Nous remercions les relecteurs anonymes de la revue pour leurs remarques constructives sur une première version de cet article. Cette recherche s’est déroulée dans le cadre du projet Althercol (Alternatives aux herbicides dans les jardins collectifs), une action pilotée par les Ministères de la Transition Écologique (mte), de l’Agriculture et de l’Alimentation (maa), des Solidarités et de la Santé (mss) et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (mesri), avec l’appui financier de l’Office français de la biodiversité, dans le cadre de l’Appel à projets de recherche « Mise au point de solutions alternatives aux produits phytosanitaires dans les Jardins, espaces végétalisés et Infrastructures (jevi) », grâce aux crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Écophyto II+.
1Les espaces jardinés sont un lieu privilégié des interactions socio-écologiques, pour deux raisons. D’une part ils peuvent abriter une diversité d’espèces considérable comparé à la plupart des espaces agricoles, et représenter ainsi un support de biodiversité en ville. D’autre part, les acteurs principaux, les jardiniers, ont une influence directe sur la diversité biologique de ces espaces, à travers des pratiques d’aménagement et de gestion. Ce lien substantiel entre le jardinier et la végétation, qui est caractéristique de tous les espaces cultivés, distingue les jardins des autres espaces urbains végétalisés (micro-habitats de la voirie, espaces verts publics, traversées urbaines des cours d’eau, friches urbaines, etc.), dans lesquels ce ne sont pas les habitants qui fréquentent ces espaces qui les gèrent, mais les services municipaux. L’objectif de nos recherches est d’analyser les liens entre la diversité végétale des espaces jardinés et les jardiniers eux-mêmes, leurs caractéristiques socio-démographiques, leurs motivations à jardiner, leur apprentissage du jardinage.
2Les jardins familiaux sont des espaces de choix pour analyser les liens entre diversité végétale et diversité sociale, car ils constituent de vastes surfaces de parcelles cultivées individuellement par des habitants-jardiniers, qui sont aujourd’hui relativement diversifiés socialement (Frauenfelder et al., 2014). Toutefois, en raison de leur organisation spatiale, ouverte aux regards de tous, les jardiniers y sont soumis, plus que dans les jardins domestiques, aux pressions des normes de jardinage, écrites ou tacites (Cérézuelle, 2003 ; Jensen et Sørensen, 2020 ; Di Pietro et Gardair, 2022). En effet les jardiniers ne sont pas isolés dans leurs choix horticoles et d’aménagement : les associations gestionnaires, qui ont une attitude normative variable, peuvent influencer de façon très significative les pratiques horticoles et d’aménagement des parcelles. La gestion des allées communes en particulier, mais aussi de la parcelle, est encadrée, surtout dans les jardins les plus centraux (Poiré et Di Pietro, 2021). La plantation d’arbres et arbustes, par exemple, est actuellement limitée par règlement, voire interdite pour les arbres dans beaucoup de jardins familiaux (seuls les arbres fruitiers sont tolérés), car elle est considérée par de nombreux gestionnaires comme antinomique à la fonction spécifiquement potagère des jardins (Di Pietro et Poiré, 2021). Les règlements écrits peuvent être le fait du gestionnaire local (association ou commune), mais ils peuvent être aussi liés à un encadrement national, par la Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs, dont l’association originelle a été créée en 1896.
3Nés dans le cadre du paternalisme industriel de la fin du xixe siècle, les jardins ouvriers, dénommés « familiaux » depuis 1952, sont l’une des principales formes de jardinage populaire (Weber, 1998). En France ils sont définis légalement comme « des terrains divisés en parcelles affectées à des particuliers y pratiquant le jardinage pour leurs propres besoins et ceux de leur famille, à l’exclusion de tout usage commercial1 ». Les jardins familiaux (en anglais allotment gardens) sont la principale et plus ancienne forme de jardinage collectif ; ils se distinguent des jardins partagés, ou communautaires (community gardens, plus récents et moins nombreux en Europe qu’aux États-Unis), par l’attribution des parcelles à des individus, membres des associations gestionnaires.
4Après une période de crise, dans le second après-guerre, cette forme de jardinage urbain connaît, depuis quelques décennies, un renouveau lié à l’évolution de ses fonctions. D’une part, la finalité alimentaire, ce « postulat incontesté » des jardins familiaux en France (Weber, 1998 : 224), a partiellement évolué depuis un objectif de production de denrées vers un objectif de diversification et de qualité (Pourias et al., 2016 ; Martin et al., 2017). D’autre part, des fonctions de loisirs et de socialisation s’ajoutent à sa finalité alimentaire initialement unique (Joimel et al., 2013 ; Robert et Yengué, 2017), bien que la socialisation par le jardinage puisse être « furtive » (Bouvier-Daclon et Sénécal, 2001). Ces évolutions se manifestent avec une vitesse variable dans différents pays européens : elles semblent bien engagées en Europe nord-occidentale, où ces jardins sont aujourd’hui des espaces de loisirs, alors qu’en France et dans d’autres pays d’Europe centrale et du Sud les jardins familiaux sont clairement des jardins potagers (Voigt et al., 2015).
5Le renouveau des jardins familiaux s’accompagne du renouveau des travaux de recherche à leur sujet. En France, ces recherches ont été d’abord enracinées dans les sciences sociales (Dubost, 1997 ; Weber, 1998 ; Pluvinage et Weber, 1999) et se sont progressivement développées en lien avec les études sur l’alimentation (Pourias et al., 2016 ; Martin et al., 2017), les études urbaines (voir par exemple Robert-Bœuf, 2019b), et celles sur les sols urbains (Schwartz, 2012 ; Bechet et al., 2016). Les recherches récentes en sciences sociales ont montré une certaine diversification sociale des jardiniers (Frauenfelder et al., 2014), qui s’accompagne de la diversification des motivations pour le jardinage (Martinho da Silva et al., 2016).
6Notre étude s’inscrit dans le cadre de la géographie de l’environnement, plus spécifiquement d’une approche biogéographique renouvelée (Alexandre et Génin, 2016), et de l’écologie du paysage urbain (Clergeau, 2007), qui met en relief la diversité des habitats écologiques dans la ville. À l’échelle de la ville, les jardins familiaux contribuent à limiter la densification urbaine (Robert-Bœuf, 2019). Moins morcelés que les jardins domestiques, ils constituent de véritables unités écologiques (Goddard et al., 2009) ; ils constituent aussi des continuités écologiques potentielles, du fait de leur forme linéaire (Di Pietro et al., 2018). En effet, les jardins familiaux sont parfois situés aux bords des cours d’eau ou de voies de communication, des surfaces inconstructibles où les jardins sont pérennes (Chelkoff et Paris, 2016). Ils peuvent aussi être installés sur des surfaces constructibles, à proximité des centres-villes ou en banlieue : la pression de l’urbanisation rend alors leur existence précaire. De ce fait, malgré l’engouement qu’ils suscitent, la surface des jardins familiaux diminue globalement dans les agglomérations, alors même que les agglomérations s’étendent (Dobson et al., 2020).
