Sara Brimo, La Santé environnementale : une approche juridique, Dalloz, collection les sens du droit, 2023, 300 pages.
Texte intégral
1La santé environnementale mobilise de plus en plus d’intelligences et les travaux de nombreuses disciplines scientifiques apportent des connaissances approfondies sur ce sujet. Pour autant, Sara Brimo constate que de « l’avis général la planification en matière de santé environnementale est un échec avéré » (p. 171). L’intérêt de ce livre ne renvoie pas au seul exposé de ce constat, mais à ce qu’il l’inscrit dans une approche juridique de la santé environnementale qui s’adosse à l’histoire du droit, à la sociologie et qui montre comment l’appréhension scientifique de la santé interroge la place et la spécificité du droit. Cela permet au lecteur de mieux saisir les contradictions et les paradoxes de notre société qui paraît reconnaître l’importance des facteurs environnementaux sur la santé des populations tout en ne se dotant pas des moyens de combattre la croissance des maladies chroniques et des nouvelles pathologies infectieuses engendrées par les dégradations environnementales. La qualité de ce livre réside donc dans la claire compréhension de ce que la substance juridique du concept de santé environnementale peut impliquer dans une meilleure prise en compte des liens existants entre la santé et l’environnement. Quatre perspectives, qui constituent autant de chapitres, sont successivement abordées pour analyser les rapports entre santé et environnement dans le droit français.
21. L’émergence du concept décrit la manière dont les effets de l’environnement sur la santé humaine ont été appréhendés au cours de notre histoire. Cet exposé sur les façons dont les autorités politiques prennent en charge les questions sanitaires et environnementales a l’avantage d’être synthétique et l’inconvénient de s’abstraire de l’étude approfondie des dimensions idéologiques, politiques et sociales qui les conditionnent. Plusieurs exemples nous permettent de mieux comprendre le poids de l’héritage qui pèse sur les politiques mises en œuvre. Au xixe siècle, la prévalence de l’échelon municipal dans le déploiement des politiques sanitaires et environnementales et l’existence d’une législation sanitaire parcellaire. Et au xxe siècle, la mise en place d’instruments et de dispositifs presque exclusivement nationaux et une prise en charge des problématiques de santé environnementale qui quitte le champ de la prévention pour se polariser sur le curatif avec la diffusion des antibiotiques et de la pénicilline. Dès lors, on comprend mieux l’importance du rôle exercé par l’Organisation mondiale de la santé avec sa définition juridique extrêmement précise de la santé environnementale (p. 24) et de celui de la Cour européenne des droits de l’Homme qui pose des bases jurisprudentielles d’une protection de la santé humaine lors d’atteintes portées à l’environnement.
32. À propos des risques sanitaires et environnementaux qui sont l’objet d’une réglementation visant la protection de la santé humaine, l’auteure démontre avec clarté comment ils se construisent dans des cadres délimités qui pérennisent les approches cloisonnées de la prévention des risques. Qu’il s’agisse de l’environnement professionnel, des produits phytosanitaires, de la pollution atmosphérique ou du changement climatique, le cloisonnement des politiques de santé est problématique puisqu’une appréhension effective de la santé environnementale implique de considérer les risques attachés à ces différents cadres sous l’angle des effets qu’ils produisent dans l’ensemble de notre société (p. 89-90). Abordant quelques exemples comme ceux des risques chimiques, des taux importants de sous déclaration en maladies professionnelles, de la difficulté de prendre en compte les risques liés aux expositions environnementales, des effets cumulatifs de la multiexposition de différents types de produits, Sara Brimo souligne l’intérêt d’une approche permettant de ne plus envisager la santé au travail, la santé à la maison comme des cadres juridiques distincts nécessitant en toutes circonstances des mesures juridiques distinctes. Quant aux contentieux dans les domaines de la pollution urbaine et des changements climatiques, l’auteure expose les carences actuelles de la réglementation et le manque d’engagement des autorités qui amènent les juges à se saisir de la question de la responsabilité des États et à se positionner comme des « promoteurs, en lieu et place des politiques, du concept de santé environnementale » (p. 117).
