« Au‑delà » de la double absence : nouveaux regards, nouvelles propositions
Résumés
Depuis les travaux fondateurs d’Abdelmalek Sayad, la référence à l’absence est de moins en moins mobilisée dans les études migratoires. Ce marqueur du lien social à distance ne survit que dans le récit de sa décomposition du fait des avancées technologiques en général et des digital migrations studies en particulier qui changent les modes de vie et transforment le rapport au lointain. Pourtant, ce constat ne s’applique pas au champ académique anglophone qui en a fait un objet à la croisée de multiples domaines de recherche. Cet article présente ainsi un bilan théorique des principaux travaux qui structurent ce champ de recherche et propose une approche relationnelle de l’absence comme fondement commun de la mobilité par‑delà les inégalités d’accès.
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- 1 Djamila a 47 ans au moment de l’entretien, elle est aussi mère d’une fille plus jeune qui a vécu sa (...)
- 2 Luce Giard, « Faire la cuisine », in Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre Mayol (dir.), L’Invent (...)
1Vivant à distance de son fils qui habite chez son père à Marseille, Djamila1 comme bien d’autres parents expérimente au quotidien l’absence de son enfant âgé de 10 ans. Restée à Constantine en Algérie, elle lui prépare régulièrement des croissants salés. Seuls, ces moments‑là de préparation culinaire et de discussion sur fond musical donnent lieu à une mise en image par le biais des médias sociaux. Les autres échanges quotidiens se limitent à l’oralité afin de dissimuler les signes et manifestations visuels des émotions générées par la séparation et l’éloignement dans le temps de la perspective des retrouvailles. L’art de nourrir a à voir avec l’art d’aimer écrit Luce Giard2. Pourtant, le fils ne peut se nourrir de ses mets préférés mais, ce qui se joue dans cette scène va bien au‑delà du partage convivial d’un repas. Pour cette mère, il s’agit de réinvestir son rôle dans sa fonction nourricière et de suspendre provisoirement le lointain et la durée de la séparation le temps de cette préparation culinaire online. Ces moments passés ensemble à distance offrent en effet un espace de réassurance qui donne la mesure de la permanence des habitudes, des ambiances et du mode de vie familial. Cette affirmation au quotidien des liens d’attache ne doit toutefois pas faire oublier la part importante de ce qui n’est pas dit et ne peut l’être en raison des émotions tristes qui pourraient s’immiscer dans l’intimité de ces échanges.
- 3 Cette scène d’absence est extraite d’un corpus de recherche qui porte sur les séparations au sein d (...)
- 4 Nira Yuval‑Davis, “Belonging and the politics of belonging”, Patterns of Prejudice, vol. 40, no 3, (...)
2Loin d’être isolée, cette scène fait écho à de nombreux autres contextes de séparation produits par les contraintes institutionnelles et administratives liées aux politiques migratoires entre la France et l’Algérie et illustre les modalités que prend le social lorsque la distance s’introduit au sein des configurations familiales3. Elle révèle également les effets produits par les temporalités administratives qui agissent au cœur des familles et instaurent des frontières entre les vécus4, ce que l’actualité sanitaire induite par la récente période pandémique liée à la Covid 19 a puissamment montré à partir des mesures de restriction des mouvements et de confinement de la population générant isolement et solitude. Partout dans le monde, de nouvelles scènes d’absence sont apparues en lien avec le développement des réseaux sociaux et des plateformes en ligne. En favorisant de nouveaux agencements sociaux, ceux‑ci ne produisent pas seulement un temps actif où l’éloignement géographique compose avec la proximité affective, ils agissent sur l’espace‑temps des séparations en réintroduisant la figure du tiers absent dans le quotidien des configurations familiales.
- 5 Ce prisme analytique a été introduit dans les travaux de l’anthropologie anglo‑saxonne. Nina Glick (...)
3Comment toutefois considérer ces dispositifs interactifs à distance entre des êtres pris dans un lien de proximité affective ? De quelle manière ce type d’absence peut‑il être décrit et défini ? Peut‑on – doit‑on ? – considérer que le ressenti de l’absence est neutralisé lors de ces échanges au point de générer une double présence ou, à l’inverse, fait‑il ressortir les distances entre les partenaires en relation ? Ces situations que vivent nombre de familles séparées par des frontières géographiques et administratives posent ainsi singulièrement la question du choix des termes mobilisés pour les décrire ainsi que des propriétés sociales dont ils sont investis. D’aucuns diraient que l’on ne peut les saisir à travers le prisme de l’absence car les technologies de la communication ont considérablement modifié le rapport entre présence et absence. En promouvant la double présence, le paradigme du transnationalisme5 n’a pas seulement accompagné ces évolutions technologiques, il en a fait un marqueur de la transformation du lien social à distance. En quelque sorte, on ne peut plus être absent dès lors que les personnes en mobilité entretiennent avec les proches séparés des liens que l’on peut qualifier de permanence lesquels, bien davantage que les relations de proximité, se caractérisent par leur dimension temporelle. Pourtant, s’il apparaît indéniablement que les échanges à distance atténuent dans une certaine mesure les conséquences de l’éloignement en assurant les personnes éloignées les unes des autres de la permanence des attaches, ils n’y mettent pas fin car le lien est dans la relation d’absence. L’objectif de cet article consistera précisément à montrer que ces liens d’attache donnent forme et sens à l’absence comme temps relationnel inscrit dans un système d’attentes et d’obligations sociales qui diffèrent du régime en présentiel.
- 6 Stephan Scheel et Martina Tazzioli, “Who is a Migrant? Abandoning the Nation‑state Point of View in (...)
- 7 Cet article s’inscrit dans le prolongement d’une recherche menée dans le cadre d’un mémoire d’habil (...)
4L’article sera structuré en trois temps. Sans prétendre à l’exhaustivité, le premier point sera consacré à la présentation des principaux travaux qui font de l’absence un champ de recherche particulièrement dynamique. Je resserrerai ensuite la focale sur le destin singulier de la notion dans le contexte académique francophone en proposant de distinguer entre l’absence comme concept de position et l’absence comme concept de relation. Le dernier point sera dédié à l’exploration de cette approche relationnelle en soulignant ses possibles apports aux débats portants sur la « démigrantisation » des figures de la mobilité6. En somme, il s’agit de montrer que la notion n’a pas seulement une portée descriptive dans un monde en mouvement mais qu’elle permet plus largement d’en analyser les changements au prisme des inégalités d’accès à la mobilité7.