7À l’échelle des parcelles de jardin, des recherches avaient montré l’existence d’une diversité dans l’aménagement des parcelles (Guyon, 2008) ; d’autres travaux montrent que les parcelles des jardins familiaux sont constituées de micro-habitats écologiques (Cabral et al., 2017). À l’échelle des espèces, des recherches montrent le lien entre l’organisation spatiale et fonctionnelle des parcelles et la flore spontanée de ces jardins (Borysiak et al., 2017). Bien qu’il s’agisse d’une biodiversité ordinaire, les travaux sur la biodiversité des jardins familiaux, qui se développent récemment, montrent que ces jardins abritent de nombreuses espèces spontanées de plantes et d’arthropodes (Consalès et al., 2015), mais aussi des espèces exotiques (Speak et al., 2015). De plus, les jardins familiaux sont le siège d’une certaine agro-diversité, étant riches en espèces végétales cultivées (Klepacki et Kujawska, 2018). Toutefois, le lien entre flore cultivée et flore spontanée n’a pas été étudié à notre connaissance.
8À la lumière de ces recherches, le premier objectif de cet article est de caractériser la diversité végétale cultivée et spontanée dans les jardins familiaux, aux échelles des habitats et des espèces, aussi bien dans les parcelles, qui sont l’espace privé des jardiniers, que dans les allées communes, qui sont l’espace public des jardins familiaux, accessible aux promeneurs.
9En outre, nos travaux ont montré que les plantes spontanées suscitent l’hostilité des gestionnaires des jardins (Di Pietro et Poiré, 2021) et des jardiniers eux-mêmes, la flore spontanée étant considérée comme antinomique à la fonction nourricière des jardins familiaux. Dans les discours des jardiniers, l’hostilité aux plantes spontanées varie en fonction des caractéristiques socio-démographiques des jardiniers (Di Pietro et Gardair, 2022). Qu’en est-il dans la réalité ? Ainsi, dans le sillon de ces travaux, le deuxième objectif de cet article est d’analyser le lien entre la diversité végétale et les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers.
10Notre étude porte sur les jardins familiaux des agglomérations de Tours et d’Orléans (région Centre-Val de Loire), deux villes moyennes ligériennes connaissant une longue tradition de jardinage familial, comparables en population et situation géographique, mais contrastées sur le plan du tissu associatif du jardinage familial. La première est en effet caractérisée par une myriade d’associations de jardinage indépendantes, la seconde connaît principalement une grande association de jardiniers (Association orléanaise des jardins ouvriers et familiaux), affiliée à la Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs.
11L’espace étudié dans chaque agglomération a été défini par la tâche urbaine, entendue comme le tissu bâti continu (éléments bâtis distants de moins de 100 m ; Di Pietro et Poiré, 2021). Les jardins familiaux des deux métropoles ont été recensés de façon exhaustive par photo-interprétation et informateurs communaux (services des mairies). Quatre-vingts sites de jardins ont été identifiés, après vérification de terrain et élimination des jardins gérés par des particuliers (c’est le cas de quatre jardins : trois à Tours, un à Orléans). Notons au passage que certains jardins, auparavant gérés par des associations, ont progressivement évolué vers une appropriation individuelle des parcelles avec une finalité résidentielle (Rode, 2010 ; Rode, 2017) ; ces sites ont été exclus de l’étude. Sur ces 80 sites de jardins familiaux avérés, une trentaine de gestionnaires ont été identifiés et, après relance, 17 gestionnaires ont accepté un entretien, ce qui concerne 40 sites. Sur ces sites, 53 jardins ont été identifiés (Figure 1) ; parmi ceux-ci, 18 jardins avec un petit nombre de parcelles (inférieur à 15 parcelles) ont été exclus de l’étude, pour des raisons de faisabilité de la récolte des données, et 35 jardins ont ainsi été retenus. Une partie de leurs parcelles (entre 5 et 10 % des parcelles) ont fait l’objet d’enquêtes aux jardiniers, d’observations visuelles et de relevés botaniques entre juin et août 2020, pour un total de 150 parcelles, retenues au gré de la présence et de la disponibilité des jardiniers au moment de l’enquête ; ceci nous a parfois conduits à surestimer le nombre de parcelles étudiées dans certains jardins (c’est le cas de deux jardins à Orléans).
12En outre, un système d’information géographique a été construit pour chaque agglomération, ce qui a permis de positionner les jardins familiaux dans l’espace urbain, et de mesurer la part d’espace bâti entourant le jardin dans une zone-tampon de 500 m de rayon (une dimension souvent utilisée dans les études d’écologie du paysage urbain pour caractériser la morphologie urbaine ; Joimel, 2015). Cette mesure du gradient urbain est en effet plus pertinente que la distance au centre-ville dans ces deux métropoles ligériennes, où l’espace urbanisé n’est pas radioconcentrique, mais déformé par la présence de fleuves.
Figure 1 : Localisation des jardins familiaux dans l’agglomération de Tours (en haut) et dans celle d’Orléans (en bas)
La tâche urbaine (tissu bâti continu : éléments bâtis distants de moins de 100 m) est représentée en grisé, les jardins étudiés en orange
Sources : Poiré, 2018, ign, Di Pietro et Poiré, 2021
13Les jardiniers ont été interrogés par un questionnaire qui a constitué une trame pour un entretien directif portant d’une part sur les pratiques horticoles adoptées, y compris le nombre de variétés cultivées, d’autre part sur les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers. Les informations socio-démographiques collectées permettent de définir le genre et âge du jardinier, son milieu social (situation à l’égard de l’emploi, catégorie socio-professionnelle telle qu’elle est définie par l’Insee, niveau d’études), sa situation résidentielle actuelle et passée, son investissement dans le jardinage (mesuré par le temps passé au jardin et par les années de jardinage), les modalités de l’apprentissage du jardinage et ses motivations pour cette activité. Ces dernières ont été récoltées par une question ouverte et catégorisées ex post. Parmi les pratiques horticoles, seules les informations relatives à la diversité des plantes cultivées, que nous nommons par la suite « agro-diversité » (Borysiak et al., 2017), ont été retenues ici : nombre total de variétés cultivées, dont variétés de légumes, de fruits, de plantes aromatiques, de fleurs.
