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Que font les solutions fondées sur la nature aux politiques de gestion des risques liés à l’eau ?

Inégalités environnementales et hétérogénéité des préférences pour les solutions fondées sur la nature

Environmental inequalities and heterogeneity in preferences for nature-based solutions
Cécile Hérivaux et Philippe Le Coent

Résumés

Cet article analyse l’influence des inégalités environnementales sur les préférences de la population pour des SfN visant à réduire les risques d’inondation. La démarche repose sur l’analyse spatiale de trois formes d’inégalités environnementales (inégalités d’accès, d’exposition et distributives), et de leur influence sur les profils de préférences de 399 résidents du bassin-versant du Lez. Les résultats montrent que les préférences sont spatialement hétérogènes et influencées par ces inégalités observées le long d’un gradient urbain-rural. Nous recommandons de considérer les inégalités environnementales dès la phase de conception des SfN, de manière à améliorer leur prise en compte dans les politiques publiques.

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Texte intégral

1En comparaison des solutions grises traditionnelles telles que les digues et réseaux d’eaux pluviales, les solutions fondées sur la Nature (SfN) visant à réduire les inondations fournissent une diversité de bénéfices à la société : la préservation de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique, l’amélioration de la qualité de l’air, la réduction des îlots de chaleur par exemple (Cohen-Shacham et al., 2016). Elles peuvent toutefois également générer certains effets négatifs (allergies, moustiques, contraintes d’urbanisation et de mobilité…), susceptibles d’influencer le comportement des citoyens et d’entraîner des oppositions (Blanco et al., 2019 ; Zimmermann et al., 2019). La prise en compte de la diversité de ces effets, qu’ils soient positifs ou négatifs, est importante dès la phase de conception des SfN (Lyytimäki et Sipilä, 2009), par le développement d’approches holistiques considérant l’ensemble des bénéfices et effets négatifs (Lyytimäki, 2015 ; Schaubroeck, 2017).

2La population d’un territoire peut accorder plus ou moins d’importance à ces différents effets, conduisant à des préférences hétérogènes pour la mise en œuvre des SfN. Mieux connaître ces préférences est une étape clé pour les acteurs locaux en charge de l’élaboration des politiques publiques basées sur des SfN. Cela permet en effet d’évaluer correctement l’opportunité de mettre en œuvre ces solutions, d’identifier les leviers potentiels, d’anticiper les oppositions, et de réfléchir à d’éventuels mécanismes de compensation pour les catégories de population impactées négativement. Plusieurs études ont montré l’influence de caractéristiques socio-démographiques telles que l’âge, le revenu et le niveau de diplôme sur les préférences de la population pour différents types de SfN (Escobedo et al., 2011 ; Giergiczny et Kronenberg, 2014). D’autres études ont montré l’influence du niveau de connaissance et des expériences personnelles (Collins et al., 2017 ; Venkataramanan et al., 2020). Le contexte spatial, comme la distance aux espaces verts existants, influence également les préférences pour les aménités environnementales (Glenk et al., 2020 ; De Valck et Rolfe, 2017). Plusieurs auteurs ont par exemple étudié l’hétérogénéité spatiale des préférences pour différents types de forêts (Abildtrup et al., 2013 ; Broch et al., 2013 ; Czajkowski et al., 2017 ; Tu et al., 2016), l’amélioration de la qualité de l’eau (Bateman et al., 2006 ; Brouwer et al., 2010 ; Hampson et al., 2017 ; Jorgensen et al., 2013 ; Meyerhoff et al., 2014) et la mise en œuvre de programmes agro-environnementaux (Campbell et al., 2009 ; Garrod et al., 2012).

  • 1 Nous reprenons ici les concepts de ville vulnérable et ville distante proposés par Laurent (2020) (...)

3Nous faisons l’hypothèse que cette hétérogénéité spatiale des préférences est le reflet d’inégalités environnementales. Les inégalités environnementales recouvrent l’ensemble des « inégalités relatives aux ressources et aux nuisances environnementales. Elles concernent l’accès aux ressources ainsi que la répartition des ressources et des nuisances entre les individus ou groupes d’individus » (Berthe et Ferrari, 2015). Les inégalités environnementales peuvent exister sous différentes formes, parmi lesquelles (1) les inégalités d’accès à un environnement de qualité, (2) les inégalités d’exposition à des risques environnementaux , ainsi que (3) les inégalités distributives en termes de conséquences des politiques environnementales entre les individus et les groupes (Berthe, 2016 ; Bullard, 1983 ; Deldrève, 2020 ; Laurent, 2020 ; Laurian, 2008). Ces trois formes d’inégalités sont au cœur de nombreuses questions relatives à la soutenabilité des systèmes urbains actuels (Laurent, 2020) et notamment des différences marquées entre les centres urbains et les zones plus rurales. Par exemple, Stiglitz et al. (2012) soulignent les conséquences sanitaires et économiques des modes de vie sédentaires, notamment pour les populations urbaines, et l’importance d’assurer un accès à la nature et aux espaces de loisirs en plein air suffisant (concept de ville minérale1 reflétant des inégalités d’accès). Les résidents urbains peuvent être également plus exposés aux risques naturels tels que les inondations et les îlots de chaleur urbains en période caniculaire (concept de ville vulnérable reflétant des inégalités d’exposition) (Laurent, 2020). Enfin, l’augmentation progressive de la distance moyenne des logements vis-à-vis du centre urbain entraîne une forte dépendance à la voiture individuelle des habitants éloignés du centre, en l’absence d’offres de mobilité alternatives, et peut faire davantage peser les efforts à faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de l’air sur les habitants des zones périphériques des villes, comme l’a récemment souligné le mouvement des Gilets jaunes (concept de ville distante reflétant les inégalités distributives) (Laurent, 2020).