De l’absence à la propinquity : la structuration d’un champ
- 8 Abdelmalek Sayad, La double absence : des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, préf. (...)
- 9 Abdelmalek Sayad, « Immigration et “pensée d’État” », Actes de la recherche en sciences sociales, v (...)
- 10 Parmi les travaux fondateurs de ce champ d’études mentionnons celui de Rhacel Salazar Parreñas qui (...)
- 11 Les travaux des féministes ont permis de déconstruire la normalité de cette figure en soulignant le (...)
5Si les travaux du sociologue algérien Abdelmalek Sayad ont contribué à structurer un important champ de recherche sur les mobilités dans le champ migratoire France‑Algérie, ils ont aussi fait de l’absence un prisme d’analyse fécond des contradictions dans lesquelles est pris l’émigré‑immigré au regard de sa société d’origine et de celle du pays où il réside. Mentionnée pour la première fois en 1999 dans un ouvrage éponyme8, la terminologie de la « double absence » invite à prendre en compte la difficulté voire l’impossibilité à faire coïncider, en France et en Algérie, les statuts juridiques et symboliques de l’appartenance et de l’intégration. Ensuite, l’expression se diffuse et passe d’une approche centrale et fondatrice d’une sociologie des migrations pensée, décrite et interprétée à travers les catégories de la pensée d’État9 à d’autres contextes de séparation, notamment dans le champ de la famille transnationale. L’intérêt pour ce champ d’études s’affirme au début des années 2000 en lien avec la féminisation des migrations au moment où se manifestent à différentes échelles d’analyse, du local au global, les conséquences du tournant transnational dans les études migratoires10. La notion est alors mobilisée pour étudier les effets des séparations et les réagencements familiaux induits par la migration dans un contexte marqué par le passage d’une figure masculine de l’absence perçue comme évidente et donc impensée11, à une figure féminine.
- 12 Mikkel Bille, Frida Hastrup et Tim Flohr Sørensenlle (eds), An Anthropology of Absence: Materializa (...)
6Au tournant des années 2000, le terme fait flores dans l’espace académique anglophone et pénètre différents domaines de savoir. Ce qui frappe d’emblée à l’examen de la production scientifique dans cet espace académique, c’est que le mot absence est rarement opposé à celui de présence. N’étant pas opposés, les termes sont situés dans un continuum propice aux transitions entre présence et absence. Une telle approche permet ainsi d’ouvrir le champ d’observation et d’analyse aux phénomènes situés dans cet entre‑deux tout en autorisant des rapprochements disciplinaires dominés principalement par l’anthropologie et dans une moindre mesure par l’archéologie. Dans un ouvrage qui fera date, les manifestations de la présence‑absence12 se déploient en empruntant plusieurs orientations. Elles s’incarnent en effet dans les membres amputés lors de conflits et de guerre, dans des corps manquants, dans le don d’organes, autant de manifestations sensibles qui permettent de questionner la corporalité sous un angle ontologique.
- 13 Le dictionnaire Merriam‑Webster définit ainsi le terme : “Propinquity and its cousin ‘proximity’ ar (...)
- 14 Victor Buchli, “The Reformation and the problem of visibility and proximity”, An Archaeology of the (...)
7Dès la fin de la première décennie des années 2000, se met en place un courant de recherches autour d’une nouvelle manière de se saisir de la présence et de l’absence qui emprunte le terme propinquity13. Initialement mobilisé dans le domaine de l’anthropologie religieuse, le mot ne désigne pas seulement l’éloignement spatiotemporel d’un être ou d’un objet, il donne corps à l’idée d’absence par « actualisation de présence ». Pour l’anthropologue Victor Buchli, le terme propinquity sous‑tend ainsi une relation d’analogie, de proximité temporelle et de proximité spatiale, plutôt que de coprésence visuelle et physique permettant de transformer les conceptions dualistes telles que la séparation ontologique entre matière vivante, matière morte, sujet et objet14. Ce faisant est inauguré un nouveau champ d’intérêt porté à l’actualisation de la présence dans l’absence, proposition qui s’accompagne également d’une réflexion sur la différence entre le voir à distance et le voir en présentiel.
8Dès lors qu’il n’y a plus de démarcation nette entre ce que recouvrent les termes de présence et d’absence ni de mise en opposition dans un schème dualiste, l’ambivalence de la présence dans l’absence devient saillante dans le temps et dans l’espace et questionne l’ontologie des objets. Les métaphores, les images, les rêves pénètrent ainsi le champ de l’absence et de la propinquity lequel intègre également les objets dont le statut ontologique est imprécis comme les fantômes, les cendres des corps décédés ainsi que tous les objets incertains pour lesquels la distinction entre présence et absence est labile, floue.
- 15 Morgan Meyer et Kate Woodthorpe, “The Material Presence of Absence: a dialogue between museums and (...)
- 16 Eckehard Pistrick, “Performing Absences. Seasonal Returns in South Albanian Villages”, Ethnologie f (...)
9Les lieux occupent une place structurante dans cette réflexion sur les objets au statut incertain. Durant la première décennie des années 2000, des recherches comparatistes s’efforcent ainsi de donner une géographie matérielle à l’absence en proposant de s’en saisir et d’en interroger ses effets dans des endroits tels que les cimetières et les musées15. Ces lieux sont ainsi décrits comme étant constitués d’entités « présentifiées » dont l’absence est performée : corps et objets sans vie comme les momies, les fossiles, les animaux naturalisés, les collections d’insectes, etc. Dans ces lieux, on peut la ressentir, la voir, l’entendre, elle occupe une place et donne accès à la mémoire et à l’histoire. Elle investit également les lieux privés, intimes qui deviennent ainsi les hors‑champs silencieux où se conserve la mémoire des êtres dont on cherche à garder le souvenir. En Albanie, après la chute du régime communiste en 1991, certaines pièces des maisons d’habitation comme les chambres ont été entièrement dédiées à la mémoire des êtres proches si bien que l’absence devient visible et présente à la fois, inscrite dans le quotidien de celles et ceux restés dans les villages16.
- 17 Torsten Hägerstrand, “Presence and absence: A look at conceptual choices and bodily necessities”, R (...)
- 18 Cyntrica Eaton, Catherine Plaisant et Terence Drizd, “Visualizing missing data: Graph interpretatio (...)