14Les habitats sont à la base de la diversité végétale ; afin d’estimer la diversité des micro-habitats qui caractérisent les jardins, les parcelles des jardiniers interrogés ont fait l’objet d’une estimation visuelle de leur diversité végétale, considérée en relation à un espace très généralement occupé par des plantes herbacées potagères : la part d’espace non cultivé et le nombre de ligneux et semi-ligneux présents dans la parcelle et sur son périmètre ont ainsi été estimés visuellement.
15Ces parcelles ont fait l’objet aussi de relevés botaniques des plantes vasculaires cultivées et spontanées dans la parcelle elle-même et sur son périmètre externe (l’allée commune). Les relevés botaniques dans la parcelle ont été effectués selon un protocole inspiré d’une étude réalisée sur ce type de jardins (Joimel, 2015) : dans chacune des 150 parcelles, 12 quadrats de 50 cm de côté ont été distribués sur la plus grande partie de l’espace cultivé. L’identification des espèces au stade plantule a été soutenue par l’utilisation d’un ouvrage spécialisé (acta, 2014) ; les espèces ont été relevées en présence/absence, et leur fréquence sur les 12 quadrats a été calculée. En l’absence d’un protocole spécifique dans la littérature scientifique, les relevés botaniques des allées communes ont été réalisés selon une méthode originale, consistant à identifier les espèces sur une surface de 12x1m située sur le périmètre externe de la parcelle, sur l’allée commune, afin de pouvoir associer cette végétation aux opérations de gestion et d’aménagement mises en œuvre par chaque jardinier enquêté (Figure 2).
Figure 2. Schéma du protocole de relevés botaniques retenu
12 placettes dans la parcelle (de part et d’autre de l’allée centrale) et une seule grande placette sur l’allée commune
16Dans la parcelle comme dans l’allée commune, la dimension totale de l’espace inventorié est de 12 m2. Les espèces ont été relevées en distinguant les plantes cultivées des espèces spontanées. La nomenclature utilisée est celle de Taxref v13.0 (Gargominy et al., 2019). L’abondance des espèces a été estimée volontairement sans tenir compte de leur recouvrement, en suivant l’échelle de Tansley (1 : rare, 2 : occasionnelle, 3 : fréquente, 4 : abondante, 5 : dominante ; Tansley, 1935).
- 2 Les espèces pérennes sont des espèces vivant plusieurs années et subsistant à la saison hivernale (...)
17La diversité végétale des jardins familiaux a été caractérisée par des variables relatives aux habitats et par des variables relatives aux espèces. À l’échelle de l’habitat (8 variables), la diversité a été décrite par des indicateurs de végétation non potagère : la part d’espace non cultivé et le nombre de ligneux et semi-ligneux présents dans la parcelle et sur son périmètre. À l’échelle de l’espèce et de la sous-espèce, nous distinguons la diversité cultivée (agro-diversité : 5 variables) et la diversité spontanée (4 variables). La première a été décrite par le nombre de variétés cultivées. La seconde a été décrite par deux indicateurs de la flore spontanée des parcelles et des allées : la richesse spécifique (nombre d’espèces différentes), l’indicateur de diversité le plus utilisé, malgré ses limites (Hurlbert, 1971) ; et la part d’espèces pérennes2, des espèces cruciales pour la biodiversité fournissant un habitat pour la faune invertébrée. Les 15 variables quantitatives décrivant la diversité végétale de la parcelle sont présentées dans le Tableau 1.
Tableau 1. Les variables de diversité végétale. Toutes les variables sont quantitatives
Facteur |
Variable |
Source |
Les habitats |
Disponibilité d’espace pour la flore spontanée |
% espace non cultivé |
Observation |
Ligneux et semi-ligneux |
% du périmètre avec haie |
% du périmètre avec plantes grimpantes |
Nb arbres d’ornement |
Nb arbres fruitiers |
Nb total arbres |
Nb arbustes d’ornement |
Nb arbustes à petits fruits (buissons) |
Les espèces |
Cultivées |
Nb variétés de légumes |
Questionnaire |
Nb variétés de fruits |
Nb variétés d’aromatiques |
Nb variétés de fleurs |
Nb total de variétés |
Spontanées |
Richesse spécifique dans la parcelle (Nb espèces) |
Relevés botaniques |
% d’espèces pérennes dans la parcelle |
Richesse spécifique dans l’allée commune (Nb espèces) |
% d’espèces pérennes dans l’allée commune |
18Les 15 variables de socio-démographie des jardiniers sont présentées dans le Tableau 2. Certaines variables socio-démographiques sont des variables qualitatives mutuellement exclusives, car elles permettent une seule réponse (ex. : situation à l’égard de l’emploi, niveau d’études, etc.), tandis que d’autres permettaient des réponses multiples : dans ce dernier cas chaque modalité a été codée en 0/1 et transformée en variable binaire.