43. L’assimilation et la mise en œuvre de la santé environnementale sont également décrites et analysées avec l’étude des principes de prévention, de précaution, du droit à l’information et à la participation. Parmi les mécanismes de prévention des risques sanitaires et environnementaux, les polices administratives spéciales et leurs multiplications – on en compterait plus de vingt-cinq – ont pour effet de centraliser ou de recentraliser, si l’on s’inscrit dans le temps long, les pouvoirs de police entérinant ainsi une approche sectorielle des problématiques de la santé environnementale. Cette montée en puissance des polices spéciales interprétée comme une réponse de la puissance publique aux condamnations dont elle a été l’objet dans les années 1990-2000, interroge Sara Brimo, car elle affaiblit et elle rend souvent inopérantes les interventions de collectivités territoriales qui par leurs compétences dans de nombreux domaines (mobilités, logement, actions sociales…) pourraient rendre effective une territorialisation de la santé environnementale.
54. Après l’exposé des outils susceptibles d’être mobilisés, une dernière partie est consacrée aux acteurs : autorités administratives, opérateurs privés, lanceurs d’alerte, experts, agences sanitaires, juges. Les développements dédiés au rôle des juges sont particulièrement intéressants, ils aident à comprendre ce que sont les incertitudes scientifiques et la manière dont le système juridique, confronté aux atteintes environnementales et sanitaires, apporte ses réponses propres. Dans des affaires de plus en plus nombreuses, les juges nationaux et européens sont amenés à évaluer, voire à condamner la politique publique suivie par les autorités. Récemment, la Cour européenne des droits de l’Homme a pour la première fois condamné un État, la Suisse, pour son manque d’action face au changement climatique. En France, des juridictions administratives ont dans certains cas dénié le caractère fautif de la carence des services de l’État (azf Toulouse) ou exonéré celui-ci d’une partie de son obligation de réparer les préjudices (laboratoire Servier), et dans d’autres, reconnus, la carence fautive de l’État (la Cour administrative d’appel de Paris à propos de la pollution atmosphérique). Étudier dans quelle mesure le droit de la responsabilité peut sanctionner le comportement des entreprises ou des États, à l’origine de dommages environnementaux et des atteintes à la santé des populations, est une question d’actualité passionnante. Aujourd’hui de plus en plus nombreux sont les citoyens qui veulent se saisir du droit pour obliger les acteurs à respecter leurs engagements ou à sanctionner leurs fautes ou leurs inactions.
6Plus que jamais le destin de notre société est planétaire, les liens entre santé et environnement réapparaissent avec force et avec conscience que les bouleversements en cours menacent le vivant sous toutes ses formes. Bien que ce constat soit documenté par les sciences, et qu’il puisse apparaître comme une évidence, il est mis en doute, stigmatisé ou simplement écarté quand il s’agit de mettre en œuvre des politiques publiques qui s’appuient sur les acquis de nombreuses disciplines scientifiques : médecine, épidémiologie, biologie, sociologie, histoire… Il en est ainsi de la santé environnementale. D’où l’intérêt et l’importance du livre de Sara Brimo lorsque l’on sait que, jusqu’à une période récente, la communauté des juristes s’investissait peu sur cette question. De multiples signes indiquent que ce temps est révolu comme en atteste le cycle de conférences « Santé, justice et société : quels défis pour le xxie siècle ? » organisé par la Cour de cassation. Cet ouvrage ne se contente pas de dresser un panorama des normes de droit positif, de présenter les structures administratives et les principes qui peuvent préserver la santé humaine, il fournit des outils et des pistes pour comprendre, repenser et apprécier la portée des innovations jurisprudentielles. Le sujet est encore une matière neuve et si l’on peut regretter l’absence de développements axés sur la doctrine ou le droit des générations futures, les connaissances exposées permettront sans nul doute aux lecteurs de suivre, d’approfondir et de s’intéresser à une question fondamentale pour notre avenir : le renouvellement du traitement administratif et juridique de la santé environnementale. Dans une démocratie en crise et dont l’intensité faiblit de plus en plus, cette entreprise de salubrité publique verra se dresser contre elle de nombreux obstacles. Traiter d’un point de vue juridique les outils et les principes dont il faut doter la santé environnementale est donc une tâche d’importance. Par sa présentation et sa réflexion, ce livre y contribue d’autant plus que les professionnels du droit délimitent souvent des approches qui ne permettent pas de saisir pleinement toute l’étendue et la profondeur des questions relatives à la santé environnementale.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Franck Boutaric, « Sara Brimo, La Santé environnementale : une approche juridique, Dalloz, collection les sens du droit, 2023, 300 pages. », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 15, n°3 | Décembre 2024, mis en ligne le 20 décembre 2024, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/24616 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13cql
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