- 19 Il s’agit du projet de recherche ESRC project Geographies of Missing People dirigé par Hester Parr, (...)
- 20 Hester Parr et Nicholas Fyfe, “Missing geographies”, Progress in Human Geography, vol. 37, no 5, p. (...)
10Parallèlement, de nombreuses recherches se développent en l’associant à l’invisibilité dans la représentation des personnes en mobilité. Ces travaux s’inscrivent dans le sillon tracé par le travail pionnier du géographe suédois Torsten Hägerstrand qui, dès les années 1980, attire l’attention sur les rythmes liés aux départs et aux retours car ils donnent la mesure de la dynamique entre présence et absence à l’échelle d’un espace et d’un temps donné17. Que ce soit en géographie ou dans le domaine de la cartographie, un vaste champ de recherche est ainsi mis en place autour de la prise en compte des données manquantes liées à des personnes, à des situations car elles n’ont pas été collectées et/ou sont rendues inaccessibles. Elles constituent néanmoins des sources d’information à part entière, leur non prise en compte générant des biais – perceptibles et ou invisibles – dans le processus de connaissance18. Ce nouvel intérêt porté à la présence manquante, invisibilisée et dont on parle peu, est développé quelques années plus tard à travers un programme de recherche19 visant à comprendre où, à l’échelle des différentes zones et marges des grandes métropoles, les personnes disparaissent le plus et comment la police et les familles réagissent à de tels événements. Afin de ne pas composer avec le seul récit des “lefts behind”, soit celles et ceux qui restent, ces recherches tiennent compte des lieux marginalisés, à l’écart où se trouvent possiblement les êtres manquants – que les chercheurs mettent en relation avec le devenir absent qui renvoie au processus social relatif à cette considération – “becoming absent”. Attentive à prendre en compte les contextes politiques et culturels liés à cette présence manquante, une géographie émotionnelle est ainsi proposée cherchant à identifier les personnes manquantes, leur vulnérabilité ainsi que les contextes de leurs disparitions20.
- 21 Erling Björgvinsson et Nicholas De Genova, “A Dialogue on Absence between Aleksander Motturi, Kitso (...)
- 22 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, t. 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, « Folio, Essai (...)
11Dans ce sillage, les travaux s’inscrivant dans le champ des migrations s’attachent à développer un usage critique du terme. En 2020, paraît sous l’impulsion de Erling Björgvinsson et de Nicholas De Genova un « dialogue sur l’absence21 » qui donne la parole à des universitaires et des artistes sollicités pour décrire le rôle qu’elle peut avoir dans leurs domaines de recherches respectifs. La production de l’invisibilité, le jeu entre présence et absence qui opère dans les technologies du contrôle conduisent à problématiser les politiques de la connaissance qui privilégient trop souvent le visible et laissent dans l’ombre ce qui est caché, absent. Ainsi entendue, la notion permet d’enrichir la perspective de l’autonomie dans la migration, attentive à la prise en compte des « arts de faire22 », ruses et tactiques de résistance déployés par les personnes en mobilité dans des situations particulièrement contraintes.
- 23 Boaventura de Sousa Santos, « Épistémologies du Sud », Études rurales, no 187‑(Le sens rural aujour (...)
12Cette approche qui associe l’invisibilité à l’absence nourrit plus largement une épistémologie alternative aux épistémologies occidentales. Selon cet angle d’analyse, est absent ce qui est activement produit comme non existant, invisibilisé ou rendu inintelligible. Si l’on suit cette perspective, l’absence est moins un objet qu’un processus qui invisibilise des pans entiers de savoirs en raison de l’échelle dominante d’analyse : ce qui n’existe pas apparaît comme une alternative non crédible à ce qui est supposé exister. Cette sociologie des absences s’oppose à celle des émergences qui « consiste à remplacer ce que le temps linéaire présente comme le vide du futur (un vide qui pourrait être aussi bien tout que rien) par des possibilités plurielles et concrètes, qui sont à la fois utopiques et réalistes23 ».
13Comme tout objet de savoir, l’absence est associée à différentes conceptions qui traversent les disciplines et les domaines d’études, ce que permet de montrer le dynamisme remarquable des travaux qui, dans les sciences sociales francophones et anglophones, ont œuvré à la reconfiguration de la recherche sur cette question. De la présence‑absence à l’absence comme source d’invisibilité en passant par la propinquity, la notion fournit une grille de lecture heuristique afin de concevoir de nouveaux questionnements sur les objets au statut « incertain », minoré qui accèdent ainsi à une prise en compte. Ce bref retour sur les évolutions de la notion permet également de considérer sous un nouveau jour le destin singulier qu’elle rencontre dans le contexte français.
Concept de position et concept de relation
- 24 Bétoule Fekkar‑Lambiotte, La double présence : histoire d’un engagement, Paris, Éd. du Seuil, 2007.
- 25 Dana Diminescu, « Le migrant connecté : pour un manifeste épistémologique », Migrations Société, vo (...)
14Moins d’une décennie après la publication de l’ouvrage La double absence d’Abdelmalek Sayad, l’expression de « double présence » est introduite en 2007 par Bétoule Fekkar‑Lambiotte24. Cette présence qui s’affirme sur le mode du double dans le champ migratoire Algérie‑France, ne semble pas seulement révélatrice de l’importance prise par la double nationalité désormais assumée, elle ferme durablement la parenthèse de l’absence et l’illusion d’un provisoire qui avait fini par s’installer dans la durée. L’expression prendra ensuite véritablement son essor avec le manifeste portant sur Le migrant connecté25 lequel prend acte de l’intensification des réseaux de connexion au sein des familles traversées par les frontières et prend ses marques en dehors du champ migratoire France, Algérie.
- 26 Abdelmalek Sayad, « Les trois “âges” de l’émigration algérienne en France », Actes de la recherche (...)
- 27 On peut se référer notamment aux travaux de Nina Glick‑Schiller, Linda Basch et Cristina Blanc‑Szan (...)