4Notre hypothèse est que ces trois formes d’inégalités environnementales peuvent influer sur les préférences relatives à la mise en œuvre des SfN, d’une part du fait d’une demande supérieure pour certains services des résidents urbains (accès à des espaces de nature, régulation de la température en période caniculaire par exemple) (Gutman, 2007 ; Mcdonald, 2009), et d’autre part du fait d’effets négatifs potentiellement plus importants pour les résidents des zones périurbaines et rurales si la mise en place des SfN implique une réduction de la place dédiée à la voiture, dans un contexte de tension sur le foncier. Nous testons cette hypothèse à partir des résultats d’une enquête sur les préférences de la population pour des SfN visant à réduire les risques d’inondation sur le bassin-versant du Lez. Cet article résume le contenu et les principaux résultats de l’enquête (section 1), puis présente la démarche méthodologique (section 2) et les résultats issus de l’analyse spatiale des inégalités environnementales et des préférences de la population (section 3).

1. Préférences de la population pour des solutions fondées sur la nature à l’échelle du bassin-versant du Lez

  • 2 Le 1er Programme d’actions de prévention contre les inondations sur le bassin-versant du Lez, le P (...)

5Nos travaux s’intéressent au bassin-versant du Lez (640 km²), qui couvre 43 communes du département de l’Hérault, dont Montpellier (Figure 1). Ce bassin se caractérise par un climat méditerranéen avec des précipitations concentrées dans le temps, entraînant des crues parfois rapides et violentes. La plupart des dommages causés par les inondations sont dus à des phénomènes de ruissellement urbain (Le Coent et al., 2019). La forte attractivité de Montpellier (282 000 habitants, quatrième commune de France en termes de gain de population sur la période 2012-2017 d’après les données Insee) a entraîné une urbanisation rapide du bassin au détriment des zones naturelles et agricoles. D’importants investissements2 ont été réalisés pour gérer le risque inondation, mais le risque d’inondation par ruissellement, accentué par le rythme d’urbanisation, reste un défi majeur (Syble, 2021).

Figure 1. Le bassin-versant du Lez (données Corine Land Cover) et localisation des ménages enquêtés

Figure 1. Le bassin-versant du Lez (données Corine Land Cover) et localisation des ménages enquêtés
  • 3 L’expérience de choix (Hanley et al., 2002) est une méthode d’enquête dont l'objectif est d'analys (...)

6Le projet européen NAIAD s’est intéressé au potentiel de mise en œuvre des SfN pour réduire les risques d’inondation sur ce bassin. Dans ce cadre, nous avons réalisé une enquête de type expérience de choix3 auprès de résidents du bassin, afin d’évaluer leurs préférences pour deux types de SfN visant à favoriser l’infiltration et la rétention des eaux de pluie, déclinées en deux niveaux d’ambition (Figure 2) :

7- la préservation des espaces naturels et agricoles, qui consiste à limiter l’étalement urbain par la densification de l’habitat dans les nouveaux quartiers (niveau 1) ainsi que dans les quartiers existants situés en périphérie du centre historique (niveau 2) ;
- l’introduction de la nature en ville par (1) la désimperméabilisation des espaces publics, (2) la création de parkings drainants végétalisés, (3) de noues végétalisées le long des rues (niveau 1). Le niveau 2 repose sur (3) des noues végétalisées plus larges et (4) la création de bassins de rétention multifonctionnels impliquant une diminution de la place de la voiture en ville (rues à sens unique, réduction du nombre de places de stationnement).

Figure 2. Description des SfN proposées : la préservation des espaces naturels et agricoles (gauche) et l’introduction de la nature en ville (droite)

Figure 2. Description des SfN proposées : la préservation des espaces naturels et agricoles (gauche) et l’introduction de la nature en ville (droite)

Hérivaux et Le Coent, 2021

8Le questionnaire repose sur la présentation successive de six cartes de choix dans lesquels les répondants doivent opter pour une des deux stratégies de gestion du risque inondation, chaque stratégie étant décrite comme une combinaison de trois attributs, les deux premiers correspondant au niveau de mise en œuvre de chaque type de solution, le troisième correspondant à la contribution monétaire sous forme d’impôts locaux (Figure 3).

Figure 3. Exemple de carte de choix

Figure 3. Exemple de carte de choix
  • 4 Le questionnaire a été conçu pour mettre en évidence les cobénéfices (bénéfices hors gestion du ri (...)

9Ces deux stratégies permettent d’aboutir au même niveau de gestion du risque inondation ; les solutions grises (réseau pluvial, digues) constituent toujours la variable d’ajustement afin de parvenir au même niveau de risque. En d’autres termes, l’enquête permet d’évaluer les préférences associées aux cobénéfices (bénéfices hors gestion du risque inondation) et effets négatifs des SfN4. Les répondants ont également la possibilité de choisir « Aucune des deux stratégies ». Dans ce cas, qui ne prévoit aucune intervention, la prévention du risque inondation n’est pas garantie. Le cadre d’analyse théorique, la conception, le contenu et les premiers résultats de l’enquête sont décrits en détail par Hérivaux et Le Coent (2021).