Tableau 2. Les variables socio-démographiques
Facteur |
Variable et modalités |
Type |
Nb variables codées |
Code |
Démographie |
Âge |
Quantitative |
1 |
age |
Genre : femme (vs homme) |
Qualitative (0/1) |
1 |
sexe |
Situation à l’égard de l’emploi |
En activité/en retraite/au chômage/sans activité |
Qualitative (4 modalités) |
1 |
emploi |
Catégorie socio-professionnelle de l’Insee (csp) : activité actuelle ou passée |
Sans activité/agriculteur/artisan, commerçant, chef d’entreprise/cadre, profession intermédiaire supérieure/profession intermédiaire/employé/ouvrier |
Qualitative (7 modalités) |
1 |
pcs |
Niveau d’études |
Postbac/collège ou lycée/école élémentaire/pas de scolarité |
Qualitative (4 modalités) |
1 |
etudes |
Situation résidentielle |
Type de logement actuel : maison (vs appartement) |
Qualitative (0/1) |
1 |
log |
Lieu d’habitation actuel : en zone urbaine (vs zone péri-urbaine) |
Qualitative (0/1) |
1 |
hab_actuelle |
Lieu d’habitation durant l’enfance : campagne/ville/entre deux |
Qualitative (3 modalités) |
1 |
hab_enfance |
Investissement dans le jardinage |
Nb de jours passés au jardin par semaine au moment de l’enquête : 2-3 jours/5-4 jours/7-6 jours |
Qualitative ordinale (3 modalités ordonnées) |
1 |
temps_passe |
Nb d’années de jardinage |
Quantitative |
1 |
annees_jf |
Motivations pour le jardinage |
Produire des légumes/bien manger/produire au naturel/maîtriser l’alimentation/s’occuper/lien social/bien-être physique/bien-être psychique/plaisir-passion |
Qualitative (0/1) |
9 |
|
Apprentissage du jardinage |
Période du premier contact avec le jardinage : enfance (vs âge adulte) |
Qualitative (0/1) |
1 |
|
Origine agricole |
Qualitative (0/1) |
1 |
|
Personne enseignant le jardinage : parents/grands-parents/conjoint/autres membres de la famille/autres jardiniers/autodidacte/autre |
Qualitative (0/1) |
7 |
|
Modalité d’apprentissage : en regardant/transmission orale/livres/revues/internet/formations/profession |
Qualitative (0/1) |
7 |
|
À l’exception des variables de motivation et d’apprentissage, toutes les variables qualitatives sont mutuellement exclusives
Source : questionnaire
- 3 Les valeurs varient entre –1 et 1, une valeur positive indiquant une corrélation positive, une val (...)
19Pour mesurer les liens entre les variables nous avons utilisé des tests statistiques non paramétriques, permettant de mesurer la corrélation entre deux variables quantitatives (test de Spearman3), l’association entre deux variables qualitatives (test exact de Fisher), le lien entre une variable quantitative et une variable qualitative, binaire (test de Mann-Whitney) ou non (test de Kruskal-Wallis). Pour mesurer la significativité statistique de ces liens, nous utilisons les seuils de la valeur p (p-value : probability value) généralement pris pour référence : p ≤ 0,01 très forte présomption contre l’hypothèse nulle ; 0,01 < p ≤ 0,05 : forte présomption contre l’hypothèse nulle ; 0,05 <p ≤ 0,1 : faible présomption contre l’hypothèse nulle ; 0,1 < p : pas de présomption contre l’hypothèse nulle. Seulement les liens avérés et avec une significativité forte ou très forte sont indiquées dans les tableaux de résultats.
20De plus, dans une approche multivariée, afin de mesurer le poids des variables socio-démographiques sur les trois types de diversité végétale observée (diversité des habitats, des plantes cultivées, des plantes spontanées), nous avons utilisé une régression par les moindres carrés partiels (PLS-r : Partial Least Squares regression). Associant de façon linéaire les variables de diversité végétale (variables-réponse, descriptives) aux variables socio-démographiques (variables indépendantes, explicatives), cette méthode permet de hiérarchiser ces dernières en calculant leur importance dans la projection (Variable Importance for the Projection, vip). Par convention les variables sont considérées importantes pour la prédiction lorsque vip est supérieur à 0,8. Cette méthode est recommandée lorsqu’il y a un nombre élevé de variables (explicatives et descriptives). Nous avons retenu les variables socio-démographiques au sens strict, à l’exclusion des variables de motivation et d’apprentissage, soit trois variables quantitatives (âge et investissement dans le jardinage) et sept variables qualitatives (voir Tableau 2). Le logiciel utilisé est Xlstat.
21L’espace des jardins familiaux est la résultante d’une imbrication complexe d’acteurs et d’espaces. Trois types d’acteurs sont au cœur des jardins familiaux : les communes, généralement propriétaires du sol, parfois également gestionnaires des jardins ; les associations, généralement gestionnaires des jardins, parfois propriétaires du sol ; les jardiniers, adhérents de l’association gestionnaire et locataires de leur parcelle. Un site donné est parfois occupé par un seul gestionnaire de jardins (association ou commune). Parfois, en revanche, plusieurs associations se partagent les sites les plus vastes (généralement de grandes zones inondables), ce qui induit un entrelacs de gestionnaires sur un même site ; par ailleurs certaines grandes associations de jardinage peuvent gérer plusieurs jardins situés sur plusieurs sites (Figure 3).
Figure 3. Articulation entre gestionnaires et sites de jardins familiaux
Voir texte de l’article
Source : Di Pietro et Poiré, 2021
22Chaque jardin est sillonné par une ou plusieurs allées communes, qui donnent accès aux parcelles individuelles (que les jardiniers appellent « jardin ») ; chaque parcelle est généralement pourvue d’une allée centrale (Figure 4).
Figure 4. Parcelle de jardin familial avec son allée centrale (à gauche) et détail d’une parcelle avec la bordure externe d’une allée commune au premier plan (à droite)
Photos : Di Pietro, mai 2022
23Ainsi, trois niveaux d’organisation émergent : (i) le site de jardins familiaux (connus dans les recherches internationales comme allotment gardens’estates, Borysiak et al., 2016 ; Cabral et al., 2017), dont l’acteur principal est la commune, (ii) le jardin, dont acteur principal est le gestionnaire, associatif ou communal, (iii) la parcelle (allotment), dont l’acteur principal est le jardinier. Dans le sillon de nos travaux sur les gestionnaires des jardins familiaux, et sur les relations entre les communes et les gestionnaires, nous traitons ici des parcelles et des jardiniers.
24Dans nos sites d’étude, la surface des parcelles varie entre 100 m2 et 480 m2 (moyenne : 205 m2) à Tours et entre 50 m2 et 300 m2 (moyenne 243 m2) à Orléans (Di Pietro et Poiré, 2021). Presque un tiers des parcelles sont situées en zone inondable (45/150), ce qui conforte les observations faites dans d’autres villes françaises sur la relative relégation des jardins familiaux dans des zones non constructibles (Chelkoff et Paris, 2016). En moyenne, seulement 10 % (médiane : 8,7 %) de l’espace entourant la parcelle (dans le rayon choisi : 500 m autour du jardin) est imperméabilisé, par la présence du tissu bâti et du réseau routier. Les jardins sont donc situés principalement en zone péri-urbaine.
25La population des jardiniers de notre échantillon est âgée (65,8 ans en moyenne ; médiane : 67,5 ans), principalement masculine (116 hommes sur 150 jardiniers interrogés), en retraite (106/150), populaire (60/150 ouvriers, 51/150 employés), peu diplômée (79/150 jardiniers ont un niveau collège/lycée), habitant en appartement (112/150). Ceci confirme le profil social de la population de jardiniers des jardins familiaux : un milieu populaire, plus diversifié que celui des jardins ouvriers des origines (Weber, 1998 ; Delay et al., 2014).