15Pourquoi un tel basculement ? Bien qu’elle ait amorcé en France le sillon à partir duquel sera durablement pensée l’absence, la double absence sayadienne a principalement été utilisée comme un concept de position. L’expression situe les êtres à distance les uns des autres, distance qui n’est pas seulement géographique car elle peut à tout moment s’ouvrir à d’autres formes de distance – sociales et culturelles notamment – comme le montrent les trois âges de l’émigration algérienne mis en évidence par le sociologue, le dernier âge s’affirmant comme la conquête d’une autonomie par rapport à la société d’origine26. Cette position dans l’espace géographique saisit paradoxalement l’absent comme celui ou celle qui n’est pas là, mais qui l’a été et peut le redevenir à moins que son décès ne soit constaté. Aussi, le terme est‑il fréquemment entendu comme le contraire de la présence, dans une relation d’antonymie et cette approche résiste à la complexité du rapport entre localisation et position dans un espace donné, et ce, à une époque où les travaux se référant au transnationalisme27 pénètrent l’espace académique francophone.
- 28 Georg Simmel, « Digressions sur l’étranger », in Yves Grafmeyer et Isaac Joseph (trad.), L’École de (...)
16Initialement fondée à partir de la figure du commerçant et de l’entrepreneur – dans le prolongement des travaux de Georg Simmel28 – l’approche transnationale s’intéresse aux parcours migratoires sous l’angle de leurs investissements multisitués. Cette importante innovation théorique et méthodologique offre une nouvelle interprétation de la présence (ici et là‑bas) dissociée de la distance et de l’absence (ici ou là‑bas). Ainsi, assiste‑t‑on à la progressive déconstruction de la figure du migrant déraciné, doublement absent par rapport à sa société d’origine et à celle où il réside et travaille. Pourtant, les syntagmes qui donnent corps à cette nouvelle condition de la postmodernité – « double présence », « présence connectée », « présence numérique » – neutralisent certes la distance mais pas les conséquences de la séparation qui demeurent impensées. En insistant sur la capacité à circuler librement, à relier deux ou plusieurs lieux à la fois, c’est‑à‑dire à être dans une posture d’accès, cette approche tend à gommer les aspérités des parcours notamment celles qui renvoient à la difficulté à maintenir la relation dans un faisceau d’attention constant et à l’asymétrie des positions entre rester et partir.
- 29 Ainsi, l’historienne Catherine Brice s’intéresse aux aspects économiques et patrimoniaux de l’exil (...)
- 30 Mark S. Granovetter, Getting a Job: A Study of Contacts and Careers, Cambridge, Harvard University (...)
- 31 Dans l’article qu’il consacre à cette question dans le contexte de la migration économique Algérie‑ (...)
17C’est donc contre cette forme de réduction d’une conception de l’absence – devenue par le biais et les vertus de la connectivité présence – que l’on peut proposer une approche relationnelle cherchant à rendre compte des effets induits par l’acte de séparation. Une telle approche implique de considérer que le lien est dans l’absence, dans la capacité à maintenir les échanges – ou la volonté de les maintenir quelles qu’en soient les raisons29 – par‑delà les contraintes matérielles, financières et autres qui pèsent sur les (mises en) relations. Ce type de lien nécessite un engagement temporel, économique, affectif de la part des personnes à distance afin de surmonter les épreuves générées par l’exposition à des contextes socialisateurs et des modes de vie différents. Les difficultés sont également d’ordre géographique en partie liées à la distance qui a longtemps pesé sur le rythme d’acheminement de la correspondance. Désormais la distance confronte à la nécessité dans certaines configurations familiales et/ou diasporiques de s’ajuster le cas échéant aux décalages horaires afin d’obtenir une réciprocité dans la disponibilité. Ce lien maintenu par‑delà les contraintes induites par la séparation révèle les périmètres du proche car à l’échelle d’une existence, seules quelques personnes peuvent prétendre au statut d’absent. Ce différentiel entre le nombre considérable de personnes mobilisées dans des interactions indirectes et celles avec lesquelles est entretenue une relation nourrie dans la durée invite à souligner l’exigence d’un lien qui requiert une attention continue et soutenue portée aux êtres qui comptent et continuent à compter, et ce, malgré les risques que font peser les liens faibles sur les liens forts jamais aisés à entretenir en situation d’éloignement géographique, particulièrement quand celle‑ci s’annonce durable30. Lorsque les échanges se raréfient ou s’espacent et que le lien se distend, la prise de distance pourrait être vue ou perçue comme une forme de retrait, voire comme un abandon du groupe et l’absent pourrait devenir étranger au groupe même si ce devenir n’est jamais définitif : son retour, la reprise de contact permettent à tout moment d’y mettre fin31. De nombreux exemples attestent ainsi de la difficulté à maintenir la relation dans un faisceau constant d’attention. Dans le cadre de la migration outre‑Atlantique, le maintien du lien familial a pu faire l’objet d’une prise en charge par les travailleurs sociaux. Mobilisant un corpus constitué de rapports de l’Immigrants’ Protective League des années 1930 en Amérique, Linda Guerry montre ainsi que la gestion par les émotions constitue une véritable stratégie utilisée par les travailleurs sociaux pour réunir des couples séparés par les migrations, particulièrement lorsque le père/mari parti aux États‑Unis laisse son épouse et ses enfants sans ressources. Agissant par le biais de l’encouragement, de la honte et de la peur, ils tentent de rétablir un modèle familial fragilisé par la migration tout en s’immisçant dans l’intimité des familles. Ainsi appréhendée, la relation d’absence n’est plus tant une conséquence négative de l’éloignement qu’une catégorie sociale et relationnelle qui donne prise sur la reconnaissance de liens d’attache en dehors des cadres de proximité.
- 32 Emmanuel Ma Mung, « Migrations et transmigrations dans la diaspora entrepreneuriale chinoise », Mul (...)
- 33 Emmanuel Ma Mung, « Continuité temporelle, contiguïté spatiale et création d’un monde‑propre. Le ca (...)
18Ainsi, ce type de relation trouve‑t‑il des manifestations concrètes dans le contexte diasporique qui constitue un cadre privilégié d’observation du lien social à distance et de la manière dont il se transmet tout en étant redéfini dans le temps. Ce cadre peut être appréhendé comme une formation pensée comme corps social unifié par l’origine supposée commune de ses membres32. Outre ce critère morphologique, la représentation de la dispersion suppose aussi parallèlement une conscience de la dispersion laquelle mobilise une culture diasporique. Celle‑ci contribue à transmettre la conscience des liens qui unit le corps social par‑delà sa dissémination spatiale et implique que se maintiennent des échanges, réels et symboliques, entre les lieux de la dispersion33. Aussi, est‑on fondé à penser que dans ces collectifs diasporiques, les relations qui unissent ces proches disséminés sont des relations d’absence. Ces liens s’entretiennent en raison de ce que ses membres partagent et continuent à partager grâce aux transmissions, malgré leurs évolutions et révisions au fil des générations.
