Ne serait-ce que le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et les limites désormais établies des modes de développement des sociétés ont, encore timidement, amené les pouvoirs publics à déployer des mesures d’adaptation des sociétés et d’atténuation de leurs effets sur l’environnement. L’urbanisme et l'aménagement du territoire sont à la fois une cause de ces crises multiples et un levier de changement. Ainsi et sans être exhaustif, leurs orientations stratégiques et leurs modalités d’action ont été amendées depuis une trentaine d’années par l’introduction des notions de réseaux écologiques (Blanc et al., 2012), de services écosystémiques (Maresca et al., 2011), de solutions fondées sur la nature (Guerrin et al., 2023) et de manière plus opératoire, de transitions écologiques (Villalba et Melin, 2022).
En France, la loi Climat et résilience (n° 2021-1104 du 22 août 2021) s’inscrit dans ce changement des formes d’urbanisation des territoires et de prises en compte de l’environnement. Plus particulièrement, elle introduit par son article 192 une définition de l’artificialisation comme étant « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Cette loi introduit également une première limitation quantitative de la consommation et d’artificialisation des sols qui ne pourra être que deux fois moindre entre 2021 et 2031 par rapport à la période 2011-2021 (réduction de 50 % de la mobilisation d’Espaces naturels, agricoles et forestiers – enaf). La division par 2 de l’artificialisation des sols entre chaque décennie sera prolongée à l’horizon 2050 par un dispositif de compensation selon le principe du Zéro artificialisation nette (zan) à l’instar, en Europe, du Soil strategy for 2030 (European Commission, 2021). Un tel dispositif est mis en place pour le moins en Europe et interroge quant à son opérationnalité et ses effets territoriaux (Montaldi et al., 2024 ; Decoville et Feltgen, 2023 ; Decoville et Schneider, 2016).
L'adoption de politiques publiques qui visent à réduire drastiquement la consommation de foncier et préserver les sols par l’objectif zan, constitue selon certains auteurs un changement de paradigme de l’aménagement du territoire (Soler-Coteaux et Strebler, 2021). Elle trouve néanmoins ses racines dans la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU, 2000-1208 du 13 décembre 2000) ou bien encore dans la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité introduisant la doctrine « éviter, réduire, compenser » (Despraz et Chatelard, 2023). Le tarissement du gisement et la planification de la sobriété foncière, tant sur le plan temporel que spatial, a suscité un vif débat académique et politique (Desjardins, 2024 ; Vanier, 2024). Ce dernier a notamment pris la forme d’une série de modifications juridiques sous forme de lois et de décrets portant tout aussi bien sur la définition de l’artificialisation et la compensation (décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023 et décret n° 2023-1259 du 26 décembre 2023), l’industrialisation (loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023), la gouvernance et les disparités territoriales (décret n° 2023-1098 du 27 novembre 2023) ou bien encore l’énergie (décret n° 2023-1408 et arrêté du 29 décembre 2023).
Si l'objectif zan est clair, ses modalités ne sont pas encore stabilisées. Il pose toutefois durablement une refondation du système de valeurs portées sur l’espace, les milieux et les paysages et des usages qu’en font les sociétés. Ainsi, l’appel à contribution souhaite réunir tout d’abord des articles portant sur les méthodes qui accompagnent l’objectif zan et, plus généralement, sur la valuation de l’artificialisation et de sa compensation. Autrement dit, comment « compter ce qui compte » afin d’atteindre l’objectif zan ? Par ailleurs, l’appel vise à réunir des travaux qui analysent « l’objectif zan en train de se faire » dans un contexte juridique flou et incertain, et marqué par des tensions ravivées à l’occasion de grands projets urbains et d’aménagement du territoire, souvent considérés comme anachroniques ou allant à l’encontre des transitions écologiques. Enfin, en participant d’une certaine « planification écologique, l’objectif zan amène à s’interroger sur la manière dont s’articulent État et initiatives citoyennes, si ce n’est les communs au sens large, dans la (re)définition des projets de territoire.
Si le législateur avait déjà introduit des dispositions réglementaires visant la sobriété foncière, l’objectif zan impose désormais aux territoires une trajectoire chiffrée de réduction de 50 % de la consommation d’espaces naturels, agricoles, et forestiers pour la décennie 2021-2031, avec un objectif zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Cette obligation de résultats soulève des questionnements en amont et en aval, en premier lieu sur la capacité des échelons locaux à définir et calculer une trajectoire permettant d’atteindre les objectifs fixés, tout particulièrement de compensation et de renaturation. La liberté accordée par le législateur dans la définition de la méthodologie de calcul des enveloppes zan (par exemple, la marge de manœuvre de 20 % attribuée aux documents de planification pour la mise en compatibilité avec les documents d’ordre supérieur – Circulaire du 31 janvier 2024 relative à la mise en œuvre de la réforme vers le « zéro artificialisation nette des sols ») combinée à des délais de modification des documents de planification assez contraints, suscite des interrogations quant à la possibilité d’atteindre ces objectifs dans les délais impartis, et sur le risque de s’éloigner de la réflexion qualitative sur la fonctionnalité des sols vers une application plus strictement comptable.