10Le questionnaire d’expérience de choix a été construit en impliquant les acteurs du territoire (Syndicat du bassin du Lez, Dreal, Montpellier Métropole, Région Occitanie, EPF, DDTM34, association Mosson Coulée Verte, aménageurs) lors de deux ateliers et d’entretiens. Il a ensuite été testé auprès de 29 résidents du bassin-versant en face-à-face. La diffusion de la version finale en ligne a été réalisée par mail, via une entreprise de panel spécialisée dans la réalisation d’études de marché, à l’ensemble du panel d’individus résidant sur les communes du bassin-versant, et a permis de collecter les réponses exploitables de 399 résidents du bassin-versant du Lez en septembre 2019, avec une bonne représentativité de la répartition entre Montpellier et les autres communes du bassin-versant (respectivement 56 % et 44 % des répondants, à comparer à la distribution de la population respectivement de 60 % et 40 %). Les résultats ont été présentés et mis en débat lors d’un troisième atelier auprès des acteurs du territoire, ainsi qu’aux membres de la Commission locale de l’eau (CLE) du SAGE Lez-Mosson Étangs palavasiens lors d’une réunion de la CLE.

  • 5 L’analyse économétrique utilise un modèle en classes latentes (Greene et Hensher, 2003), permettan (...)
  • 6 Pour ce profil de préférence, le coefficient associé au montant estimé par le modèle économétrique (...)

11L’analyse économétrique5 des réponses met en évidence une hétérogénéité importante des préférences, et dégage cinq profils de préférences contrastées pour les SfN (Hérivaux et Le Coent, 2021). Le Tableau 1 présente l’estimation du consentement à payer (CAP) moyen (en €/ménage/an pendant 10 ans) pour chaque SfN et niveau de mise en œuvre associé à chaque profil de préférences (Hérivaux et Le Coent, 2021) :
- Les profils P5, P3 et P1 (75 % des répondants au total) sont favorables à une mise en œuvre des deux types de SfN au niveau le plus ambitieux. Le profil P5 « Ambition forte – toutes SfN » accorde des préférences équivalentes aux deux types de solutions (CAP équivalents entre les deux solutions) ;
- le profil P3 « Ambition forte – nature en ville surtout » a des préférences nettement supérieures pour l’introduction de la nature en ville (CAP deux fois supérieurs à la préservation) et ne semble pas associer de bénéfices à passer au niveau le plus ambitieux de préservation des espaces naturels et agricoles (CAP du niveau 2 inférieur au niveau 1). Les répondants de profil P1 « Ambition forte – quoi qu’il en coûte » ne sont pas sensibles à une augmentation de la contribution monétaire et sont favorables aux stratégies les plus ambitieuses, quel que soit le niveau d’augmentation des impôts locaux6 ;
- À l’inverse, les profils P4 « Ambition faible – préservation uniquement » et P2 « Ambition faible – nature en ville uniquement » sont favorables à la mise en œuvre d’un seul type de SfN, au niveau le moins ambitieux (CAP du niveau 2 inférieur au niveau 1). Ces deux profils regroupent 25 % des résidents enquêtés.

12L’analyse montre également une influence significative de la localisation des répondants le long d’un gradient urbain-rural sur la probabilité d’appartenance aux profils de préférences : les répondants situés à proximité du centre-ville de Montpellier ont une probabilité plus élevée d’avoir des profils P5 et P3, alors que les répondants plus éloignés du centre ont une probabilité plus forte d’avoir des profils P1, P4 ou P2 (Hérivaux et Le Coent, 2021). Cet article propose d’aller plus loin dans l’analyse spatiale de ces différents profils de préférences, en les analysant sous le prisme de la structure spatiale des inégalités environnementales présentes à l’échelle du bassin-versant.

Tableau 1. Cinq profils de préférences issues du modèle en classes latentes

Classes de préférences P5 P3 P1 P4 P2
Ambition forte (toutes SfN) Ambition forte (nature en ville surtout) Ambition forte quoi qu’il en coûte (toutes SfN) Ambition faible (préservation uniquement) Ambition faible (nature en ville uniquement)
Proportion des répondants 30% 22% 23% 13% 12%
Solution(s) préférée(s) Préservation et nature en ville Préservation Nature en ville
Niveau de mise en œuvre Niveau 2 Niveau 1
Consentement à payer pour la préservation des espaces naturels et agricoles (€/ménage/an)
Niveau 1 171 161 n.d. 55 -
Niveau 2 225 152 n.d. 52 -
Δ Niveau 2 – Niveau 1 +54 -10 n.d. -3 -
Consentement à payer pour l’introduction de la nature en ville (€/ménage/an)
Niveau 1 170 304 n.d. - 137
Niveau 2 241 322 n.d. - 128
Δ Niveau 2 – Niveau 1 +72 +18 n.d. - -9
Distance moyenne au centre-ville (km) 3,8REF 4,8* 5,8** 5,7** 6,8***

Distance moyenne du centroïde de la rue du répondant en utilisant la BD ADRESSE® IGN au centroïde du centre historique de Montpellier et significativité de l’influence de la distance sur l’appartenance aux classes issue du modèle en classes latentes : * p<0,1 ; ** p<0,05 ; *** p<0,01

Source : Hérivaux et Le Coent, 2021

2.Démarche

13La démarche proposée est structurée en quatre étapes. Les deux premières s’intéressent à la création (étape 1) puis à l’analyse spatiale (étape 2) des indicateurs d’inégalités environnementales à l’échelle des îlots Insee du bassin-versant, afin d’observer leur répartition spatiale en identifiant des regroupements (clusters) d’îlots similaires. Une analyse spatiale de la probabilité d’appartenance des répondants aux cinq profils de préférences est ensuite menée (étape 3), puis comparée aux indicateurs et clusters d’inégalités environnementales (étape 4).

2.1. Étape 1 : création des indicateurs d’inégalités

14L’analyse des inégalités environnementales est menée à l’échelle du bassin-versant sur la base d’une analyse de données spatiales et statistiques à l’échelle de l’îlot Insee. Plusieurs indicateurs sont créés afin de décrire trois configurations d’inégalités environnementales potentielles : les inégalités d’accès (ville minérale), les inégalités d’exposition (ville vulnérable) et les inégalités distributives (ville distante) (Tableau 2). En complément, un indicateur socio-économique décrivant les inégalités de revenus entre îlots est également proposé.