L’absence : l’institution du lien social à distance
19Cette approche relationnelle invite à mettre en évidence les conduites d’agir qui se déploient au regard de ce qui est institué dans la relation. Si l’on reprend le cas de la scène introductive entre cette mère et son fils, il devient évident que ce qui est en jeu dans cette interaction à distance c’est la possibilité de donner consistance, malgré la séparation, à une socialité inscrite dans un espace de pratiques et de rituels : cuisiner pour la mère et adapter par là le temps de l’échange à celui de la préparation culinaire, écouter ensemble la musique choisie le plus souvent par le fils. Lors de ces échanges, la relation passe principalement par le fait de donner à voir des gestes en train d’être accomplis ouvrant sur des mondes possibles mais inatteignables, des postures du corps engagé dans des activités familières comme si la mère et le fils étaient vraiment dans un même lieu. Ces gestes et postures constituent la matière silencieuse d’une intimité qui nécessite paradoxalement de se passer des mots auxquels sont liées les émotions pour pouvoir se développer in absentia. Dans ce contexte si particulier de séparation provisoire ou durable des parents et des enfants, les stratégies qu’appliquent les parents séparés de leurs enfants, mettent ainsi en lumière l’équilibre délicat nécessaire au maintien des liens de proximité affective sans toutefois donner libre cours aux émotions tristes qui pourraient se manifester au cours de ces échanges et remettre en question leur possibilité même. En offrant un rapprochement inédit entre des espaces géographiquement éloignés, la matérialité physique du réseau et des plateformes en ligne suspend ainsi provisoirement le rapport entre localisation et position, tout en favorisant le développement d’un temps partagé condition nécessaire à l’entretien de la relation.
- 34 Voir à ce sujet l’e‑entrepreneuriat des cyber‑familles installées en Chine et à Montréal. Beatrice (...)
- 35 Pierre Livet et Bernard Conein, Processus sociaux et types d’interactions, Paris, Hermann, « Philos (...)
- 36 Marcel Mauss et Paul Fauconnet, « La sociologie, objet et méthode », Article « Sociologie » extrait (...)
- 37 Abdelmalek Sayad, « Immigration et “pensée d’État” », art. cit.
20Si ces relations apparaissent comme des creusets au sein desquels s’élaborent les gestes et les postures du corps permettant l’accès à une intimité malmenée par l’éloignement géographique, l’absence peut être saisie comme l’institution qui fait tenir la relation dans la durée et l’inscrit dans un système d’attentes et d’obligations sociales qui diffère du régime en présentiel34 et des « interactions directes en coprésence35 ». Le terme même d’institution réfère à une longue tradition de recherche. Marcel Mauss et Paul Fauconnet le définissaient comme un « ensemble d’actes ou d’idées tout institué que les individus trouvent devant eux et qui s’impose plus ou moins à eux36 ». Comme « les usages et les modes, les préjugés et les superstitions [ainsi] que les constitutions politiques ou les organisations juridiques essentielles » que ces auteurs identifient comme étant des institutions, l’absence renvoie à ce qui est institué dans le lien à distance, soit des techniques d’attaches qui varient selon l’état des conditions technologiques lesquelles produisent sa matière foisonnante depuis la correspondance épistolaire jusqu’aux messages transmis de manière instantanée via les technologies numériques, en passant par la musique de l’absence qui sonorise la nostalgie et la diffuse largement. En lui donnant une matérialité, ces traces écrites documentent l’évolution des normes à l’œuvre dans la manière de se référer à l’absent, dévoilent les transformations de l’intime et révèlent des points de vue qui cherchent à s’ajuster dans la distance, malgré les contextes de séparation. Dès lors qu’elle est définie comme une institution stable dans le temps, l’absence apparaît comme une catégorie relationnelle qui s’actualise en situation, et ce, indépendamment de son caractère positif ou négatif. Considérer que les êtres en mobilité sont pris dans des relations d’absence invite ainsi à dépasser l’approche individualiste des mobilités et migrations et sa réduction à des catégories qui témoignent d’un prisme étatique. Comme le rappelle A. Sayad : « le phénomène migratoire en sa totalité, émigration et immigration, ne peut être pensé, ne peut être décrit et interprété autrement qu’à travers les catégories de la pensée d’État37 ». Les figures du migrant, du demandeur d’asile, de l’exilé, de l’expatrié et du retournant rappellent certes le primat de la mobilité sur la sédentarité, mais relèvent de points de vue divers, hiérarchisés sur une échelle de valeur politique et médiatique. Ainsi, importe‑t‑il de rappeler qu’aussi différentes soient‑elles, ces figures ont en partage une expérience et un vécu de l’absence qui apparaît comme un fondement commun.
21Alors que l’être humain est pris dans des interactions sociales qui ne peuvent se restreindre au constat d’une double présence, les inégalités dans les parcours migratoires induites par la possibilité inégalement distribuée de conserver des relations à distance agissent sur les liens d’absence. Le partage se fait entre celles et ceux qui peuvent aisément se déplacer et maintenir un champ d’attention ouvert dans les interactions avec les proches éloignés – ce qui correspond peu ou prou à la figure à partir de laquelle se fonde implicitement le transnationalisme – et le plus grand nombre dont les migrations sont entravées, limitées en raison de politiques migratoires restrictives et répressives, placés dans des espaces de rétention et/ou des camps qui figent les parcours de mobilité dans une temporalité d’interruption. Les situations de grande vulnérabilité et de précarité sociale, juridique, économique, n’offrent pas en effet les conditions requises pour pouvoir actualiser les relations à distance car celles‑ci nécessitent pour se réaliser d’être insérées dans des rythmes sociaux – bien souvent familiaux comme on l’a vu précédemment – et, par là même pour être maintenues en tant que telles.
- 38 Voir notamment Frédérique Fogel, Parenté sans papiers, La Roche‑sur‑Yon, Dépaysage, « Sous l’écorce (...)
- 39 Voir le chapitre 3 de l’ouvrage de Michel Agier, La condition cosmopolite : l’anthropologie à l’épr (...)
- 40 Asef Bayat, Life as Politics: How Ordinary People Change the Middle East, 2nd ed., Stanford, CA, St (...)