Cet axe s’intéresse dès lors aux méthodologies et critères retenus pour « compter ce qui compte », ainsi qu’à leurs incidences sur les trajectoires zan en cours d’élaboration. Il s’agira d’examiner si la complexité entourant la définition et la sélection des méthodes de calcul des trajectoires zan pourrait compromettre une approche plus qualitative de l’objectif zan, en particulier sur les trames brunes et les fonctionnalités écologiques des sols. Comment est transcrit l’objectif zan à l’échelle des territoires ? Dans l’hypothèse où une dimension qualitative de l’objectif zan serait envisagée, en quoi sa traduction opérationnelle participerait à (re)donner de la valeur à des espaces tels que les friches ou les dents creuses ? L'objectif zan entraîne-t-il un changement dans les processus de valuation des espaces, et selon quels critères ? Ces controverses d’ordre méthodologique font écho à celles liées à la séquence erc, quant à la qualification et la commensurabilité de l’espace. Peuvent-elles être mobilisées pour avancer dans cet environnement incertain ?
L’objectif zan réinterroge les projets de territoire portés par les documents de planification (Scot, plui, etc.), en particulier leur capacité à penser les compromis entre spécificités territoriales, équilibres politiques souvent fragiles et modalités de sa mise en œuvre. Il soulève certaines contradictions dans la planification où les efforts de réduction de l’artificialisation seront demandés aux territoires ayant le moins artificialisé sur la dernière décennie. Les collectivités locales se retrouvent devant le défi de gérer les tensions qui en découlent, en particulier sur les formes de solidarités interterritoriales à engager, par exemple dans les relations centre-périphérie déjà conflictuelles par ailleurs.
Cet axe propose de décrypter les processus de gouvernance foncière mis à l’épreuve par l'opérationnalisation de l’objectif zan. Il s’agit d’analyser les arbitrages occasionnés par des projets de territoire se voulant intégrés et construits autour de formes d’équilibre entre les différents secteurs d’activité qui les structurent, à la fois du point de vue de la reconfiguration des relations entre les acteurs et de la redéfinition des projets de territoire.
Dans le contexte du flou concernant les modalités de sa mise en œuvre, n’y a-t-il pas un risque que l’objectif zan engendre de nouvelles conflictualités entre différents acteurs et secteurs concernés par l’aménagement du territoire ? Comment les collectivités locales gèrent-elles ces défis et participent-elles à de nouveaux compromis ? Par ailleurs, en quoi l’objectif zan se traduit-il par une redéfinition des périmètres et des orientations des projets de territoire pensés dans la planification ainsi que des compétences des acteurs ?
L’objectif zan marque le retour de l’État dans la planification spatiale au nom d’enjeux environnementaux et de préservation de la biodiversité. Cela interroge l’autonomie accordée aux territoires dans la définition de leur projet. Cette vision planificatrice de l'État entre en tension avec des projets de territoires pensés de concert avec leurs habitantes et habitants. Dans un contexte où se renforce la vision du territoire comme commun – du moins, du territoire comme lieu d’émergence de projets mus par un principe politique relevant des communs – répondant aux attentes citoyennes de lieux de vie habitables, se pose la question de l’incidence de l’objectif zan. Répond-il aux attentes citoyennes concernant leurs territoires de vie, en matière de préservation des aménités environnementales et naturelles ?
Cet axe s’interroge sur la reconfiguration des rapports entre action publique et action citoyenne dans les projets de territoire au prisme de la mise en œuvre de l’objectif zan. Dans cette optique, se pose la question de savoir si l’objectif zan peut être un catalyseur d’une nouvelle manière d’envisager les projets de territoire ou un frein à la co-construction de ces projets. Fédère-t-il autour d’un projet de territoire ? Arrive-t-il à faire « commun » ? Reconfigure-t-il les modalités du « faire en commun » ?
- Arnaud Buchs, Univ. Grenoble Alpes, cnrs, Science Po Grenoble, pacte, 38 000 Grenoble, France
- Nicolas Buclet, Univ. Grenoble Alpes, cnrs, Science Po Grenoble, pacte, 38 000 Grenoble, France
- Grace Kassis, Univ. Grenoble Alpes, cnrs, Science Po Grenoble, pacte, 38 000 Grenoble, France
- Guillaume Schmitt, uphf, larsh
- Les articles proposés devront être des documents originaux. Ils peuvent néanmoins avoir fait l’objet de communications lors d’un colloque ou de documents de travail, à condition d’être réadaptés au format de la revue.
- Les propositions d’articles (résumés de 4 500 signes espaces compris, hors bibliographie) seront soumises à un avis de pertinence pour juger de leur adéquation avec le cadrage du dossier. Ces propositions devront donc être suffisamment précises (titre de l’article, question de recherche, outils théoriques, terrain étudié, principaux résultats). Elles devront inclure les noms et prénoms des auteur·e·s, leur statut et leur rattachement institutionnel, ainsi que le courriel de l’auteur·e correspondant.
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- Chaque article, sous couvert d’anonymat, sera soumis à deux relectures anonymes. Cette double relecture pourra donner lieu à des demandes de corrections (mineures ou majeures), à une ré-écriture éventuelle, voire à un refus de l’article.
- Si des modifications demandées ne sont pas effectuées, et ce sans justification, le comité de coordination du dossier et le Comité de rédaction de la revue se réservent le droit de ne pas publier le texte concerné.
- Publication de l’appel à article : 15 décembre 2024
- Date limite de réception des résumés étendus : 15 février 2025
- Avis du comité de coordination du dossier : 28 février 2025
- Date limite de réception des articles : 1er juillet 2025 (possibilité d’extension au 1er septembre)
- Publication prévue : printemps 2026
- Format des résumés : 4 500 signes espaces compris max., hors bibliographie.
- Format des articles : entre 30 000 et 55 000 signes espaces compris, bibliographie, notes et première page incluses.
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