26Les jardiniers sont majoritairement urbains (132/150), d’origine rurale (94/150 jardiniers habitaient à la campagne dans l’enfance) mais pas agricole (14/150). Généralement, le premier contact avec le jardinage a eu lieu dans l’enfance (103/150) et ils ont appris à jardiner avec leurs parents (83/150 ; 45 jardiniers sont autodidactes). Ils sont en général expérimentés (plus de 13 ans de jardinage en moyenne ; médiane : 10 ans) et très investis dans le jardinage (102/150 jardiniers passent six-sept jours par semaine au jardin).
27Les motivations pour le jardinage sont très variées ; celles qui ont été majoritairement déclarées sont « l’occupation » (90/150) et » le plaisir, la passion » (81/150). Nous soulignons que les motivations alimentaires (production de légumes, production « au naturel », « bien manger », maîtriser son alimentation) sont loin d’être majoritaires (évoquées respectivement 37, 30, 35, 35 fois), tandis que les motivations liées au bien-être, physique et psychique, ne sont pas marginales (évoquées respectivement 36 et 40 fois). La motivation du lien social est davantage le fait des cadres et des jardiniers avec un diplôme post-bac, celle « bien-être psychique » plutôt le fait de jardiniers avec un niveau collège-lycée. Aucun autre lien entre motivation et milieu social n’a pu être mesuré, contrairement à ce qui est avancé par d’autres études fondées sur un petit effectif de jardiniers de jardins familiaux (20 jardiniers pour Scheromm, 2015a ; Scheromm, 2015b) ou sur des questionnaires auto-administrés (Martinho da Silva et al., 2016).
28Des corrélations entre les différentes caractéristiques socio-démographiques ont été mesurées. Les femmes ont davantage appris le jardinage sur internet et avec leur conjoint. Dans le langage utilisé, elles déclarent davantage une motivation liée « au plaisir, à la passion » de jardiner, tandis que les hommes déclarent davantage une motivation liée à « occuper son temps ». Le milieu social (csp, niveau d’études) influence les motivations « lien social » et « bien-être psychique » pour le jardinage. La situation résidentielle (en maison, en zone urbaine) et certaines modalités d’apprentissage du jardinage (en autodidacte, dès l’enfance, de par l’origine agricole) sont associées. En outre, ceux qui sont motivés par le bien-être psychique ont appris à jardiner avec les autres jardiniers et par transmission orale, ce qui suggère le besoin d’échanges pour le bien-être psychique. Ceux qui ont appris par internet sont motivés par « bien manger », ce qui peut être en lien avec les représentations de la qualité alimentaire construites via l’information trouvée sur internet (Tableau 3).
Tableau 3. Liens entre les variables socio-démographiques (test exact de Fisher)
Facteur
|
Modalités et variables liées
|
p
|
Démographie
|
Genre : femmes
|
Motivation : plaisir-passion
|
(0,011)
|
Genre : hommes
|
Motivation : s’occuper
|
(0,038)
|
Genre : femmes
|
Apprentissage, personne : conjoint
|
(0,002)
|
Apprentissage, modalité : internet
|
(0,009)
|
Catégorie socio-professionnelle de l’Insee (csp) : activité actuelle ou passée
|
|
Motivation : lien social
|
(0,015)
|
Niveau d’étude
|
|
Motivation : lien social
|
(0,002)
|
Motivation : bien-être psychique
|
(0,045)
|
Situation résidentielle
|
Type de logement actuel : maison
|
Apprentissage, période : enfance
|
(0,025)
|
Apprentissage : origine agricole
|
(0,047)
|
Lieu d’habitation actuel : en zone urbaine
|
Apprentissage, personne : autodidacte
|
(0,014)
|
Apprentissage, période : enfance
|
(0,001)
|
Motivations
|
Bien manger
|
Apprentissage, modalité : internet
|
(0,000)
|
Bien-être psychique
|
Apprentissage, modalité : transmission orale
|
(0,042)
|
Apprentissage, personne : autres jardiniers
|
(0,006)
|
Les cases en grisé indiquent un lien très fort, les autres un lien fort (voir la méthodologie)
29En ce qui concerne les habitats, la part d’espace non cultivé est faible (12 % de l’espace de la parcelle en moyenne ; médiane : 10 %). Les arbres présents sont généralement des arbres fruitiers (2 arbres fruitiers et 0,3 arbre d’ornement par parcelle, en moyenne). Le reste de la végétation non potagère est peu développé : les arbustes, fruitiers et d’ornement (généralement des rosiers), ne sont pas fréquents (moins de 2 arbustes par parcelle en moyenne) ; la part du périmètre de la parcelle entouré de haies ou de plantes grimpantes (qui sont souvent des pieds de vigne) est faible (respectivement 7 % et 3 % en moyenne).
30En revanche, les plantes cultivées dans ces potagers sont nombreuses et diversifiées : chaque jardinier cultive en moyenne 38 variétés de plantes (médiane : 36), dont 18 variétés de légumes, 6 de fruits, 6 de plantes aromatiques, 9 de fleurs en moyenne, pour un total de 287 variétés cultivées.
31En ce qui concerne la flore spontanée dans les parcelles, 94 espèces ont été relevées dans l’ensemble ; il s’agit pour plus de deux tiers d’entre elles (67) d’espèces annuelles, les pérennes constituant moins d’un tiers des espèces (27). Certaines sont très fréquentes : 11 espèces sont présentes dans au moins 60 % des parcelles (Euphorbia peplus, Veronica persica, Stellaria media, Lysimachia arvensis, Sonchus oleraceus, Amaranthus blitum, Convolvulus arvensis, Portulaca oleracea, Poa annua, Digitaria sanguinalis, Senecio vulgaris). Ce sont des espèces annuelles adventices des cultures, héliophiles, nitrophiles ; elles se développent sur des sols basiques à neutres, secs, plutôt argileux, mais peu riches en matière organique.