22Qu’advient‑il lorsque la relation d’absence avec les proches éloignés est contrainte par la difficulté voire l’impossibilité à l’entretenir ? Peut‑on parler de relation sans absence ? Comment pour un individu donné peut‑elle se transmettre à ses descendants ? Quels rapports au pays d’origine cela induit ? Ces questions ouvrent des pistes inédites de questionnement sur le rapport au monde quand le passé fait défaut, quand la relation d’absence est contrariée et/ou empêchée, quand les politiques de contrôle de la migration séparent durablement les membres d’une même famille38. Elles trouvent un terreau particulièrement favorable dans les approches qui cherchent à saisir les figures de l’altérité dans la tension entre mobilité et immobilité. Décrites et analysées par Michel Agier, les figures de l’homme‑frontière permettent en effet de mettre en perspective les conséquences d’une relation malmenée par les épreuves des parcours39. Ces figures partagent une même condition d’un devenir étranger qui éclaire une part de la condition cosmopolite dans un monde de frontières. Se déclinant à partir de la figure de l’« errant », du « paria », du « métèque », elles restent théoriques et n’épuisent pas les portraits individuels qui gardent leur singularité. Leur point commun est d’être indissociablement lié à une exclusion politique qui passe par une mise à l’écart, durable, voire pérenne, tendant à ôter aux individus concernés leurs capacités à maintenir actifs les engagements pris à l’égard des groupes d’appartenance. On mesure là les limites de l’absence quand la relation peut à tout moment céder la place à la « déliaison » et le statut d’absent à celui de disparu. Aussi, un des enjeux de (re)connaissance de ces différentes figures passe‑t‑il par le fait d’inventorier les techniques d’attache mises en œuvre pour résister et reprendre prise sur le temps de l’attente au cœur de la complexité des situations migratoires contemporaines. Autrement dit, s’il y a un « art de la présence40 », il peut y avoir un art de l’absence fondé sur des formes de résistance dans la manière de détourner les dimensions spatiotemporelles de l’enfermement, de l’exclusion et de la séparation.
- 41 Babels Carolina Kobelinsky et Stefan Le Courant (coord.), La mort aux frontières de l’Europe : retr (...)
- 42 Bell Hooks, Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics, Boston, South End Press, 1999 [1990].
- 43 Un des prolongements possibles à ces cas limites d’absence portent sur la situation des disparus en (...)
23Un cas extrême peut être documenté à partir de récits contemporains de traversées des frontières maritimes lesquels témoignent de conduites d’attaches telles que l’établissement stratégique de « pactes » entre compagnons de route dont les mobilités sont rendues illégales. Ces pactes consistent à mémoriser les numéros de téléphone des proches parents du compagnon de route41. Ils relèvent de pratiques d’entraide et de solidarité, c’est‑à‑dire de tactiques de résistance que mettent en œuvre celles et ceux qui sont considérés comme des indésirables par les États, ce qui pose plus largement la question de l’autonomie de ces exilés dans des situations de très forte hétéronomie. Au‑delà du danger que les routes de la mobilité font encourir à celles et ceux qui les empruntent dans des conditions de grande vulnérabilité, celles‑ci peuvent être vues comme des « sites de résistance42 », ultimes lieux où s’affirme un sujet libre de ses mobilités, capable de résister à l’ordre géopolitique établi. Les considérer ainsi permet d’attester par anticipation d’une construction politique du devenir migrant par la saisie de toutes les possibilités qui favorisent le maintien des relations jusque dans les moments les plus critiques. Actes de résistance ultimes de ces sujets, ces pactes offrent en effet l’espoir de prévenir les parents et proches en cas de décès et d’échapper ainsi à l’invisibilité sociale et politique qui entoure le régime de l’absence par disparition43.
- 44 Stephan Scheel et Martina Tazzioli, “Who is a Migrant?…”, art. cit.
24Aussi, en guise d’ouverture de ces propositions sur l’absence, je voudrais insister sur l’importance du maintien des relations, envers et contre tout, malgré des contextes peu propices ; il s’agit là d’un enjeu fondamental de reconnaissance de la part commune aux différentes formes de mobilité, des plus sécurisées à celles qui le sont le moins, et ce, d’autant plus lorsque les personnes en mobilité sont exposées à des risques qui pèsent sur leur vie. Cette part commune permet de rendre compte de l’épaisseur des liens sociaux dans lesquels est pris tout être humain ainsi que des socialités qui se forment sur les routes migratoires. Réintégrer l’absence dans les études migratoires et diasporiques autorise ainsi à « démigrantiser » les termes qui disent le mouvement et la mobilité ainsi qu’à s’affranchir du nationalisme méthodologique qui oriente les regards44. Cette perspective consiste à rappeler qu’avant d’être des migrants, ces personnes en mobilité sont des absents pour leurs proches et réciproquement. Ne pas relever ce trait commun de notre humanité mobile ne revient pas seulement à reproduire l’écueil qui consiste à segmenter les migrations selon des terminologies qui se réfèrent à des échelles de légitimité, à individualiser les parcours ou encore à juxtaposer des formes de présence mais, plus largement, à privilégier une approche individualiste des mobilités et migrations qui considère trop souvent l’individu comme autosuffisant et le monde de la mobilité comme un monde d’accès ou de non‑accès, sans profondeur relationnelle ni commune humanité. Plus de 30 ans après l’approche fondatrice d’Abdelmalek Sayad, et au terme d’un parcours qui l’affranchit du contexte sociohistorique à partir duquel elle avait été initialement forgée, l’absence apparaît bien comme le fondement commun de la mobilité générant des façons d’être et des conduites d’attache par‑delà les inégalités d’accès, les intimités sous pression ainsi que les contextes et modalités de séparation.
Notes
1 Djamila a 47 ans au moment de l’entretien, elle est aussi mère d’une fille plus jeune qui a vécu sans intermittence avec elle. Difficile à documenter statistiquement, cette absence produite administrativement apparaît comme une temporalité traversant différentes formes de mobilités (économique, universitaire, etc.) et semble toucher davantage les femmes que les hommes.
2 Luce Giard, « Faire la cuisine », in Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre Mayol (dir.), L’Invention du quotidien, t. 2 : Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, « Folio, Essais, 238 », 1994, p. 239.