Tableau 2. Indicateurs retenus pour analyser les inégalités

Configuration d’inégalités Catégorie indicateur Indicateur Source de données
Environnementales
Inégalités d’accès (Ville minérale) (a) Rareté des espaces de nature Part de la superficie hors espaces semi-naturels OSO 2019 (Cesbio)
(b) Densité de logements Densité de logements en zone urbanisée (logements/ha) Insee 2016 + OSO 2019 (Cesbio)
Inégalités d’exposition (Ville vulnérable) (c) Risque inondation Part de la superficie urbanisée située en zone inondable OSO 2019 (Cesbio) + Atlas des zones inondables 2010 (Dreal Occitanie)
(d) Températures en période caniculaire Gradient de température nocturne médian observé le 6 juillet 2015 (°C) Open data Montpellier Méditerranée Métropole
Inégalités distributives (Ville distante) (e) Place de la voiture Proportion des ménages ayant au moins une voiture Insee 2016
Socio-économiques
Inégalité de revenus (f) Revenu Revenu médian disponible 2018 (€) Insee 2018

2.2. Étape 2 : analyse spatiale des indicateurs d’inégalité

15L’analyse spatiale des indicateurs d’inégalités est menée par l’analyse des relations de voisinage entre îlots Insee, par la création d’une matrice de poids entre îlots basée sur la contiguïté de Queen (deux îlots sont considérés voisins s’ils partagent un point de frontière commune) (de Bellefon et al., 2018). Nous mobilisons ensuite des indices d’autocorrélation spatiale pour mesurer la dépendance spatiale entre valeurs des indicateurs en différents endroits du bassin-versant. Deux types d’indices sont utilisés : l’indice de Moran global, mesurant l’autocorrélation spatiale globale des variables dans un espace donné (Bouayad-Agha et de Bellefon, 2018) et l’indice de Moran local mesurant l’autocorrélation spatiale locale dans chaque unité de cet espace (Anselin, 1995). Plus les valeurs des observations sont influencées par les valeurs des îlots qui leur sont géographiquement proches, plus l’autocorrélation spatiale est élevée. Des indices de Moran significatifs permettent d’identifier des regroupements (clusters) de valeurs similaires ou dissimilaires plus marqués que ce que l’on aurait pu observer à partir d’une répartition spatiale aléatoire. Ces clusters peuvent être de quatre types (Bouayad-Agha et de Bellefon, 2018) :

- cluster HH (high-high) : valeurs de l’indicateur plus élevées que la moyenne, dans un voisinage qui leur ressemble ;

- cluster LL (low-low) : valeurs de l’indicateur plus faibles que la moyenne dans un voisinage qui leur ressemble ;

- cluster HL (high-low) : valeurs plus élevées que la moyenne dans un voisinage qui ne leur ressemble pas ;

- cluster LH (low-high) : valeurs plus faibles que la moyenne dans un voisinage qui leur ressemble.

16L’analyse spatiale de ces clusters permet ainsi de mettre en évidence les inégalités potentielles et la manière dont elles sont structurées spatialement à l’échelle du bassin-versant.

2.3. Étape 3 : analyse spatiale de la probabilité d’appartenance aux cinq classes de préférences

17Cette troisième étape teste si la répartition des répondants entre profils de préférences est aléatoire à l’échelle du bassin-versant, ou s’il existe une dépendance spatiale des préférences individuelles. Pour ce faire, nous réalisons une analyse spatiale des probabilités d’appartenance de chaque individu aux cinq profils de préférences obtenues par une post-estimation du modèle économétrique, selon l’approche utilisée par Czajkowski et al. (2017). Les relations de voisinage entre individus (localisés avec le centroïde de leur rue, en utilisant la BD ADRESSE® IGN) sont analysées par la création d’une matrice de poids entre individus basée sur la méthode géométrique du graphe de Gabriel (deux points pi et pj sont considérés voisins si et seulement si tous les autres points sont en dehors du cercle de diamètre [pi, pj]) (Bouayad-Agha et de Bellefon, 2018). Cette matrice de poids est ensuite utilisée pour estimer les indices de Moran globaux et détecter s’il existe un phénomène de dépendance spatiale de la probabilité d’appartenance aux cinq profils de préférences des répondants.

2.4. Étape 4 : analyse économétrique de l’influence des clusters d’inégalités environnementales sur l’appartenance aux classes de préférences

18La dernière étape teste l’hypothèse selon laquelle l’hétérogénéité spatiale des préférences est le reflet des inégalités environnementales observées à l’échelle du bassin-versant. Pour ce faire, chaque répondant est associé à l’îlot Insee dans lequel il réside. Puis nous testons (i) l’influence de chaque indicateur d’inégalité et (ii) l’influence de l’appartenance à un cluster d’inégalité sur l’appartenance aux cinq profils de préférences avec des modèles de régression logistique multinomiale.

3. Résultats

3.1. Des inégalités environnementales spatialement structurées à l’échelle du bassin-versant

19L’analyse des indicateurs d’inégalités montre une forte hétérogénéité des valeurs entre îlots à l’échelle du bassin-versant. De plus, les indices de Moran globaux sont significatifs (p<0,01) pour l’ensemble des indicateurs (Tableau 3), ce qui indique l’existence d’une autocorrélation spatiale globale (absence de distribution aléatoire des valeurs).