32Dans les allées communes, 172 espèces spontanées ont été relevées dans l’ensemble ; les pérennes sont plus fréquentes que dans les parcelles et constituent la moitié des espèces relevées (86 espèces). Ici aussi, certaines espèces sont très fréquentes : 10 espèces sont présentes dans au moins 40 % des allées. Il s’agit pour 7 d’entre elles des mêmes espèces que dans les parcelles, soit des annuelles adventices des cultures (Sonchus oleraceus, Euphorbia peplus, Digitaria sanguinalis, Lysimachia arvensis, Senecio vulgaris, Convolvulus arvensis, Poa annua) ; pour les autres il s’agit en revanche d’espèces annuelles typiques des lieux incultes (Erigeron Canadensis) et d’espèces de bord de chemin, annuelles (Helminthotheca echioides) ou vivaces (Taraxacum officinale).
33La richesse spécifique moyenne est comparable dans les deux milieux : médiane de 13 espèces dans les parcelles (13,03 ± 3,69 en moyenne, entre 6 et 24 espèces végétales spontanées par parcelle) et de 14 espèces dans les allées communes (14,03 ± 5,23 en moyenne, entre 2 et 29 espèces végétales spontanées par allée). Toutefois, si la flore spontanée des parcelles est constituée très largement d’espèces annuelles adventices des cultures, les allées communes abritent dans l’ensemble davantage d’espèces différentes (presque le double) que les parcelles, et surtout davantage d’espèces pérennes.
34Bien que la diversité de ces communautés végétales spontanées ne soit pas négligeable, le contraste est saisissant entre la richesse de l’agro-diversité (en moyenne 39 variétés de plantes cultivées dans les parcelles) et la relative pauvreté de la flore spontanée (en moyenne 13 espèces spontanées dans les parcelles et 14 dans les allées communes) et des habitats.
35Les liens que nous avons mesurés entre les différentes facettes de la diversité végétale des jardins familiaux et les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers, sont présentés dans le tableau 4.
Tableau 4. Liens entre la socio-démographie et la diversité végétale
Facteur |
Modalités et variables liées |
Test |
p |
Modalité |
Variable quantitative |
Démographie |
Genre : femmes |
% espace non cultivé |
MW |
0,029 |
Nb variétés aromatiques |
MW |
0,032 |
Nb variétés fleurs |
MW |
0,026 |
Situation à l’égard de l’emploi |
|
Nb variétés légumes |
KW |
0,029 |
Richesse spécifique |
KW |
0,027 |
Catégorie socio-professionnelle de l’Insee (CSP) : activité actuelle ou passée |
|
Nb arbustes à petits fruits |
KW |
0,009 |
Nb variétés fruits |
KW |
0,003 |
Nb variétés fleurs |
KW |
0,000 |
Nb total variétés |
KW |
0,001 |
Niveau d’études |
|
Nb arbustes d’ornement |
KW |
0,001 |
|
|
Nb arbustes à petits fruits |
KW |
0,0001 |
Nb variétés légumes |
KW |
0,001 |
Nb variétés fruits |
KW |
0,0001 |
Nb variétés aromatiques |
KW |
0,0001 |
Nb variétés fleurs |
KW |
0,0001 |
Nb total variétés |
KW |
0,0001 |
Richesse spécifique |
KW |
0,001 |
Situation résidentielle |
Type de logement actuel : maison |
Nb total arbres (–) |
MW |
0,028 |
Nb arbustes à petits fruits |
MW |
0,036 |
Nb variétés légumes |
MW |
0,021 |
Lieu d’habitation durant l’enfance |
Nb arbustes à petits fruits |
KW |
0,018 |
Nb variétés fruits |
KW |
0,002 |
Nb total variétés |
KW |
0,042 |
Richesse spécifique |
KW |
0,020 |
Motivations pour le jardinage |
Produire des légumes |
% espèces pérennes |
MW |
0,001 |
% espèces pérennes de l’allée commune |
MW |
0,004 |
Produire au naturel |
Nb arbustes ornement |
MW |
0,032 |
Richesse spécifique de l’allée commune (–) |
MW |
0,039 |
S’occuper |
Nb arbres fruitiers (–) |
MW |
0,034 |
Lien social |
Nb arbustes d’ornement |
MW |
0,008 |
Nb arbustes à petits fruits |
MW |
0,012 |
Bien-être physique |
Nb arbres ornement |
MW |
0,008 |
Nb total arbres |
MW |
0,010 |
% espèces pérennes |
MW |
0,001 |
Bien-être psychique |
% espace non cultivé |
MW |
0,010 |
Nb arbres d’ornement |
MW |
0,010 |
% espèces pérennes |
MW |
0,003 |
Plaisir-passion |
% espèces pérennes (–) |
MW |
0,001 |
Apprentissage du jardinage |
Personne enseignant le jardinage : autres jardiniers |
% espèces pérennes |
MW |
0,042 |
En italique les variables d’agro-diversité ; le signe (–) après la variable quantitative indique une relation négative avec la modalité associée. Les cases en grisé indiquent un lien très fort, les autres un lien fort (voir la méthodologie) ; MW : Mann-Whitney, KW : Kruskal-Wallis
36La diversité des habitats des parcelles est liée au genre du jardinier, les femmes laissant davantage d’espace non cultivé dans leur parcelle. Elle est également liée au milieu social, en particulier en ce qui concerne les semi-ligneux (arbustes d’ornement et à petits fruits), qui sont plantés davantage par les jardiniers qui ont un niveau post-bac (validé ou pas) et par les cadres et professions intermédiaires (Figure 5).
Figure 5. Variation du nombre d’arbustes à petits fruits en fonction du niveau d’études du jardinier (à gauche), et en fonction de sa catégorie socio-professionnelle (Insee) (à droite)
37La diversité des habitats est aussi en relation avec la situation résidentielle du jardinier : ceux qui habitent en maison ont plus d’arbustes à petits fruits, mais moins d’arbres dans leur jardin familial que ceux qui habitent en appartement. L’origine du jardinier joue aussi un rôle : ceux qui ont une origine rurale (qui habitaient à la campagne dans l’enfance) ont moins d’arbustes à petits fruits que les autres jardiniers (en particulier ceux qui habitaient entre la ville et la campagne).
38Enfin, la diversité des habitats est liée aux différentes motivations pour le jardinage. La part d’espace non cultivé, et les ligneux et semi-ligneux, sont associés à des motivations de bien-être (physique et psychique), de lien social, de production « au naturel », contrairement à la motivation de l’occupation, qui est négativement associée aux arbres fruitiers.