3 Cette scène d’absence est extraite d’un corpus de recherche qui porte sur les séparations au sein des familles, des séparations qui ne sont pas générées par des divorces ou des ruptures affectives mais qui sont produites par un temps administratif qui s’étire. Ce temps est souvent investi comme provisoire par les familles alors qu’il se révèle, dans les faits, durable. Cette recherche sur ces familles traversées par des frontières administrative et géographique se révèle propice à la saisie de tensions, des moments de basse ou de forte intensité qui rythment les échanges.
4 Nira Yuval‑Davis, “Belonging and the politics of belonging”, Patterns of Prejudice, vol. 40, no 3, 2006, p. 197‑214, <https://doi.org/10.1080/00313220600769331>.
5 Ce prisme analytique a été introduit dans les travaux de l’anthropologie anglo‑saxonne. Nina Glick Schiller, Linda Basch et Cristina Szanton Blanc, “From immigrant to transmigrant: theorizing transnational migration”, Anthropological Quarterly, vol. 68, no 1, 1995, p. 48‑63, <https://doi.org/10.2307/3317464>.
6 Stephan Scheel et Martina Tazzioli, “Who is a Migrant? Abandoning the Nation‑state Point of View in the Study of Migration”, Migration Politics, vol. 1, no 1, 2022, p. 1‑23, <https://doi.org/10.21468/MigPol.1.1.002>.
7 Cet article s’inscrit dans le prolongement d’une recherche menée dans le cadre d’un mémoire d’habilitation : Constance de Gourcy, « Le lien social à distance : (En)quête d’absence », Habilitation à diriger des recherches, Adelina Miranda (dir.), 2 juillet 2020 à l’université de Poitiers. Voir aussi l’ouvrage Constance de Gourcy, L’impensé de l’absence : (En)quête sur le lien social à distance, Tours, Presses universitaires François Rabelais, « Migrations », 2024.
8 Abdelmalek Sayad, La double absence : des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, préf. de Pierre Bourdieu, 1re éd., Paris, Éd. du Seuil, « Liber », 1999. Soulignons ici le rôle décisif joué par Pierre Bourdieu et Rebecca Sayad dans la publication posthume de l’ouvrage.
9 Abdelmalek Sayad, « Immigration et “pensée d’État” », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 4, no 129, 1999, p. 5‑14, <https://doi.org/10.3917/arss.p1999.129n1.0005>.
10 Parmi les travaux fondateurs de ce champ d’études mentionnons celui de Rhacel Salazar Parreñas qui introduit le point de vue des enfants, en l’occurrence celui des enfants philippins, dans la considération de l’absence. Rhacel Salazar Parreñas, Children of Global Migration: Transnational Families and Gendered Woes, Stanford, Stanford University Press, 2005.
11 Les travaux des féministes ont permis de déconstruire la normalité de cette figure en soulignant les rapports de genre au cœur des processus migratoires.
12 Mikkel Bille, Frida Hastrup et Tim Flohr Sørensenlle (eds), An Anthropology of Absence: Materializations of Transcendence and Loss, New York, Springer, 2010.
13 Le dictionnaire Merriam‑Webster définit ainsi le terme : “Propinquity and its cousin ‘proximity’ are related through the Latin root prope, which means ‘near’. That root gave rise to ‘proximus’ (the parent of ‘proximity’) and ‘propinquus’ (an ancestor of ‘propinquity’). ‘Proximus’ is the superlative of ‘prope’ and thus means ‘nearest’, whereas ‘propinquus’ simply means ‘near’ or ‘akin’, but in English ‘propinquity’ conveys a stronger sense of closeness than ‘proximity’. (The latter usually suggests a sense of being in the vicinity of something.) The distinctions between the two words are subtle, however, and they are often used interchangeably. ‘Propinquity’ is believed to be the older of the two words, first appearing in English in the 14th century; ‘proximity’ followed a century later”.
14 Victor Buchli, “The Reformation and the problem of visibility and proximity”, An Archaeology of the Immaterial, London, Routledge, 2015, p. 94‑131. Voir aussi l’article qu’il a publié en français : Victor Buchli, « La culture matérielle, la numérisation et le problème de l’artefact », Techniques & Culture, no 52‑53-(Technologies), 2009, p. 212‑231, <https://doi.org/10.4000/tc.4743>.
15 Morgan Meyer et Kate Woodthorpe, “The Material Presence of Absence: a dialogue between museums and cemeteries”, Sociological Research On line, vol. 13, no 5, 2008, <https://doi.org/10.5153/sro.1780>.
16 Eckehard Pistrick, “Performing Absences. Seasonal Returns in South Albanian Villages”, Ethnologie française, vol. 43, no 1, 2013, p. 65‑75, <https://doi.org/10.3917/ethn.131.0065>.
17 Torsten Hägerstrand, “Presence and absence: A look at conceptual choices and bodily necessities”, Regional Studies, vol. 18, no 5, 1984, p. 373‑379, <https://doi.org/10.1080/09595238400185361>.
18 Cyntrica Eaton, Catherine Plaisant et Terence Drizd, “Visualizing missing data: Graph interpretation user study”, in Maria Francesca Costabile et Fabio Paternò (eds), Human‑computer interaction: Proceedings of Interact 2005: IFIP TC13 international Conference, Rome, Italy, September 12‑16, 2005, Berlin/New York, Springer, “Lecture notes in computer science, 3585”, p. 861‑872.
19 Il s’agit du projet de recherche ESRC project Geographies of Missing People dirigé par Hester Parr, Nicholas Fyfe, Penny Woolnough entre 2011 et 2014.
20 Hester Parr et Nicholas Fyfe, “Missing geographies”, Progress in Human Geography, vol. 37, no 5, p. 615‑638, <https://doi.org/10.1177/0309132512465919>.
21 Erling Björgvinsson et Nicholas De Genova, “A Dialogue on Absence between Aleksander Motturi, Kitso Lelliott, Martina Tazzioli and William Walters, based on questions provided by Erling Björgvinsson and Nicholas De Genova », Parse, no 10, 2020, disponible sur <https://parsejournal.com/article/a-dialogue-on-absence/>.
22 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, t. 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, « Folio, Essais, 146 », 1990.
23 Boaventura de Sousa Santos, « Épistémologies du Sud », Études rurales, no 187‑(Le sens rural aujourd’hui), 2011, p. 21‑50, <https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9351>.