20Les indices de Moran locaux significatifs permettent de détecter les clusters d’îlots ayant des valeurs similaires ou dissimilaires, et ainsi de faire ressortir la manière dont les inégalités s’organisent spatialement à l’échelle du bassin-versant (Figure 4). La Figure 5 analyse la relation entre chaque indicateur et la localisation de l’îlot en fonction de la distance au centre-ville. Ces résultats montrent que les inégalités sont structurées le long d’un gradient urbain-rural pour quatre des cinq indicateurs d’inégalités environnementales (rareté des espaces de nature, densité de logements, températures en période caniculaire, place de la voiture), selon un gradient amont-aval pour l’indicateur d’exposition au risque inondation, et selon une combinaison des deux gradients pour l’indicateur revenu.

Tableau 3. Valeurs indicateurs d’inégalités et indices de Moran globaux associés

Configuration d’inégalités Catégorie indicateur Moyenne [min; max] 1 Indice de Moran global p-value
Environnementales
Inégalités d’accès (Ville minérale) (a) Rareté des espaces de nature 0,70
[0,04 ; 1]
0,881 0,0000
(b) Densité de logements 41
[0,06 ; 229]
0,551 0,0000
Inégalités d’exposition (Ville vulnérable) (c) Risque inondation 0,07
[0 ; 1]
0,295 0,0000
(d) Températures en période caniculaire 0,8
[0 ; 1,7]
0,873 0,0000
Inégalités distributives
(Ville distante)
(e) Place de la voiture 0,78
[0,35 ; 1]
0,738 0,0000
Socio-économiques
Inégalités de revenus (f) Revenu 21219
[10 690 ; 33 880]
0,511 0,0000

1. Valeurs exprimées selon les unités décrites dans le Tableau 2

21Inégalités environnementales d’accès (ville minérale). L’indicateur de rareté des espaces de nature est distribué selon un gradient urbain-rural marqué, avec l’ensemble des îlots du cluster HH (valeur moyenne : 0,95) situés à moins de 3,5 km du centre-ville, et inversement l’ensemble des îlots du cluster LL (valeur moyenne : 0,29) situés à plus de 5,5 km du centre-ville (Figures 4a et 5a). Cette gradation s’accompagne d’une densité de logements également fortement dépendante de la distance au centre-ville : de 108 logements/ ha en moyenne dans le premier kilomètre autour du centre à 9 logements/ ha à partir de 5 km (Figures 4b et 5b). Ces deux indicateurs témoignent d’inégalités d’accès à des espaces de nature, avec un moindre accès pour les résidents urbains pouvant conduire à une demande plus forte de ces derniers pour bénéficier de l’introduction d’espaces de nature en ville et/ou de la protection des espaces de nature existants.

22Inégalités environnementales d’exposition (ville vulnérable). L’analyse spatiale du niveau d’exposition au risque d’inondation fait ressortir une exposition plus forte des îlots dans la zone avale du bassin-versant, sans influence significative de la distance au centre-ville (Figures 4c et 5c). Les températures en période caniculaire sont par contre significativement plus élevées à proximité du centre-ville, avec 1,2 °C d’écart la nuit en période caniculaire entre les îlots du cluster HH (1,3 °C) situés à moins de 5 km du centre-ville et les îlots du cluster LL (0,1 °C) situés essentiellement à plus de 5 km du centre-ville (Figures 4d et 5d). Ces inégalités d’exposition pourraient entraîner une demande plus forte pour la mise en œuvre de SfN des résidents situés dans les zones les plus exposées (aval du bassin-versant pour les inondations, centre-ville pour les températures en période caniculaire).

23Inégalités environnementales distributives (ville distante). Enfin, la place de la voiture augmente en fonction de la distance au centre-ville (Figures 4e et 5e). Ainsi, la part des ménages disposant d’au moins une voiture est de 57 % dans les îlots du cluster HH (situés à moins de 5 km du centre-ville), contre 95 % dans les îlots du cluster LL (situés à plus de 5 km du centre-ville). Ces inégalités peuvent indiquer un taux de dépendance à la voiture plus fort pour les habitants des îlots éloignés du centre-ville, et par conséquent des réticences plus fortes pour la mise en œuvre du niveau le plus ambitieux d’introduction de la nature en ville qui réduit les espaces dédiés à la voiture (réduction du nombre de places de parkings et passage à sens unique de certains axes routiers).

24Inégalités socio-économiques (revenu). L’analyse spatiale des revenus médians disponibles par îlot fait ressortir un cluster HH aux revenus plus élevés dans la zone amont du bassin-versant et à plus de 5 km du centre-ville (valeur moyenne : 27 061 €). Le cluster LL d’îlots aux revenus plus faibles est quant à lui situé dans les quartiers nord-ouest de Montpellier, à moins de 5 km du centre-ville (valeur moyenne : 14 712 €) (Figures 4f et 5f).

25Ces résultats confirment l’existence d’inégalités environnementales et socio-économiques significatives spatialement marquées à l’échelle du bassin-versant.

Figure 4. Indices de Moran locaux pour les indicateurs d’inégalités

Figure 4. Indices de Moran locaux pour les indicateurs d’inégalités

Figure 5. Analyse des indicateurs d’inégalités environnementales en fonction de la distance au centre-ville par type de cluster

Figure 5. Analyse des indicateurs d’inégalités environnementales en fonction de la distance au centre-ville par type de cluster

*** : influence significative de la distance au centre-ville p<0,01 sur chaque indicateur

3.2. Une hétérogénéité spatiale des préférences reflet des inégalités environnementales

26Revenons maintenant à notre hypothèse initiale selon laquelle l’hétérogénéité spatiale des préférences de la population pour des SfN est le reflet des inégalités environnementales à l’échelle du bassin-versant. Nous testons cette hypothèse en abordant successivement deux questions : Observe-t-on une autocorrélation spatiale des cinq profils de préférences des résidents enquêtés, ou sont-ils aléatoirement distribués sur le bassin-versant ? Les inégalités observées influencent-elles de manière significative l’appartenance à un des cinq profils de préférences ?

