populations est présent, la participation du public et des associations dans les projets est moins ambitieuse.

22Ces premiers travaux suggèrent bien que, pour saisir en pratique la capacité des SfN à concilier prévention des risques, biodiversité, et justice sociale, l’enjeu est de déployer à la fois une perspective critique sur les SfN et une compréhension élargie de ce que fait ce concept à la gestion des espaces, des populations et des ressources localement, qui dépasse la seule question de l’évaluation des coûts et des avantages de ces solutions ou de leur caractère innovant. Nous espérons que cet ensemble de travaux inspirera de nouvelles recherches qui permettront de déployer une plus grande réflexivité, dans les mondes de la recherche et de l’action publique, autour de solutions qui ne doivent pas être vues uniquement comme des manières simples et moins coûteuses de répondre aux problèmes, éminemment complexes et politiques, posés par le changement du climat et l’érosion de la biodiversité.

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Notes

1 Aux États-Unis, c’est avec le programme national unifié pour la gestion des plaines inondables (Unified National Program for Floodplain Management) défini en 1976 et ses actualisations en 1979, 1986 et 1994 que se matérialise le tournant vers une gestion plus durable du risque inondation. Pour autant, le programme ne s’est pas traduit par des changements d’ampleurs sur le terrain. Pour Galloway & Link (2012), cet échec serait à attribuer au manque d’intégration de ce programme dans les politiques environnementales étasuniennes.

2 C’est l’un des objets de la thèse en cours de Julien Pelet (UMR GESTE) sur la généalogie des SfN.

3 Ainsi que les approches qui visent à renouveler les angles morts de celles-ci, voir Dumoulin et Saurugger 2010 pour un état de l’art critique.

4 Nous reprenons les termes de l’auteur, pour qui le terme « Voyageurs » vise à s’éloigner de l’appellation « gens du voyage » qui fait référence à une catégorie administrative utilisée par l’État français, et correspond à une identification plus couramment usitée par les Voyageurs (Cardinal, ce numéro).

5 C’est notamment les résultats en cours du projet PAF 11 « Nature-based Solutions from Theory to Practice : comparing France and the US », qui montre qu’aux États-Unis, le concept de SfN est beaucoup moins ancré dans la définition de l’UICN qu’en Europe, et que cette définition dépend des acteurs, ainsi que des secteurs d’action publique (et en particulier des agences fédérales).

6 Réduction des émissions dues à la déforestation et dégradation forestière.

7 Les travaux en Political Ecology sont nombreux et variés, mais on peut citer la présentation en français de ce courant de la géographie politique anglo-saxonne par Tor Benjaminsen et Hanne Svarstad parue dans NSS en 2009, dans l’article : « Qu’est-ce que la "political ecology" ? ».

8 Aux États-Unis, les services de la Maison Blanche ont récemment publié une stratégie fédérale de développement des Nature-based Solutions (appelée roadmap) visant à accélérer la mise en œuvre de SfN par les agences fédérales. Cette roadmap identifie des projets qualifiés de SfN, et sous cette catégorie sont considérés les « oyster reefs », mais également les revêtements perméables en ville (végétalisés ou non), ou les digues végétalisées (Guerrin et al., 2023, « Que sont les solutions fondées sur la nature pour la gestion du risque inondation ? Appropriations d’un concept international en France et aux États-Unis », Techniques Sciences et Méthodes, n° 10, p. 97-119.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Joana Guerrin, Sara Fernandez, Ludovic Drapier, Anna Serra-Llobet et Catherine Roche, « Que font les solutions fondées sur la nature aux politiques de gestion des risques liés à l’eau ? », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 14, n°2 | Octobre 2023, mis en ligne le 30 octobre 2023, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/22788 ; DOI : https://doi.org/10.4000/developpementdurable.22788

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Auteurs

Joana Guerrin

Joana Guerrin est chargée de recherches en science politique à INRAE (UMR Geste). Elle travaille sur la gouvernance et les politiques de gestion des risques liés à l’eau, s’intéressant en particulier à leur tournant environnemental dans différents contextes. Elle coordonne plusieurs projets de recherche sur la définition et l’institutionnalisation des solutions fondées sur la nature dans les politiques des risques liés à l’eau, notamment un projet comparatif entre la France et les États-Unis « Nature-based Solutions from Theory to Practice : Comparing France and the US »
INRAE, GESTE UMR MA 8101, Université de Strasbourg
joana.guerrin@inrae.fr
n° Orcid : 0000-0002-4065-2295

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Sara Fernandez

Sara Fernandez est chercheuse en géographie à INRAE (ingénieure en chef des ponts, des eaux et des forêts, HDR). Ses travaux portent sur les articulations entre savoirs, techniques, milieux et pouvoirs dans le domaine de l’eau. Ses objets de recherche concernent en particulier la gestion du manque d’eau, la gestion des pollutions industrielles et à la restauration écologique des milieux. Elle participe au projet « Nature-based Solutions from Theory to Practice : Comparing France and the US »
INRAE, GESTE UMR MA 8101, Université de Strasbourg
Sara.fernandez@inrae.fr
n° Orcid : 0000-0002-5207-8817

Articles du même auteur

Ludovic Drapier

Ludovic Drapier est ingénieur de recherche en géographie à INRAE (UMR Geste). Ses recherches portent sur les enjeux territoriaux de la mise en œuvre de politiques environnementales dans le domaine de l’eau en France et aux États-Unis (solutions fondées sur la nature, restauration écologique). Il participe au projet « Nature-based solutions, From theory to practice : comparing France and the US » (Post Agreenskill Fund)
INRAE, GESTE UMR MA 8101, Université de Strasbourg
ludovic.drapier@inrae.fr
n° Orcid : 0000-0002-0862-9423

Articles du même auteur

Anna Serra-Llobet

Anna Serra-Llobet est chercheuse en sciences de l'environnement, spécialisée dans les politiques de gestion des risques d'inondation aux États-Unis et dans l'UE, et ses implications pour la planification environnementale. Elle travaille au Centre de gestion des risques catastrophiques de l'Université de Californie à Berkeley, où elle mène des recherches sur les stratégies de gestion durable des inondations aux États-Unis, dans l'UE, et à l'échelle mondiale. Elle représente le partenaire américain du projet « Nature-based Solutions from Theory to Practice : Comparing France and the US »
Center for Catastrophic Risk Management (CCRM), University of California Berkeley
annaserrallobet@berkeley.edu
n° Orcid : 0000-0002-1520-1927

Catherine Roche

Catherine Roche est professeure des universités en aménagement de l’espace-urbanisme. Ses recherches portent sur le droit de l’environnement, et sur le droit de la mer et les problématiques liées aux activités en mer. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Développement Durable et Territoires.
Univ. Littoral Côte d’Opale, Univ. Lille, ULR 4477 – TVES – Territoires Villes, Environnement & Société, F-59140 Dunkerque, France
catherine.roche@univ-littoral.fr
n° Orcid : 0000-0002-8231-0197

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