39L’agro-diversité est liée au genre du jardinier, les femmes cultivant davantage de variétés de plantes aromatiques et de fleurs que les hommes. Elle est également liée au milieu social des jardiniers : situation à l’égard de l’emploi (les jardiniers au chômage produisant des légumes peu diversifiés), catégorie socio-professionnelle et niveau d’étude. Les cadres sont ceux qui cultivent davantage de variétés de plantes au total, de fleurs, de fruits ; les ouvriers sont ceux qui cultivent le moins de variétés de plantes au total, et de fruits. L’agro-diversité (dans toutes ses variables) est supérieure pour les jardiniers qui ont un niveau post-bac (validé ou pas), et suit le gradient scolaire (Figure 6).
40Enfin, l’origine du jardinier aussi joue un rôle sur l’agro-diversité : ceux qui ont une origine rurale cultivent moins de variétés au total et moins de variétés de fruits.
Figure 6. Variation du nombre total de variétés cultivées en fonction du niveau d’étude du jardinier (à gauche), et en fonction de sa catégorie socio-professionnelle (Insee) (à droite)
41En ce qui concerne les plantes spontanées, la richesse spécifique des parcelles est liée à la situation professionnelle du jardinier, les valeurs les plus élevées étant enregistrées dans les parcelles des jardiniers en activité et celles les plus faibles dans les parcelles des jardiniers au chômage, ce qui est probablement en relation avec la disponibilité des jardiniers pour contrôler la végétation spontanée (bien que la corrélation avec le temps passé au jardin ne soit pas significative). La richesse spécifique des parcelles est liée aussi au niveau d’études du jardinier, les valeurs les plus élevées étant enregistrées dans les parcelles des jardiniers avec un diplôme post-bac et celles les plus faibles dans les parcelles des jardiniers avec un niveau élémentaire (Figure 7). Elle est moins élevée dans les parcelles des jardiniers d’origine rurale.
Figure 7. Variation de la richesse spécifique de la parcelle en fonction de la situation du jardinier à l’égard de l’emploi (à gauche) et en fonction de son niveau d’étude (à droite)
42La part d’espèces pérennes dans les parcelles est liée à des variables de motivation et d’apprentissage. D’une part, elle est plus élevée pour les jardiniers qui ont déclaré des motivations liées au bien-être psychique et physique et à la production de légumes, moins élevée pour ceux qui ont comme motivation le plaisir-passion, ce qui est inattendu. Ceci suggère que la motivation alimentaire n’est pas forcément incompatible avec une certaine biodiversité ; ceci suggère aussi que la passion du jardinage peut se traduire par un très fort contrôle de la végétation spontanée, probablement par des pratiques de désherbage intense. D’autre part, la part d’espèces pérennes est supérieure dans les parcelles des jardiniers ayant appris le jardinage avec d’autres jardiniers, ce qui pourrait être lié à l’adoption d’un modèle de jardinage moins cadré par des traditions agricoles familiales.
43Dans les allées communes, la flore spontanée est liée à deux motivations pour le jardinage : de façon surprenante la motivation « produire au naturel » est corrélée à une plus faible richesse spécifique des allées communes, et la motivation « produire des légumes » à une plus part plus importante d’espèces pérennes. Ceci est peut-être à mettre en relation avec une forte orientation vers la production dans le premier cas, et à une attention principalement tournée vers l’espace de la parcelle, et non de l’allée commune, dans le second.
44La régression par les moindres carrés partiels (pls-r) montre que les variables les plus influentes sur la diversité végétale sont en grande partie les mêmes pour la diversité des habitats et l’agro-diversité : les études (post-bac vs absence de scolarité), la csp (ouvriers vs cadres), une enfance rurale ou périurbaine. Les études post-bac ont un rôle majeur aussi pour la diversité spontanée ; pour celle-ci, toutefois, d’autres aspects interviennent : l’âge et les années de jardinage, le fait d’être en activité ou pas (Tableau 5).
Tableau 5. Hiérarchisation des variables socio-démographiques influençant la diversité végétale (pls-r)
Diversité des habitats |
Agro-diversité |
Diversité spontanée |
Variable |
vip |
Variable |
vip |
Variable |
vip |
etudes-1 |
2,558 |
pcs-6 |
2,317 |
etudes-1 |
2,383 |
pcs-6 |
2,187 |
etudes-4 |
2,214 |
age |
1,782 |
etudes-4 |
1,739 |
pcs-3 |
1,750 |
annees_jf |
1,594 |
pcs-3 |
1,560 |
hab_enfance-3 |
1,691 |
emploi-1 |
1,583 |
hab_enfance-3 |
1,377 |
etudes-2 |
1,444 |
hab_enfance-3 |
1,420 |
etudes-3 |
1,162 |
etudes-3 |
1,345 |
emploi-2 |
1,418 |
sexe-0 |
1,107 |
hab_enfance-1 |
1,342 |
hab_enfance-1 |
1,129 |
sexe-1 |
1,107 |
etudes-1 |
1,304 |
pcs-3 |
1,018 |
pcs-5 |
0,980 |
pcs-5 |
1,018 |
temps_passe |
0,969 |
annees_jf |
0,967 |
sexe-0 |
0,527 |
pcs-6 |
0,961 |
hab_enfance-1 |
0,766 |
sexe-1 |
0,527 |
pcs-1 |
0,934 |
emploi-3 |
0,754 |
temps_passe |
0,490 |
etudes-3 |
0,846 |
pcs-4 |
0,551 |
emploi-4 |
0,460 |
sexe-0 |
0,802 |
emploi-1 |
0,545 |
pcs-0 |
0,460 |
sexe-1 |
0,802 |
age |
0,525 |
hab_actuelle-1 |
0,449 |
etudes-2 |
0,776 |
log-0 |
0,385 |
hab_actuelle-0 |
0,449 |
etudes-4 |
0,585 |
log-1 |
0,385 |
annees_jf |
0,379 |
pcs-4 |
0,573 |
pcs-1 |
0,328 |
pcs-2 |
0,362 |
log-0 |
0,341 |
emploi-2 |
0,239 |
emploi-2 |
0,355 |
log-1 |
0,341 |
emploi-4 |
0,186 |
hab_enfance-2 |
0,350 |
hab_actuelle-1 |
0,307 |
pcs-0 |
0,186 |
pcs-1 |
0,286 |
hab_actuelle-0 |
0,307 |
hab_actuelle-0 |
0,133 |
emploi-1 |
0,253 |
hab_enfance-2 |
0,296 |
hab_actuelle-1 |
0,133 |
pcs-4 |
0,173 |
emploi-3 |
0,286 |
pcs-2 |
0,093 |
log-0 |
0,146 |
emploi-4 |
0,232 |
temps_passe |
0,087 |
log-1 |
0,146 |
pcs-0 |
0,232 |
hab_enfance-2 |
0,067 |
age |
0,075 |
pcs-2 |
0,181 |
etudes-2 |
0,055 |
emploi-3 |
0,052 |
pcs-5 |
0,160 |
Pour le code des variables, voir le Tableau 2. vip : Variable Importance for the projection. Les cases en grisé indiquent les vip > 0,8
45Au regard de nos objectifs, nous avons d’abord montré que les jardins familiaux abritent une agro-diversité riche, mais une diversité des habitats et de la flore spontanée limitée : la part d’espace non cultivé est faible, les ligneux et semi-ligneux peu fréquents, la richesse spécifique de la flore spontanée peu élevée, en particulier dans les parcelles, où les espèces pérennes sont minoritaires.