27L’analyse spatiale de la probabilité d’appartenance aux différents profils de préférence montre une dépendance spatiale significative (indice de Moran global significatif, p<0,01) des individus ayant les profils de préférences P5, P3 et P2 (64 % des répondants) (Tableau 4). Ces trois profils sont contrastés en termes de localisation le long d’un gradient urbain-rural (P5 et P3 ayant des profils de résidents urbains, P2 un profil de résidents périurbains/ruraux). On peut donc s’attendre à ce qu’ils reflètent les inégalités environnementales structurées selon un gradient urbain-rural observé précédemment. La répartition spatiale des individus ayant les profils de préférences P1 et P4 (36 % des répondants) s’apparente au contraire à une distribution aléatoire (indice de Moran global non significatif) (Tableau 4). À l’inverse, les préférences associées à ces deux profils ne semblent donc pas a priori refléter les inégalités environnementales observées.

Tableau 4. Indices de Moran globaux pour la probabilité d’appartenance aux profils de préférences

Classes de préférences P5 P3 P1 P4 P2
Ambition forte (toutes SfN) Ambition forte (nature en ville surtout) Ambition forte quoi qu’il en coûte (toutes SfN) Ambition faible (préservation uniquement) Ambition faible (nature en ville uniquement)
Proportion des répondants 30 % 22 % 23 % 13 % 12 %
Solution(s) préférée(s) Préservation et nature en ville Préservation Nature en ville
Niveau de mise en œuvre Niveau 2 Niveau 1
Indice de Moran global 0,0981 0,0840 0,0142 0,0086 0,1302
p-value 0,0022 0,0071 0,6304 0,3766 0,0000

Matrice de voisinage de Gabriel

  • 7 Ce résultat est cohérent avec le questionnaire dimensionné de manière à évaluer les préférences re (...)

28L’influence des indicateurs d’inégalités environnementales sur l’appartenance aux profils de préférences est analysée en testant l’influence de chaque indicateur d’inégalité (Tableau 5), et en testant l’influence de l’appartenance aux clusters de chaque indicateur d’inégalités (Figure 6). Le profil de préférences P5 est utilisé comme profil de référence. Tous les indicateurs d’inégalité, à l’exception des indicateurs d’exposition au risque inondation, ont une influence significative sur l’appartenance aux différents profils de préférences7 (Tableau 5). Les profils ayant les différences les plus marquées sont les trois profils avec autocorrélation spatiale globale P5, P3 et P2.

- Les répondants aux profils P5 et P3 ont des valeurs d’indicateurs relativement proches, et sont situés dans des îlots plus urbains, avec un plus faible accès aux espaces de nature, une densité de logements plus élevée et une exposition à des températures plus élevées en période caniculaire. Ces indicateurs traduisent potentiellement une demande plus forte pour avoir accès à des espaces de nature et réduire les températures en période caniculaire, cohérente avec les préférences de ces deux profils pour la mise en œuvre des SfN au niveau les plus ambitieux ;

- À l’inverse, les répondants du profil P2 sont davantage situés dans des îlots bien pourvus en espaces naturels, à plus faible densité de logements et moins concernés par les îlots de chaleur en période caniculaire (part importante dans les clusters LL de ces indicateurs) ; mais également avec une place plus importante de la voiture et de plus hauts revenus médians (part significativement plus importante dans les clusters HH de ces indicateurs) (Figure 6). Ces indicateurs traduisent potentiellement une plus faible demande pour améliorer l’accès aux espaces de nature et réduire la température en période caniculaire, ainsi que des effets négatifs potentiellement plus marqués pour la mise en œuvre de SfN ambitieuses du fait de leur dépendance à la voiture. Ces indicateurs se reflètent dans les préférences de ces résidents qui ne sont pas favorables à la mise en œuvre de SfN ambitieuses qui réduiraient la place de la voiture en ville.

Tableau 5. Analyse des indicateurs d’inégalités environnementales par classe de préférences

Classes de préférences P5 P3 P1 P4 P2
Ambition forte (toutes SfN) Ambition forte (nature en ville surtout) Ambition forte quoi qu’il en coûte (toutes SfN) Ambition faible (préservation uniquement) Ambition faible (nature en ville uniquement)
Proportion des répondants 30 % 22 % 23 % 13 % 12 %
Solution(s) préférée(s) Préservation et nature en ville Préservation Nature en ville
Niveau de mise en œuvre Niveau 2 Niveau 1
Inégalités d’accès (Ville minérale)
(a) Rareté des espaces de nature (part de la superficie hors espaces semi-naturels)* 0,76REF 0,72 0,68** 0,68** 0,63***
(b) Densité de logements en zone urbanisée (log./ha)* 38REF 37 31 28* 28*
Inégalités d’exposition (Ville vulnérable)
(c) Risque inondation (part de la superficie urbanisée située en zone inondable) 0,11REF 0,09 0,17* 0,14 0,10
(d) Températures en période caniculaire (gradient de température nocturne médian en °C)** 0,87REF 0,81 0,70** 0,72* 0,65***
Inégalités distributives (Ville distante)
(e) Place de la voiture (part des ménages ayant au moins une voiture)** 0,79REF 0,78 0,83* 0,82 0,86***
Inégalités socio-économiques
(f) Revenu médian (€)** 21 321REF 20 948 21 722 22 704** 22 017

moyenne par classe et significativité des différences entre les classes

Figure 6. Part des répondants situés dans des clusters LL (en bleu) et HH (en rouge) des indicateurs d’inégalités pour chaque profil de préférences