24 Bétoule Fekkar‑Lambiotte, La double présence : histoire d’un engagement, Paris, Éd. du Seuil, 2007.
25 Dana Diminescu, « Le migrant connecté : pour un manifeste épistémologique », Migrations Société, vol. 17, no 102, 2005, p. 275‑293, <https://ec.europa.eu/migrant-integration/sites/default/files/2009-07/docl_9047_973024464.pdf>.
26 Abdelmalek Sayad, « Les trois “âges” de l’émigration algérienne en France », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 15‑(Sociologie historique du Mandarinat), juin 1977, p. 59‑79, <https://doi.org/10.3406/arss.1977.2561>. Pour des prolongements récents, voir les travaux d’Emmanuel Blanchard, « Des Kabyles “perdus” en région parisienne. Les “recherches dans l’intérêt des familles” du Service des affaires indigènes nord‑africaines (années 1930) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 144‑(Mobilités et migrations en Méditerranée : Vers une anthropologie de l’absence ?), 2018, <https://doi.org/10.4000/remmm.11699>.
27 On peut se référer notamment aux travaux de Nina Glick‑Schiller, Linda Basch et Cristina Blanc‑Szanton, “From immigrant to transmigrant: Theorizing transnational migration”, art. cit. Alejandro Portes, Luis E. Guarnizo et Patricia Landolt, “The Study of Transnationalism: Pitfalls and Promise of an Emergent Research Field”, Ethnic and Racial Studies, vol. 22, no 2, 1999, p. 217‑237, <https://doi.org/10.1080/014198799329468>. Thomas Lacroix, Le Transnationalisme : Espace, Temps, Politique. Géographie, Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris Est, 2018 <https://hal.science/tel-01810672>.
28 Georg Simmel, « Digressions sur l’étranger », in Yves Grafmeyer et Isaac Joseph (trad.), L’École de Chicago, Paris, Aubier, [1908] 1984, « Recherches économiques et sociales, Champ urbain, 3 », p. 53‑59.
29 Ainsi, l’historienne Catherine Brice s’intéresse aux aspects économiques et patrimoniaux de l’exil politique du xixe siècle à partir de configurations où le mari est en exil et l’épouse reste. Catherine Brice, « Ceux qui partent et celles qui restent. Les femmes et l’exil, entre gestion économique et intercession politique dans la péninsule italienne (1821‑1860) », Diasporas, no 38‑(Femmes et genre en exil au xixe siècle), 2021, p. 129‑144, <https://doi.org/10.4000/diasporas.7090>.
30 Mark S. Granovetter, Getting a Job: A Study of Contacts and Careers, Cambridge, Harvard University Press, 1974.
31 Dans l’article qu’il consacre à cette question dans le contexte de la migration économique Algérie‑France, Kamel Chachoua montre que les disparus finissent, tous ou presque, par revenir un jour. Kamel Chachoua, « Un délire bien fondé. Le rite de “l’appel” (asiwel) pour faire revenir l’émigré “égaré” (amjah) en Kabylie », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 144‑(Mobilités et migrations en Méditerranée : Vers une anthropologie de l’absence ?), 2018, p. 45‑60, <https://doi.org/10.4000/remmm.11764>.
32 Emmanuel Ma Mung, « Migrations et transmigrations dans la diaspora entrepreneuriale chinoise », Multitudes, vol. 49, no 2, 2012, p. 53‑61, <https://doi.org/10.3917/mult.049.0053>.
33 Emmanuel Ma Mung, « Continuité temporelle, contiguïté spatiale et création d’un monde‑propre. Le cas de la diaspora chinoise », L’Espace géographique, t. 41, no 4, 2012, p. 352‑368, <https://doi.org/10.3917/eg.414.0352>.
34 Voir à ce sujet l’e‑entrepreneuriat des cyber‑familles installées en Chine et à Montréal. Beatrice Zani, « L’e‑entrepreneuriat des cyber‑familles transnationales migrantes. Le cas des femmes chinoise à Montréal », Hommes & migrations, no 1337‑(#Connectés), 2022, p. 35‑43, <https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.13920>.
35 Pierre Livet et Bernard Conein, Processus sociaux et types d’interactions, Paris, Hermann, « Philosophie », 2020.
36 Marcel Mauss et Paul Fauconnet, « La sociologie, objet et méthode », Article « Sociologie » extrait de la Grande Encyclopédie, vol. 30, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, Paris, 1901, <http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/essais_de_socio/T1_la_sociologie/la_sociologie.html>.
37 Abdelmalek Sayad, « Immigration et “pensée d’État” », art. cit.
38 Voir notamment Frédérique Fogel, Parenté sans papiers, La Roche‑sur‑Yon, Dépaysage, « Sous l’écorce, 1 », 2019.
39 Voir le chapitre 3 de l’ouvrage de Michel Agier, La condition cosmopolite : l’anthropologie à l’épreuve du piège identitaire, Paris, la Découverte, 2013.
40 Asef Bayat, Life as Politics: How Ordinary People Change the Middle East, 2nd ed., Stanford, CA, Stanford University Press, 2013 [2010].
41 Babels Carolina Kobelinsky et Stefan Le Courant (coord.), La mort aux frontières de l’Europe : retrouver, identifier, commémorer, Neuvy‑en‑Champagne, le Passager clandestin, « Bibliothèque des frontières », 2017, p. 93.
42 Bell Hooks, Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics, Boston, South End Press, 1999 [1990].
43 Un des prolongements possibles à ces cas limites d’absence portent sur la situation des disparus en Méditerranée. Sofia Stimmatini et Constance de Gourcy, “Missing in the Mediterranean: A perspective from Tunisian mothers”, in Ribas Natalia et Sassen Saskia (eds), The Elgar Companion to Gender and Global Migration: Beyond Western Research, Cheltenham, UK/Northampton, MA, E. Elgar, “Sociology, Social Policy and Education”, 2022, p. 278‑286, <https://doi.org/10.4337/9781802201260.00031>.
44 Stephan Scheel et Martina Tazzioli, “Who is a Migrant?…”, art. cit.
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Référence papier
Constance de Gourcy, « « Au‑delà » de la double absence : nouveaux regards, nouvelles propositions », Diasporas, 43 | -1, 195-212.
Référence électronique
Constance de Gourcy, « « Au‑delà » de la double absence : nouveaux regards, nouvelles propositions », Diasporas [En ligne], 43 | 2025, mis en ligne le 11 juin 2025, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/diasporas/17466 ; DOI : https://doi.org/10.4000/144ee
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