46L’approfondissement de l’analyse fonctionnelle de cette flore permettra à l’avenir de mieux la caractériser, mais les caractéristiques mentionnées peuvent être rapprochées de la primauté de la fonction alimentaire de ces jardins potagers. Sur nos sites, cette primauté est confortée par la plupart des gestionnaires des jardins familiaux à travers des injonctions orales et réglementaires limitant la plantation de ligneux dans les parcelles, malgré l’intérêt des arbres pour les jardiniers habitant en appartement (qui sont ceux qui les plantent davantage), et ordonnant un désherbage intense des allées communes (Di Pietro et Poiré, 2021).
47L’analyse des liens entre les différentes facettes de la diversité végétale des jardins familiaux et les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers montre quatre effets : le genre, le milieu social, la situation résidentielle, l’origine. D’abord un effet de genre, les femmes laissant davantage d’espace non cultivé et cultivant davantage d’espèces de plantes aromatiques et de fleurs que les hommes. Ceci confirme une étude européenne qui a montré que les femmes laissent davantage d’espace libre pour des espèces spontanées dans les jardins (Coisnon et al., 2019).
48Ensuite un effet de milieu social, les ouvriers (et employés) et les jardiniers avec un faible niveau d’étude plantant moins de semi-ligneux, cultivant moins de variétés de plantes et en particulier de fruits, tolérant moins de plantes spontanées que les cadres et professions intermédiaires et les jardiniers avec un niveau post-bac. Nos analyses suggèrent une polarisation sociale entre jardinage acceptant la biodiversité, qui est le fait d’un milieu social plus aisé, et jardinage hostile à la biodiversité, qui est le fait d’un milieu social plus pauvre. L’association entre la diversité des habitats de la parcelle et le milieu social du jardinier avait déjà été observée par Guyon (2008), qui notait un gradient opposant parcelles des ouvriers, avec la totalité de l’espace consacré au potager, et parcelles des cadres, avec presque tout l’espace consacré à la pelouse, pour 30 jardiniers de jardins familiaux de Strasbourg. Nous ne trouvons pas cette association du milieu social du jardinier avec la part d’espace non cultivé, mais la trouvons avec le nombre de semi-ligneux plantés dans la parcelle, avec l’agro-diversité et avec la flore spontanée. L’effet du milieu social sur la flore spontanée confirme une étude précédente sur les déclarations des jardiniers à l’égard de la flore spontanée, et suggère un besoin de contrôler son environnement physique plus fort dans les milieux les plus populaires. Toutefois ce lien avec le milieu social n’avait pas été mesuré au regard de l’utilisation de pesticides, largement utilisés dans les jardins familiaux, quel que soit le milieu social (Di Pietro et al., 2023).
49L’effet de la situation résidentielle émerge, car les arbres sont privilégiés par les jardiniers habitant en appartement, les arbustes à petits fruits par ceux habitant en maison. Cette relation entre le logement du jardinier et la diversité des habitats de la parcelle suggère, pour les jardiniers habitant en maison, une séparation fonctionnelle entre le jardin domestique et celui familial, le premier étant ornemental et le second alimentaire, comme déjà observé par Weber (1998, chapitre 2). Ceci suggère également, pour les jardiniers habitant en appartement, l’identification entre le jardin et l’arbre.
50Enfin, nous avons mesuré l’effet de l’origine du jardinier (rurale, urbaine ou périurbaine), l’origine rurale étant liée à moins d’agro-diversité (nombre de variétés de fruits en particulier) et à une moindre richesse spécifique des parcelles. L’importance de la référence au monde rural pour les jardiniers des jardins familiaux a été montrée dans d’autres études (Delay et al., 2014 ; Langemeyer et al., 2018). Nous avions déjà mis en évidence le lien de l’origine rurale des jardiniers avec certaines pratiques horticoles (utilisation de pesticides de synthèse notamment) et certains aspects du discours des jardiniers, qui suggèrent l’influence d’un modèle agricole intensif (Di Pietro et al., 2023).
51En outre, les motivations pour le jardinage influencent la diversité des habitats et la part d’espèces pérennes dans la parcelle et dans les allées communes. En particulier, les motivations liées au bien-être sont associées à davantage d’espace non cultivé, de ligneux et semi-ligneux, et de plantes spontanées pérennes dans les parcelles. Ceci confirme une étude observant une relation entre biodiversité et bien-être dans plusieurs sortes de jardins collectifs (Dennis et James, 2017). De plus, la production de légumes est une motivation liée à une plus forte part de pérennes dans la flore spontanée des parcelles et des allées communes ; ce lien devra être approfondi.
52De façon générale, la flore des allées communes reste peu expliquée par la socio-démographie des jardiniers (au sens strict), ce qui est très probablement dû à l’existence de normes associatives réglementant l’entretien des allées communes et homogénéisant la flore de ce milieu.
53Pour conforter la capacité d’accueil de la biodiversité dans les jardins familiaux, l’attitude des gestionnaires locaux (associations et communes) à l’égard de la plantation de ligneux et de la gestion des allées communes devra évoluer. Si les gestionnaires ont évolué en ce qui concerne l’utilisation des pesticides de synthèse, désormais légalement interdits pour un usage non agricole, leur hostilité envers la flore spontanée se maintient, et accompagne un modèle esthétique de la parcelle agricole entretenue, contrôlée, maîtrisée, qui fonde la gestion de ces espaces voués à une fonction alimentaire. Si cette fonction persiste, d’autres fonctions, dont celle de loisir et bien-être, s’affirment progressivement : leur coexistence, non seulement dans les jardins mais aussi dans les parcelles elles-mêmes, devrait être encouragée.