Figure 6. Part des répondants situés dans des clusters LL (en bleu) et HH (en rouge) des indicateurs d’inégalités pour chaque profil de préférences

Seuls les clusters ayant une influence statistiquement significative sont présentés. Significativité de l’influence d’appartenance aux profils de préférences relativement au profil P5 (* p<0,10 ; ** p<0,05 ; *** p<0,01)

29Ces résultats valident l’hypothèse selon laquelle l’hétérogénéité spatiale des préférences reflète trois types d’inégalités environnementales, pour une partie de l’échantillon enquêté (trois profils P5, P3 et P1 représentant 64 % des répondants) : (i) les inégalités d’accès à des espaces de nature, (ii) les inégalités d’exposition aux températures en période caniculaire et (iii) les inégalités distributives générées par la mise en place de politiques ambitieuses de SfN (la réduction de la place de la voiture en ville résultant de l’introduction d’espaces de nature peut générer des effets négatifs plus importants sur la mobilité des habitants des zones rurales ou périurbaines). Pour l’autre partie de l’échantillon enquêté (36 % des répondants), les préférences exprimées semblent peu influencées par le contexte spatial et les inégalités environnementales potentielles, bien que très contrastées (P1 « Ambition forte quoi qu’il en coûte – toutes SfN » versus P4 « Ambition faible – préservation uniquement »).

Conclusion

30Cet article analyse l’influence des inégalités environnementales sur l’hétérogénéité spatiale des préférences de la population du bassin-versant du Lez pour des SfN visant à réduire les risques d’inondation. Il met en évidence l’existence de trois formes d’inégalités environnementales à l’échelle du bassin-versant, majoritairement organisées selon un gradient urbain-rural : (i) les inégalités d’accès aux espaces de nature (concept de ville minérale), (ii) les inégalités d’exposition au risque d’inondation et aux températures en période caniculaire (concept de ville vulnérable) et (iii) les inégalités distributives liées à la dépendance de la voiture (concept de ville distante). Ces inégalités environnementales se reflètent dans trois des cinq profils de préférences (64 % des répondants) issus des résultats de l’enquête d’expérience de choix réalisée par Hérivaux et Le Coënt (2021). Résider dans des îlots plus urbains avec un faible accès à la nature et une exposition à des températures élevées en période caniculaire influence les préférences pour les SfN les plus ambitieuses (52 % des répondants) ; à l’inverse, résider dans des îlots périurbains avec une plus forte dépendance de la voiture, un meilleur accès à la nature et une moindre exposition aux températures élevées limite le soutien pour les SfN les plus ambitieuses qui réduisent la place de la voiture en ville (12 % des répondants). Pour deux profils de préférences sur cinq (36 % des répondants), la répartition spatiale des répondants s’apparente au contraire à une distribution aléatoire, qui semble peu influencée par le contexte spatial et les inégalités environnementales.

31Nos travaux apportent une contribution originale à la littérature sur l’analyse spatiale des préférences de la population (Czajkowski et al., 2017 ; De Valck et Rolfe, 2017), en introduisant le concept d’inégalités environnementales (Berthe et Ferrari, 2015 ; Laurent, 2020). Ils contribuent également aux travaux sur le paradoxe urbain-environnemental (McDonald, 2015 ; Bailly and Bourdeau-Lepage, 2011), selon lequel les espaces naturels et les bénéfices associés diminuent au profit de l’urbanisation, alors que la demande en espaces naturels et services augmente avec la croissance de la population.

32Sur le plan opérationnel, ce travail contribue à la justice procédurale, par l’inclusion des valeurs et préférences de la population dans la phase de conception des politiques publiques (Toxopeus et al., 2020). Nous recommandons une prise en compte des inégalités environnementales dès la phase de conception des SfN, de manière à améliorer leur prise en compte dans les politiques publiques (Laurent, 2020) en anticipant des oppositions éventuelles et en réfléchissant à des mécanismes de réduction de ces inégalités. En effet, les SfN peuvent permettre de réduire des inégalités environnementales (inégalités d’accès/d’exposition), mais peuvent également générer des inégalités distributives. Un obstacle majeur au développement des SfN est lié au fait que les règles de financement des politiques publiques sont basées sur la seule prise en compte de l’efficacité vis-à-vis de l’objectif principal recherché (ici la réduction du risque inondation). Nos résultats illustrent l’importance d’évaluer les SfN selon une approche holistique, considérant l’ensemble des bénéfices et effets négatifs. Cette diversité d’effets peut en effet générer autant de freins ou de leviers à la mise en œuvre ou à l’acceptation de ces solutions. Par exemple, la mise en place de SfN ambitieuses devrait s’accompagner d’une politique de mobilité favorisant les déplacements des habitants éloignés du centre-ville par des alternatives à la voiture.

33Ces travaux ouvrent sur deux perspectives de recherche. D’une part, l’analyse des inégalités environnementales pourra être complétée par l’intégration des autres dimensions du bien-être (santé, éducation, liens sociaux) pour une approche globale de l’effet des SfN sur les inégalités (Liotta et al., 2020 ; Stiglitz et al., 2012). Dans le cas de la région parisienne, Liotta et al. (2020) montrent par exemple que cibler l’introduction de la nature sur des espaces où il n’y en a pas beaucoup peut au final poser un problème d’équité, puisque cela reviendrait à l’introduire dans Paris intra-muros – où vivent les individus déjà privilégiés (revenu, éducation) – et au final à accroître les inégalités. D’autre part, cette démarche pourra être répliquée sur d’autres bassins-versants/territoires de grandes métropoles dans le cadre de la conception de programmes de SfN, afin de confronter les résultats et enseignements obtenus sur le bassin-versant du Lez avec d’autres configurations spatiales d’inégalités environnementales.

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Notes

1 Nous reprenons ici les concepts de ville vulnérable et ville distante proposés par Laurent (2020) pour résumer les enjeux liés aux inégalités environnementales et rencontrés par les systèmes urbains, auxquels nous proposons d’ajouter le concept de ville minérale pour faire référence aux inégalités d’accès à la nature.

2 Le 1er Programme d’actions de prévention contre les inondations sur le bassin-versant du Lez, le PAPI 1 (2007-2013) a permis la mise en sécurité urgente des populations sur la basse vallée du Lez et des actions phares comme les travaux de désembâclement des cours d’eau ou la sensibilisation des scolaires pour une enveloppe de 55 M€. En 2015, le PAPI 2 (2015-2020) a été labellisé pour un montant de 14 M€ réparti en sept axes (Syble, 2021).

3 L’expérience de choix (Hanley et al., 2002) est une méthode d’enquête dont l'objectif est d'analyser les facteurs qui influencent les choix des individus (dans notre cas, le choix de stratégies de gestion du risque inondation basées sur des SfN). Les facteurs peuvent être à la fois les caractéristiques des stratégies proposées et les caractéristiques individuelles des personnes interrogées.

4 Le questionnaire a été conçu pour mettre en évidence les cobénéfices (bénéfices hors gestion du risque inondation) et effets négatifs associés aux SfN ; afin de compléter les évaluations économiques classiques qui ne se concentrent que sur les bénéfices de réduction du risque inondation (et sous-estiment donc les bénéfices des solutions de type SfN).

5 L’analyse économétrique utilise un modèle en classes latentes (Greene et Hensher, 2003), permettant d’explorer l’hétérogénéité des préférences en regroupant les répondants en classes de préférences homogènes, contrairement à un modèle de type mixlogit qui fournit des préférences moyennes pour l’ensemble de l’échantillon.

6 Pour ce profil de préférence, le coefficient associé au montant estimé par le modèle économétrique n’est pas significatif, alors que les coefficients pour les attributs décrivant les SfN sont tous positifs et significatifs. Nous l’interprétons ici de la même manière que Kosenius (2010) comme des préférences pour la mise en œuvre des SfN quoi qu’il en coûte (« Whatever price »).

7 Ce résultat est cohérent avec le questionnaire dimensionné de manière à évaluer les préférences relatives aux cobénéfices (hors gestion du risque d’inondation) et effets négatifs des SfN (§ 2).

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Le bassin-versant du Lez (données Corine Land Cover) et localisation des ménages enquêtés
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/23149/img-1.png
Fichier image/png, 175k
Titre Figure 2. Description des SfN proposées : la préservation des espaces naturels et agricoles (gauche) et l’introduction de la nature en ville (droite)
Crédits Hérivaux et Le Coent, 2021
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/23149/img-2.png
Fichier image/png, 395k
Titre Figure 3. Exemple de carte de choix
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/23149/img-3.png
Fichier image/png, 153k
Titre Figure 4. Indices de Moran locaux pour les indicateurs d’inégalités
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/23149/img-4.png
Fichier image/png, 207k
Titre Figure 5. Analyse des indicateurs d’inégalités environnementales en fonction de la distance au centre-ville par type de cluster
Légende *** : influence significative de la distance au centre-ville p<0,01 sur chaque indicateur
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/23149/img-5.png
Fichier image/png, 198k
Titre Figure 6. Part des répondants situés dans des clusters LL (en bleu) et HH (en rouge) des indicateurs d’inégalités pour chaque profil de préférences
Légende Seuls les clusters ayant une influence statistiquement significative sont présentés. Significativité de l’influence d’appartenance aux profils de préférences relativement au profil P5 (* p<0,10 ; ** p<0,05 ; *** p<0,01)
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/23149/img-6.png
Fichier image/png, 197k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Cécile Hérivaux et Philippe Le Coent, « Inégalités environnementales et hétérogénéité des préférences pour les solutions fondées sur la nature »Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 14, n°2 | Octobre 2023, mis en ligne le 30 octobre 2023, consulté le 10 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/23149

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Auteurs

Cécile Hérivaux

Cécile Hérivaux est chercheuse en économie de la soutenabilité au BRGM/UMR G-EAU à Montpellier. Elle est particulièrement impliquée dans les démarches de conception et d’évaluation de programmes de protection des eaux souterraines. Ses activités de recherche actuelles explorent plus particulièrement l’utilisation des concepts de justice environnementale et de solutions fondées sur la nature (SfN) pour une gestion durable des eaux souterraines
BRGM, Univ Montpellier, 34 000 Montpellier, France
G-eau, UMR 183, INRAE, CIRAD, IRD, AgroParisTech, Institut Agro Montpellier, BRGM, 34 000 Montpellier, France
c.herivaux@brgm.fr
n° Orcid : 0000-0001-6137-8259

Philippe Le Coent

Philippe Le Coent est chercheur en économie de l’environnement au BRGM/UMR G-EAU à Montpellier. Il développe notamment des méthodes d’évaluation économique des Solutions fondées sur la nature, afin d’améliorer leur intégration dans la planification urbaine et la gestion de l’eau
BRGM, Univ Montpellier, 34 000 Montpellier, France
G-eau, UMR 183, INRAE, CIRAD, IRD, AgroParisTech, Institut Agro Montpellier, BRGM, 34 000 Montpellier, France
p.lecoent@brgm.fr
n° Orcid : 0000-0003-3694-3628

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